Publié le 7 Octobre 2021
Le Hollandais volant (Richard Wagner - 1843)
Répétition générale du 06 octobre 2021 et représentations du 25 et 28 octobre 2021
Opéra national de Paris - Bastille
Daland Günther Groissböck
Senta Ricarda Merbeth
Erik Michael Weinius
Mary Agnes Zwierko
Der Steuermann Thomas Atkins
Der Holländer Tomasz Konieczny
Direction musicale Hannu Lintu
Mise en scène Willy Decker (2000)
La production du Vaisseau Fantôme que l’Opéra de Paris n’avait plus programmé depuis le 09 octobre 2010 était très attendue car il s’agit du premier drame wagnérien proprement dit. Sa simplicité et son romantisme s’adressent à tous, et les contrées qu’il décrit avec sa musique créent en chacun des impressions visuelles fort évocatrices.
L’œuvre n’est entrée au répertoire qu’en 1937, 40 ans après sa création parisienne au Théâtre des Nations de l’Opéra Comique - à l'actuel emplacement du Théâtre de la Ville -, mais elle fait dorénavant partie des 30 opéras les plus joués de la maison.
Et la reprise de cette année atteint un niveau musical bien plus équilibré et très supérieur à celui de la dernière reprise où le couple d’ Erik et Senta formé par Klaus Florian Vogt et Adrianne Pieczoncka semblait être le cœur palpitant de la représentation.
Ce soir, la réalisation orchestrale repose sur un orchestre en pleine forme dirigé par un maître des grands espaces nordiques, Hannu Lintu, un chef finlandais qui fait des débuts fracassants à l’Opéra de Paris.
Musclée et flamboyante dans sa manière élancée et virile de faire résonner le corps des cuivres, mais avec de l’allant et une attention à faire ressortir les chaudes pulsations humaines dans les différents duos, cette direction empreint le spectacle d’une narration qui emporte les solistes dans un souffle subjuguant de vitalité.
L’entrée du marin de Thomas Atkins révèle un personnage plus tourmenté que contemplatif, et le chœur masculin, en partie non masqué, impose d’emblée un chant puissant qui a l’impact de l’argent massif.
Puis, l’apparition de Tomasz Konieczny s’inscrit splendidement dans le prolongement de cette introduction. Ce chanteur formidable dépeint non seulement le Hollandais errant avec un sens de l’éloquence incisive fantastique, mais il pare également son timbre d’une intense patine sombre aux reflets métalliques qui lui donnent une séduction et une prestance animale absolument souveraine.
L’acteur fait ainsi vivre son personnage avec énormément de justesse ce qui se lit dans sa manière d'interpénétrer sentiments ombrés et tourments intérieurs.
Günther Groissböck paraît du coup plus simplement humain face à lui, et rend même Daland sympathique. Sa gestuelle a quelque chose d’inclusif, de directement accessible, la variété des couleurs est sensible, mais son chant n’a pas encore retrouvé tout l’impact qu’on lui connaît.
Et Ricarda Merbeth, dont on ne compte plus les incarnations survoltées de Senta à Bayreuth, a certes aussi perdu un peu de puissance et de couleurs dans les aigus, mais force est de constater qu’elle est toujours une wagnérienne qui compte aujourd’hui. Le souffle et la vaillance d'une tessiture ouatée sont bien là, l’imprégnation romantique de cette femme si intérieure est rendue avec une crédibilité et une fierté qui accrochent au cœur, et son magnétisme rivalise en caractère avec celui de Tomasz Konieczny.
Erik n’est certes pas un être gagnant dans cette histoire qui le confronte à la violence des sentiments extrêmes de deux figures majeures du romantisme allemand, mais Michael Weinius lui rend un tempérament solide et de caractère, avec une voix mordante, qui a du brillant, et des accents un peu complexes qui donnent de l’épaisseur à un personnage qu’il n’est pas facile à imposer.
Quant aux noirceurs abyssales d'Agnes Zwierko, une fois entendues, elles ne vous quittent plus de la soirée.
Après avoir connu la réalisation d’une extrême finesse et la dramaturgie prenante élaborée par Dmitri Tcherniakov pour le Festival de Bayreuth cet été avec la nouvelle production du Fliegende Holländer, revenir au travail épuré de Willy Decker fait inévitablement ressortir certains statismes du jeu théâtral, mais cette épure et la qualité de ses lumières conservent un pouvoir psychique intact sur les spectateurs.
Comment ne pas être sensible à ce tableau de paysage marin pris en pleine tempête où apparaît en surimpression le vaisseau hallucinatoire de Senta, ou à cette pièce aux dimensions surréalistes qui semble pointer, à la manière d'une proue de navire, au dessus d’une mer agitée ?
Un décor unique, certes, mais plongé dans un univers aux éclairages d’une grande mobilité – hors le duo entre Senta et Le Hollandais qui est volontairement distancié - sans la moindre incongruité, une psychologie centrée sur Senta, où il est véritablement montré à quel point elle est sujette à une maladie qui induit au final un rejet de tous, et qu’elle va transmettre avant de mettre fin à ses jours à une jeune fille de compagnie qui se laissera prendre par l’imaginaire du portrait du Hollandais, c’est bien parce qu’il y a un chef expressif à la barre de l’orchestre et une solide distribution pour prendre émotionnellement l’auditeur, que ce retour a toutes les forces pour lui.