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Publié le 13 Juin 2022

Parsifal (Richard Wagner – 1882)
Représentations du 06 et 12 juin 2022
Opéra Bastille

Amfortas Brian Mulligan
Titurel Reinhard Hagen
Gurnemanz Kwangchul Youn
Klingsor Falk Struckmann
Kundry Marina Prudenskaya
Parsifal Simon O'Neill
Erster Gralsritter Neal Cooper
Zweiter Gralsritter William Thomas
Vier Knappen Tamara Banjesevic, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Tobias Westman, Maciej Kwaśnikowski
Klingsors Zaubermädchen Tamara Banjesevic, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Ramya Roy, Kseniia Proshina, Andrea Cueva Molnar, Claudia Huckle
Eine Altstimme aus der Höhe Claudia Huckle                  
Simon O'Neill (Parsifal)

Direction musicale Simone Young
Mise en scène Richard Jones (2018)

La nouvelle production de ‘Parsifal’ par Richard Jones ayant souffert en 2018 d’un accident de plateau qui avait engendré l’annulation de la moitié des représentations, une reprise quatre ans plus tard était nécessaire pour en faire profiter le plus de spectateurs possible.

Marina Prudenskaya (Kundry)

Marina Prudenskaya (Kundry)

Ces dernières années, l’ouvrage a connu à Paris et à l’étranger des mises en scène fortes, intelligentes et d’une grande complexité de la part de Stefan Herheim (Bayreuth 2008), Krzysztof Warlikowski (Opéra Bastille 2008), Calixto Bieito (Stuttgart 2010) ou bien plus récemment Kirill Serebrennikov (Vienne 2021), si bien que celle de Richard Jones se présente comme une antithèse qui choisit de raconter l’histoire de manière factuelle sans tenir compte de la symbolique attachée aux divers objets ou à son contexte chrétien.

Les faits se déroulent au sein d’une confrérie d’aujourd’hui (les tuniques vertes des adeptes sont marquées de l'année 1958 en caractères romains) qui veille les derniers jours de son maître spirituel et opère un rite autour d’une coupe dorée dans l’espoir de retrouver l’autre objet perdu par Amfortas, la lance.

Klingsor est présenté littéralement comme celui qui « a fait du désert un jardin de délices où poussent de démoniaques beautés », comme le raconte Gurnemanz au premier acte, et devient ainsi un généticien inventeur de créatures mi-humaines mi-plantes que Parsifal affrontera et détruira. Mais dès l’arrivée de Kundry au second acte, le metteur en scène ne travaille plus qu’une seule idée afin de montrer par un jeu d’ombres habile la métamorphose de celle-ci, mère protectrice, en femme séductrice.

Kwangchul Youn (Gurnemanz) et William Thomas (Second chevalier)

Kwangchul Youn (Gurnemanz) et William Thomas (Second chevalier)

Le principal atout de cette dramaturgie est de reposer sur un immense décor tout en longueur qui bénéficie des larges espaces latéraux de la scène pour défiler selon les différents lieux de l’action de manière totalement fluide. Richard Jones arme Parsifal d’un glaive pour bien montrer que la lance n’est qu’un objet décoratif, et non une arme magique et destructrice, et une fois de retour dans la communauté, le jeune innocent libère ses occupants en leur faisant prendre conscience qu’ils doivent se libérer avant tout de leur endoctrinement et des ‘mots’ (‘Wort’ en allemand) qui les éloignent de la vie.

Parsifal part ainsi avec Kundry vers une nouvelle spiritualité, et Jones, par son refus de relire le texte de l’ouvrage, montre à travers sa mise en scène toute la distance qu’il entretient avec ce texte qu’il invite de manière sous-jacente à laisser de côté.

Parsifal (O'Neill Prudenskaya Mulligan Young Jones) Opéra de Paris

Simone Young n’était jusqu’à présent venue qu’une seule fois à l’Opéra de Paris à l’occasion de la production des 'Contes d’Hoffmann' jouée sur la scène Bastille dans la mise en scène de Roman Polanski en octobre 1993.

Pour son retour près de trois décennies plus tard, elle se saisit d’un orchestre éblouissant avec lequel elle se livre à une lecture mesurée dans le prélude pour gagner progressivement en ampleur à partir de la scène du rituel du premier acte. Avec beaucoup de réussite dans les moments spectaculaires où la puissance des percussions et des cuivres soulève la masse orchestrale tout en préservant la chaleur du son, elle met magnifiquement en valeur la poésie et la rondeur des timbres et s’approprie l’entièreté de l’espace sonore avec une grande clarté. Et si elle ne laisse aucun silence s’installer, transparaît surtout une envie de ne pas rompre la narration et le mouvement des chanteurs et de les emporter dans une grande respiration symphonique d’une superbe luminosité. C’est particulièrement convaincant lors de la confrontation entre Parsifal et Kundry où il ne se passe quasiment rien sur une scène sombre et dépouillée.

Brian Mulligan (Amfortas)

Brian Mulligan (Amfortas)

Les ensembles de chœurs sont également splendides, et parfois féroces pour ceux qui sont sur scène, d’une élégie un peu tourmentée pour ceux qui œuvrent dans les coulisses, et d’une touchante picturalité pour les femmes situées en couloirs de galeries.

On ne présente plus Kwangchul Youn qui chante Gurnemanz sur toutes les scènes du monde et qui a laissé un souvenir mémorable dans la production de Stefan Herheim à Bayreuth. Le timbre est dorénavant plus austère mais toujours d’une pleine homogénéité si bien qu’il incarne une sagesse un peu taciturne. 

Doué d’une tessiture acide et très claire qui évoque plus naturellement l’héroïsme tête-brûlée de Siegfried, Simon O'Neill n’en est pas moins un Parsifal intéressant par la précision de son élocution et la détermination qu’il affiche, imperturbable en toute situation. Son endurance dénuée de tout glamour est un atout précieux car elle assoit un caractère viril fort.

Simon O'Neill (Parsifal) et Marina Prudenskaya (Kundry)

Simon O'Neill (Parsifal) et Marina Prudenskaya (Kundry)

Brian Mulligan ne fait certes pas oublier les accents de tendresse blessée qui font le charme des incarnations de Peter Mattei, sa voix métallique est cependant une gangue impressionnante pour faire ressentir les tortures de douleurs presque bestiales que subit Amfortas, et son personnage est en tout cas bien mieux dessiné que celui de Klingsor auquel Falk Struckmann apporte une certaine expressivité rocailleuse qui solidifie beaucoup trop le magicien dans une peinture prosaïque.

La Kundry de Marina Prudenskaya est évidemment le portrait le plus fort de la soirée, elle qui est corporellement si souple et fine et qui dispose pourtant d’une voix aux graves très développés. D’une très grande aisance théâtrale, les exultations en tessiture aiguë se font toujours avec une légère adhérence pour finalement s’épanouir en un tranchant vif et coloré, et ce mélange de sensualité et de monstruosité en fait un véritable caractère wagnérien troublant.

Marina Prudenskaya, Ching-Lien Wu, Simone Young et Simon O'Neill

Marina Prudenskaya, Ching-Lien Wu, Simone Young et Simon O'Neill

Et les filles fleurs intensément vivantes de Tamara Banjesevic, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Ramya Roy, Kseniia Proshina, Andrea Cueva Molnar et Claudia Huckle, ont de quoi impressionner par leur débauche de traits fusés avec une violence implacable.

Enfin, parmi les rôles secondaires, Maciej Kwaśnikowski se fait remarquer par sa droiture et sa clarté juvénile, ainsi que William Thomas pour sa noble noirceur hypnotique.

Malgré toutes les réserves que l’on peut avoir sur le parti pris de la mise en scène qui trivialise beaucoup trop le livret, la beauté de cette interprétation musicale sublime tout, d’autant plus que la dernière représentation s’est jouée sans surtitres sur le panneau central, ce qui a accru la prégnance de la musique et permis de voir nombre de spectateurs échanger aux entractes sur le sens de ce qu’ils venaient de voir.

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Publié le 16 Mai 2018

Parsifal (Richard Wagner)
Pré-générale du 21 avril et

représentations du 13 et 16 mai 2018
Opéra Bastille

Amfortas Peter Mattei
Titurel Reinhard Hagen
Gurnemanz Günther Groissböck
Klingsor Evgeny Nikitin
Kundry Anja Kampe
Parsifal Andreas Schager

Direction musicale Philippe Jordan
Mise en scène Richard Jones (2018)

                                                                                        Günther Groissböck (Gurnemanz)

Après une entrée triomphale en version française au répertoire de l’Opéra le 04 janvier 1914, 4 jours après que l’exclusivité des représentations au Festival de Bayreuth fut enfin levée, Parsifal disparut de l’affiche du Palais Garnier à partir de la Seconde Guerre mondiale.

Cet ostracisme, justifié par le trouble qu’avait suscité Hitler en se prenant lui-même pour un Parsifal qui allait régénérer l’Allemagne, ne fut définitivement levé que sous l’ère Liebermann.

Dorénavant, l’ultime chef-d’œuvre de Wagner fait partie des quarante ouvrages les plus représentés à l’Opéra de Paris.

Andreas Schager (Parsifal) et Anja Kampe (Kundry)

Andreas Schager (Parsifal) et Anja Kampe (Kundry)

La dernière production que connut en mars 2008 l’Opéra Bastille montrait avec force comment les idéologies délaissant les lois morales évoluaient en folie criminelle (pour paraphraser le film de Rossellini, Allemagne année zéro). Krzyzstof Warlikowski introduisait ainsi une rupture nette entre la progression dramatique des deux premiers actes et la catastrophe qui s’en suivait, et obligeait au dernier acte à penser la reconstruction d’un nouveau monde.

Sa mise en scène philosophique était à la fois traversée d’espoir et implacable quant au nécessaire devoir de mémoire des actes commis au XXe siècle.

Intelligente et réfléchie, cette production fut cependant détruite par d’obscures raisons sous la direction de Nicolas Joel, sans même que cette dernière ne propose une nouvelle conception.

Peter Mattei (Amfortas)

Peter Mattei (Amfortas)

10 ans plus tard, Stéphane Lissner confie donc au régisseur britannique Richard Jones la tâche de donner une nouvelle vision à cette œuvre aux facettes si multiples.

D’emblée, le propos du metteur en scène se projette dans l’univers sévère d’une fondation à caractère religieux, qui pourrait s’apparenter à celui de l’église de Scientologie. Elle est régie par une figure fondatrice, matérialisée par un immense buste doré, et les adeptes sont convaincus que par l’étude des textes ('Wort') ils découvriront le secret de la vie.

Mais ce mouvement est en perte de vitesse car son fondateur, Titurel, est déclinant, et Amfortas, mortellement blessé, ne peut plus assurer le rite du Graal, un cycle infernal pour lui.  Parsifal arrive dans cette communauté, et observe.

Parsifal (Mattei-Kampe-Schager-Groissböck-Nikitin-dm Jordan-ms Jones) Bastille

Il gagne ensuite le monde de Klingsor, un dangereux artifice où la chorégraphie pornographique des filles fleurs n'est qu'une monstrueuse illusion. Il y résiste, ainsi qu'à Kundry, et finit par détruire ce monde fallacieux.

Puis, une fois de retour dans la communauté, aveugle car livré à l’incompréhension de cette nouvelle situation, alors que Titurel est mort, la dernière tentative violente de célébration du Graal le conduit enfin à une révélation : mieux vaut laisser tomber ces fausses croyances et partir avec Kundry vers un amour plus humain. Les adeptes se débarrassent alors de leurs oripeaux désuets et le suivent sur ce nouveau chemin.

Cette dramaturgie, appuyée par une direction d’acteur vivante, repose sur un immense décor longitudinal et coulissant.

Evgeny Nikitin (Klingsor) et Anja Kampe (Kundry)

Evgeny Nikitin (Klingsor) et Anja Kampe (Kundry)

Elle a l’avantage d’une très grande lisibilité car elle prend souvent au mot le texte du livret, mais se révèle relativement pauvre dans la seconde partie du deuxième acte et bâcle même certains procédés théâtraux attendus – la lance de Klingsor, la scène de séduction de Kundry.

Par ailleurs, fortement réductrice par rapport au travail politique et visionnaire de Krzyzstof Warlikowski, elle s’enferme dans un univers sectaire pour ne trouver d’issue que dans une conclusion naïve. Au moins a-t-elle le mérite de ne pas interférer fortement avec la musique.

Car Philippe Jordan emmène l’orchestre de l’Opéra de Paris vers des cimes élégiaques inouïes, une lumière contemplative irradiant constamment la fosse d’orchestre, avec un sens plaintif et lancinant presque maniéré enflé par la beauté éclatante des cuivres.

Et de cette légèreté de plume, affleurée par les traits furtifs et évanescents des cordes et des vents, nait une finesse ornementale qui souligne l’orientalisme de la musique de Parsifal.

C’est tellement beau et fascinant que l’on imagine peu cette lecture en phase avec une mise en scène trop crue ou trop angoissante.

Philippe Jordan - le 16 mai 2018

Philippe Jordan - le 16 mai 2018

Et comme chaque chanteur est amené à interpréter un personnage relativement simple et banal dans cette mise en scène, il y a comme une sorte d'évidence qui met en valeur le lien qui les relie au directeur musical dont on peut suivre aisément le soutien indéfectible.

Le plus bouleversant est indiscutablement l'Amfortas de Peter Mattei, terriblement vrai par la manière presque adolescente de se débattre avec ses propres souffrances et démons, la voix virile et mêlée de lamentations doucereuses et innocentes qui atteignent un effet sublime lorsque la musique se fait irrésistiblement palpitante et hors du temps.

Günther Groissböck, à l'inverse, possède un timbre naturellement terrien, noir et bien marqué, et des accents d'amertume qui lui permettent de dessiner un Gurnemanz plus pragmatique que spirituel, et c'est par le soin qu'il met à alléger les ports de voix que l'on ressent son inclinaison pour la sagesse qu'il dépeint.

Evgeny Nikitin, lui qui interprétait un inquiétant Klingsor proxénète dans la précédente production, s'approprie également sans scrupules ce rôle de bio généticien maléfique que lui fait jouer Richard Jones.

Andreas Schager (Parsifal) et Anja Kampe (Kundry)

Andreas Schager (Parsifal) et Anja Kampe (Kundry)

Énergique, valorisé par une direction d'acteur qui privilégie une approche frontale avec le public, c'est crânement qu'il affiche un art déclamatoire mordant et insidieux, quelque part séduisant par sa noirceur de roche.

Le couple, quelque peu incendiaire, formé par Andreas Schager et Anja Kampe, peut alors se déployer dans un second acte qui ne lui laisse que des êtres les plus dépouillés pour exister.

Fantastique ténor aux éclats vaillants, Andreas Schager a certes le physique et les attitudes expansives qui lui permettent de jouer efficacement les déchainements immatures de Parsifal, mais il a surtout une stupéfiante capacité héroïque à exprimer les grandes douleurs inhumaines qui le rapprochent de Tristan.

De fait, sa prise de conscience de la blessure d’Amfortas au deuxième acte est suivie par un engagement  qui croise fortement les souffrances du troisième acte de la légende médiévale composée par Richard Wagner 25 ans plus tôt. On a pour lui l’attachement bienveillant pour un cœur adolescent, ce qu'expriment ses aigus soudainement clairs et puissants.

Peter Mattei (Amfortas)

Peter Mattei (Amfortas)

Sa partenaire et complice, Anja Kampe, qu’il retrouve 3 mois après un Tristan et Isolde étrangement démystifié au Staatsoper de Berlin, s’abandonne pleinement à une incarnation qui exacerbe le tempérament de bête de Kundry. Graves fortement timbrés, d’une noirceur sauvage, personnalité forte mais sensiblement peu tourmentée, l’essence bienveillante que l’on ressent continuellement chez elle adoucit le portrait de cette créature névrosée et séductrice.

Des effets morbides saisissants, une alternance entre tension dramatique et détachement ironique, sa confrontation avec Andreas Schager au second acte, portée par un orchestre qui pousse au crime, est un des grands moments d'intensité musicale de la représentation.

Peter mattei, Anja Kampe, Andreas Schager et Günther Groissböck - le 16 mai 2018

Peter mattei, Anja Kampe, Andreas Schager et Günther Groissböck - le 16 mai 2018

Enfin, si on ne le voit pas, car doublé par un figurant qui représente un Titurel faible ayant perdu toute autonomie, Reinhard Hagen fait résonner profondément l’évocation ténébreuse de l’aïeul mourant.

Chœur masculin homogène, soyeux et puissant quand nécessaire, filles fleurs d'une grande efficacité théâtrale, chœur féminin spatialisé depuis les galeries supérieures, pour les voix les plus aiguës, chancelantes comme si la proximité du ciel découvrait leurs fragilités, jusqu'à l'arrière scène pour les voix mezzo destinales, c’est innervé par les ultimes nappes orchestrales qu’on les entend ensemble s’évanouir dans un espace-temps incroyable d’immatérialité et d’une féérie sensationnelle.

Un Parsifal musicalement magique et optimiste qui mérite bien plus que les 4 représentations sauvées de l'incident technique survenu sur le plateau au cours des répétitions.

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Publié le 4 Août 2014

Der Ring des Nibelungen (Richard Wagner)
Bayreuther Festspiele 2014

27 juillet - Das Rheingold
28 juillet - Die Walküre
30 juillet - Siegfried
01 août - Götterdämmerung

Direction Musicale Kirill Petrenko

Mise en scène Frank Castorf
Décors Aleksandar Denic
Costumes Adriana Braga Peretzki
Lumières Rainer Casper
Video Andreas Deinert

 

                                                                                                   Elisabeth Strid (Freia)

 

Wotan / Der Wanderer Wolfgang Koch                Siegmund Johan Botha
Fricka / Waltraute / 2. Norn Claudia Mahnke      Sieglinde Anja Kampe
Loge Norbert Ernst                                             Brünnhilde Catherine Foster
Alberich Oleg Bryjak*                                        Hunding Kwangchul Youn*
Mime Burkhard Ulrich                                        Helmwige / 3. Norn Christiane Kohl
Fasolt Wilhelm Schwinghammer*                       Ortlinde Dara Hobs
Fafner Sorin Coliban                                            Grimgerde Okka von Der Damerau*
Freia Elisabeth Strid                                            Rossweisse Alexandra Petersamer
Erda / Schwertleite Nadine Weissmann                Gutrune / Gerhilde Allison Oakes
Donner Markus Eiche*                                      Woglinde / Waldvogel Mirella Hagen
Froh Lothar Odinius                                           Siegfried Lance Ryan
Flosshilde / 1.Norn Okka von Der Damerau      Hagen Attila Jun
Wellgunde / Siegrune Julia Rutigliano                 Gunther Alejandro Marco-Buhrmester

*changement d’interprète par rapport à 2013

Fortement chahuté lors de sa création, et à nouveau cette année, le Ring mis en scène par Frank Castorf oblige à réfléchir au sens que la Tétralogie de Wagner représente pour ses admirateurs : une grande saga épique et mythologique, une fresque d’une profondeur de sentiments exaltante, ou bien la narration d’un monde dominé par des forces cupides, violentes et détraquées où l’Amour n’est qu’un rêve idéal qui ne peut y survivre ?

Wilhelm Schwinghammer (Fasolt)

Wilhelm Schwinghammer (Fasolt)

C’est ce dernier point de vue que le directeur de la Volksbühne am Rosa-Luxemburg-Platz de Berlin a choisi, et, en raccrochant la légende des Nibelungen à l’histoire récente, depuis les premières exploitations du pétrole du Caucase, jusqu’à l’avènement du système financier mondial, il s’évertue à montrer comment l’humanité, dans sa plus banale vie, avance alors que des forces politiques et idéologiques la contraignent au point de faire de ses sentiments humains une valeur éphémère.

Das Rheingold

Dans Rheingold, situé dans un petit motel doté d’une station-service et d’une piscine bordant une autoroute du Texas, Frank Castorf reconstitue tout un univers foisonnant où les dieux, géants et nains sont tous ramenés à des personnages humains : filles du Rhin et Freia en filles faciles, Erda en maîtresse des lieux qui dame le pion à Fricka, Wotan en grand jouisseur, Fasolt et Fafner en casseurs etc..

Norbert Ernst (Loge)

Norbert Ernst (Loge)

Chez ces dieux on picole beaucoup, on se bat pour les filles, on recherche le profit - Alberich entasse minutieusement son or pendant que chacun règle ses comptes – et le pétrole est une nouvelle richesse introduite dans ce prologue comme point de départ d’une course à la maitrise des richesses énergétiques qui deviendra le fond historique des trois journées suivantes.

Wolfgang Koch (Wotan) et Nadine Weissmann (Erda)

Wolfgang Koch (Wotan) et Nadine Weissmann (Erda)

La force de ce premier volet réside dans l’incroyable cohésion dramaturgique qui unit tous les artistes, qui doivent jouer en permanence sur scène même lorsqu’ils ne chantent pas, car des caméras filment l’arrière scène autant que l’intérieur du bâtiment. Le spectateur est saturé d’actions et d’images, mais ce qui le captive le plus est la manière dont tous ces personnages semblent si vrais, comme si le metteur en scène avait demandé aux chanteurs de penser à leurs propres scènes intimes, avec leurs moments de paniques, de cacophonies, mais aussi leurs instants de rêveries.

Der Ring des Nibelungen (Petrenko - Castorf) Bayreuth 2014

Ainsi, Norbert Ernst est un Loge toujours aussi émouvant et conciliateur, aux faux-airs de Candide, Sorin Colban un impressionnant Fafner, Wilhelm Schwinghammer un Fasolt au chant agréablement langoureux, Elisabeth Strid une Freia de feu, et les voix des trois filles, Okka von Der Damerau, Mirella Hagen et Julia Rutigliano s’harmonisent merveilleusement.

Quant à l’Alberich d’Oleg Bryjak, son indéniable présence ne fait cependant pas oublier le charisme de Martin Winkler.

Die Walküre
 

Le premier volet de cette tétralogie, déjà bien commenté l’année précédente, se déroule à Bakou, au moment où les compagnies pétrolières occidentales vont devoir céder leur monopole pétrolier à la révolution russe. Le décor est un monumental fort en bois qui cache un puit de forage, et les éclairages qui l’enveloppent évoquent des horizons sombres et flamboyants visuellement fantastiques.

On l’a déjà dit, Frank Castorf a la prudence de ne rajouter aucun effet distrayant aux deux premiers actes, où se déroulent des scènes intimes entre frère et sœur, mari et femme et père et fille. Seule entorse dramaturgique, la scène entre Wotan et Fricka est présentée comme une scène de couple d’exploitants, sans lien entre les deux personnages de Rheingold.

                                                                                           Kwangchul Youn  (Hunding)

Quant à Brunnhilde, elle prépare elle-même les charges de nitroglycérine qui serviront à l’excavation des zones pétrolifères.

Le troisième acte correspond à l’attaque de ce fort, la scène des Walkyries est bien mieux intégrée théâtralement que le livret de Wagner, qui en fait une scène à part, et Wotan reprend son rôle dominant.

Claudia Mahnke (Fricka)

Claudia Mahnke (Fricka)

Wolfgang Koch paraissait un bien meilleur Wotan dans Rheingold que l’année précédente, il impose dorénavant un grand rôle, pour lequel il est à la fois un interprète non pas dépassé par la situation, mais volontaire, comme s’il ne voulait pas lâcher de son pouvoir, avec hargne et séduction dans le timbre.

Et à nouveau, Claudia Mahnke est une magnifique Fricka, impériale avec sa voix aux mille reflets chatoyants.

 Anja Kampe (Sieglinde) et Johan Botha (Siegmund)

Anja Kampe (Sieglinde) et Johan Botha (Siegmund)

Le couple formé par Anja Kampe et Johan Botha fonctionne tout aussi bien, mais la chanteuse allemande a un tempéramment expressif et une franchise passionnée dans les attaques en décalage complet avec l’immobilisme corporel du ténor, plus convaincant dans les passages héroïques que pour la tendresse intime des sentiments.

Kwangchul Youn est un splendide et presque trop noble Hunding, mais ce n’est plus une surprise.

Catherine Foster (Brunnhilde)

Catherine Foster (Brunnhilde)

Elle avait eu quelques difficultés à démarrer dans son rôle en 2013, Catherine Foster est cette année une très grande Brunnhilde, une très belle voix claire et dorée avec des inflexions violentes et attendrissantes, qu’elle ne fait qu’enrichir jusqu'à la scène finale du Crépuscule des Dieux.

Et Kirill Petrenko emmène l’orchestre vers des sommets où la musique de Wagner devient un art multidimensionnel dont on ne compte plus la pluralité des plans sonores. Le spectacle est pris dans un univers musical profond, un bouillonnement magmatique dont l’énergie ne cesse de se regénérer par ce que l’on aurait envie d’appeler un 'miracle'.

Les Walkyries

Les Walkyries

Les couleurs des cuivres, amples et parfaitement lissées, émergent d’une fantastique atmosphère de cordes vivantes et mues par de grands mouvements tout en contrastes et nuances. C’est quelque chose d’inouï à entendre, une expérience d’une densité inimaginable, qui ne laisse aucunement transparaître la difficulté du travail nécessaire pour y arriver. Wotan en sort encore plus magnifié dans ses grands monologues.

Siegfried

Burkhard Ulrich (Mime)

Burkhard Ulrich (Mime)

S’il n’y avait qu’un volet à revoir de cette tétralogie, Siegfried serait l’incontournable.
C’est, en premier lieu, l’occasion de découvrir l’incarnation démente qu’en fait Lance Ryan.
Son personnage porte en lui une ambiguïté extrême, une allure romantique mais une voix large au timbre ingrat qui, pourtant, caractérise à merveille cet homme déterminé, attendrissant par sa méconnaissance de ses origines, et violent dans toute son ignorance.

Et au réveil de Brunnhilde, il est même incroyablement touchant d’incrédulité au pied de cette femme qui chante sa joie de revivre enfin.

Der Ring des Nibelungen (Petrenko - Castorf) Bayreuth 2014

Il est très proche, vocalement, du Mime d’ Burkhard Ulrich, lui aussi excellent acteur et chanteur, et Frank Castorf situe leur logis au pied d’un Mont Rushmore sculpté par des visages de grands idéoloques communistes.
L’image est saisissante en ce qu’elle porte comme symbole pesant sur la destinée humaine.

Le combat entre Siegfried et Wotan, livré au sommet de cette montagne dominée par les ombres de la nuit, n’en est que plus dramatique.

Mirella Hagen (L'oiseau) et Lance Ryan (Siegfried)

Mirella Hagen (L'oiseau) et Lance Ryan (Siegfried)

Grand moment de paroxysme, le meurtre de Fafner sur Alexander Platz à coups de mitraillette, suivi de l’assassinat au couteau de Mime, soigneusement replié par Siegfried, se déroule dans des relents orchestraux d’une noirceur suffocante qui en mettra mal à l’aise plus d’un.

Mais il y a également le très bel air de l’oiseau, sous les traits d’une danseuse de cabaret aux splendides volutes de plumes, chanté avec magie par Mirella Hagen, puis l’arrivée d’Erda où, à nouveau, Nadine Weissmann interprète une femme forte et bafouée mais encore soumise à Wotan. Comme dans Rheingold, ses mimiques, quand elle se prépare en essayant toutes sortes de perruques avant de retrouver Wotan, sont génialement drôles. L’argent coule à flots, mais plus pour longtemps.

Catherine Foster (Brunnhilde) et Lance Ryan (Siegfried)

Catherine Foster (Brunnhilde) et Lance Ryan (Siegfried)

Quant au duo d’amour final de Siegfried et Brunnhilde, il est démythifié par Castorf, les deux crocodiles de l’année précédente qui s’agitent à leurs pieds ayant même donné naissance à un petit qui viendra se faufiler parmi le couple. Tout est fait pour distraire de la musique de Wagner, ce qui peut agacer.

Götterdämmerung
 

Cette démythification de l’Amour se prolonge au début du premier acte du Crépuscule des Dieux, même si l’on peut croire à cet échange timide et banal sur un simple banc.

Les trois Nornes chantent magnifiquement, mais Siegfried est cette fois bien plus violent et détraqué que dans la version 2013 du Ring, au milieu de ce décor désolé en briques rouges de l’usine pétrochimique de Schkopau, autant évocateur d’un château en ruine que d’un univers apocalyptique.

Claudia Mahnke est à nouveau une flamboyante Waltraute qui nous engloutit dans un intense et bouleversant moment d’émotion, et elle ne sera dépassée que par Catherine Foster dans la grande scène des adieux, un monument de désespoir humain inoubliable tant elle y met du coeur jusqu'au bout.

 

                                                                                           Alejandro Marco-Buhrmester (Gunther)

 

Dans ce monde finissant, les services de restauration rapide ont remplacé les grands restaurants du système capitaliste post-communiste d'Alexander-Platz, la population noie son ennui dans l'alcool - le choeur en habits bariolés de toutes les couleurs est encore une fois puissant et enjoué - et les caïds dominent l'économie.

Avec Attila Jun, Hagen manque, certes, de noirceur rocailleuse, mais son personnage sordide et révolté est très bien joué et chanté, tout comme le Gunther d’Alejandro Marco-Buhrmester, très bel homme à l’allure androgyne sur cette scène.

Catherine Foster (Brunnhilde)

Catherine Foster (Brunnhilde)

Ensuite vient le meurtre de Siegfried, après son incroyable délire, tué sauvagement à coups de batte de baseball dans les lueurs d’un feu désolé. La marche funéraire est rendue vulgaire pour ne pas glorifier le pseudo-héros, et Brunnhilde incendie le bâtiment néoclassique de Wall Street, avant de rendre l’anneau aux filles du Rhin qui le jettent définitivement au feu. Le monde est détruit dans une totale absurdité, et une dernière vidéo montre un incongru Hagen se laissant entrainer, au gré du courant, sur une barque le long du Rhin.

Kirill Petrenko est un chef immense, sa modestie l’est tout autant.

Kirill Petrenko

Kirill Petrenko

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