Parsifal (Kirch-Libor-Marquardt-Jun-Schabel-ms Bieito-dm Cambreling) Stuttgart
Publié le 2 Avril 2018
Parsifal (Richard Wagner)
Représentation du vendredi 30 mars 2018
Opéra de Stuttgart
Amfortas Markus Marquardt
Gurnemanz Attila Jun
Parsifal Daniel Kirch
Klingsor Tobias Schabel
Kundry Christiane Libor
Titurel Matthias Hölle
Direction musicale Sylvain Cambreling
Mise en scène Calixto Bieito (2010)
Kinderchor der Oper Stuttgart, Staatsorchester Stuttgart
Markus Marquardt (Amfortas)
Il y a seulement 10 ans que Calixto Bieito est entré dans le monde de Richard Wagner en réalisant une nouvelle production du Vaisseau Fantôme pour l'opéra de Stuttgart, premier essai qu'il fera suivre en 2010 par une déconstruction du mythe de Parsifal sur cette même scène.
Jamais reprise depuis, sa transposition de l’œuvre ultime de Wagner dans un univers post-apocalyptique directement inspiré de la nouvelle de Cormac McCarthy, The Road (2006), fait son retour sur scène.
On peut dire que c'est un choc pour le spectateur non averti, aussi bien de par la violence sanglante systématiquement montrée à chaque acte, que par l'accueil dithyrambique démontré par le public du théâtre au salut final.
Une simple portion d'autoroute en béton brisée surplombe l'avant-scène, un de ses blocs git écrasé juste au-dessus de l'orchestre, structure qui sert d’abri et de tribune improvisée pour dominer la situation.
De fantastiques éclairages créent des atmosphères irréelles à travers les brumes et tissent de mystérieux faisceaux à travers des trouées délabrées. Quelques troncs d'arbres sans branches et sans feuilles renforcent l'impression d'isolement et de dangerosité.
La communauté humaine en errance survit par tous les moyens possibles, Gurnemanz rêve d'un nouveau leader mais ne croit pas aux anges-cygnes, dont l'un succombe sous ses coups de fouet avant de devenir victime d'un acte de cannibalisme de la part de Parsifal.
Titurel, en vieux parrain non dénué d'allure, n'est plus écouté, Amfortas, bien intentionné, distribue toutes sortes de bibelots religieux, coupes, croix, bustes ..., sans effet visiblement, puisque le premier acte s'achève sur la seule question qui taraude les survivants du cataclysme : qui est Dieu ?
Le second acte commence par une spectaculaire entrée de Klingsor armé d'un lance-flammes dont le souffle de feu renforce le mouvement vertigineux de la musique. Viol de Kundry, lobotomisation des filles fleurs qui subissent les pires exactions sadiques et sanglantes y compris de Parsifal - il s'agit véritablement du passage le plus dur de la mise en scène -, ce dernier se comporte comme un dangereux abruti avant que l'arrivée de sa mère ne l'entraîne dans un défoulement œdipien qui se conclut par le meurtre extatique de Klingsor.
Aussi excessives que puissent paraitre ces scènes, elles tendent à renforcer la nature malsaine de la sexualité que décrit Wagner dans ce second acte en y associant la souffrance de façon sordide, un cauchemar quelque peu outré.
Mais on voit moins en quoi cette fin signe la chute d'une utopie.
C'est en se rapprochant au plus près de la musique au 3e acte que Calixto Bieito trouve finalement comme seul dénouement salvateur une cérémonie de pacotille dont Parsifal serait l'amuseur.
Recouvert minutieusement de toutes sortes de symboles guerriers et religieux, il devient le chantre d'une communauté qui n'hésitera pas à se débarrasser violemment de Titurel en le massacrant dans son cercueil, juste après que Gurnemanz ait invoqué la béatitude du Vendredi Saint devant une salle illuminée par les bougies de jeunes vierges et d'anges surgis des portes du parterre. Un moment génial de légèreté qui raille les bondieuseries que nous côtoyons dans la vie, pendant que l'orchestre immerge la salle dans la contemplation.
Kundry, enceinte, laisse percevoir une autre issue possible, mais Calixto Bieito préfère en rester là et ne pas croire à l'existence d'un quelconque leader ou d'un type de rituel qui puisse rendre le monde meilleur et compassionnel.
Quoi que l'on ressente de répulsion devant cette mise en scène qui met à l'épreuve le spectateur, l'admiration n'en est que plus grande pour l'entière distribution qui se livre à cet univers sans pitié.
Loin d'incarner un personnage sage, Attila Jun dote singulièrement Gurnemanz d'une voix sonore et monotone qu'il allège avec facilité. Il a de l'endurance et son attitude rustre ajoute de la dureté à nombre de ses expressions.
Impressionnant en Titurel, Matthias Hölle lui élève en quelques mesures une éloquence charismatique, et c'est donc Markus Marquardt qui relève le grand défi d'incarner le seul personnage totalement humain de la communauté, mais qui se montre incapable de s'émanciper de son aïeul - c'est ce travers d'Amfortas qui intéresse Calixto Bieito et non sa relation à Kundry, car la question de la blessure physique est ici éludée.
Le baryton allemand, habituellement attaché à l'opéra de Dresde, dresse ce soir un formidable portrait tourmenté et incisif de l'héritier du royaume, une intensité dramatique qui nous reconnecte avec une humaine vérité poignante.
Daniel Kirch, lui, assombrit la personnalité, si l'on peut dire, de Parsifal par une solide endurance et une tessiture de roc ténébreuse dont les colorations coïncident parfaitement avec la sauvagerie de son monde. A l'aise scéniquement, il ne va pas cependant aussi loin qu'Andrew Richards, son prédécesseur lors de la création, pour exposer fièrement son corps entier, mais reste très charnel dans l'esprit de cette production qui abonde de chair afin de personnifier de la façon la plus crue possible cette histoire dominée par l'ésotérisme de la musique.
Quant à Christiane Libor, bien courageuse pour se plier aux contraintes de cette interprétation, elle a la séduction maternelle suffisante pour user d’une sensualité rassurante une fois passé le tableau odieux des filles-fleurs. Et elle laisse monter graduellement la tension en dissipant noirceur, violence et pénétrance d’aigus saisissantes, quitte à passer parfois en force. Ce centrage sur l’illusion maternelle lui convient d’ailleurs parfaitement, si bien que le Klingsor svelte de Tobias Schabel, bien caractérisé par une voix franche et mordante, paraît toutefois à ses côtés un peu plus frêle.
L’orchestre de l’opéra de Stuttgart, sous la direction enlevée et sans complexe de Sylvain Cambreling, peut alors soulever de larges mouvements noirs aux reflets anthracite, faire chatoyer les vents au grès de l’acoustique généreuse du théâtre, exalter des cuivres ronflants et dérouler des percussions vrombissantes pour développer de grands élans respiratoires au métal tranchant.
Ce n’est pas toujours affiné avec une précision d’orfèvre, mais l’ensemble flanqué d'un chœur splendide se révèle dramatiquement captivant, avec le corps nécessaire pour imprégner l'action scénique d'une force marquante.