Publié le 8 Août 2024
Der Ring des Nibelungen (Richard Wagner - 1849/1876)
Bayreuther Festspiele 2024
28 juillet - Das Rheingold
29 juillet - Die Walküre
31 juillet - Siegfried
02 août - Götterdämmerung
Direction Musicale Simone Young
Mise en scène Valentin Schwarz (2022), Dramaturgie Konrad Kuhn
Décors Andrea Cozzi, Costumes Andy Besuch
Lumières Reinhard Traub, Video Luis August Krawen
Wotan Tomasz Konieczny Brünnhilde Catherine Foster
Siegmund Michael Spyres Sieglinde Vida Miknevičiūtė
Siegfried Klaus Florian Vogt Hagen Mika Kares
Loge John Daszak Alberich Olafur Sigurdarson
Erda Okka von der Damerau Gunther Michael Kupfer-Radecky
Hunding Georg Zeppenfeld Mime Ya-Chung Huang
Fasolt Jens-Erik Aasbø Fafner Tobias Kehrer
Fricka / Waltraute (Götterdämmerung) / Schwertleite Christa Mayer
Freia / 3. Norn Christina Nilsson Rossweisse / 1.Norn Noa Beinart
Grimgerde / Flosshilde Marie Henriette Reinhold Woglinde Evelin Novak
Siegrune / 2. Norn Alexandra Ionis Waltraute Claire Barnett-Jones
Wellgunde Natalia Skrycka Gutrune Gabriela Scherer
Helmwige Dorothea Herbert Froh Mirko Roschkowski
Gerhilde Catharine Woodward Ortlinde Brit-Tone Müllertz
Waldvogel Alexandra Steiner Donner Nicholas Brownlee
Créé à l’été 2022, le ‘Ring’ mis en scène par Valentin Schwarz devrait être celui qui aura connu le plus faible nombre de cycles de l’histoire du Festival de Bayreuth (mis à part celui de Richard Wagner qui ne connut que 3 cycles l’année de sa création en 1876), car avec seulement 8 cycles programmés en 3 ans, il devrait atteindre pour sa dernière saison en 2025 un total de 10 cycles, bien moins que les 12 (Peter Hall) à 16 cycles (Patrice Chéreau, Franz Castorf) des productions précédentes.
Néanmoins, le metteur en scène allemand a retravaillé depuis 2022 certains points de manière à rendre plus lisible une trame qui place au cœur du Ring l’obsession mortifère de Wotan pour s’assurer une descendance. L’Or du Rhin est donc initialement identifié comme un enfant maléfique dont s’empare Alberich, et que cherche à récupérer Wotan – il s’agira de Hagen -. Il lui échappera, mais toute la dramaturgie montre comment ce chef de clan familial va se focaliser sur la recherche d’un autre espoir.
La mort de Fafner, personnage présenté comme l’ancêtre commun à Alberich et Wotan, devient le point de départ des destins divergents de Siegfried et de Hagen, qui se retrouveront plus tard chez Gunter et Gutrune, nouveaux riches dégénérés.
Siegfried, représenté ici comme un homme conventionnel enlisé dans une vie bourgeoise avec Brünnhilde qui ne lui convient plus, se laisse prendre par ce milieu perverti lors d’une soirée costumée qui fait écho au film ‘Eyes wide shut’ de Stanley Kubrick - la scène festive et d'orgie n'était pas montrée en 2022 -, et l’échec total de Wotan, apparaissant pendu, est cette fois clairement souligné lors de la conclusion finale du ‘Crépuscule des Dieux’.
Même si le développement théâtral est conséquent, il sert un scénario librement inspiré de la Tétralogie qui n’en approfondit aucun des thèmes.
Ces retouches n'empêcheront pas Valentin Schwarz d'essuyer beaucoup de huées à la fin de ce premier cycle 2024, mais le soutien apporté par une autre partie du public montre que cette appréciation est très nuancée selon les attentes de chacun.
Pour cette reprise, on retrouve le Wotan de Tomasz Konieczny et l’Alberich de Olafur Sigurdarson présents dès la création. Si le premier dégage une vraie personnalité avec des moments de fureurs impressionnants, ses changements d’intonations ternissent parfois des passages plus subtils. ‘Siegfried’ est néanmoins le volet qui le montre à son meilleur, comme si le Wanderer menait un baroud d’honneur avec une très grande détermination.
Face à lui, le baryton islandais dessine à nouveau un chef des Nibelungen (ces derniers sont cependant absents de la vision de Schwarz) toujours aussi impactant, avec un métal dans la voix qui accroche et lui donne une dimension impressionnante, un véritable monstre de volonté à la hauteur de Wotan.
D’ailleurs, Nicholas Brownlee, distribué dans le rôle de Donner, montre dans ‘Rheingold’ qu’il a lui aussi la présence et l’ampleur d’un Wotan, ce que Vienne et Munich pourront apprécier très prochainement.
Parmi les rôles n’intervenant qu’épisodiquement, se font aussi remarquer John Daszak (Loge) avec sa grande clarté déclamatoire qui ravit par son aisance expressive, Ya-Chung Huang qui joue un inhabituel Mime humain et affectif avec son timbre lyrique et légèrement ombré, la Freia irradiante et dramatique de Christina Nilsson, l’Erda très homogène et imperturbable, sans noirceur prononcée, d’Okka von der Damerau, la Gutrune repentie à cœur ouvert de Gabriela Scherer, ou bien la première norne de Noa Beinart, aux graves fortement résonnants.
Georg Zeppenfeld est bien sûr impeccable en Hunding, parlant comme il chante avec un mélange d’autorité et d’humanité inimitable, Christa Mayer donne de l’ampleur à Fricka et Waltraude avec des couleurs chamarrées mais qui la mûrissent trop, et Mika Kares a une noblesse de tessiture diaphane qui tranche avec les Hagen plus anguleux et caverneux entendus dans ce rôle, ce qui le rend insaisissable mais peu inquiétant.
Mais ce Ring opère un véritable renouvellement grâce à quatre chanteurs d’exception; ‘Die Walküre’ est en premier lieu l’occasion de découvrir un nouveau couple Siegmund / Sieglinde sous les traits de Michael Spyres et de Vida Miknevičiūtė. Le baryténor américain, qui s’est illustré principalement dans les répertoires mozartien, rossinien et français du XIXe siècle, fait une prise de rôle wagnérienne inattendue. Il faut reconnaître qu’il ne manifeste aucune difficulté - et se montre même plutôt démonstratif -, assoit un timbre velouté assez inhabituel dans ce rôle, mais utilise aussi son habileté à changer soudainement de couleur vocale, sans altérer pour autant ses propres qualités de souplesse, ce qui rend sa personnalité un peu instable. Aucun problème de puissance dans le Festspielhaus, son interprétation chaleureuse lui vaudra un accueil tout autant chaleureux.
Malheureusement, en en faisant un paumé marginalisé, Valentin Schwarz n’a pas le bon goût de le soigner physiquement, alors que ce chanteur mérite une tout autre mise en valeur scénique.
En Sieglinde, la soprano lituanienne Vida Miknevičiūtė offre un portrait vocal qui a le même caractère déchirant que celui de Christina Nilsson en Freia, mais avec encore plus d’intensité et de complexité de couleurs. Par rapport à sa Chrysothémis de Salzburg en 2021, elle a gagné en consistance et soyeux sans rien perdre de ses facultés percutantes mêlées à une fragilité sous-jacente.
C’est dans la mise en scène de Frank Castorf que le public de Bayreuth a pu assister à l’envol de Catherine Foster dans le rôle de Brünnhilde. Depuis son second acte encore trop prudent en 2013, à son incarnation pleine et assurée en 2014, la soprano britannique a acquis une envergure qui en jette plein la vue. Superbe rayonnement vibrant excellemment projeté, aigus faciles avec style, elle manifeste une légère incertitude uniquement au final du 3e acte de ‘Siegfried’ sans en altérer la force exaltante, pour achever sur un ‘Götterdämmerung’ éclatant avec une touchante sensibilité de timbre.
Quant à Klaus Florian Vogt, lui qui fit sa prise de rôle de Siegfried au printemps 2023 à Zurich, il forme avec Catherine Foster un duo éblouissant. Comme très souvent dans les opéras wagnériens, toute la beauté, la grâce et la puissance de ce magnifique chanteur s’épanouissent dans les derniers actes de ‘Siegfried’ et ‘Götterdämmerung’, où il est le seul à pouvoir faire retentir sa voix d’un éclat d’or tout en dégageant une candeur poétique inouïe.
Tous deux vont au bout de leur rôle, et les voir donner autant avec une telle sensibilité vous emplit d'une joie chevillée au corps.
Si la réussite musicale de ce ‘Ring’ permet de pallier à la déception scénique, elle le doit beaucoup à la distribution réunie à cette occasion, mais aussi à la direction musicale de Simone Young qui est probablement la plus grande surprise de cette reprise.
Assistante de Daniel Barenboim au Festspielhaus en 1991 et 1992, à l’occasion du Ring de Harry Kupfer, la cheffe d’orchestre australienne révèle qu’elle a Bayreuth dans le sang. A travers une lecture splendide qui unifie la complexité d’écriture avec un excellent sens dramatique et de l’élan pour les chanteurs, elle porte l’Orchestre du Festival à son meilleur, faisant vivre les lignes wagnériennes avec une grande clarté, riche en couleurs et mouvements expressifs, donnant de la puissance aux cuivres avec une belle souplesse, et, surtout, faisant de la musique une peinture de caractères qui se fond idéalement à l’éloquence de chacun des solistes.
Le plus bel exemple de ce travail se trouve dans le 3e acte de ‘Götterdämmerung’ où la solennité qu’elle exprime se déroule avec un naturel saisissant sans virer à la grandiloquence, dégageant ainsi un fort sentiment humain.
L’accueil en délire que lui réserve le public pour ce grand voyage merveilleux qui transcende la narration scénique l’a manifestement beaucoup touchée, et Bayreuth n’oubliera pas aussi bien sa joie que celle qu’elle a su apporter à tous, artistes et spectateurs enchantés.
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