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Publié le 23 Janvier 2022

Les Noces de Figaro (Wolfgang Amadé Mozart – 1786)
Représentations du 21 et 23 janvier 2022
Palais Garnier

Il conte di Almaviva Peter Mattei
La contessa di Almaviva Maria Bengtsson
Susanna Anna El-Khashem
Figaro Luca Pisaroni
Cherubino Lea Desandre*
Marcellina Dorothea Röschmann
Bartolo James Creswell
Don Basilio Michael Colvin
Don Curzio Christophe Mortagne
Barbarina Kseniia Proshina
Antonio Marc Labonnette

Direction musicale Gustavo Dudamel
Mise en scène Netia Jones (2022)

Nouvelle production
* Lea Desandre, souffrante le 23 janvier 2022, était doublée par Chloé Briot
                                                                       Netia Jones
Diffusion en direct sur France.tv/Culturebox le 03 février 2022 à 19h30

Après 9 ans d’absence, Les Noces de Figaro fait un retour très attendu au répertoire dans une nouvelle mise en scène qui vient se substituer aux deux seules productions du chef-d’œuvre de Mozart qu’ait connu l’Opéra de Paris depuis le début de l’ère Rolf Liebermann en 1973, celle de Giorgio Strehler (1973 – 2012) et celle de Christoph Marthaler (2006-2008).

C’est un évènement structurant pour l’institution qui se dote d’une pièce majeure facilement reprenable tous les 2 ou 3 ans, et en plus cela maintient Les Noces de Figaro en tête des ouvrages les plus joués de la maison avec, à l’issue de cette nouvelle série, 216 représentations au compteur depuis les 50 dernières années, tout juste talonné par La Bohème de Giacomo Puccini.

Maria Bengtsson (La Comtesse) et Peter Mattei (Le Comte)

Maria Bengtsson (La Comtesse) et Peter Mattei (Le Comte)

Principalement connue dans les pays anglophones, Netia Jones fait ses débuts à l’Opéra de Paris et offre au public une production qui se passe au sein même du Palais Garnier. L’intrigue sociale est ainsi ramenée à une époque plus proche de nous que la Révolution française, si bien qu'elle pourrait se dérouler aujourd’hui même dans les loges de l’Opéra.

Dans cette vision, le Comte et la Comtesse deviennent de grands acteurs de théâtre invités à jouer dans un spectacle où participent choristes et corps du ballet de la Maison. Suzanne est une assistante à l’habillage, Figaro probablement un chef de service, Bartolo et Marcelline des administrateurs de l’établissement, Don Basilio le maître de chant, Don Curzio le concierge, Chérubin un adolescent branché qui porte sa casquette à l’envers, et Barberine une danseuse. Les rôles sociaux sont donc tout à fait respectés.

Anna El-Khashem (Susanna)

Anna El-Khashem (Susanna)

Les deux premiers actes se déroulent à travers 4 loges contiguës - mais seules trois sont présentées au même moment -, et par un très beau trucage les façades des immeubles haussmanniens se perçoivent derrière les vitres. Le jeu de cache-cache entre le Comte, la Comtesse, Suzanne et Chérubin se déroule dans cet espace restreint, et dès l’ouverture on voit les danseuses se méfier du Comte, sauf une, bêtement fascinée, qui le suit dans sa loge. Plus loin, on l’apercevra rôder également dans celle du chef de chant où passent les choristes.

Le jeu d’acteur sobre et lisible de tous les artistes rend très naturelle la dimension vaudevillesque de cette première partie, sans caricature forcée, qui est très agréable à suivre.  La vidéographie est utilisée pour montrer sous forme de jeux d’ombres le ressentiment entre Suzanne et Marcelline, ou bien pour suggérer le raz-le-bol de Bartolo à gérer un tel ensemble.

Luca Pisaroni (Figaro)

Luca Pisaroni (Figaro)

Adorable est le clin d’œil plus ou moins volontaire à Marthaler – il y en aura un autre en seconde partie – quand Netia Jones reprend la scène du Comte équipé de la perceuse pour forcer le cabinet de Suzanne, et Chérubin ne part plus à la guerre mais est embauché par Figaro au sein de la troupe où il jouera le rôle d’un garde. Chérubin n’est finalement qu’un enfant qui a besoin d’être guidé et un peu mieux structuré dans sa vie.

Le mouvement de protestation de certains choristes – dans la pièce - pendant un passage chanté dans la loge de Don Basilio pour signaler des faits de harcèlement sexuel situe bien la problématique centrale de la lecture de Netia Jones. Et le geste du Comte déchirant les tracts montre bien ce qu’il en pense également.

Maria Bengtsson (La Comtesse)

Maria Bengtsson (La Comtesse)

Le dispositif scénique ne comporte qu’un défaut à travers les deux cloisons centrales qui ont tendance à parfois atténuer la portée des voix pour le public situer dans les loges de côté, et peuvent aussi masquer certaines saynètes.

En seconde partie, l’action se déroule au sein des ateliers de costumes, où le Comte comprendra que Suzanne le dupe, puis dans la loge des choristes avec son alignement de pupitres et de lampes chaleureuses, et enfin sur la scène, au moment de la dernière répétition avec les danseuses – Barberine y laissera sa vertu -.  Puis, quand tout est éteint, le jeu de confusion entre les identités de la Comtesse et de Suzanne peut se déployer. 

Anna El-Khashem (Susanna) et Lea Desandre (Cherubino)

Anna El-Khashem (Susanna) et Lea Desandre (Cherubino)

L’espace se vide au fur et à mesure, et Netia Jones a recours à une très grande économie de moyens pour montrer comment Figaro est reconnu par ses parents, les administrateurs, à travers une portraitisation de toute la famille. On voit aussi Suzanne se prendre pour une artiste en chantant sous le halo d’une simple lampe « Giunse alfin il momento » – autre clin d’œil plus ou moins volontaire à La Traviata par Marthaler -, et quand le Comte est enfin démasqué, l’arrière scène s’ouvre pour dévoiler le Foyer de la danse d’où les danseuses accourent en joie vers l’orchestre, avant qu’un autre acteur ne se présente en costume pour signifier à Almaviva qu’il est viré et remplacé.

Peter Mattei (Le Comte) et Anna El-Khashem (Susanna)

Peter Mattei (Le Comte) et Anna El-Khashem (Susanna)

Le mérite de cette production est donc d’attacher Les Noces de Figaro à un des deux théâtres de l’Opéra de Paris, comme l’avait fait Robert Carsen avec Capriccio, de mettre en valeur le lieu de vie de ses équipes, de développer un message social en lequel ils se reconnaissent et qui est contenu dans l’ouvrage présenté, et donc d’ancrer durablement ce spectacle sur la scène Garnier. Il est un peu trop tôt pour le dire, mais le pari semble réussi.

Maria Bengtsson (La Comtesse)

Maria Bengtsson (La Comtesse)

La distribution réunie pour ce grand retour fait en partie ressurgir les souvenirs des soirées mozartiennes pendant le mandat de Gerard Mortier, puisque l’on retrouve Maria Bengtsson qui avait fait vivre avec une inoubliable sensibilité Pamina dans la production de La Flûte enchantée par la Fura dels Baus donnée à Bastille en 2008, et de retrouver également le duo Peter Mattei / Luca Pisaroni qui avait formé un splendide couple jumeaux Don Giovanni / Leporello,  il y a exactement seize ans, dans la production de Don Giovanni par Michael Haneke jouée à Garnier.

Tous trois ont conservé de très belles qualités vocales et une très belle manière d’être sur scène. Maria Bengtsson est une comtesse qui chante comme sur du velours, une douceur ouatée qui laisse éclore des éclats de lumière magnifiques, et elle a de la classe, du charme et de la retenue dans ses expressions. Elle est touchante sans jamais versé dans le tragique.

Michael Colvin (Don Basilio) et le chœur

Michael Colvin (Don Basilio) et le chœur

Luca Pisaroni est sans surprise un Figaro accompli, un peu rustaud dans les parties déclamatoires, d’une grande netteté de chant qui lui donne une présence évidente, et Peter Mattei fait encore entendre des intonations enjôleuses, un timbre seigneurial qui pourrait faire croire qu’il interprète un être hors de tout soupçon. Il est tellement bellissime qu’il ne peut rendre antipathique le Comte, un comble !

Dorothea Röschmann (Marcellina)

Dorothea Röschmann (Marcellina)

Remplaçant pour les deux premiers soirs Ying Fang, Anna El-Khashem fait ses débuts à l’Opéra de Paris en faisant vivre une Suzanna d’une très grande justesse. Voix vibrante, plus confidentielle que celle de ses partenaires et d’une fine musicalité sans noirceur, elle maintient la ligne d’un personnage qui ne surjoue pas et qui offre une fusion très poétique de son timbre délicat avec celui de la Comtesse dans le duettino « Sull’aria … che soave zeffiretto ».

Le Chérubin de Lea Desandre, qui fait elle aussi ses débuts à l’Opéra de Paris, est d’une souplesse enjôleuse, un chant clair-ambré de crème qui se coule avec aisance dans la manière d’être nonchalante de ce jeune adolescent pas dangereux pour un sou, une suavité chaleureuse qui participe à la juvénilité d'ensemble de ce Mozart

Maria Bengtsson (La Comtesse)

Maria Bengtsson (La Comtesse)

Et quel aplomb généreux chez Dorothea Röschmann qui campe une Marcelline avec beaucoup d’opulence vocale et d’incisivité auprès d’un James Creswell qui induit en Bartolo une autorité mature et bien affirmée ! Excellents comédiens, Michael Colvin et Christophe Mortagne s’adonnent à cœurs-joie aux rôles piquants et sarcastiques de Don Basilio et Don Curzio.

Dans ce tumulte, la Barberine de Kseniia Proshina est d’une tendre sensibilité qui suspend le temps pour un air qui prend dans un tel contexte une importance clé.

Si la direction d’acteur imprimée par Netia Jones est efficace, elle ne cherche pas non plus à combler le vide ou à ajouter des petites scènes de vie périphériques, et reste donc très mesurée.

Luca Pisaroni, Anna El-Khashem, Gustavo Dudamel et Peter Mattei

Luca Pisaroni, Anna El-Khashem, Gustavo Dudamel et Peter Mattei

On retrouve cela dans la direction musicale de Gustavo Dudamel qui se concentre sur une ligne très fluide qui fait la part belle à la finesse du tissu des cordes et ses ornementations ainsi qu’à la clarté poétique des motifs musicaux des bois. Les effets de percussions sont discrets, et sa lecture porte en elle même une lumière crépusculaire subliminale très homogène, drainée par des courants vifs et des effets mouchetés, des variations de dynamiques chaloupés inédits dans les ensembles de cordes.

Surtout rien de débridé ou d’excessif, mais un travail de broderie fine parfois à la limite du perceptible qui en devient saisissant pour l’oreille.

Le chœur, masqué, présent surtout de côté, se fond très bien dans cette approche raffinée vouée à un spectacle d’une facture parfaitement classique-moderne.

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Publié le 4 Juillet 2021

La Clémence de Titus (Wolfgang Amadé Mozart - 1791)
Représentation du 03 juillet 2021
Palais Garnier

Tito Vespasiano Stanislas de Barbeyrac
Vitellia Amanda Majeski
Servilia Anna El-Khashem
Sesto Michèle Losier
Annio Jeanne Ireland
Publio Christian Van Horn

Direction musicale Mark Wigglesworth
Mise en scène Willy Decker (1997)

                                     Jeanne Ireland (Annio)

Au même moment où Philippe Jordan vient de rendre un dernier hommage à l’orchestre de l’Opéra de Paris dont il a été le directeur musical pendant 12 ans, le Palais Garnier joue pour la 7e fois une série de représentations de La Clémence de Titus donnée dans la mise en scène de Willy Decker qui fut créée au printemps 1997 sous la direction d’Armin Jordan.

Michèle Losier (Sesto)

Michèle Losier (Sesto)

Alors que ces 20 dernières années des chanteurs d’un format vocal parfois opulent ont été accueilli sur cette scène, Catherine Naglestad, Elina Garanca ou bien Hibla Gerzmava, pour interpréter cette œuvre tardive de Mozart, la distribution réunie ce soir se distingue par ses qualités d’homogénéité et sa finesse interprétative.

Amanda Majeski incarnait déjà le rôle de Vitellia en 2017, et l’on retrouve les courbes lissées et les formes fuselées d’un timbre couleur grenat qui définissent les contours d’une femme pernicieuse mais qui a quelque chose d’attachant. Peu de noirceur et des lignes aiguës trop fines et irrégulières, l’incarnation n’en reste pas moins entière et sensible tout en en faisant ressentir les contradictions.

Amanda Majeski (Vitellia)

Amanda Majeski (Vitellia)

Michèle Losier, elle qui fut un si touchant Siebel dans Faust, cette saison, dessine un Sesto très clair avec du corps et des aigus parfois un peu trop soudains mais d’une impressionnante tenue, et elle est sans doute le personnage le plus présent, en contact de cœur avec la salle. Beaucoup de vérité est lisible dans ses expressions attachantes, et Michèle Losier est une personnalité idéale pour faire vivre le lien affectif entre les personnages.

Et le couple formé par Annio et Servilia est d’un parfait équilibre, Jeanne Ireland ayant un très beau timbre doré joliment orné et une vivacité d’élocution qui lui donne une allure très digne, et Anna El-Khashem, d’une frémissante légèreté, agit comme si une brise de printemps soufflait sur la scène.

Amanda Majeski (Vitellia) et Michèle Losier (Sesto)

Amanda Majeski (Vitellia) et Michèle Losier (Sesto)

Et peut être parce qu’il s’agit d’une distribution majoritairement féminine, il se dégage de cet ensemble un jeu d’un très grand naturel, juste et fluide, qui donne beaucoup de grâce aux mouvements sur scène, la représentation arborant un classicisme vivant qui fait honneur à la délicatesse de Mozart.

Christian Van Horn paraît évidemment plus dense et d’une noirceur noble et grisonnante, avec de nettes intonations Don Giovanesques, et Stanislas de Barbeyrac, un des plus beaux galbes ténébreux entendu dans ce rôle sur cette scène, se charge de faire de Titus, cet homme déçu par tout son entourage, un homme héroïque et obscur, auquel ne manque que ces petites inflexions légères, claires et fragiles qui trahiraient chez l’Empereur ses affectations intérieures.

Stanislas de Barbeyrac (Tito Vespasiano)

Stanislas de Barbeyrac (Tito Vespasiano)

La direction musicale de Mark Wigglesworth s’inscrit dans cette même tonalité claire et fine, d’une très agréable vélocité, sans toutefois forcer les effets de contrastes et assombrir les cordes, et la transition vers la scène de grâce des conjurés est menée avec brio sans pompe surfaite. Le chœur, malheureusement masqué, manque d’ampleur et d'éclat à ce moment là, ce qui est un peu dommage.

Jeanne Ireland (Annio), Amanda Majeski (Vitellia) et Christian Van Horn  (Publio)

Jeanne Ireland (Annio), Amanda Majeski (Vitellia) et Christian Van Horn (Publio)

Cette mise en scène sévère, avec ce buste qui se découvre au fur et à mesure que Titus se départit de ses illusions, est si bien dirigée qu’elle offre un spectacle de référence, ce que n’a pas manqué de reconnaître le public très diversifié et même très jeune venu ce soir nombreux.

Stanislas de Barbeyrac (Tito Vespasiano) et Michèle Losier (Sesto)

Stanislas de Barbeyrac (Tito Vespasiano) et Michèle Losier (Sesto)

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