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Publié le 2 Février 2025

Der Ring des Nibelungen - Das Rheingold (Richard Wagner – Munich, le 22 septembre 1869)
Répétition générale du 21 janvier 2025 et représentations du 29 janvier, 11 et 19 février 2025
Opéra Bastille

Wotan Iain Paterson
Fricka Eve-Maud Hubeaux
Loge Simon O’Neill
Alberich Brian Mulligan
Mime Gerhard Siegel
Fasolt Kwangchul Youn
Fafner Mika Kares
Freia Eliza Boom
Erda Marie-Nicole Lemieux
Donner Florent Mbia
Froh Matthew Cairns
Woglinde Margarita Polonskaya
Wellgunde Isabel Signoret
Flosshilde Katharina Magiera

Direction Musicale Pablo Heras-Casado
Mise en scène Calixto Bieito (2025)
Nouvelle production

Diffusion sur France Musique le 15 mars 2025 à 20h dans l’émission de Judith Chaîne ‘Samedi à l’Opéra’.

Synopsis                                                                      Marie-Nicole Lemieux (Erda)

Le pacte des géants
Wotan, souverain des dieux, règne sur les géants, les hommes et les nains Nibelungen. Gardien des pactes gravés sur la hampe de sa lance, il a violé un contrat : pour rétribuer les géants Fafner et Fasolt qui lui ont construit le Walhalla, résidence des dieux, il leur a promis la déesse Freia. Mais une fois le Walhalla bâti, désireux de garder Freia dispensatrice aux dieux des pommes de l’éternelle jeunesse, il revient sur sa parole et offre un autre paiement. Les géants acceptent de recevoir le trésor d’Alberich le Nibelung.

Le pouvoir de l’anneau
Alberich a volé l’or gardé par les trois ondines du Rhin ; il en a forgé un anneau qui donne à celui qui le porte, à condition de renoncer à l’amour, la maîtrise du monde. Wotan n’a nulle intention de renoncer à l’amour, mais il veut l’anneau (outre le trésor) et le prend de force à Alberich avec la complicité de Loge, le dieu du Feu.
Le nain lance sur l’anneau une malédiction redoutable.

La malédiction de l’anneau
Wotan remet le trésor aux géants, mais garderait l’anneau si la sage déesse Erda, mère des trois Nornes fileuses du destin, ne l’avertissait du danger que constitue l’anneau, ainsi que de la fin approchante des dieux. Il remet l’anneau aux géants, et la malédiction d’Alberich fait aussitôt son effet : pour avoir la plus grande partie du trésor, Fafner tue son frère Fasolt et s’approprie la totalité. Puis, il va entasser le trésor dans une grotte des profondeurs de la forêt, et pour le garder, se transforme en un monstrueux dragon, grâce au heaume magique forgé par Mime, le frère d’Alberich.
Alors que les dieux entrent dans leur nouvelle demeure, Wotan songe à la race de demi-dieux qu’il prépare pour vaincre le Nibelung.

Iain Paterson (Wotan)

Iain Paterson (Wotan)

Après le Ring de Pierre Strosser, son préféré, donné au Théâtre du Châtelet en 1994, puis celui de Stéphane Braunschweig joué au Festival d’Aix-en-Provence de 2006 à 2009, et enfin celui de Guy Cassier créé pour La Scala de Milan de 2010 à 2013, le nouveau Ring de l’Opéra de Paris confié à Calixto Bieito aurait du être le quatrième monté par Stéphane Lissner au cours de sa carrière de directeur d’opéra.

La pandémie de 2020 ayant entraîné l’annulation scénique de cette nouvelle Tétralogie wagnérienne, Alexander Neef a toutefois réussi à le faire jouer en version de concert à huis clos fin 2020, puis a repris le flambeau en le déclinant sur trois saisons de 2025 à 2027, mais avec une distribution bien différente. Un Ring est toujours l’occasion de fédérer l’ensemble des énergies artistiques et techniques d’une maison lyrique autour d’un projet qui en vaille la peine.

Et à la vision du prologue présenté en ce mois d’hiver, la première question qui se pose est si elle correspond bien au projet initial élaboré par le metteur en scène catalan il y a six ou sept ans.

Katharina Magiera (Flosshilde), Isabel Signoret (Wellgunde), Brian Mulligan (Alberich) et Margarita Polonskaya (Woglinde)

Katharina Magiera (Flosshilde), Isabel Signoret (Wellgunde), Brian Mulligan (Alberich) et Margarita Polonskaya (Woglinde)

Calixto Bieito commence en effet ce Ring par une image assez confuse où l’on voit Alberich, traînant derrière lui un amalgame de câbles numériques et flirtant avec trois plongeuses devant un grand rideau où sont projetées des images fantasmées d’une luxueuse banque remplie de coffres de lingots d’or – la Banque de France a généreusement prêté ses locaux et son matériel de tournage pour monter cette vidéo -. 

Margarita Polonskaya, Isabel Signoret et Katharina Magiera dessinent toutes trois une peinture vocale jeune et lumineuse des ondines, avec une très harmonieuse homogénéité magnifiée par les coloris de l’orchestre.

Mais cette accumulation d’or disparaît subitement lorsque le Nibelung arrache ce rideau et fait tomber l’illusion qui berçait les trois filles, pour faire apparaître un immense monolithe froid et métallique.

Iain Paterson (Wotan) et Eve-Maud Hubeaux (Fricka)

Iain Paterson (Wotan) et Eve-Maud Hubeaux (Fricka)

Comprendre alors que le grand cube noir recouvert de plaques rectangulaires est un immense centre informatique sur lequel veille Wotan n’est pas forcément immédiat pour qui n’est pas suffisamment familiarisé avec les architectures informatiques, mais une fois ce point de vue accepté, la métaphore du pouvoir par l’accumulation du savoir devient évidente, car nous vivons à une époque où le contrôle de l’information est devenu un enjeu majeur de domination et de survie pour le sociétés.

Et à l’origine du mythe, Wotan perdit un œil pour paiement d’avoir bu à la source de la sagesse qui coule entre les racines du frêne sacré, pour en capter le savoir.

Eliza Boom (Freia), Mika Kares (Fafner), Kwangchul Youn (Fasolt), Iain Paterson (Wotan), Simon O’Neill (Loge) et Eve-Maud Hubeaux (Fricka)

Eliza Boom (Freia), Mika Kares (Fafner), Kwangchul Youn (Fasolt), Iain Paterson (Wotan), Simon O’Neill (Loge) et Eve-Maud Hubeaux (Fricka)

A travers une direction d’acteur très bien tenue et agressive, Calixto Bieito met en scène les relations entre Wotan et Fricka, hystérique, Freia et sa famille, violente et masochiste, Loge et Wotan, complice et presque fraternelle, et celle des géants avec leurs donneurs d’ordres, affairiste et sans loi. 

Ce qui frappe d’emblée est la façon dont tous les chanteurs sont investis à fond dans leur interprétation qui décrit un milieu de bandits violents et survoltés.

Dans ce décor noir, meublé uniquement d’un large canapé de salon, Iain Paterson - en remplacement de Ludovic Tézier qui n'a pu répéter car souffrant - incarne un homme de pouvoir sûr de lui et franchement vulgaire, et son Wotan, dont le chant se déploie facilement dans une tessiture dénuée toutefois de toute noirceur, montre une aisance dans la manière d’être et une véritable maîtrise théâtrale.

Eliza Boom (Freia) et Mika Kares (Fafner)

Eliza Boom (Freia) et Mika Kares (Fafner)

Eve-Maud Hubeaux est absolument fascinante de par la félinité gracile et outrancière avec laquelle elle oppose Fricka à un mari qui semble inébranlable, attitude déchaînée qui pourrait être perçue comme trop exagérée par certains spectateurs, mais dépasser ainsi les limites du comportement contrôlé permet aussi de montrer une personnalité qui ne supporte plus de voir la déconsidération des femmes dans ce milieu, et qui entend bien ne pas se laisser faire. Ses aigus sauvages sont d’ailleurs profilés avec une pleine netteté.

Autre chanteur épatant, malgré un timbre très nasal, Simon O’Neill est loin de décrire un Loge sensuel et amusant, mais bien une sorte de riche collaborateur en casquette de baseball, comme signe de réussite, décomplexé mais parfaitement crédible, qui cherche à tirer intelligemment son épingle du jeu. Ses couleurs de voix acérées et la clarté de son élocution contribuent ainsi à lui donner une nature très forte, et à en faire le véritable manipulateur de ce prologue.

Gerhard Siegel (Mime)

Gerhard Siegel (Mime)

Scéniquement, la première partie est une présentation condensée des protagonistes puisque tous les conflits s’étalent autour du grand canapé familial. Mais le basculement vers le Nibelheim – à ce moment, le plateau Bastille se surélève pour révéler l’antre d’Alberich – ouvre sur un large champ de questionnements, puisque l’on y voit le Nibelung maîtriser une importante installation informatique qui vise à instiller la vie à travers des humanoïdes féminins.

Nombre de câbles noirs sinueux, d’écrans colorés installés en forme de croix chrétienne et permettant d’observer l’intérieur du vivant reconstitué, et de bustes plus ou moins complets, font surgir toutes les angoisses contemporaines que générèrent aujourd'hui les recherches à base d’intelligence artificielle pour recréer la vie et lui donner une forme d’immortalité.

Nous sommes au cœur de la problématique soulevée récemment par Elon Musk, par exemple, avec son projet Neuralink d’implantation de puces dans le cerveau humain, qui peut être perçu comme une menace pour la vie en fonction de la nature des hommes qui exercent le pouvoir.

Ces technologies sont aujourd’hui poussées par des intérêts privés et des milliardaires mégalomaniaques, avec également tous les risques d’altération sur le vivant qu’elles font peser.

Brian Mulligan (Alberich)

Brian Mulligan (Alberich)

Au sein de ce laboratoire – un inextricable fatras de science numérique -, le métal de la voix de Brian Mulligan donne à Alberich un mordant saisissant, d’autant plus que l’acteur est prodigieux et que c’est lui qui tire la scène la plus forte de ce premier volet, car nous y voyons par quel moyen un Wotan pourrait, en s’emparant de ces moyens, réaliser son emprise sur le monde sans agir directement. 

L’apparition tourmentée de Fricka, en surplomb de cette scène, peut signifier qu’elle a perçu le danger pour elle et les autres femmes de ne plus être à l’origine naturelle du monde.
Mais cette grande scène du Nibelheim montre aussi le poids de multiples asservissements. Il y a d’abord celui de Mime, frère et manœuvre d’Alberich, violenté par ce dernier, qui a fabriqué le Tarnhelm, un casque humanoïde basé sur des technologies de réalité virtuelle, selon l’interprétation de cette production.

Eliza Boom (Freia)

Eliza Boom (Freia)

Non seulement Gerhard Siegel joue avec force la victimisation de Mime à travers toutes ses souffrances, mais il lui offre un rayonnement vocal très percutant avec une projection bien assurée et une plénitude de couleurs.

Il y a ensuite l’asservissement d’Alberich à l’anneau d’or qu’il porte autour du cou de façon pesante, et que Wotan aura encore plus de mal à soutenir quand il le portera devant Fricka, une fois de retour au pied du Walhalla.

Enfin, Loge se permet de tenir le Nibelung en laisse de façon très dominatrice pour lui substituer l’anneau.

C’est le risque de subordination de toute l’humanité qui est ici soulevé avec effroi, les manipulateurs pouvant eux-mêmes devenir les manipulés.

Iain Paterson (Wotan) et Eve-Maud Hubeaux (Fricka)

Iain Paterson (Wotan) et Eve-Maud Hubeaux (Fricka)

La dernière partie reprend le cours des échanges conflictuels au sein du clan familial, mais l’on voit cette fois Wotan plier devant l’anneau et les injonctions de Fricka munie de la lance, en geste inversé, et Erda, incarnée par Marie-Nicole Lemieux grimée en mendiante et dont le style déclamatoire fier est étrangement clair pour une contralto, arbore une attitude caressante et séductrice vis-à-vis de celui qui sera le père de ses Walkyries.

C’est le moment où la nature féminine retrouve pour un instant sa place essentielle, car ensuite, Freia, inspirée par la fraîcheur dramatique d’Eliza Boom, s’infligera une automutilation en se recouvrant d’un fluide noir auquel Loge cherchera à mettre le feu, signant de fait la destruction de la vie et de la jeunesse, et la forte responsabilité de celui qui symbolise le mieux l’appât du gain et la destruction de l’environnement naturel.

Iain Paterson (Wotan) et Eve-Maud Hubeaux (Fricka)

Iain Paterson (Wotan) et Eve-Maud Hubeaux (Fricka)

Et, auparavant, la scène de la montée au Walhalla se sera déployée avec l’émergence spectaculaire d’un immense pont recouvert de câbles noirs et tortueux qui permettra à Wotan de prendre le pouvoir sur le savoir universel au sein de son centre d’information.

Le meurtre de Fasolt par Fafner est, lui, joué par un geste d’étranglement afin de n’en faire qu’un acte gratuit et médiocre, les deux frères étant chantés respectivement par la belle prestance nobiliaire de Kwangchul Youn, et les inflexions mélancoliques de Mika Kares. Et même le rapport de Fasolt à Freia, pourtant doté d’un beau motif musical tristanesque, est traité de façon agressive.

Enfin, le baryton camerounais Florent Mbia, actuel membre de la troupe lyrique, développe une ligne très équilibrée ce qui pose un Donner bien présent et perméable à l’ambiance violente qui règne sur scène, alors que Matthew Cairns joue un discret Froh aux apparences de prophète, probablement parce qu’il ne souhaite pas renoncer à l’amour, dans un sens plus chrétien.

Simon O’Neill (Loge) et Eliza Boom (Freia)

Simon O’Neill (Loge) et Eliza Boom (Freia)

Cette première représentation de ‘L’Or du Rhin’ est aussi l’occasion d’assister aux débuts dans la fosse de l’Opéra Bastille de Pablo Heras Casado, principal directeur musical invité du Teatro Real de Madrid depuis 2014, où il a dirigé le Ring dans la production de Robert Carsen.

La scène d’ouverture avec les filles du Rhin est très réussie aussi bien pour la tension orchestrale que pour les flamboiements des motifs qui se mêlent à irradiance des trois chanteuses.

D’un geste qui s’avère fortement théâtralisant, riche en couleurs et en intensité, le chef d’orchestre andalou recherche l’effet en se mettant au service de la dramaturgie incisive de Calixto Bieito, avec une excellente précision rythmique.

Il se permet une certaine massivité du son sans sacrifier à la finesse des détails, impulse aux musiciens de l’Orchestre de l’Opéra de Paris des mouvements galvanisants toujours bien timbrés, si bien que l’ensemble a déjà beaucoup d’allure et laisse penser que cette électrisation du discours risque de se renforcer aux représentations qui vont suivre.

Pablo Heras-Casado

Pablo Heras-Casado

Calixto Bieito achève ce prologue sur une image d’un jeune bébé dont le cerveau est déjà hérissé d’implants numériques, manière aussi bien de s’adresser au spectateur dans son rapport à la société de l’information, que de suggérer ce qui pourrait arriver à l’humanité qui va naître au cours des prochains volets d’un Ring qui intrigue par la ligne qu’il vient d’amorcer.

Mika Kares, Kwangchul Youn, Simon O’Neill, Iain Paterson, Brian Mulligan et Eve-Maud Hubeaux

Mika Kares, Kwangchul Youn, Simon O’Neill, Iain Paterson, Brian Mulligan et Eve-Maud Hubeaux

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Publié le 13 Juin 2022

Parsifal (Richard Wagner – 1882)
Représentations du 06 et 12 juin 2022
Opéra Bastille

Amfortas Brian Mulligan
Titurel Reinhard Hagen
Gurnemanz Kwangchul Youn
Klingsor Falk Struckmann
Kundry Marina Prudenskaya
Parsifal Simon O'Neill
Erster Gralsritter Neal Cooper
Zweiter Gralsritter William Thomas
Vier Knappen Tamara Banjesevic, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Tobias Westman, Maciej Kwaśnikowski
Klingsors Zaubermädchen Tamara Banjesevic, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Ramya Roy, Kseniia Proshina, Andrea Cueva Molnar, Claudia Huckle
Eine Altstimme aus der Höhe Claudia Huckle                  
Simon O'Neill (Parsifal)

Direction musicale Simone Young
Mise en scène Richard Jones (2018)

La nouvelle production de ‘Parsifal’ par Richard Jones ayant souffert en 2018 d’un accident de plateau qui avait engendré l’annulation de la moitié des représentations, une reprise quatre ans plus tard était nécessaire pour en faire profiter le plus de spectateurs possible.

Marina Prudenskaya (Kundry)

Marina Prudenskaya (Kundry)

Ces dernières années, l’ouvrage a connu à Paris et à l’étranger des mises en scène fortes, intelligentes et d’une grande complexité de la part de Stefan Herheim (Bayreuth 2008), Krzysztof Warlikowski (Opéra Bastille 2008), Calixto Bieito (Stuttgart 2010) ou bien plus récemment Kirill Serebrennikov (Vienne 2021), si bien que celle de Richard Jones se présente comme une antithèse qui choisit de raconter l’histoire de manière factuelle sans tenir compte de la symbolique attachée aux divers objets ou à son contexte chrétien.

Les faits se déroulent au sein d’une confrérie d’aujourd’hui (les tuniques vertes des adeptes sont marquées de l'année 1958 en caractères romains) qui veille les derniers jours de son maître spirituel et opère un rite autour d’une coupe dorée dans l’espoir de retrouver l’autre objet perdu par Amfortas, la lance.

Klingsor est présenté littéralement comme celui qui « a fait du désert un jardin de délices où poussent de démoniaques beautés », comme le raconte Gurnemanz au premier acte, et devient ainsi un généticien inventeur de créatures mi-humaines mi-plantes que Parsifal affrontera et détruira. Mais dès l’arrivée de Kundry au second acte, le metteur en scène ne travaille plus qu’une seule idée afin de montrer par un jeu d’ombres habile la métamorphose de celle-ci, mère protectrice, en femme séductrice.

Kwangchul Youn (Gurnemanz) et William Thomas (Second chevalier)

Kwangchul Youn (Gurnemanz) et William Thomas (Second chevalier)

Le principal atout de cette dramaturgie est de reposer sur un immense décor tout en longueur qui bénéficie des larges espaces latéraux de la scène pour défiler selon les différents lieux de l’action de manière totalement fluide. Richard Jones arme Parsifal d’un glaive pour bien montrer que la lance n’est qu’un objet décoratif, et non une arme magique et destructrice, et une fois de retour dans la communauté, le jeune innocent libère ses occupants en leur faisant prendre conscience qu’ils doivent se libérer avant tout de leur endoctrinement et des ‘mots’ (‘Wort’ en allemand) qui les éloignent de la vie.

Parsifal part ainsi avec Kundry vers une nouvelle spiritualité, et Jones, par son refus de relire le texte de l’ouvrage, montre à travers sa mise en scène toute la distance qu’il entretient avec ce texte qu’il invite de manière sous-jacente à laisser de côté.

Parsifal (O'Neill Prudenskaya Mulligan Young Jones) Opéra de Paris

Simone Young n’était jusqu’à présent venue qu’une seule fois à l’Opéra de Paris à l’occasion de la production des 'Contes d’Hoffmann' jouée sur la scène Bastille dans la mise en scène de Roman Polanski en octobre 1993.

Pour son retour près de trois décennies plus tard, elle se saisit d’un orchestre éblouissant avec lequel elle se livre à une lecture mesurée dans le prélude pour gagner progressivement en ampleur à partir de la scène du rituel du premier acte. Avec beaucoup de réussite dans les moments spectaculaires où la puissance des percussions et des cuivres soulève la masse orchestrale tout en préservant la chaleur du son, elle met magnifiquement en valeur la poésie et la rondeur des timbres et s’approprie l’entièreté de l’espace sonore avec une grande clarté. Et si elle ne laisse aucun silence s’installer, transparaît surtout une envie de ne pas rompre la narration et le mouvement des chanteurs et de les emporter dans une grande respiration symphonique d’une superbe luminosité. C’est particulièrement convaincant lors de la confrontation entre Parsifal et Kundry où il ne se passe quasiment rien sur une scène sombre et dépouillée.

Brian Mulligan (Amfortas)

Brian Mulligan (Amfortas)

Les ensembles de chœurs sont également splendides, et parfois féroces pour ceux qui sont sur scène, d’une élégie un peu tourmentée pour ceux qui œuvrent dans les coulisses, et d’une touchante picturalité pour les femmes situées en couloirs de galeries.

On ne présente plus Kwangchul Youn qui chante Gurnemanz sur toutes les scènes du monde et qui a laissé un souvenir mémorable dans la production de Stefan Herheim à Bayreuth. Le timbre est dorénavant plus austère mais toujours d’une pleine homogénéité si bien qu’il incarne une sagesse un peu taciturne. 

Doué d’une tessiture acide et très claire qui évoque plus naturellement l’héroïsme tête-brûlée de Siegfried, Simon O'Neill n’en est pas moins un Parsifal intéressant par la précision de son élocution et la détermination qu’il affiche, imperturbable en toute situation. Son endurance dénuée de tout glamour est un atout précieux car elle assoit un caractère viril fort.

Simon O'Neill (Parsifal) et Marina Prudenskaya (Kundry)

Simon O'Neill (Parsifal) et Marina Prudenskaya (Kundry)

Brian Mulligan ne fait certes pas oublier les accents de tendresse blessée qui font le charme des incarnations de Peter Mattei, sa voix métallique est cependant une gangue impressionnante pour faire ressentir les tortures de douleurs presque bestiales que subit Amfortas, et son personnage est en tout cas bien mieux dessiné que celui de Klingsor auquel Falk Struckmann apporte une certaine expressivité rocailleuse qui solidifie beaucoup trop le magicien dans une peinture prosaïque.

La Kundry de Marina Prudenskaya est évidemment le portrait le plus fort de la soirée, elle qui est corporellement si souple et fine et qui dispose pourtant d’une voix aux graves très développés. D’une très grande aisance théâtrale, les exultations en tessiture aiguë se font toujours avec une légère adhérence pour finalement s’épanouir en un tranchant vif et coloré, et ce mélange de sensualité et de monstruosité en fait un véritable caractère wagnérien troublant.

Marina Prudenskaya, Ching-Lien Wu, Simone Young et Simon O'Neill

Marina Prudenskaya, Ching-Lien Wu, Simone Young et Simon O'Neill

Et les filles fleurs intensément vivantes de Tamara Banjesevic, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Ramya Roy, Kseniia Proshina, Andrea Cueva Molnar et Claudia Huckle, ont de quoi impressionner par leur débauche de traits fusés avec une violence implacable.

Enfin, parmi les rôles secondaires, Maciej Kwaśnikowski se fait remarquer par sa droiture et sa clarté juvénile, ainsi que William Thomas pour sa noble noirceur hypnotique.

Malgré toutes les réserves que l’on peut avoir sur le parti pris de la mise en scène qui trivialise beaucoup trop le livret, la beauté de cette interprétation musicale sublime tout, d’autant plus que la dernière représentation s’est jouée sans surtitres sur le panneau central, ce qui a accru la prégnance de la musique et permis de voir nombre de spectateurs échanger aux entractes sur le sens de ce qu’ils venaient de voir.

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Publié le 6 Février 2013

Parsifal (Wagner)
Version de concert du 02 février 2013
Teatro Real de Madrid

Amfortas Matthias Goerne
Titurel Victor von Halem
Gurnemanz Kwangchul Youn
Klingsor Johannes Martin Kränzle
Kundry Angela Denoke
Parsifal Simon O ‘Neill

Direction Musicale Thomas Hengelbrock
Balthasar-Neumann-Ensemble
Balthasar-Neumann-Chor
Petits chanteurs de la JORCAM
Solistes du choeur des garçons de l’Académie Dortmund Chorale

                                                                                                        Angela Denoke (Kundry)

Réunir pour trois soirées de grands chanteurs et un orchestre aussi typé et coloré que le Balthasar-Neumann-Ensemble, quand la pression financière se fait sentir à son plus fort, est un luxe qui est rendu possible grâce à un accord vertueux entre le Teatro Real, le Konzerthaus de Dortmund et la Philharmonie d’Essen.

Cet orchestre germanique, qui exalte une gamme fabuleuse de sonorités baroques, peut lever une formation de cent musiciens parmi lesquels pas moins de soixante cordes en forment le flot harmonique tendre.

Kwangchul Youn (Gurnemanz)

Kwangchul Youn (Gurnemanz)

Rien qu’à la manière dont il est disposé sur scène, l’ensemble est magnifique pour le regard, avec ses deux flancs de douze violons chacun étagés en pente, sur des gradins, des violoncelles, contrebasses et autres cordes se répartissant en arrière plan devant une phalange de vents et de cuivres, d’où émergent les rondeurs d’un superbe cor doré juxtaposé à un système froid de percussions noires, et les ornements de deux harpes monumentales.

Et, pour accorder le confort visuel et sonore avec une atmosphère chaleureuse et intime, une structure en bois enserre tout l’orchestre latéralement et supérieurement, alors que les éclairages diffusent une lumière ambrée réfléchie par la matière boiseuse, devant une monographie de la forêt environnant le château de Montsalvat.

Angela Denoke (Kundry)

Angela Denoke (Kundry)

A l’écoute, le son à l’ancienne évoque la simplicité harmonieuse de la musique de chambre - on pourrait se croire, parfois, dans quelques passages de la Flûte enchantée - et l’ampleur de l’orchestre renvoie une lumière claire qui fait ressortir les moindres dessins de chaque instrument avec une très belle finesse. Les stries des cordes parcourent en surface le tissu orchestral, les cuivres y fusionnent en sourdine comme une langue rougeoyante, et Thomas Hengelbrock enlace le tout avec un amour visible sur les moindres syllabes qu’il semble prononcer en doublant le texte de chaque chanteur.

L’ensemble est splendide, et l’on peut même remarquer avec quelle belle manière les instrumentistes s’impliquent. Ainsi se lit sur le visage d’une jeune violoncelliste la vie intérieure qu’elle emporte dans son interprétation, comme si le chef n’existait plus, uniquement guidée par son lien intuitif à la musique.

Ce n’est qu’au dernier acte, peut-être, que la volonté d’entendre plus de la profonde noirceur emphatique qui empreint la musique prend un peu le dessus sur la contemplation sensible et auditive que prodigue une telle transparence.

Simon O'Neill (Parsifal)

Simon O'Neill (Parsifal)

Comme on peut aisément le constater, la précision du phrasé et les couleurs vocales des chanteurs sont avantageusement mises en valeur.
Kwangchul Youn, un maître du rôle de Gurnemanz que l’on a pu entendre à Bayreuth l’été dernier, est un prodige de sagesse, clair et intériorisé, Simon O’ Neill s’investit d’un Parsifal décomplexé, facilement vaillant, mais tout de même plus proche d’un Siegfried primaire car l’émission aigue lui soustrait de la tendresse et le fait apparaître trop fier.

Dés son arrivée, Angela Denoke est magnifique, les couleurs de sa tenue de scène changeant en fonction de la tonalité de la musique de chaque acte, chemisier gris pour le premier et le dernier,  robe rouge longuement effilée sur les chromatismes du second.
Elle conserve une attitude intérieurement torturée et mystérieuse, chante avec un timbre d’une noirceur polie superbement boisée, transpose quelques aigus pour ne pas entraîner de rupture trop saillante et, de bout en bout, la tristesse humaine de son visage est d’une beauté esthétique qui fait d’elle une œuvre d’art vivante.

Angela Denoke (Kundry)

Angela Denoke (Kundry)

Annoncé souffrant, Matthias Goerne en tire partie en appuyant la blessure maladive d’Amfortas. La souplesse de son corps, qui s’étire et se replie tendrement, se retrouve dans le moelleux du timbre, plus sombre que d’habitude, ce qui poétise son personnage avec une innocence retrouvée.

Trop neutre de présence, Johannes Martin Kränzle n’impose pas de stature suffisante à Klingsor, ce qui valorise encore plus, mais qui s’en plaindra, Angela Denoke.
Toujours aussi impressionnant et lugubre, Victor von Halem interprète un Titurel que l’on ne verra qu’au rideau final, car il restera, pour ses quelques apparitions, dissimulé dans l‘ombre supérieure de la loge royale.

Petits chanteurs de la Jorcam et le Balthasar-Neumann-Chor

Petits chanteurs de la Jorcam et le Balthasar-Neumann-Chor

Enfin, tous, sans doute, ont été éblouis par le Balthasar-Neumann-Chor, par les voix claires masculines qui s’allient aux voix féminines pour renvoyer une tonalité à la fois élégiaque et charnelle, par la lumière des petits chanteurs de la Jorcam, situés le plus en hauteur de la scène, sous la gravure embrumée des arbres de la forêt, et par les deux petits solistes du chœur des garçons de l’Académie Dortmund Chorale, pour lesquels on admire la tenue face à une salle entière.

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Publié le 26 Août 2008

West-Eastern Divan Orchestra

Concert du 25 août 2008 à la salle Pleyel

Variations op. 31, de Schoenberg

Ier acte de la Walkyrie

Siegmund Simon O'Neill   Sieglinde Waltraud Meier    Hunding René Pape

Direction Daniel Barenboim

Nul doute que les variations de Schoenberg n’étaient pas le clou de la soirée, pourtant force est de constater que cette musique est réellement inspiratrice tant elle donne le sentiment de décrire une action complexe faite d’intenses séquences, un peu à la manière des films d’Hitchcock, et d’ambiances plus frivoles, flûte et clarinette souplement libérées.

Waltraud Meier (Sieglinde)

Waltraud Meier (Sieglinde)

Très intéressante ouverture de la Walkyrie, tendue et plutôt sèche, qui s’ouvre sur un univers où les multiples ondes orchestrales s’entrelacent admirablement sous la direction efficace de Daniel Barenboim mais tout en laissant les cuivres à des éclats un peu plus pâles.

 

L’ impressionnant Hunding de René Pape emplit la salle entière en toute facilité, et le valeureux Siegmund de Simon O’Neill, voix bien dirigée, très claire et souple, donne un côté saillant plus proche du guerrier héroïque que de l’amoureux romantique.

 

Et en toute évidence, Waltraud Meier est toujours aussi épatante, crédible même en version concert, passant de la résignation au ravissement extatique d’une manière belle à pleurer car rien ne trahit la moindre faiblesse après tant d’années d’engagement scénique. Ces moments là comptent, et nous le savons.

 

Après ce premier concert parisien de la saison, parisien mais pas avec la superficialité de certains concerts qu’il est parfois vital de fuir, Daniel Barenboim profite de la fin de la tournée estivale du West-Eastern Divan Orchestra pour rappeler que c’est aujourd’hui l'un des rares cadres qui permette à ces musiciens du Moyen Orient de se rencontrer, politiquement inacceptable dans cette région.

Le West-Eastern Divan Orchestra, Simon O'Neill, Daniel Barenboim, Waltraud Meier

Le West-Eastern Divan Orchestra, Simon O'Neill, Daniel Barenboim, Waltraud Meier

Mais qui peut croire aujourd’hui que la politique est l’art d’améliorer le cadre de vie des peuples de manière équitable, et qui peut croire réellement que les citoyens des sociétés occidentales ont sincèrement cette motivation?

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