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Publié le 15 Octobre 2024

Die Tote Stadt (Erich Wolfgang Korngold –
4 décembre 1920, Hambourg et Cologne)
Représentation du 07 octobre 2024
Bayerische Staatsoper München

Paul Klaus Florian Vogt
Marietta/Die Erscheinung Mariens Vida Miknevičiūtė
Frank/Fritz Sean Michael Plumb
Brigitta Jennifer Johnston
Juliette Mirjam Mesak
Lucienne Xenia Puskarz Thomas
Gaston/Victorin Liam Bonthrone
Graf Albert Miles Mykkanen

Direction musicale Lothar Koenigs
Mise en scène Simon Stone (2016, Bâle / 2019, Munich)

En septembre 2016, Simon Stone, metteur en scène de théâtre originaire de Bâle, dirigea son premier opéra, ‘Die Tote Stadt’, sur les planches du Theater Basel, ce qui sera le point de départ d’un parcours original dans l’univers lyrique qui le mènera à Salzbourg, Vienne, Munich, Paris, Aix-en-Provence et New-York.

Puis, en 2019, le Bayerische Staatsoper reprit sa production bâloise de l’opéra le plus connu d’Erich Wolfgang Korngold avec Jonas Kaufmann et Marlis Petersen dans les rôles principaux, et c’est cette production qui est à nouveau à l’affiche avec un couple d’artistes qui se connaissent bien, Vida Miknevičiūtė et Klaus Florian Vogt, puisqu’ils ont déjà chanté ensemble cet ouvrage à Vienne en février 2022 (production Willy Decker) et à Hambourg en juin 2024 (production Karoline Gruber).

Klaus Florian Vogt (Paul) et Vida Miknevičiūtė (Marietta)

Klaus Florian Vogt (Paul) et Vida Miknevičiūtė (Marietta)

Le ténor allemand, figure majeure du Festival de Bayreuth, connaît parfaitement le personnage de Paul puisqu’il l’a interprété pour la première fois en 2002 à l’Opéra de Brême, un an avant son premier Lohengrin dans ce même théâtre, et qu’il le chante régulièrement jusqu’à nos jours.

Klaus Florian Vogt (Paul) et Vida Miknevičiūtė (Marietta)

Klaus Florian Vogt (Paul) et Vida Miknevičiūtė (Marietta)

Dans ce décor de maison tournante révélant au fur et à mesure les différentes pièces intérieures ainsi que la façade extérieure purement anonyme, Simon Stone présente Paul comme un homme d’apparence moderne, bien habillé en costume-cravate, mais qui vit hors de la réalité dans un univers clos dédié à la mémoire de sa femme défunte, Marie.

Et pour mieux montrer le pathétique de ce décalage, il occulte la dimension fantastique du second acte en transformant la troupe de Marietta, celle qui rappelle tant à Paul son amour disparu, en un groupe de jeunes d’aujourd’hui faisant la fête sans se soucier du monde qui les entoure, en se livrant à des beuveries et coucheries sans fin. C’est ce choc entre éducation bourgeoise et comportements libres et désaxés, et la très grande ambiguïté entretenue entre rêve et réalité, qui va sortir Paul de sa nostalgie mortifère.

Sean Michael Plumb (Fritz) et Vida Miknevičiūtė (Marietta)

Sean Michael Plumb (Fritz) et Vida Miknevičiūtė (Marietta)

Klaus Florian Vogt incarne totalement cette personnalité égarée en en faisant ressortir le caractère très émouvant au premier acte, la pureté de ses inflexions de voix évoquant une innocence retrouvée absolument bouleversante. Mais rien de la complexité de Paul ne lui échappe, y compris la virulence de son attachement à sa femme qui se transfère violemment dans sa relation à Marietta.

Dans ces moments, il exprime de l’agressivité en canalisant très fortement son chant mais toujours avec des inflexions claires qui rajeunissent son tempérament.

Il fait preuve d’une inaltérable résistance vocale ce qui est aussi l’apanage de Vida Miknevičiūtė dont les vibrations dynamiques du timbre ont la souplesse qui lui permette d’exprimer l’impertinence et la joie de vivre avec un rayonnement d’une très grande intensité.

Vida Miknevičiūtė (Marietta)

Vida Miknevičiūtė (Marietta)

Elle décrit ainsi avec aisance et fluidité une femme percutante et très vivante, tout en arborant un ensemble de nuances tendres, taquines, provocatrices mais aussi rassurantes qui créent un personnage qui échappe toujours à Paul.

Et de voir Klaus Florian Vogt, lui qui si souvent interprète des héros forts d’une grande force de conviction, s’approprier les états d’âmes de ce véritable anti-héros est quelque chose de très poignant à vivre car, surtout dans cette production, il figure un homme dans lequel nombre de spectateurs peuvent se reconnaître de façon très intime.

Vida Miknevičiūtė (Marietta) et Klaus Florian Vogt (Paul)

Vida Miknevičiūtė (Marietta) et Klaus Florian Vogt (Paul)

La conclusion, fort lisible, revient à une attitude d’une grande sagesse lorsque l’on voit l’homme esseulé se défaire une à une des photographies nostalgiques témoins de son bonheur passé mais qui ne lui permettaient plus de se tourner vers l’avenir.

La procession des enfants se ressemblant tous comprend également une réflexion de la part de Simon Stone sur le conformisme social qui participe aussi à un piège dont il faut pouvoir se défaire, la société entretenant insidieusement l'idée qu'il faut être comme tout le monde.

Klaus Florian Vogt et Vida Miknevičiūtė

Klaus Florian Vogt et Vida Miknevičiūtė

Scéniquement, les deux chanteurs principaux sont par ailleurs entourés de solistes très engagés parmi lesquels Sean Michael Plumb offre, en Franz et Fritz, une présence généreuse et ombrée qui manifeste une sensibilité palpable.

Quant à Jennifer Johnston, elle met beaucoup de cœur dans le personnage de Brigitta en s’extériorisant, certes, un peu trop, mais en faisant aussi entendre un timbre grave riche et résonnant.

Klaus Florian Vogt

Klaus Florian Vogt

A la direction de l’Orchestre d’État de Bavière, Lothar Koenigs se délecte à faire ressortir l’écriture luxuriante straussienne si présente dans la musique de Korngold, tout en tenant d’une poigne inflexible un geste théâtral fort mais un peu trop cadré. Il contribue également à créer un climat très présent qui pousse l’auditeur à garder un regard et une écoute acérés vis à vis de l’action dramatique, faisant ainsi en sorte qu’il vive quelque chose qui le remue sérieusement de l’intérieur et le marque sur la durée.

Lothar Koenigs, Klaus Florian Vogt et Sean Michael Plumb

Lothar Koenigs, Klaus Florian Vogt et Sean Michael Plumb

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Publié le 26 Septembre 2015

Philharmonique de Radio France (dm Mikko Franck)
Concert du 25 septembre 2015
Philharmonie – Grande salle

Erich Wolfgang Korngold
Concerto pour violon et orchestre en ré majeur (1945)
Violon Vilde Frang

Gustav Mahler
Das Lied von der Erde (Le Chant de la terre) (1908)
Mezzo-soprano Alisa Kolosova
Ténor Christian Elsner

Direction musicale Mikko Franck
Orchestre Philharmonique de Radio France

 

                                           Alisa Kolosova

Une semaine après son concert de rentrée à l’Auditorium de la Maison de la Radio, l’Orchestre Philharmonique de Radio France se retrouve dans la grande salle de la Philharmonie pour jouer deux œuvres en mémoire de Gustav Mahler et d’un jeune compositeur qui lui fut présenté alors qu’il n’avait que 9 ans, Erich Wolfgang Korngold.

Mikko Franck

Mikko Franck

Le concert de ce soir ne suit pas l’ordre chronologique, puisqu’il débute par le concerto pour violon en ré majeur, dédié à Alma Mahler-Werfel, la veuve du compositeur autrichien.

Au cours de sa période américaine, Korngold était devenu un fantastique compositeur de musiques de films d’aventures historiques, avec pour héros Errol Flynn, dont l’Aigle des Mers reste le chef-d’œuvre épique.

Ce concerto pour violon marque cependant la fin de cette vie américaine, et la préparation au retour vers le Vieux Continent, sorti enfin de la guerre.

La salle à la fin du concert

La salle à la fin du concert

En avant des emphases d’un orchestre opulent, la violoniste norvégienne Vilde Frang laisse transparaître une personnalité ardente et irradiante, et un sens de l’accompagnement lyrique stupéfiant au fil des ondes de l’ensemble. Les irisations sont travaillées avec une précision d’orfèvre, et sa virtuosité joyeuse est d’autant plus captivante que le Philharmonique lisse les nappes orchestrales sans exagérer la composante hollywoodienne et nostalgique de la musique.

Dans la seconde partie, la composition crépusculaire de Gustav Mahler atteint des sommets d’immatérialité qui imprègnent et subjuguent notre conscience au point de nous faire perdre tout sens du réel.

Christian Elsner

Christian Elsner

Les voiles des cordes s’évaporent de toutes parts, le corps dense des bois du Philharmonique ramène à une sérénité terrestre poétique, et Mikko Franck mène cet élan orchestral vers des hauteurs majestueuses qu’il contrôle magnifiquement, pour les faire s’éteindre ensuite avec un art de l’achèvement d’une perfection impressionnante.

Et Christian Elsner laisse entendre la clarté sans tension de son chant qui, inévitablement, se dilue dans une acoustique peu favorable aux voix, bien que, et ce sera la plus belle des surprises, celle d’ Alisa Kolosova arrive à toucher même ceux qui l’entendent de dos.

Alisa Kolosova

Alisa Kolosova

La mezzo-soprano russe est en effet toujours fascinante dans les rôles charmeurs et posés – Olga, dans Eugène Onéguine, est un personnage qu’elle incarne avec beaucoup de sensualité -, mais, ce soir, elle porte une profonde langueur, un grand chant d’espoir qui s’évade vers un horizon sans limite, amplifiée par les gestes enrobés de Mikko Franck.

Comment avoir envie de parler après avoir entendu une telle beauté d’interprétation?

 

Disponible en réécoute sur France Musique jusqu'au 25 octobre.

 

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Publié le 20 Octobre 2009

Die tote Stadt (Korngold)
Représentation du 19 octobre 2009
Opéra Bastille

Direction musicale Pinchas Steinberg
Mise en scène Willy Decker

Paul Robert Dean Smith
Marietta Ricarda Merbeth
Frank / Fritz Stéphane Degout
Brigitta Doris Lamprecht
Juliette Elisa Cenni
Lucienne Letitia Singleton

Die tote Stadt opéra de la mélancolie? La première impression, éclatante jetée dans une splendeur sonore, ne le suggère pourtant pas. Seulement les orgueilleuses et clinquantes envolées sont souvent comme une contre énergie aux vagues de tristesse, et l’on retrouve cela dans cette musique avec laquelle il faut vaincre la complexité de ses motifs parfois furtifs.

                                                                                        Ricarda Merbeth (Marietta)

De retour à l’Opéra National de Paris depuis la création d’Ariane à Naxos à l’automne 2003, Pinchas Steinberg tire de l’orchestre comme une grande forme d’onde qui englue l’âme dans une sorte d’éternité morbide, pour qui veut bien se laisser prendre à l’expérience.

Et ce n’est nullement exagérer que de dire qu’il ne reste plus grand chose des emphases de la partition de Korngold.

Robert Dean Smith (Paul)

Robert Dean Smith (Paul)

Ce choix va de pair avec une mise en scène étouffante par son cloisonnement et le vide qu’elle souligne avec son arrière scène plongée dans l’obscurité. C’est une alternance de tableaux fascinants (l’apparition de Marie au loin s’adressant à Paul sans que sa chevelure ne révèle le moindre trait de son visage, ou bien le portrait obsessionnel devenant de plus en plus fantomatique), et de scènes vivantes et très bien réglées (comme la métamorphose instantanée de la morte Marie en la superficielle et matérialiste Marietta).

Ricarda Merbeth est une stupéfiante Marietta, vigoureuse et acharnée à sortir Paul de son puit de pensées noires, la voix ne trahissant nulle faiblesse avec une accroche dynamique, sauvage et ouatée.

Son partenaire, Robert Dean Smith, conserve quelque chose de touchant bien que sa musicalité se perde dans un haut médium qui ternit toutes les sonorités (ce qui au passage n’est pas hors de propos).

Stéphane Degout (Fritz)

Stéphane Degout (Fritz)

Sarcastique et sûr de lui, Stéphane Degout respire d’aisance, et Doris Lamprecht montre des capacités dramatiques ignorées, pour ma part, et une puissance qu’elle prend plaisir à extérioriser.

Prisonnier de son deuil, Paul peut plus largement représenter l’incapacité à sortir d’une emprise psychique (d’où cet attrait vers le religieux qu'il pense pouvoir le tirer vers le « haut »).

Le livret de Die tote Stadt est justement très prenant car il démonte, par l’intermédiaire de Marietta, tous les subterfuges de complaisance avec cet état.

C’est véritablement un ouvrage qui mérite une reprise, et pourquoi pas cette fois avec un chef comme Harmut Haenchen au goût plus prononcé pour les grands contrastes entre frémissements éveillants et grondements intimidants.

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