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Publié le 14 Septembre 2023

Don Giovanni (Wolfgang Amadé Mozart – 29 octobre 1787, Prague et 7 mai 1788, Vienne)
Pré générale du 06 septembre et représentation du 13 septembre 2023
Opéra Bastille

Don Giovanni Peter Mattei (le 13) / Kyle Ketelsen (le 06)
Donna Anna Adela Zaharia (le 13) / Julia Kleiter (le 06)
Don Ottavio Ben Bliss (le 13) / Cyrille Dubois (le 06)
Donna Elvira Gaëlle Arquez (le 13) / Tara Erraught (le 06)
Leporello Alex Esposito (le 13) / Bogdan Talos (le 06)
Le Commandeur John Relyea
            (Ci-contre)
Masetto Guilhem Worms
Zerlina Ying Fang (le 13) / Marine Chagnon (le 06)

Direction musicale Antonello Manacorda
Mise en scène Claus Guth (2008)

Coproduction Festival de Salzburg (2008/2010/2011), Staastoper Berlin (2012/2016/2018/2019), Dutch National Opera (2016/2021), Teatro Real de Madrid (2020), Opéra de Budapest (2024)

La production d’Ivo van Hove créée au Palais Garnier en juin 2019, et initialement programmée à New-York au printemps 2021, a vu sa première américaine reportée au mois de mai 2023, si bien qu’il n’était plus possible de la remonter à temps pour les répétitions prévues à Paris au mois d’août.

L’Opéra de Paris a donc temporairement choisi de reprendre un spectacle éprouvé qui a abondamment circulé entre Berlin, Amsterdam et Madrid depuis sa création salzbourgeoise en 2008.

Peter Mattei (Don Giovanni)

Peter Mattei (Don Giovanni)

La proposition de Claus Guth – le metteur en scène allemand présente pas moins de 10 productions en Europe cette saison – projette le destin des protagonistes du drame mozartien dans une forêt, lieu sauvage et dangereux, où ils se perdent, se cachent, se méprennent, dans une atmosphère nullement romantique, ce lieu devenant de plus en plus jonché de déchets et même altéré par la présence humaine.

Lors de l’ouverture, une courte scène présente le combat entre Don Giovanni et le Commandeur où l’on voit ce dernier blesser son opposant d’un coup de revolver.

Kyle Ketelsen (Don Giovanni)

Kyle Ketelsen (Don Giovanni)

Ce sont donc aux dernières heures du héros que l’on assiste à travers une excellente direction d’acteur qui, sans relâche, décrit l’impossibilité relationnelle parasitée par la recherche d’un idéal qu’aucun n’atteint et qui conduit au ressentiment. Mais pas chez tout le monde.

Leporello est celui qui se divertit le plus sans illusions sur les rapports humains, l’attente d’Elvire est ici assimilée à celle d’une femme qui attend à un arrêt que le bus soit passé par les autres stations, Donna Anna est terriblement entreprenante avec Don Giovanni, mais dans l’ensemble, ce détraquement relationnel n’est plus nouveau et a surtout pour lui de pouvoir séduire un public jeune qui sera épaté de voir ce que de grands chanteurs d’opéras peuvent offrir comme dynamique de jeu, parfois très supérieure à ce que l’on peut voir au théâtre classique.

Kyle Ketelsen (Don Giovanni), Bogdan Talos (Leporello) et Tara Erraught (Donna Elvira)

Kyle Ketelsen (Don Giovanni), Bogdan Talos (Leporello) et Tara Erraught (Donna Elvira)

Les deux distributions prévues en alternance ont leurs atouts et permettent de donner une coloration, et donc une signification, un peu différente à chacun des personnages.

Faisant ses débuts à l’Opéra national de Paris, Kyle Ketelsen incarne ainsi un Don Giovanni voyou et charnel terriblement autodestructeur – lui, vous le verrez torse nu -, comme un enfant de rue qui a mal tourné, avec un timbre de voix très noir et une excellente présence que l’on retrouve aussi chez Peter Mattei, qui assurait déjà ce rôle au Palais Garnier le 27 janvier 2006 et qui a conservé cette langueur charmeuse un peu claire qui le ramène dans le champ des grands interprètes plus classiques.

Adela Zaharia (Donna Anna) et Ben Bliss (Don Ottavio)

Adela Zaharia (Donna Anna) et Ben Bliss (Don Ottavio)

De la même façon, Bogdan Talos décrit un impayable Leporello qui, musicalement, résiste aux tempi effrénés de la direction d’orchestre, et donc se réserve une certaine nonchalance musicale, alors qu‘Alex Esposito en rajoute dans la célérité et la nature explosive du valet de Don Giovanni, un frénésie qui fait beaucoup plus penser à un personnage imaginé par Donizetti.

Marine Chagnon (Zerlina) et Guilhem Worms (Masetto)

Marine Chagnon (Zerlina) et Guilhem Worms (Masetto)

En Donna Anna, Adela Zaharia se montre la plus virtuose et la plus complète en réussissant des variations atypiques, le dramatisme souffrant atteignant son paroxysme avec la seconde interprète du rôle, Julia Kleiter, qui offre des couleurs métalliques complexes, et si Tara Erraught privilégie une personnalité ferme et un peu maternelle pour Donna Elvira, Gaëlle Arquez lui attache une personnalité très agressive, mais cette écriture musicale très haute ne permet pas de profiter des nuances de couleurs qui ont fait toute la beauté de sa Carmen il y a peu de temps encore.

Gaëlle Arquez (Donna Elvira)

Gaëlle Arquez (Donna Elvira)

Et Zerlina trouve deux interprètes d’une touchante douceur, Ying Fang en fine mozartienne dont la voix porte bien dans Bastille, et Marine Chagnon, nouvelle membre de la troupe, qui assoit une présence et un rayonnement qui rivalisent pleinement avec ceux de Donna Anna et Donna Elvira.

Les deux Don Ottavio ont aussi des traits de caractères assez différents, Ben Bliss pouvant compter sur un doux legato sombre, alors que Cyrille Dubois met beaucoup de nerf dans son incarnation ce qui le fait théâtraliser plus intensément qu’à son habitude. Et son expressivité vocale gagne également en impact.

Cyrille Dubois (Don Ottavio) et Julia Kleiter (Donna Anna)

Cyrille Dubois (Don Ottavio) et Julia Kleiter (Donna Anna)

Enfin, Guilhem Worms privilégie le charme à la présence musclée pour le personnage de Masetto qu’il laisse trop s’effacer – Claus Guth y voit un homme très conventionnel et un peu fade qui rappelle le personnage d’Athamas dans son récent ‘Semele’ à l’Opéra de Munich -, et John Relyea campe un Commandeur vieux routier qui tient la distance pour faire la leçon à Don Giovanni après lui avoir préparé son cercueil.

Ying Fang (Zerlina) et Peter Mattei (Don Giovanni)

Ying Fang (Zerlina) et Peter Mattei (Don Giovanni)

Pulsante et alerte, la direction d’Antonello Manacorda laisse peu de répit aux chanteurs, sans doute dans un soucis de rajeunissement du discours qu’il n’alourdit jamais, même à la scène dramatique finale, et émergent de temps en temps des altérations de climat assez originales, comme dans le récitatif du ‘Mi tradi’ de Donna Elvira où il fait s’affaisser la texture des cordes pour accentuer le pathétisme de cette scène, tendant à dire que la jeune femme est la seule à avoir une tendresse infinie pour le héros arrivé au bout de son chemin.

Marine Chagnon, Tara Erraught, Bogdan Talos, Antonello Manacorda et Kyle Ketelsen (Pré générale)

Marine Chagnon, Tara Erraught, Bogdan Talos, Antonello Manacorda et Kyle Ketelsen (Pré générale)

La version de ‘Don Giovanni’ jouée ce soir est la version habituelle qui mixe les versions de Prague (1787) et de Vienne (1788), mais sans le final moralisateur qui n’apparaissait pas dans le livret de la création viennoise, et qui ne s’impose pas ici, car finalement tout le monde sombre corps et biens.

Salle bien remplie mais pas totalement, avec un public parfois très jeune et très décontracté qui a manifesté son enthousiasme au final dont n’a pas pu profiter Claus Guth absent lors de la première.

John Relyea, Ying Fang, Gaëlle Arquez, Alex Esposito, Peter Mattei, Adela Zaharia, Ben Bliss et Guilhem Worms (Première représentation)

John Relyea, Ying Fang, Gaëlle Arquez, Alex Esposito, Peter Mattei, Adela Zaharia, Ben Bliss et Guilhem Worms (Première représentation)

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Publié le 23 Janvier 2022

Les Noces de Figaro (Wolfgang Amadé Mozart – 1786)
Représentations du 21 et 23 janvier 2022
Palais Garnier

Il conte di Almaviva Peter Mattei
La contessa di Almaviva Maria Bengtsson
Susanna Anna El-Khashem
Figaro Luca Pisaroni
Cherubino Lea Desandre*
Marcellina Dorothea Röschmann
Bartolo James Creswell
Don Basilio Michael Colvin
Don Curzio Christophe Mortagne
Barbarina Kseniia Proshina
Antonio Marc Labonnette

Direction musicale Gustavo Dudamel
Mise en scène Netia Jones (2022)

Nouvelle production
* Lea Desandre, souffrante le 23 janvier 2022, était doublée par Chloé Briot
                                                                       Netia Jones
Diffusion en direct sur France.tv/Culturebox le 03 février 2022 à 19h30

Après 9 ans d’absence, Les Noces de Figaro fait un retour très attendu au répertoire dans une nouvelle mise en scène qui vient se substituer aux deux seules productions du chef-d’œuvre de Mozart qu’ait connu l’Opéra de Paris depuis le début de l’ère Rolf Liebermann en 1973, celle de Giorgio Strehler (1973 – 2012) et celle de Christoph Marthaler (2006-2008).

C’est un évènement structurant pour l’institution qui se dote d’une pièce majeure facilement reprenable tous les 2 ou 3 ans, et en plus cela maintient Les Noces de Figaro en tête des ouvrages les plus joués de la maison avec, à l’issue de cette nouvelle série, 216 représentations au compteur depuis les 50 dernières années, tout juste talonné par La Bohème de Giacomo Puccini.

Maria Bengtsson (La Comtesse) et Peter Mattei (Le Comte)

Maria Bengtsson (La Comtesse) et Peter Mattei (Le Comte)

Principalement connue dans les pays anglophones, Netia Jones fait ses débuts à l’Opéra de Paris et offre au public une production qui se passe au sein même du Palais Garnier. L’intrigue sociale est ainsi ramenée à une époque plus proche de nous que la Révolution française, si bien qu'elle pourrait se dérouler aujourd’hui même dans les loges de l’Opéra.

Dans cette vision, le Comte et la Comtesse deviennent de grands acteurs de théâtre invités à jouer dans un spectacle où participent choristes et corps du ballet de la Maison. Suzanne est une assistante à l’habillage, Figaro probablement un chef de service, Bartolo et Marcelline des administrateurs de l’établissement, Don Basilio le maître de chant, Don Curzio le concierge, Chérubin un adolescent branché qui porte sa casquette à l’envers, et Barberine une danseuse. Les rôles sociaux sont donc tout à fait respectés.

Anna El-Khashem (Susanna)

Anna El-Khashem (Susanna)

Les deux premiers actes se déroulent à travers 4 loges contiguës - mais seules trois sont présentées au même moment -, et par un très beau trucage les façades des immeubles haussmanniens se perçoivent derrière les vitres. Le jeu de cache-cache entre le Comte, la Comtesse, Suzanne et Chérubin se déroule dans cet espace restreint, et dès l’ouverture on voit les danseuses se méfier du Comte, sauf une, bêtement fascinée, qui le suit dans sa loge. Plus loin, on l’apercevra rôder également dans celle du chef de chant où passent les choristes.

Le jeu d’acteur sobre et lisible de tous les artistes rend très naturelle la dimension vaudevillesque de cette première partie, sans caricature forcée, qui est très agréable à suivre.  La vidéographie est utilisée pour montrer sous forme de jeux d’ombres le ressentiment entre Suzanne et Marcelline, ou bien pour suggérer le raz-le-bol de Bartolo à gérer un tel ensemble.

Luca Pisaroni (Figaro)

Luca Pisaroni (Figaro)

Adorable est le clin d’œil plus ou moins volontaire à Marthaler – il y en aura un autre en seconde partie – quand Netia Jones reprend la scène du Comte équipé de la perceuse pour forcer le cabinet de Suzanne, et Chérubin ne part plus à la guerre mais est embauché par Figaro au sein de la troupe où il jouera le rôle d’un garde. Chérubin n’est finalement qu’un enfant qui a besoin d’être guidé et un peu mieux structuré dans sa vie.

Le mouvement de protestation de certains choristes – dans la pièce - pendant un passage chanté dans la loge de Don Basilio pour signaler des faits de harcèlement sexuel situe bien la problématique centrale de la lecture de Netia Jones. Et le geste du Comte déchirant les tracts montre bien ce qu’il en pense également.

Maria Bengtsson (La Comtesse)

Maria Bengtsson (La Comtesse)

Le dispositif scénique ne comporte qu’un défaut à travers les deux cloisons centrales qui ont tendance à parfois atténuer la portée des voix pour le public situer dans les loges de côté, et peuvent aussi masquer certaines saynètes.

En seconde partie, l’action se déroule au sein des ateliers de costumes, où le Comte comprendra que Suzanne le dupe, puis dans la loge des choristes avec son alignement de pupitres et de lampes chaleureuses, et enfin sur la scène, au moment de la dernière répétition avec les danseuses – Barberine y laissera sa vertu -.  Puis, quand tout est éteint, le jeu de confusion entre les identités de la Comtesse et de Suzanne peut se déployer. 

Anna El-Khashem (Susanna) et Lea Desandre (Cherubino)

Anna El-Khashem (Susanna) et Lea Desandre (Cherubino)

L’espace se vide au fur et à mesure, et Netia Jones a recours à une très grande économie de moyens pour montrer comment Figaro est reconnu par ses parents, les administrateurs, à travers une portraitisation de toute la famille. On voit aussi Suzanne se prendre pour une artiste en chantant sous le halo d’une simple lampe « Giunse alfin il momento » – autre clin d’œil plus ou moins volontaire à La Traviata par Marthaler -, et quand le Comte est enfin démasqué, l’arrière scène s’ouvre pour dévoiler le Foyer de la danse d’où les danseuses accourent en joie vers l’orchestre, avant qu’un autre acteur ne se présente en costume pour signifier à Almaviva qu’il est viré et remplacé.

Peter Mattei (Le Comte) et Anna El-Khashem (Susanna)

Peter Mattei (Le Comte) et Anna El-Khashem (Susanna)

Le mérite de cette production est donc d’attacher Les Noces de Figaro à un des deux théâtres de l’Opéra de Paris, comme l’avait fait Robert Carsen avec Capriccio, de mettre en valeur le lieu de vie de ses équipes, de développer un message social en lequel ils se reconnaissent et qui est contenu dans l’ouvrage présenté, et donc d’ancrer durablement ce spectacle sur la scène Garnier. Il est un peu trop tôt pour le dire, mais le pari semble réussi.

Maria Bengtsson (La Comtesse)

Maria Bengtsson (La Comtesse)

La distribution réunie pour ce grand retour fait en partie ressurgir les souvenirs des soirées mozartiennes pendant le mandat de Gerard Mortier, puisque l’on retrouve Maria Bengtsson qui avait fait vivre avec une inoubliable sensibilité Pamina dans la production de La Flûte enchantée par la Fura dels Baus donnée à Bastille en 2008, et de retrouver également le duo Peter Mattei / Luca Pisaroni qui avait formé un splendide couple jumeaux Don Giovanni / Leporello,  il y a exactement seize ans, dans la production de Don Giovanni par Michael Haneke jouée à Garnier.

Tous trois ont conservé de très belles qualités vocales et une très belle manière d’être sur scène. Maria Bengtsson est une comtesse qui chante comme sur du velours, une douceur ouatée qui laisse éclore des éclats de lumière magnifiques, et elle a de la classe, du charme et de la retenue dans ses expressions. Elle est touchante sans jamais versé dans le tragique.

Michael Colvin (Don Basilio) et le chœur

Michael Colvin (Don Basilio) et le chœur

Luca Pisaroni est sans surprise un Figaro accompli, un peu rustaud dans les parties déclamatoires, d’une grande netteté de chant qui lui donne une présence évidente, et Peter Mattei fait encore entendre des intonations enjôleuses, un timbre seigneurial qui pourrait faire croire qu’il interprète un être hors de tout soupçon. Il est tellement bellissime qu’il ne peut rendre antipathique le Comte, un comble !

Dorothea Röschmann (Marcellina)

Dorothea Röschmann (Marcellina)

Remplaçant pour les deux premiers soirs Ying Fang, Anna El-Khashem fait ses débuts à l’Opéra de Paris en faisant vivre une Suzanna d’une très grande justesse. Voix vibrante, plus confidentielle que celle de ses partenaires et d’une fine musicalité sans noirceur, elle maintient la ligne d’un personnage qui ne surjoue pas et qui offre une fusion très poétique de son timbre délicat avec celui de la Comtesse dans le duettino « Sull’aria … che soave zeffiretto ».

Le Chérubin de Lea Desandre, qui fait elle aussi ses débuts à l’Opéra de Paris, est d’une souplesse enjôleuse, un chant clair-ambré de crème qui se coule avec aisance dans la manière d’être nonchalante de ce jeune adolescent pas dangereux pour un sou, une suavité chaleureuse qui participe à la juvénilité d'ensemble de ce Mozart

Maria Bengtsson (La Comtesse)

Maria Bengtsson (La Comtesse)

Et quel aplomb généreux chez Dorothea Röschmann qui campe une Marcelline avec beaucoup d’opulence vocale et d’incisivité auprès d’un James Creswell qui induit en Bartolo une autorité mature et bien affirmée ! Excellents comédiens, Michael Colvin et Christophe Mortagne s’adonnent à cœurs-joie aux rôles piquants et sarcastiques de Don Basilio et Don Curzio.

Dans ce tumulte, la Barberine de Kseniia Proshina est d’une tendre sensibilité qui suspend le temps pour un air qui prend dans un tel contexte une importance clé.

Si la direction d’acteur imprimée par Netia Jones est efficace, elle ne cherche pas non plus à combler le vide ou à ajouter des petites scènes de vie périphériques, et reste donc très mesurée.

Luca Pisaroni, Anna El-Khashem, Gustavo Dudamel et Peter Mattei

Luca Pisaroni, Anna El-Khashem, Gustavo Dudamel et Peter Mattei

On retrouve cela dans la direction musicale de Gustavo Dudamel qui se concentre sur une ligne très fluide qui fait la part belle à la finesse du tissu des cordes et ses ornementations ainsi qu’à la clarté poétique des motifs musicaux des bois. Les effets de percussions sont discrets, et sa lecture porte en elle même une lumière crépusculaire subliminale très homogène, drainée par des courants vifs et des effets mouchetés, des variations de dynamiques chaloupés inédits dans les ensembles de cordes.

Surtout rien de débridé ou d’excessif, mais un travail de broderie fine parfois à la limite du perceptible qui en devient saisissant pour l’oreille.

Le chœur, masqué, présent surtout de côté, se fond très bien dans cette approche raffinée vouée à un spectacle d’une facture parfaitement classique-moderne.

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Publié le 31 Janvier 2020

Wozzeck (Alban Berg – 1925)
Représentation du 22 janvier 2020
Metropolitan Opera de New-York

Wozzeck Peter Mattei
Marie Elza van den Heever
Le Tambour-Major Christopher Ventris
Le Docteur Christian Van Horn
Le capitaine Gerhard Siegel
Andres Andrew Staples
Margret Tamara Mumford

Direction Musicale Yannick Nézet-Séguin
Mise en scène William Kentridge (2017)

Coproduction Festival de Salzbourg, Canadian Opera Company, Opera Australia

                                               Yannick Nézet-Séguin

La nouvelle production de Wozzeck par William Kentridge, présentée au Festival de Salzbourg en 2017, est reprise au MET dans un cadre qui donne toute sa force à la monumentalité et la verticalité de sa scénographie.
On peut ainsi y lire un entrelacement entre l’histoire du soldat Wozzeck et la vie d’Alban Berg, qui connut les examens médicaux avant de participer à la première guerre mondiale.

Peter Mattei (Wozzeck)

Peter Mattei (Wozzeck)

Mais bien qu’Alban Berg n’en faisait pas le sujet premier de son futur chef-d’œuvre, la motivation principale étant l’impression laissée sur le compositeur par la pièce de Büchner, Woyzech, William Kentridge en fait le centre de sa mise en scène qui déploie un travail graphique et vidéographique qui rend une image sensitive forte des horreurs de la guerre et de ses traumatismes sur les hommes. Couleurs aux tonalités gris-vert, violences des traits et des contrastes, images de bombardements, de destructions, de visages de militaires blessés et tuméfiés, le spectateur s’imprègne totalement d’un univers inaltérable où le destin de Wozzeck est celui d’un homme écrasé par son environnement qui le détache de la réalité et le pousse à l’irréparable en assassinant celle qu’il aime.

Gerhard Siegel (Le capitaine) et Peter Mattei (Wozzeck)

Gerhard Siegel (Le capitaine) et Peter Mattei (Wozzeck)

L’expression théâtrale perd cependant en force et les rapports émotionnels entre les protagonistes paraissent négligés tant la réflexion sur l'impact psychique de la guerre passe au premier plan. De par sa personnalité, Peter Mattei rend à Wozzeck une humanité blessée, ce que la tendresse du timbre ne fait qu’intensifier.  Elza van den Heever joue une Marie critique, riant peut-être pour se protéger du drame, mais dont l’absence d’enfant sur scène (seule une marionnette est utilisée pour suggérer la manipulation des êtres) lui ote une dimension importante, l’amour maternel.

Sa voix a ainsi une indéniable présence et une grande pénétrance mais cela ne suffit pas à créer de l’empathie pour la femme du militaire.

Elza van den Heever (Marie)

Elza van den Heever (Marie)

Mais si Christopher Ventris compose un Tambour-Major enjoué, voir plus sympathique qu’il ne le devrait, c’est pourtant le capitaine de Gerhard Siegel qui est particulièrement impressif dans cette production, le véritable personnage central qui gouverne la destinée de son petit monde, auquel le chanteur apporte une crédibilité et une consistance rarement aussi marquante.

Façade du MET avec l'affiche de Wozzeck

Façade du MET avec l'affiche de Wozzeck

Il est toutefois surprenant de constater, en milieu de semaine, que ce Wozzeck ait attiré plus de public que La Bohème ou La Traviata. C’est tout à l’honneur des New-yorkais, mais peut-être est-ce aussi dû à la présence de Yannick Nézet-Séguin à la direction musicale. En effet, ce jeune chef infiniment sympathique et entièrement original fait entendre un chatoiement sonore absolument inédit, comme si son goût personnel pour la luxuriance baroque réussissait à métamorphoser la sensualité de l’écriture de Berg. L’oreille est ainsi stimulée par une magnificence de détails, des altérations de reflets, et un travail sur la texture des cordes qui s’harmonise avec les striures des peintures de scène, ce qui en fait une des lectures les plus imaginatives entendues à ce jour.

Peter Mattei, Yannick Nézet-Séguin, Elza van den Heever

Peter Mattei, Yannick Nézet-Séguin, Elza van den Heever

Yannick Nézet-Séguin est attaché au MET pour faire aimer au plus large public possible toutes les musiques de l’art lyrique, même les plus exigeantes pour les auditeurs, ce qui est une grande chance pour cette maison.

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Publié le 16 Mai 2018

Parsifal (Richard Wagner)
Pré-générale du 21 avril et

représentations du 13 et 16 mai 2018
Opéra Bastille

Amfortas Peter Mattei
Titurel Reinhard Hagen
Gurnemanz Günther Groissböck
Klingsor Evgeny Nikitin
Kundry Anja Kampe
Parsifal Andreas Schager

Direction musicale Philippe Jordan
Mise en scène Richard Jones (2018)

                                                                                        Günther Groissböck (Gurnemanz)

Après une entrée triomphale en version française au répertoire de l’Opéra le 04 janvier 1914, 4 jours après que l’exclusivité des représentations au Festival de Bayreuth fut enfin levée, Parsifal disparut de l’affiche du Palais Garnier à partir de la Seconde Guerre mondiale.

Cet ostracisme, justifié par le trouble qu’avait suscité Hitler en se prenant lui-même pour un Parsifal qui allait régénérer l’Allemagne, ne fut définitivement levé que sous l’ère Liebermann.

Dorénavant, l’ultime chef-d’œuvre de Wagner fait partie des quarante ouvrages les plus représentés à l’Opéra de Paris.

Andreas Schager (Parsifal) et Anja Kampe (Kundry)

Andreas Schager (Parsifal) et Anja Kampe (Kundry)

La dernière production que connut en mars 2008 l’Opéra Bastille montrait avec force comment les idéologies délaissant les lois morales évoluaient en folie criminelle (pour paraphraser le film de Rossellini, Allemagne année zéro). Krzyzstof Warlikowski introduisait ainsi une rupture nette entre la progression dramatique des deux premiers actes et la catastrophe qui s’en suivait, et obligeait au dernier acte à penser la reconstruction d’un nouveau monde.

Sa mise en scène philosophique était à la fois traversée d’espoir et implacable quant au nécessaire devoir de mémoire des actes commis au XXe siècle.

Intelligente et réfléchie, cette production fut cependant détruite par d’obscures raisons sous la direction de Nicolas Joel, sans même que cette dernière ne propose une nouvelle conception.

Peter Mattei (Amfortas)

Peter Mattei (Amfortas)

10 ans plus tard, Stéphane Lissner confie donc au régisseur britannique Richard Jones la tâche de donner une nouvelle vision à cette œuvre aux facettes si multiples.

D’emblée, le propos du metteur en scène se projette dans l’univers sévère d’une fondation à caractère religieux, qui pourrait s’apparenter à celui de l’église de Scientologie. Elle est régie par une figure fondatrice, matérialisée par un immense buste doré, et les adeptes sont convaincus que par l’étude des textes ('Wort') ils découvriront le secret de la vie.

Mais ce mouvement est en perte de vitesse car son fondateur, Titurel, est déclinant, et Amfortas, mortellement blessé, ne peut plus assurer le rite du Graal, un cycle infernal pour lui.  Parsifal arrive dans cette communauté, et observe.

Parsifal (Mattei-Kampe-Schager-Groissböck-Nikitin-dm Jordan-ms Jones) Bastille

Il gagne ensuite le monde de Klingsor, un dangereux artifice où la chorégraphie pornographique des filles fleurs n'est qu'une monstrueuse illusion. Il y résiste, ainsi qu'à Kundry, et finit par détruire ce monde fallacieux.

Puis, une fois de retour dans la communauté, aveugle car livré à l’incompréhension de cette nouvelle situation, alors que Titurel est mort, la dernière tentative violente de célébration du Graal le conduit enfin à une révélation : mieux vaut laisser tomber ces fausses croyances et partir avec Kundry vers un amour plus humain. Les adeptes se débarrassent alors de leurs oripeaux désuets et le suivent sur ce nouveau chemin.

Cette dramaturgie, appuyée par une direction d’acteur vivante, repose sur un immense décor longitudinal et coulissant.

Evgeny Nikitin (Klingsor) et Anja Kampe (Kundry)

Evgeny Nikitin (Klingsor) et Anja Kampe (Kundry)

Elle a l’avantage d’une très grande lisibilité car elle prend souvent au mot le texte du livret, mais se révèle relativement pauvre dans la seconde partie du deuxième acte et bâcle même certains procédés théâtraux attendus – la lance de Klingsor, la scène de séduction de Kundry.

Par ailleurs, fortement réductrice par rapport au travail politique et visionnaire de Krzyzstof Warlikowski, elle s’enferme dans un univers sectaire pour ne trouver d’issue que dans une conclusion naïve. Au moins a-t-elle le mérite de ne pas interférer fortement avec la musique.

Car Philippe Jordan emmène l’orchestre de l’Opéra de Paris vers des cimes élégiaques inouïes, une lumière contemplative irradiant constamment la fosse d’orchestre, avec un sens plaintif et lancinant presque maniéré enflé par la beauté éclatante des cuivres.

Et de cette légèreté de plume, affleurée par les traits furtifs et évanescents des cordes et des vents, nait une finesse ornementale qui souligne l’orientalisme de la musique de Parsifal.

C’est tellement beau et fascinant que l’on imagine peu cette lecture en phase avec une mise en scène trop crue ou trop angoissante.

Philippe Jordan - le 16 mai 2018

Philippe Jordan - le 16 mai 2018

Et comme chaque chanteur est amené à interpréter un personnage relativement simple et banal dans cette mise en scène, il y a comme une sorte d'évidence qui met en valeur le lien qui les relie au directeur musical dont on peut suivre aisément le soutien indéfectible.

Le plus bouleversant est indiscutablement l'Amfortas de Peter Mattei, terriblement vrai par la manière presque adolescente de se débattre avec ses propres souffrances et démons, la voix virile et mêlée de lamentations doucereuses et innocentes qui atteignent un effet sublime lorsque la musique se fait irrésistiblement palpitante et hors du temps.

Günther Groissböck, à l'inverse, possède un timbre naturellement terrien, noir et bien marqué, et des accents d'amertume qui lui permettent de dessiner un Gurnemanz plus pragmatique que spirituel, et c'est par le soin qu'il met à alléger les ports de voix que l'on ressent son inclinaison pour la sagesse qu'il dépeint.

Evgeny Nikitin, lui qui interprétait un inquiétant Klingsor proxénète dans la précédente production, s'approprie également sans scrupules ce rôle de bio généticien maléfique que lui fait jouer Richard Jones.

Andreas Schager (Parsifal) et Anja Kampe (Kundry)

Andreas Schager (Parsifal) et Anja Kampe (Kundry)

Énergique, valorisé par une direction d'acteur qui privilégie une approche frontale avec le public, c'est crânement qu'il affiche un art déclamatoire mordant et insidieux, quelque part séduisant par sa noirceur de roche.

Le couple, quelque peu incendiaire, formé par Andreas Schager et Anja Kampe, peut alors se déployer dans un second acte qui ne lui laisse que des êtres les plus dépouillés pour exister.

Fantastique ténor aux éclats vaillants, Andreas Schager a certes le physique et les attitudes expansives qui lui permettent de jouer efficacement les déchainements immatures de Parsifal, mais il a surtout une stupéfiante capacité héroïque à exprimer les grandes douleurs inhumaines qui le rapprochent de Tristan.

De fait, sa prise de conscience de la blessure d’Amfortas au deuxième acte est suivie par un engagement  qui croise fortement les souffrances du troisième acte de la légende médiévale composée par Richard Wagner 25 ans plus tôt. On a pour lui l’attachement bienveillant pour un cœur adolescent, ce qu'expriment ses aigus soudainement clairs et puissants.

Peter Mattei (Amfortas)

Peter Mattei (Amfortas)

Sa partenaire et complice, Anja Kampe, qu’il retrouve 3 mois après un Tristan et Isolde étrangement démystifié au Staatsoper de Berlin, s’abandonne pleinement à une incarnation qui exacerbe le tempérament de bête de Kundry. Graves fortement timbrés, d’une noirceur sauvage, personnalité forte mais sensiblement peu tourmentée, l’essence bienveillante que l’on ressent continuellement chez elle adoucit le portrait de cette créature névrosée et séductrice.

Des effets morbides saisissants, une alternance entre tension dramatique et détachement ironique, sa confrontation avec Andreas Schager au second acte, portée par un orchestre qui pousse au crime, est un des grands moments d'intensité musicale de la représentation.

Peter mattei, Anja Kampe, Andreas Schager et Günther Groissböck - le 16 mai 2018

Peter mattei, Anja Kampe, Andreas Schager et Günther Groissböck - le 16 mai 2018

Enfin, si on ne le voit pas, car doublé par un figurant qui représente un Titurel faible ayant perdu toute autonomie, Reinhard Hagen fait résonner profondément l’évocation ténébreuse de l’aïeul mourant.

Chœur masculin homogène, soyeux et puissant quand nécessaire, filles fleurs d'une grande efficacité théâtrale, chœur féminin spatialisé depuis les galeries supérieures, pour les voix les plus aiguës, chancelantes comme si la proximité du ciel découvrait leurs fragilités, jusqu'à l'arrière scène pour les voix mezzo destinales, c’est innervé par les ultimes nappes orchestrales qu’on les entend ensemble s’évanouir dans un espace-temps incroyable d’immatérialité et d’une féérie sensationnelle.

Un Parsifal musicalement magique et optimiste qui mérite bien plus que les 4 représentations sauvées de l'incident technique survenu sur le plateau au cours des répétitions.

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Publié le 3 Mars 2018

Parsifal (Richard Wagner)
Représentation du 27 février 2018
The Metropolitan Opera, New-York

Kundry Evelyn Herlitzius
Parsifal Klaus Florian Vogt
Amfortas Peter Mattei
Klingsor Evgeny Nikitin
Gurnemanz René Pape
Titurel Alfred Walker

Direction musicale Yannick Nézet-Séguin
Mise en scène François Girard (2012)

Coproduction Opéra National de Lyon et Canadian Opera Company

                                               Klaus Florian Vogt (Parsifal)

Créée à l'Opéra de Lyon puis au Metropolitan Opera en 2013, la mise en scène de François Girard repose sur une scénographie qui fait la part belle au pouvoir suggestif d'une imagerie vidéographique qui associe phénomènes atmosphériques et paysages planétaires aux réactions brûlantes des désirs sexuels humains.

Klaus Florian Vogt (Parsifal)

Klaus Florian Vogt (Parsifal)

Le premier acte se déroule sur une terre désolée où le monde contemporain des hommes est nettement séparé du groupe des femmes, sombre et sauvage, par une faille parcourue d'un courant d'eau, l'origine de la vie.

Ce sont de jeunes hommes qui supportent péniblement le poids d'Amfortas, et Parsifal se présente comme un individu neutre intrigué par cette communauté souffrante et sans joie.

Et pendant tout le récit de son histoire, des images planétaires en clair-obscur décrivent de splendides espaces désertiques cosmiques aux lignes arrondies comme des dunes, avant que notre imaginaire ne vienne y reconnaître les formes et les aspérités de la peau du corps d'une femme, cambrure des reins et rondeurs de la poitrine défilant lentement sous les lueurs rasantes d'un Soleil couchant.

Evelyn Herlitzius (Kundry) et Klaus Florian Vogt (Parsifal)

Evelyn Herlitzius (Kundry) et Klaus Florian Vogt (Parsifal)

Quand, à l'ultime scène, Parsifal se baisse pour toucher du doigt la faille qui serpente le long du sol, celle-ci s'éclaire d'un rouge sang magmatique et s'élargit afin de préparer l'entrée dans l'univers du second acte.

Cet acte, vivement coloré de rouge, un étang empli de sang noir cerise reflète une gigantesque faille d'où s'élèvent des vapeurs fulminantes orange carmin, représente avec évidence la puissance et la violence de la vie aussi bien du corps féminin de Kundry que des veines d'Amfortas.

Les filles-fleurs tiennent des lances à l'image de tout ce que la négativité des passions humaines peut contenir d'agressif pour l'autre, et il suffit à Parsifal, cible désignée par ces lances pointées en une seule flèche, de s'emparer de l'une d'entre elles pour détruire d'un geste, toutefois trop serein pour être crédible, ces êtres inquiétants qui sont pourtant une essence même de la vie.

Peter Mattei (Amfortas)

Peter Mattei (Amfortas)

Visuellement, la simple évocation d'une plaie béante qui couve des forces maléfiques dangereuses suffit à donner un sens fort à ce grand tableau qui ne laisse place à aucune légèreté y compris à l'arrivée des filles-fleurs.

Le dernier acte rejoint ensuite les tonalités visuelles grisâtres et crépusculaires du premier, le second acte étant, quelle que soit la mise en scène, toujours le plus coloré en réponse aux mouvements chromatiques de la musique, et à nouveau ciel orageux, phénomènes atmosphériques et scènes de survol planétaire - on pense beaucoup à Melancholia de Lars von Triers -  esthétisent le dénouement du retour à la communauté.

Parsifal revient épuisé de son errance, mais la lance, elle, est flambant neuve, et le trio resserré avec Gurnemanz et Kundry aboutit à une scène christique et un rituel oriental qui engendrent la mort douce de celle-ci et l'apparition d'une autre femme, probablement plus apaisée dans sa spiritualité, qui représente un nouvel espoir.

Evelyn Herlitzius (Kundry)

Evelyn Herlitzius (Kundry)

François Girard refuse donc un avenir sans femme, mais ne rend pas plus lisible une œuvre complexe sinon qu'il place Amfortas et sa blessure au cœur des problèmes du monde. Parsifal apparaît donc surtout comme un révélateur et non comme une conscience qui se construit.

Il en découle que Peter Mattei bénéficie en premier lieu de cette mise en avant qui démontre qu'il est encore et toujours un des interprètes masculins les plus attachants de l'univers lyrique d'aujourd'hui. Sensualité alanguie d'un timbre de voix au charme amoureux, justesse des expressions de souffrance sans le moindre effet d'affection superflu, tout en lui magnétise l'audience sans que pour autant il ne cherche à exprimer une profondeur dans la douleur qui ne fasse ressortir l'insupportable.

Klaus Florian Vogt (Parsifal)

Klaus Florian Vogt (Parsifal)

Klaus Florian Vogt, peu avantagé par la direction d'acteurs qui l'isole du monde, joue à la fois sur l'angélisme lumineux de sa voix unique que sur des couleurs plus sombres qu'il développe comme s'il cherchait à rapprocher son humanité des autres personnages.

Et Evelyn Herlitzius, pour ses débuts au MET, privilégie une intensité agressive proche de l'hystérie afin de décrire une Kundry vénéneuse, joue avec une simplicité totalement opposée à l'approche de la rédemption du dernier acte, mais réussit moins à développer l'autre face maternelle et sensuelle de cet être multiple. Ce point est cependant peu gênant car François Girard ne s'intéresse pas à ce versant du visage pourtant fondamental de cet être multiforme.

René Pape (Gurnemanz) et Klaus Florian Vogt (Parsifal)

René Pape (Gurnemanz) et Klaus Florian Vogt (Parsifal)

Quant à René Pape, bien qu'il ait perdu sensiblement en impact sonore, il veille à doter Gurnemanz d'une ligne sobre et bienveillante, et Evgeny Nikitin s'emploie à rendre le plus efficacement possible la noirceur fière et unilatérale de Klingsor.

Enfin, du Titurel d'Alfred Walker on n'entend qu'une belle voix homogène provenant des hauts de la salle.

Peter Mattei (Amfortas)

Peter Mattei (Amfortas)

Pour sa première apparition de la saison, Yannick Nézet-Séguin montre avant tout un sens de l'ornement orchestral fin et original qui souligne le souffle introspectif des vents et les tonalités sombres et ambrées des cordes.

Les élancements de cuivres et l'évanescence des cordes les plus aiguës sont en revanche perceptiblement atténués au profit d'une lenteur qui gagne en densité au second et surtout dernier acte.

Evelyn Herlitzius, Yannick Nézet-Séguin et Klaus Florian Vogt

Evelyn Herlitzius, Yannick Nézet-Séguin et Klaus Florian Vogt

Sans aucune lourdeur, mais également sans flamboyance exaltée, il crée ainsi un espace serein pour chaque chanteur comme si la musique devait être une symphonie de l'intime de bout en bout.

Chœur à l'unisson de cet univers spirituel et désenchanté, musicalement soigné.

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Publié le 19 Novembre 2017

Z mrtvého domu (Leoš Janáček)

Répétition générale du 13 novembre 2017
et représentation du 18 novembre 2017
Opéra Bastille

Alexandre Petrovitch Gorjantchikov Willard White
Alieïa Eric Stokloßa
Filka Morozov (Louka) Stefan Margita
Le grand prisonnier Peter Straka
Le petit prisonnier Vladimír Chmelo
Le commandant Jiri Sulzenko
Le vieux prisonnier Graham Clark
Skuratov Ladislav Elgr
Tchekounov Jan Galla
Le prisonnier ivre Tomáš Krejčiřík
Le cuisinier Martin Bárta
Le pope Vadim Artamonov
Le jeune prisonnier Olivier Dumait
Une prostituée Susannah Haberfeld
Dom Juan/ Brahmane Aleš Jenis
Kedril Marián Pavlovič
Chapkin Peter Hoare
Chiskov Peter Mattei
Tcherevine Andreas Conrad                             
               Peter Mattei (Chiskov)          

Direction musicale Esa-Pekka Salonen
Mise en scène Patrice Chéreau (2007)
Collaboration artistique Thierry Thieû Niang
Décors Richard Peduzzi

Production des Wiener Festwochen, Vienne, coproduction Holland Festival Amsterdam, Festival d’Aix-en-Provence, Metropolitan Opera New York, et le Teatro alla Scala Milan

Monter De la Maison des morts dans la mise en scène de Patrice Chéreau, une production créée 10 ans auparavant au Theater an der Wien à l'initiative de Luc Bondy, est un pari risqué pour Stéphane Lissner, car les résurrections ne valent la peine que si elles préservent le travail du metteur en scène disparu, et si elles bénéficient d'une excellente interprétation musicale.

Pour preuve, le peu de soin avec lequel Nicolas Joel avait malencontreusement restauré Les Noces de Figaro de Giorgio Strehler en 2013.

Stefan Margita (Filka Morozov) et Eric Stokloßa (Alieïa)

Stefan Margita (Filka Morozov) et Eric Stokloßa (Alieïa)

Ce soir de première à l'Opéra National de Paris, les spectateurs ont pourtant bien assisté à un miracle, car non seulement l'âme de Patrice Chéreau s'est lue sur les visages, les expressions et les danses des artistes, mais encore mieux, le génie théâtral de la musique de Leoš Janáček s'est enflammé sous la direction d'Esa-Pekka Salonen tout en se liant avec une extraordinaire précision à une action scénique saisissante.

Les prisonniers

Les prisonniers

On connaît le goût du metteur en scène pour le monumental, la muraille de béton bleuté qui resserre et enserre le bagne où se déroule le drame est donc le premier contact avec son univers torturé des profondeurs humaines, et dépourvu de toute vue sur le fleuve ou la mer.

Mais l'on comprend surtout, au second acte, comment il a pu vraisemblablement reconnaître l'essence même de son métier de cœur à travers ce tableau qui comprend une mise en abyme du sordide par des prisonniers qui deviennent eux-mêmes à la fois acteurs et spectateurs de leurs propres pulsions en improvisant une pièce de théâtre aux pieds de quelques tréteaux.

Ladislav Elgr (Skuratov)

Ladislav Elgr (Skuratov)

L'action des chanteurs est en effet intégralement définie et exprimée par la richesse des motifs musicaux jusque dans les gestes les plus vulgaires et triviaux. Le théâtre, reflet de l'âme et exutoire afin d'échapper à la folie, on ne pouvait mieux le représenter que dans une société vouée au désespoir.

Mais pour un instant, sous le faisceau ovale d'un projecteur de théâtre, Skuratov fait revivre en acteur principal les humiliations qui l'ont conduit au crime.

Stefan Margita (Filka Morozov)

Stefan Margita (Filka Morozov)

Et ce désespoir est le plus signifiant quand Patrice Chéreau fait de l'aigle une maquette construite pour évoquer le désir de liberté tel que l'évoque Alieïa, au début du troisième acte, à propos de Jésus qui fit un oiseau d'argile avant qu'il ne s'envole.

Le rideau tombe alors sur ce second acte de la même façon que la chute spectaculaire d'immondices, qui s'effondrent à la fin du premier acte, arrive au point culminant d'une montée en tension dramatique, cristallisant ainsi sa force autour de l'apparition de prisonniers se présentant nus à la sortie de sombres douches communes.

Impossible de ne pas penser à l'histoire des camps concentrationnaires.

Eric Stokloßa (Alieïa) et Willard White (Gorjantchikov)

Eric Stokloßa (Alieïa) et Willard White (Gorjantchikov)

Quant aux portraits intimes, Patrice Chéreau réussit le plus magnifiquement possible celui de la construction de la relation paternelle entre Goriantchikov et Alieïa, dont la compassion du second pour la déchéance du premier évolue vers une tendre amitié scellée par l'adversité du milieu carcéral où plus rien n'est refoulé.

Peter Mattei (Chiskov)

Peter Mattei (Chiskov)

Tous les chanteurs sont fantastiques d'engagements, que ce soit Stefan Margita, terrible Louka aux accents saillants et claquants, Ladislav Elgr, qui dépeint un Skouratov sensible, presque innocent, et d'une agilité scénique fougueuse et drôle, ou bien l'immense Peter Mattei dont la voix au charme de crooner semble trop belle, même dans les intonations les plus sévères, pour son grand monologue du dernier acte.

Touchant et d'une vérité poignante dans ses moments de faiblesse qu'il joue comme une bête blessée, Willard White transpire de son humanité au timbre sombre et voilé, et forme un duo magnifique avec le jeune Eric Stokloßa dont la voix exprime si bien l'urgence et la détresse.

Eric Stokloßa (Alieïa) et Willard White (Gorjantchikov)

Eric Stokloßa (Alieïa) et Willard White (Gorjantchikov)

Le chœur, dissimulé dans l'ombre de l'arrière scène, crée des atmosphères soupirantes aux couleurs âpres mais élégiaques, et l'envoutement de la direction d'Esa-Pekka Salonen, aussi virevoltante qu'elle peut être percutante, opère avec un réalisme prenant, tant la vivacité du discours qui raconte à lui seul une histoire en soi est restituée avec une exubérance qui n'oublie aucun pupitre, aucun effet, même le plus menaçant.

Traits de lumières et sinuosités s'hybrident ainsi dans une régénérescence perpétuelle dont la splendeur rehausse la déchéance visuelle qu'offre l'image de ce lieu de perdition humaine.

Graham Clark, Peter Mattei, Esa-Pekka Salonen, Stefan Margita, Susannah Haberfeld et Willard White (fin de répétition générale)

Graham Clark, Peter Mattei, Esa-Pekka Salonen, Stefan Margita, Susannah Haberfeld et Willard White (fin de répétition générale)

En ce jour de première, s'ouvre également au public l'exposition phare de l'hiver à la Bibliothèque-musée du Palais Garnier, Patrice Chéreau, mettre en scène l'opéra, qui permet à chacun d'appréhender les influences familiales, amicales et esthétiques qui ont fondé le théâtre de ce metteur en scène qui fut au centre du renouveau artistique du demi-siècle passé.

Et c'est jusqu'au 04 mars 2018.

Maquette de décor pour De la Maison des morts présentée à la Bibliothèque-musée de l'Opéra

Maquette de décor pour De la Maison des morts présentée à la Bibliothèque-musée de l'Opéra

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Publié le 16 Mai 2017

Eugène Onéguine (Piotr Ilitch Tchaïkovski)
Répétition générale du 13 mai et représentations du 16, 19, 31 mai et 06 juin 2017
Opéra Bastille

Madame Larina Elena Zaremba 
Tatiana Anna Netrebko (mai)

            Elena Stikhina (31 mai) Nicole Car (juin)
Olga Varduhi Abrahamyan 
Filipievna Hanna Schwarz 
Eugène Onéguine Peter Mattei 
Lenski Pavel Černoch 
Le Prince Grémine Alexander Tsymbalyuk 
Monsieur Triquet Raúl Giménez 
Zaretski Vadim Artamonov 
Le Lieutenant Olivier Ayault 
Solo Ténor Gregorz Staskiewicz 

Direction musicale Edward Gardner                                Anna Netrebko (Tatiana)
Mise en scène Willy Decker (1995)

Créée au début du mandat d’Hugues Gall (1995-2004), représentée pendant trois de ses saisons, puis reprise par Nicolas Joel en 2010, la mise en scène d’Eugène Onéguine par Willy Decker ne peut égaler celle de Dmitri Tcherniakov qui avait atteint un niveau de crédibilité et de profondeur psychologique rare, mais elle offre un cadre pictural épuré qui rend possible de grandes représentations de répertoire si elle est associée à une distribution tout à fait hors norme.

Anna Netrebko (Tatiana)

Anna Netrebko (Tatiana)

Et c’est bien sûr ce qui justifie ce retour, car les interprètes choisis ont tous des moyens qui leur permettent de rivaliser les uns les autres à un jeu démonstratif exceptionnel.

Il ne faut donc pas attendre d’Anna Netrebko qu’elle retranche son personnage derrière les états d’âmes sensibles et incontrôlables de l’adolescence, car elle a les dimensions pour faire de Tatiana une femme mûre et lucide. Elle surprend, malgré la disproportion, à émouvoir par la violence des sentiments.

Aigus larges et puissants, noirceur animale, détresse dans le regard et expressions attendrissantes, transparaissent de cet aplomb fantastique les grandeurs de la Lady Macbeth qu’elle interprétait à Munich à la fin de l’année dernière.

Peter Mattei (Eugène Onéguine)

Peter Mattei (Eugène Onéguine)

Dans son face à face cruel, Peter Mattei lui oppose un Eugène Onéguine d’une rare froideur. C’est certes voulu par le metteur en scène, mais le chanteur suédois a naturellement un charisme personnel et une séduction de timbre qu’il pourrait employer afin de toucher l’auditeur. Pourtant, les expressions restent fermes, les couleurs mates, et sa prestance vocale se départit d’effets d’affectation.

Il ne se dégage ainsi nulle sympathie de ce grand profil longiligne, qui est aussi glaçant qu’Anna Netrebko peut, elle, inspirer une générosité chaleureuse.

Varduhi Abrahamyan (Olga) et Pavel Černoch (Lenski)

Varduhi Abrahamyan (Olga) et Pavel Černoch (Lenski)

L’homme sensible et romantique est donc incarné par Pavel Černoch, Lenski d’une personnalité entière donnée à une voix brillante et adoucie par une tessiture légèrement voilée.

En émane le charme de la nostalgie slave, surtout lorsque l’air ‘Kuda, Kuda vï udalilis’ , qui précède le duel, laisse pressentir que ce chanteur sera, la saison prochaine, un Don Carlos profondément poignant.

Alexander Tsymbalyuk (Le Prince Grémine)

Alexander Tsymbalyuk (Le Prince Grémine)

Et au dernier acte, sous l’immense luminaire d’un palais austère serti de diamants et empli d’un vide sans âme, la noblesse du lieu s’incarne soudainement sous les traits d’Alexander Tsymbalyuk.

Il compose un impressionnant Prince Grémine, nourri de graves qui suggèrent l’expérience bienveillante, mais pas encore l’âge de la vieillesse. L’homme est de plus élégant, la posture affirmée, et son grand air d’amour ‘Lyubvi vsye vozrati pokorni’ est empreint d’une gravité recueillie absolument expressive.

Anna Netrebko (Tatiana)

Anna Netrebko (Tatiana)

Parmi les rôles secondaires, Hanna Schwarz fait son retour à l’Opéra National de Paris, 30 ans après sa dernière interprétation de Cornelia dans Giulio Cesare, et confie à Filipievna toute une palette d’expressions discrètes, du murmure obscur à l’exclamation soudaine et vitale, la seule qui a un véritable dialogue avec Tatiana.

Peter Mattei (Eugène Onéguine)

Peter Mattei (Eugène Onéguine)

Quant à Varduhi Abrahamyan, elle caricature beaucoup trop Olga en soubrette au point de la rendre totalement creuse, et Raúl Giménez, qui a le mérite de chanter l’air de Monsieur Triquet en français, compense l'ambiguïté de sa diction par des nuances soulignées et une projection impressionnante pour ce rôle d’amuseur grand public.

Enfin, Elena Zaremba use de son timbre de glace pour installer en Madame Larina un caractère autoritaire et inflexible.

Elena Zaremba (Madame Larina)

Elena Zaremba (Madame Larina)

Les chœurs, homogènes, donnent un peu de vie aux tableaux atones de la mise en scène, et la direction d’Edward Gardner, lisse et volumineuse, laisse les couleurs françaises de l’orchestre s’épanouir au point de rapprocher la musique de Tchaïkovski des compositions de Jules Massenet ou de Charles Gounod, ce qui suggère, à plusieurs reprises, les ambiances bucoliques de Mireille.

Anna Netrebko

Anna Netrebko

Et malgré la beauté des motifs instrumentaux et du lustre orchestral, une forme de dolence fait perdre ce qu’il y a d’éveil frémissant et d’urgence dans la partition d’Eugène Onéguine, alors qu’il faudrait plus d’énergie pour combler les lacunes d’une mise en scène qui a fait son temps.

Elena Stikhina (Tatiana)

Elena Stikhina (Tatiana)

Remplaçante d'Anna Netrebko pour un seul soir, le mercredi 31 mai, Elena Stikhina a eu droit à un accueil triomphal, aussi bien après la scène de la lettre qu'au baisser de rideau où elle s'est montrée très émue. Elle a su toucher le public pour son interprétation, mais également pour sa personne.

Vocalement et scéniquement, elle est plus proche de Tatiana qu'Anna Netrebko.
Aigus aussi puissants, mais attitudes moins démonstratives (elle ne se pose pas face aux spectateurs, tête vers le haut, pour montrer l'étendue de ses moyens, et joue le drame et dirige sa voix en fonction de ce que doit exprimer Tatiana avec pudeur), son timbre est plus clair, d'une belle rondeur dans le médium, sans graves morbides fortement prononcés, et la jeune artiste réalise une incarnation très proche de ce que faisait Olga Guryakova dans la plénitude de ses moyens au cours des deux dernières décennies.

Elena Stikhina (Tatiana)

Elena Stikhina (Tatiana)

Peter Mattei est apparu comme un partenaire passionné, attentif, un très grand soutien pour elle qui a du tenir un rôle romantique majeur face à une salle pleine qui attendait sa consoeur russe.

Elle semble idéale pour incarner de grands rôles de soprano dramatiques, plus mûres que Tatiana, telle Desdémone par exemple.

La saison prochaine, elle incarnera Leonora dans la reprise d'Il Trovatore, en juin et juillet 2018.

Elena Zaremba (Madame Larina) et Nicole Car (Tatiana)

Elena Zaremba (Madame Larina) et Nicole Car (Tatiana)

Et au cours du mois du juin, une jeune artiste australienne, Nicole Car, fait revivre la plus authentique des Tatiana, car totalement naturelle et fidèle à la psychologie de la jeune fille.

Point d'effets dramatiques, aucun surjeu, tout est juste avec une belle continuité des couleurs, ce qui permet d'apprécier la sensibilité de son personnage dans les moindres détails.

Ses gestes sont purs, et les sentiments qu'elle reflète sont une image précieuse et fragile qui font la valeur de la soirée.

Interprète accomplie, elle l'est, et malgré l'immensité de la salle, elle réussit à créer un lien intime entre elle, l'auditeur et l'oeuvre, en parfaite osmose avec la musicalité de l’orchestre.

Peter Mattei (Eugène Onéguine) et Nicole Car (Tatiana)

Peter Mattei (Eugène Onéguine) et Nicole Car (Tatiana)

D'ailleurs, Edward Gardner paraît très inspiré ce soir, souffle et relief tragiques submergent les musiciens dans un allant acéré, il est un chef véritablement imprévisible...

Et Peter Mattei, dans ses grands jours, offre de magnifiques moments charmeurs et agrémentés de touches séductrices, et laisse passion et urgence le dépasser pour, petit à petit, traduire la vie qui s'extériorise que trop tardivement en Eugène Onéguine,

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Publié le 7 Avril 2012

Don Giovanni (Wolfgang Amadé Mozart)
Représentation du 03 avril 2012

Opéra Bastille


Don Giovanni Peter Mattei
Il Commendatore Paata Burchuladze
Donna Anna Patricia Petibon
Don Ottavio Bernard Richter
Donna Elvira Véronique Gens
Leporello David Bizic
Masetto Nahuel Di Pierro
Zerlina Gaëlle Arquez



Mise en scène Michael Haneke (2006)
Direction musicale Philippe Jordan

                                                                      Peter Mattei (Don Giovanni) et David Bizic (Leporello)

Créée sur la scène de l'Opéra Garnier le 27 janvier 2006, précisément 250 ans après la naissance de Mozart,  la mise en scène de Don Giovanni par Michael Haneke avait fait l'événement autant pour sa vision moderne, qui reste fidèle aux clivages sociaux contenus dans l'œuvre, que pour le redoutable et inhabituel travail scénique exigé de la part des chanteurs.

Et la froideur sombre et bleutée du décor, reproduisant quelque couloir d'une tour de la Défense, et les situations particulièrement douloureuses auxquelles sont confrontés les protagonistes occultent considérablement la part légère et souriante de l'ouvrage, afin de maintenir un climat angoissé et oppressant jusqu'à la scène finale dépourvue de tout effet surnaturel.

Don Giovanni (Mattei-Petibon-Gens-Richter-Jordan) Bastille

La force de cette production, si l'on accepte que la stature de juge suprême du Commandeur perde de son importance, est d'installer la désinvolture criminelle de Don Giovanni - et le désarroi de ses victimes à ne pouvoir le dénoncer formellement – dans le monde du travail où se cristallisent aujourd'hui les enjeux de pouvoir avec une violence normalisée.

On peut ainsi trouver, parmi le public, des spectateurs qui se sont vus se remémorer de très mauvais souvenirs, chose qui ne serait pas arrivée face à une lecture plus littérale de l'œuvre.

Avec Michael Haneke, la classe dominante masculine - Don Giovanni mais aussi Leporello qui n'est plus un valet sinon l'égal et le double de son maître – porte les attributs conformistes en costumes gris et cravates des cadres supérieurs, la classe intermédiaire – Donna Elvira, et Don Ottavio – arbore des pardessus ternes, tandis que les petites gens sont reléguées aux tâches d'entretien – Zerline et Masetto, mais aussi les chœurs et acteurs identifiés à une jeune population des banlieues.

Ce petit peuple, dans ses habitudes les plus ridicules, est affublé de masques comiques et impersonnels de chez Mickey Mouse.

Peter Mattei (Don Giovanni) et David Bizic (Leporello)

Peter Mattei (Don Giovanni) et David Bizic (Leporello)

Enfin, soigneusement vêtue d'un tailleur blanc et distingué, Donna Anna est rattachée à une classe supérieure pure.

La religion n'existe plus et ne joue plus aucun rôle dans ce monde, et le service de sécurité, seul symbole sur lequel l'ordre social tient encore, ne fait que passer furtivement d'un regard méfiant, car tous sont suspects, même les victimes.

En revoyant ce spectacle fortement prenant, la question que l'on peut se poser, tout de même, est d'imaginer son devenir quand Peter Mattei ne sera plus le titulaire du rôle principal.

Ayant assuré toutes les soirées, autant à la création qu'à la reprise à Bastille en 2007, ce grand suédois au physique de crooner beau gosse incarne avec une aisance admirable le charisme nonchalant de Don Giovanni.

Et la moindre parole chantée est immédiatement une ample vague charmeuse, un peu noircie par le temps, pouvant même devenir matière finement filée, comme dans l'air de la sérénade "Deh vieni alla finestra", interprété avec une voix très large dans le premier couplet, puis très atténuée dans le second, alors que le chanteur se replie au sol, seul. Il est un diable à la parole d'un ange.

Bernard Richter (Don Ottavio) et Patricia Petibon (Donna Anna)

Bernard Richter (Don Ottavio) et Patricia Petibon (Donna Anna)

Dans ces conditions, il devient difficile pour David Bizic de s'imposer aussi brillamment que Luca Pisaroni en Leporello – le chanteur italien était un double magnifique de Peter Mattei à la création -, sauf à paraître plus veule et une sorte d'homme de l'ombre de Don Giovanni.

Son art du récitatif cantabile est certes séduisant, mais, superposé à l'orchestre dans une salle aussi grande, son chant reste trop monotone pour dresser le portrait haut en couleur que mérite un tel personnage.

C'est un peu dommage, car les autres chanteurs dessinent tous des traits de caractères intéressants et, parfois, inhabituels.
Ainsi, le timbre de Véronique Gens peut paraître, au début, un peu austère, mais ses talents de tragédienne et la naturelle harmonie de son être font d'Elvire une intellectuelle amoureuse, une femme plus intelligente que ne laissent imaginer les interprétations mélodramatiques ou hystériques.

On entend par la suite deux couples très bien assortis.

Véronique Gens (Donna Elvira) et Peter Mattei (Don Giovanni)

Véronique Gens (Donna Elvira) et Peter Mattei (Don Giovanni)

Don Ottavio est souvent associé à un tempérament tendre et moelleux. Bernard Richter en fait un personnage vif et violemment indigné, vocalement d'une richesse de couleurs formidable qui déborde des lignes habituellement légères mais réservées du rôle.
Toute aussi impliquée théâtralement, Patricia Petibon - femme enfant dans le même esprit que Christine Schäfer lors des précédentes représentations - vit Donna Anna en femme soumise à des tourments physiquement insoutenables, avec un impressionnant rayonnement vocal qui révèle des grâces de l’âme divines dans un « Non mi dir » chanté l’émotion à fleur de peau.

Quant à Nahuel Di Pierro et Gaëlle Arquez, ils composent, lui, un Masetto d’une douce humanité, et elle, une Zerline presque trop classe, avec une très belle manière de fondre sveltesse du corps et souplesse des lignes de chant aux couleurs d’étain.

On entend la voix naturelle du Commandeur de Paata Burchuladze uniquement pendant la première scène, car il est ensuite sonorisé quand Michael Haneke ne laisse plus comme autre choix à Elvire de tuer son mari, et aux autres de se débarrasser du corps de leur patron en le jetant par la fenêtre (humour noir si l‘on conçoit ce geste comme une réponse à « Deh vieni alla finestra, o mio tesoro » …).

Gaëlle Arquez (Zerlina) et Peter Mattei (Don Giovanni)

Gaëlle Arquez (Zerlina) et Peter Mattei (Don Giovanni)

Philippe Jordan n’était véritablement pas convaincant dans  Les Noces de Figaro et Cosi fan Tutte. Il en est tout autrement pour Don Giovanni, dirigé sans doute avec un tempo encore un peu trop modéré, et où il fait entendre des couleurs et des nuances magnifiques à en sublimer la grâce des artistes (Bernard Richter dans « dalla sua pace »  est absolument splendide sous la lumière somptueuse de l'orchestre).
L’observation de ses gestes caressants, tout en écoutant leur effet sur la musique, procure un plaisir subtile et enjolivant lorsqu‘il modèle les ondes et enveloppe l‘orchestre d’une attention directive fascinante.

Petit détail remarquable, les accords de "in quali eccessi" sont joués avec une tonalité inférieure quand Elvire voit l'ouverture du gouffre mortel.

Michael Haneke n'avait pu monter l'opéra de Mozart qui a sa préférence, Cosi fan Tutte, car la production de Patrice Chéreau était déja installée à Garnier. Il en aura enfin l'occasion la saison prochaine à Madrid, pour la création, puis à Bruxelles, pour une immédiate reprise.

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Publié le 5 Décembre 2010

Webern-Berg-Zemlinsky
Concert du 03 décembre 2010
Salle Pleyel

Anton Webern
Six pièces pour orchestre opus 6
(révision 1928)

Alban Berg
Suite lyrique (1927)

Alexander von Zemlinsky
Symphonie lyrique opus 18 (1924)

Angela Denoke Soprano
Peter Mattei Baryton

Peter Hirsch Direction
Svetlin Roussev Violon solo

Orchestre Philharmonique de Radio France

                                                                                           Angela Denoke

L’immersion dans l’univers chromatique et abstrait de la seconde école de Vienne serait un luxe, si l’on en juge au public restreint qui a bien voulu en vivre l‘expérience vendredi soir.

Webern-Berg-Zemlinsky (Angela Denoke-Peter Mattei) Pleyel

Ce vide immense, duquel est monté un papillotement glacial, les accords intimes de la suite lyrique perdus dans la froideur blanche de la salle, furent balayés, un temps, par l’introduction spectaculaire de la symphonie lyrique, avant que le timbre onirique de Peter Mattei n’arrive enfin à se dégager de toutes ces résonances.

Et elle, immuable présence, les yeux baissés et tournés introspectivement vers sa propre solitude, et ensuite, avec un calme aplomb et la voix lumineusement vibrante autant que sombrement inquiétante, Angela Denoke.

Webern-Berg-Zemlinsky (Angela Denoke-Peter Mattei) Pleyel

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Publié le 8 Juillet 2007

Don Giovanni (Mozart)

Représentation du 27 janvier 2006 (Opéra Garnier)
 
Direction musicale Sylvain Cambreling
Mise en scène Michael Haneke
Décors Christoph Kanter
Costumes Annette Beaufays
Éclairages André Diot

Don Giovanni Peter Mattei
Il Commendatore Robert Lloyd
Donna Anna Christine Schäfer
Don Ottavio Shawn Mathey
Donna Elvira Mireille Delunsch
Leporello Luca Pisaroni
Masetto David Bizic
Zerlina Aleksandra Zamojska
 
Ce soir c'est style efficace.
Le meilleur : Peter Mattei. Un chant enrobé ....Zerline ne craque toujours pas ... c'est pas grave ...les abdos retravaillent et un nouveau son encore plus malaxé est prêt à la faire fondre. Un délice vocal!!!
Luca Pisaroni est un Leporello jamais vulgaire, au sang à peine plus chaud que Don Giovanni....... ce soir j'ai entendu du beau chant.

Chez les dames, Christine Schäfer est celle qui s'en sort le mieux.
Femme fragile et déboussolée elle trouve ses limites dans le deuxième acte où elle ne peut que fonctionner par à-coups dans les parties vocalisantes.
Mireille Delunsch est bonne actrice mais la tessiture me gêne. Style trop criard. En plus ce n'est pas toujours juste.

Si la mise en scène est enthousiasmante au premier acte (le cauchemar d'un cadre supérieur déconnecté des autres pour lequel tout va mal se finir), le décrochage est spectaculaire au II acte. Personnellement je n'y crois plus, l'Elvire aimante qui pense pouvoir retourner la situation me manque, l'humour me manque également et le final frise le ridicule.
 
 
Voici quelques éléments que j’ai capté lors du plein feux sur DonGiovanni et qui permettent de mieux appréhender la vision de Haneke.

M.Haneke part du principe que le livret de Da Ponte n’est pas crédible car on ne peut tuer une personne et continuer la partie de rigolade comme ci de rien n’était.
Il n’y croit donc pas et préfère partir de quelque chose qu’il connaît.

Se pose alors la question de qui représente les puissants aujourd’hui : les politiques ? Mais ceux-ci sont souvent aux services d’affairistes. Le metteur en scène choisit donc le milieu de l’entreprise et de l’argent.

Comment faire ensuite pour justifier l’intervention du commandeur dans une société qui ne croit plus en dieu et dont la spiritualité se délite. Qu’est ce qui peut faire peur aujourd’hui ?

Enfin il explique que son œuvre ne répond pas aux attentes d’une société (laquelle ?) mais ne représente que lui-même. C’est à prendre ou à laisser.

Il est vrai que cette vision des employés se saisissant de Don Giovanni pour s’en débarrasser définitivement peut toucher fortement un public qui a intériorisé du ressentiment vis-à-vis de comportements oppressants dans le milieu de l'entreprise.

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