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Publié le 8 Octobre 2024

Turandot (Giacomo Puccini – 25 avril 1926, Scala de Milan)
Représentation du 06 octobre 2024
Bayerische Staatsoper München

La principessa Turandot Saioa Hernández
L'imperatore Altoum Kevin Conners
Timur, Re tartaro spodestato Vitalij Kowaljow
Il principe ignoto (Calaf) Yonghoon Lee
Liù Selene Zanetti
Ping Thomas Mole
Pang Tansel Akzeybek
Pong Andrés Agudelo
Un mandarino Bálint Szabó
Il principe di Persia Andrés Agudelo

Direction musicale Antonino Fogliani
Mise en scène Carlus Padrissa - La Fura dels Baus (2011)

En pleine ascension tardive au répertoire du Bayerische Staatsoper où l’ultime opéra de Giacomo Puccini a dorénavant rejoint les 30 premiers titres les plus joués des 25 dernières années grâce à la production de Carlus Padrissa - l’un des six directeurs artistiques de ‘La Fura dels Baus’ – créée sur les planches munichoises le 03 décembre 2011, ‘Turandot’ trouve dans cette réalisation une lecture d’une grande force expressive qui axe toutefois son propos sur la nature tortionnaire du régime chinois.

Saioa Hernández (La principessa Turandot)

Saioa Hernández (La principessa Turandot)

Ainsi, rarement Ping, Pang et Pong n’apparaîtront de façon aussi sordide comme les rouages majeurs de la machine répressive de Turandot, entreprenant au second acte une danse macabre devant un immense amas de crânes auxquels des vidéographies numériques stylisées ajouteront un vrai sentiment de malaise.

Cette machine répressive se manifeste sur scène à travers un discret service d’ordre se mélangeant à des mouvements de foules parfois exotiques, que ce soit par la présence de danseurs de hip-hop ou de patineuses qui se révèlent, elles, naturellement plus évocatrices de la nature ondoyante de la musique.

La plus troublante image du chœur proviendra pourtant d’un groupe d’enfants habillés en tenues blanches illuminées, trainant le char du Prince de Perse sacrifié comme si l’inconscience de l’enfance se laissait d’emblée pervertir pour devenir complice du système.

Turandot (Hernández Lee Zanetti Fogliani Padrissa) Munich

 

Des vidéographies se superposent à la scénographie pour renvoyer des images en lien avec les ressorts dramatiques et violents en jeu, ou bien pour représenter la glace intérieure de Turandot qui s’effondre sous forme d’immenses icebergs se dégradant au fur et à mesure que Calaf résout les énigmes.

A cela s'ajoutent des lunettes 3D prêtées au public qui permettent de visualiser les effets psychédéliques qui s’animent autour d’un large anneau descendant des cintres pour envelopper Turandot, sans que celles-ci soient pour autant l’attraction majeure de cette lecture flamboyante.

Selene Zanetti (Liù)

Selene Zanetti (Liù)

La version choisie étant celle inachevée par Puccini, l’opéra se termine sur la mort de Liù qui est mise en scène de façon très cruelle, car la jeune femme subit l’horrible supplice du bambou, pousse dure à croissance rapide pouvant transpercer la chair en quelques jours.

Si cette vision de la Chine est effrayante mais aussi haut-en-couleur au moment de l’entrée de celle-ci dans la société de consommation et de la drogue, le spectacle regorge de références symboliques et calligraphiques, mais a pour paradoxe de peu mettre en valeur les liens sentimentaux entre les personnages simples, Calaf, Liù et Timur, pour, au contraire, humaniser Turandot en la faisant descendre de son piédestal et la montrer en relation directe avec les personnages principaux.

Il est même rendu compte de son drame intérieur à travers une vidéo sombre montrant une jeune femme fuyant à travers la forêt mais ne pouvant échapper à un viol.

Saioa Hernández (La principessa Turandot)

Saioa Hernández (La principessa Turandot)

Pour cette reprise qui en est à sa 42e représentation en 13 ans, la soprano espagnole Saioa Hernández investit à nouveau le personnage de Turandot, un an après sa prise de rôle au Teatro Real de Madrid en juillet 2023, et son superbe aplomb s’impose sans faille d’autant plus qu’elle maîtrise une tessiture absolument inaltérable même dans les aigus les plus hauts et puissants.

Elle domine ainsi constamment l’orchestre, y compris dans les passages les plus éruptifs, en nourrissant et enrichissant le son d’une manière dynamique qui préserve l’unité de la texture vocale.

Il y a donc beaucoup d’assurance dans cette Turandot inflexible mais moins distante que d’autres interprétations, douée d’une humanité austère et sophistiquée à la fois.

Yonghoon Lee (Calaf)

Yonghoon Lee (Calaf)

Son partenaire, Yonghoon Lee, qui a abordé le rôle de Calaf pour la première fois il y a 12 ans au Teatro Comunale de Bologne, affiche une solide endurance avec une détermination et une expressivité de geste et de visage d’une sincérité très directe, sans jamais détimbrer.

Toutefois, s’il s’impose facilement quand l’orchestre est en retrait, sa puissance ne domine pas autant celle de Saioa Hernández, sa tessiture manquant un peu de corps. Par ailleurs, l’élocution est également moins bien définie, le métal de sa voix restant de toute façon très homogène avec une coloration uniformément mate.

Reste que son incarnation doloriste est pleinement convaincante, et qu’il fait preuve d’allègement et de nuance dans le célébrissime ‘Nessun dorma’.

Selene Zanetti (Liù) et Saioa Hernández (La principessa Turandot)

Selene Zanetti (Liù) et Saioa Hernández (La principessa Turandot)

Elle était déjà Liù auprès de Saioa Hernández à la Fenice de Venise début septembre, Selene Zanetti ne joue clairement pas le mélodrame en privilégiant une grande intériorité.

Elle peut compter sur un timbre somptueux gorgé de couleurs profondes, ce qui lui permet d’imposer une pure présence vocale à chacune de ses interventions, et ce d’autant plus qu’accompagnée du chœur murmurant c’est elle qui achève l’opéra dans une posture sacrificielle d’une grande dureté.

Turandot (Hernández Lee Zanetti Fogliani Padrissa) Munich

Sans la moindre drôlerie, bien au contraire, les trois ministres Ping, Pang et Pong trouvent en Thomas Mole, Tansel Akzeybek et Andrés Agudelo trois chanteurs consistants et homogènes.

Quant à Vitalij Kowaljow, il impose facilement ses résonances graves en Timur, mais sans affect sensible avec Liù, alors que l’Empereur Altoum de Kevin Conners s’inscrit dans la même tonalité sévère d’ensemble.

Selene Zanetti

Selene Zanetti

Aux commandes d’un Orchestre d’État de Bavière ronflant et chaleureux, Antonino Fogliani joue le grand spectacle à fond, n’hésitant pas à faire trembler les piliers du théâtre avec un vrai sens de l’influx dramatique. Il s’appuie sur des tempi modérés, découvre un ensemble de colorations foisonnantes, et fait même entendre des textures spatio-temporelles surnaturelles – air de Liù au premier acte - qui s’accordent fort bien avec la scénographie imaginative et visuelle de la production.

Selene Zanetti, Antonino Fogliani, Saioa Hernández et Yonghoon Lee

Selene Zanetti, Antonino Fogliani, Saioa Hernández et Yonghoon Lee

Les chœurs ont l’unité et le pouvoir inspirant que nous leur connaissons bien, et quand vous y ajoutez les effets acoustiques particuliers de ce théâtre, selon votre emplacement, ce spectacle offre dans toutes ses dimensions une énergie stimulante et une saturation de codes et de symboles d’une pénétrance fort connectée à l’univers impérial et sanguinaire de cette Chine fantasmée et inquiétante.

Turandot (Hernández Lee Zanetti Fogliani Padrissa) Munich

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Publié le 16 Octobre 2022

Salomé (Richard Strauss – 1905)
Prégénérale du 10 octobre et représentations du 15, 27 octobre et 05 novembre 2022
Opéra Bastille

Salomé Elza van den Heever
Herodes John Daszak
Herodias Karita Mattila
Jochanaan Iain Paterson
Narraboth Tansel Akzeybek
Page der Herodias Katharina Magiera
Erster Jude Matthäus Schmidlechner
Zweiter Jude Éric Huchet
Dritter Jude Maciej Kwaśnikowski
Vierter Jude Mathias Vidal
Fünfter Jude Sava Vemić
Erster Nazarener Luke Stoker
Zweiter Nazarener Yiorgo Ioannou
Erster Soldat Dominic Barberi
Zweiter Soldat Bastian Thomas Kohl
Cappadocier Alejandro Baliñas Vieites
Ein Sklave Marion Grange

Direction musicale Simone Young
Mise en scène Lydia Steier (2022)
Nouvelle production

Diffusion en direct sur L’Opéra chez soi et medici.tv le jeudi 27 octobre 2022
Diffusion sur France Musique le samedi 19 novembre 2022 à 20h

Bien qu’écrite en 1891, en langue originale française, la pièce ‘Salomé’ d’Oscar Wilde dut affronter la censure lors des premières répétitions londoniennes, si bien qu’elle ne fut créée que cinq ans plus tard au Théâtre de la Comédie-Parisienne, l’actuel Théâtre de l’Athénée, le 11 février 1896.

Elza van den Heever (Salomé)

Elza van den Heever (Salomé)

Fasciné par ‘Salomé’, Richard Strauss composa parallèlement deux versions lyriques musicalement très différentes, l’une authentiquement française dans le style debussyste qu’il acheva le 13 septembre 1905 et qui sera créée à Bruxelles le 25 mars 1907, avant d’être oubliée jusqu’à ce que l’Institut Richard Strauss de Munich ne reconstitue la partition en 1990, et l’une en allemand qui connaîtra sa première à Dresde le 09 décembre 1905.

Par la suite, la création française aura lieu au Théâtre du Châtelet le 08 mai 1907, en langue originale allemande sous la direction de Richard Strauss, et la création à l’Opéra de Paris se déroulera trois ans plus tard, le 06 mai 1910, dans une adaptation française de Jean de Marliave, sous la direction d’André Messager.

Bastian Thomas Kohl (2d soldat), Tansel Akzeybek (Narraboth), Katharina Magiera (Le page) et Dominic Barberi (1er soldat)

Bastian Thomas Kohl (2d soldat), Tansel Akzeybek (Narraboth), Katharina Magiera (Le page) et Dominic Barberi (1er soldat)

Il faudra finalement attendre le 26 octobre 1951 pour que ‘Salomé’ connaisse sa première au Palais Garnier en langue originale allemande. Et depuis l’ouverture de l’Opéra Bastille, tous les directeurs de l’Opéra de Paris ont programmé les deux premiers chefs-d’œuvre de Richard Strauss, ‘Salomé’ et ‘Elektra’, au cours de leur mandat, à l’exception notable de Stéphane Lissner.

Ainsi, après ‘Elektra’ repris au printemps dernier, Alexander Neef offre à ‘Salomé’ la première nouvelle production de sa seconde saison qu’il confie à Lydia Steier, metteuse en scène américaine qui travaille principalement en Allemagne et en Autriche depuis 20 ans, et qui fait ses débuts au sein de l’institution parisienne.

L’enjeu de cette réalisation est important, car le niveau de violence qui est montré est supérieur à ce qui est généralement accepté sur une scène connue pour être habituellement très consensuelle. 

Iain Paterson (Jochanaan) et Elza van den Heever (Salomé)

Iain Paterson (Jochanaan) et Elza van den Heever (Salomé)

La cour d’Hérode Antipas est ainsi dépeinte dans tout ce qu’elle pouvait avoir de sordide et de dépravé au sein d’un imposant décor, unique, qui représente une cour de palais profonde dominée par une large baie laissant entrevoir une salle où le tétrarque et son épouse, Hérodias, se livrent avec leur cour à des scènes de débauche d’un malsain extrême. 

Un simple escalier latéral permet de passer de la cour extérieure à cette salle, et Jokanaan se trouve enfermé dans une cage enfoncée dans le sous-sol de cette cour, seule convention en apparence respectée.

Le spectacle du défilé des corps des jeunes hommes et jeunes femmes violés et assassinés au sein du palais, pour ensuite être jetés dans une fosse commune, se développe de manière répétitive. Et au fur et à mesure que le temps s'écoule, ce qui se déroule en hauteur se trouve relégué au second plan, l’attention se recentrant dorénavant sur l’action menée à l’avant-scène.

Il faut dire que ce décor massif d’apparence minérale, illuminé par des éclairages bleu-vert, est fort beau.

Elza van den Heever (Salomé) et Iain Paterson (Jochanaan)

Elza van den Heever (Salomé) et Iain Paterson (Jochanaan)

Dans cet univers qui reconstitue une époque romaine décadente, mais dans des costumes tout à fait fantaisistes et délirants, et avec une maitrise des éclairages qui peuvent tout autant suggérer la présence de la lune glaciale que cerner les personnages dans leur solitude, on pense beaucoup à la cruauté de l’Empereur Caligula, même s’il on reste bien loin de l’horreur du célèbre film baroque et sulfureux de Tinto Brass.

Cheveux longs et noirs, habits blancs, allure terne, Salomé ressemble beaucoup plus à Elektra. Il s’agit d’une jeune femme vierge qui ne s’est pas compromise. Parfaitement représenté comme le livret le décrit, sale et souillé - les soldats carapacés en noir lui infligent des coups de décharges électriques blessants -, Jokanaan est effrayant et plus menaçant que moralisateur.

John Daszak (Hérode) et Katharina Magiera (Le page)

John Daszak (Hérode) et Katharina Magiera (Le page)

Ensuite, Salomé découvre le pouvoir de la sexualité, non comme une fin mais comme un moyen, d’abord à travers une scène masturbatoire jouée au moment où le prophète retourne dans les entrailles souterraines – le rapport à la musique est assez convaincant et fait écho aux allusions érotiques que Chostakovitch décrira plus tard avec force dans ‘Lady Macbeth de Mzensk’ -, puis lors de la danse des sept voiles où elle offre délibérément son corps d’abord à Hérode puis à toute sa cour, non par plaisir – elle n’y accorde aucune importance en soi -, mais parce qu’elle a compris que c’est par le sexe qu’elle pourra obtenir ce qu’elle souhaite de la part de ceux qui en dépendent.

John Daszak (Hérode) et la cour décadente du Palais

John Daszak (Hérode) et la cour décadente du Palais

Mais quel magnifique coup de théâtre lors de la scène finale où émerge d'abord la crainte, lorsque le bourreau se présente en contrejour dans l’interstice d’une porte, qu’elle soit jouée classiquement !

Pourtant, dans un effet de surprise saisissant, Salomé disparaît subitement avec lui et réapparaît en un double qui se dissocie entre une actrice rampant au sol tout en protégeant progressivement la tête de Jokanaan, alors qu’Elza van den Heever reste dans l’ombre avant de rejoindre le prophète dans la cage et s’élever dans une étreinte amoureuse splendide.

Karita Mattila (Hérodias)

Karita Mattila (Hérodias)

La force théâtrale de ce moment est de distinguer d’un côté l’acte écœurant, et de l’autre l’illusion que vit Salomé qui souffrait tant de ne pouvoir embrasser cette figure emblématique, ce qui permet d’avoir accès à l’âme de l’héroïne.

Aller au-delà des apparences est l’une des forces de l’opéra en tant que forme artistique, et la luxuriance finale de la musique trouve dans cette représentation d’une élévation, une concordance, voir une justification, qui n’était pas évidente à priori.

Hérode, horrifié par le massacre d’un homme qu’il sait adulé par un peuple qu’il craint, comprend que pour lui-même tout est fini.

Elza van den Heever (Salomé)

Elza van den Heever (Salomé)

On aperçoit ainsi, au début de cette scène, le page se précipiter vers les marches du palais, armé pour détruire la cour royale et Hérode en personne. Ce page, incarné avec force par le timbre puissamment noir de Katharina Magiera, est omniprésent et très bien mis en valeur, d’autant plus que cela permet de donner aux femmes, dans ce monde masculin cruel et finissant, une fonction déterminante, même si elles n’évitent pas la catastrophe finale.

Elza van den Heever (Salomé) et Iain Paterson (Jochanaan)

Elza van den Heever (Salomé) et Iain Paterson (Jochanaan)

Face à une telle dramaturgie, Simone Young tire de l’orchestre de l’Opéra de Paris une interprétation tout aussi abrupte et alignée sur la direction de la mise en scène. Déluge sonore exacerbé, cuivres agressifs et éclatants, la musique de Richard Strauss est entraînée dans une outrance démonstrative comme s’il s’agissait de suggérer une situation de guerre. Ce choix tranché est à apprécier par chaque auditeur, mais quand un parti pris choisit une voix radicale, il semble opportun de l’assumer totalement - ce qui est le cas ici - et de ne pas l’affadir par un esprit de contre-pied ou de compris. 

La sensualité orientalisante de la musique n’est donc pas l’élément fondamental qui est développé, et il règne un esprit de décision, voir de prise de liberté sans état d’âme qui a de quoi impressionner. L’orchestre est somptueux, mais peu invité à la nuance, et sans discours instrumental sous-jacent (Harmut Haenchen, en 2006, avait mieux dessiné des ondes insidieuses incrustées dans la luxuriance orchestrale).

Et rarement aura-t-on ressenti à quel point cette représentation, dans son ensemble, symbolise à tous les niveaux la prise en main par les femmes d’une histoire dont elles entendent maîtriser le langage.

Elza van den Heever (Salomé)

Elza van den Heever (Salomé)

On ne peut ainsi qu’admirer d’avantage les solistes qui sont fatalement repoussés dans leur absolus retranchements. Elza van den Heever, pour qui il s’agit d’une prise de rôle ardue, s’en tire remarquablement. De ses moirures fantomatiques, elle laisse surgir une vaillance expressive sensationnelle qui atteint son paroxysme à la scène finale vécue comme un grand réveil qui va tout bouleverser.

John Daszak s’affiche également dans une forme éblouissante. Sous ses traits, Hérode ne déroge pas à l’esprit d’abus exubérant qui parcoure la représentation, son style de déclamation retentissant lui donnant une présence implacable. Karita Mattila, elle qui fut Salomé sur cette même scène 19 ans plus tôt, se régale à jouer dans une mise en scène qui la maintient présente en permanence. Elle en fait des tonnes sans limites pour montrer l’esprit de jouissance d’Hérodias, et sa voix est un univers de chaleur feutrée inimitable.

Simone Young

Simone Young

S’il est physiquement fort marquant, le Jochanaan de Iain Paterson affiche un mordant et une rudesse expressive engagés qui, toutefois, pourraient être portés par une plus grande ampleur afin de surpasser la galvanisation orchestrale.

Le très bon Narraboth de Tansel Akzeybek, entendu dans ‘Wozzeck’ la saison dernière, excelle par sa viscéralité dramatique, et l’on ne peut que rappeler à quel point Katharina Magiera fait forte impression dans le rôle du page, de par sa noirceur et son appropriation de l’espace sonore.

Lydia Steier et son équipe artistique

Lydia Steier et son équipe artistique

Il ne faut pas s’y tromper, l’approche de cette production, que Lydia Steier a fortement enrichi d'une foule d'acteurs aux costumes bigarrés, est de s’élever contre la violence du monde sans lui chercher la moindre indulgence. Mais il y a un fatalisme très clair : cette violence ne peut être annihilée que par la violence.

Maciej Kwaśnikowski, Mathias Vidal, Sava Vemić, John Daszak, Elza van den Heever, Iain Paterson, Karita Mattila et Tansel Akzeybek

Maciej Kwaśnikowski, Mathias Vidal, Sava Vemić, John Daszak, Elza van den Heever, Iain Paterson, Karita Mattila et Tansel Akzeybek

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Publié le 27 Juillet 2015

Tristan und Isolde (Richard Wagner)
Représentation du 25 juillet 2015
Bayeurther Festspiele

König Marke Georg Zeppenfeld
Isolde Evelyn Herlitzius
Kurwenal Iain Paterson
Melot Raimund Nolte
Ein Hirte Tansel Akzeybek
Ein Steuermann Kay Stiefermann
Ein junger Seemann Tansel Akzeybek
Tristan Stephen Gould
Brangäne Christa Mayer

Mise en scène Katharina Wagner
Direction musicale Christian Thielemann
Orchestre du Festival de Bayreuth 2015

                                                              Stephen Gould (Tristan) et Evelyn Herlitzius (Isolde)

Après une édition 2014 sans nouvelle production, l’ouverture du Festival de Bayreuth 2015 retrouve une force émotionnelle particulière par la présentation d’une proposition scénique de Tristan et Isolde dirigée par Katharina Wagner, et par le retour d’Angela Merkel qui n’avait pu être présente à l’inauguration l’année précédente.

C’est même une sensation étrange que d’apercevoir depuis le parterre du Festspielhaus la chancelière présider en joie cette ouverture depuis sa loge centrale, et de vivre cette rencontre avec une des œuvres mythiques de l’Art Lyrique en ayant conscience que l’une des dirigeants les plus influents de ce monde s’apprête à accueillir cet ouvrage avec la même plénitude.

Angela Merkel et son époux Joachim Sauer samedi 25 juillet à l’ouverture du Festival de Bayreuth 2015

Angela Merkel et son époux Joachim Sauer samedi 25 juillet à l’ouverture du Festival de Bayreuth 2015

Plénitude ? Ce terme s’appliquera sans doute au dernier acte, mais beaucoup moins aux deux premiers actes conçus pour évoquer la contrainte d’une société oppressive, oppression que l’auditeur peut lui même ressentir devant un tel décor.

En effet, un ensemble de hauts murs gris-bleutés encadre la scène du premier acte, et grimpent et descendent de ces murs une multitude d’escaliers labyrinthiques le long desquels Tristan et Isolde se cherchent. Il y a dans cette vision de passages sombres et tortueux comme des réminiscences de l’univers gothique du cinéma allemand des années 20, mais ramenées à la froideur de l’architecture de notre monde contemporain.

Et quand ils se rejoignent, une passerelle glisse tandis que la musique vire à l’urgence – un effet théâtral qui utilise de manière prosaïque la musique de Wagner comme moteur d’action -, retardant d’autant plus l’instant de leurs retrouvailles. C’est véritablement à ce point de rencontre que le drame prend corps, moins par l’expressivité sommaire du jeu d’acteur imprimée par Katharina Wagner, que par la signifiance des deux interprètes principaux.

Stephen Gould (Tristan)

Stephen Gould (Tristan)

Tristan et Isolde ne boivent pas le filtre – ils le déversent du haut d’une passerelle – et prennent le risque de vivre leur amour préexistant sans artifice, sans anesthésie si l’on peut dire.

Si dans ce premier acte on comprend que de vaques obstacles cherchent à empêcher cette union, le second acte est une allégorie étouffante d’une société sécuritaire qui piège et surveille cette relation passionnelle au fond d’une cour dont il est impossible de s’échapper. Même s’il s’agit de décrire une prison dont le Roi Marke en est le maître, cette image nous renvoie à celle de notre société où la surveillance de l’autre est un principe diffus, dissimulé dans le regard inquisiteur de notre entourage.

Il y a dans cette vision sociétale sombre une défiance à toute philanthropie.

Un fatras d’arceaux en aluminium décrit autant de faux passages que des restes squelettiques, des projecteurs suivent en permanence tout mouvement, et Katharina Wagner ose faire chanter Tristan et Isolde dos à la salle – ce que l’acoustique permet -, ceux-ci ne pouvant vivre leur amour que de façon symbolique à travers une projection en fond de scène des ombres de leurs propres êtres, au point d’en devenir suicidaires.

Evelyn Herlitzius (Isolde)

Evelyn Herlitzius (Isolde)

L’arrivée du roi Marke, en sorte de maître mafieux, n’est pas une interprétation nouvelle, mais elle a le pouvoir de transformer toute la profondeur de son intervention en une scène haineuse dont la fin devient tout à fait prévisible.

La caractérisation de ce petit monde, et de l’entourage de Marke, reste pourtant sommaire.
Après ces deux actes qui mettent mal à l’aise, le troisième représente de façon symbolique et très esthétique le délire dans lequel est tombé Tristan. Un voile sépare la salle de la scène plongée dans l’obscurité afin de créer une atmosphère irréelle et hallucinatoire.

Tristan et ses compagnons sont regroupés dans un coin à peine éclairé par quelques lueurs, et les visions du chevalier se matérialisent par des icônes triangulaires et fantomatiques où apparait le spectre d’Isolde, bleu, pris dans des images mortuaires signifiant l’impossibilité à la rejoindre.

Stephen Gould (Tristan)

Stephen Gould (Tristan)

La multiplication de ces spectres évoque naturellement le même délire solitaire de Macbeth – quand il se retrouve face aux fantômes des descendants de Banco dans la pièce de Shakespeare -, rapprochant ainsi l’essence mortifère de leurs âmes.
Scène finale vide et sans espoir, Isolde quitte Tristan – épuisé par ses pensées imaginaires – sous les lueurs crues, avant que Marke ne l’entraîne dans son monde sans amour.
Rarement aura-t-on vu interprétation aussi noire de ce mythe.

L’interprétation musicale est, elle, accomplie malgré le remplacement in extrémis d’Anja Kampe par Evelyn Herlitzius.

Celle-ci a eu à peine le temps de s’approprier la mise en scène, et sa force de caractère a sans nul doute pu compléter les indications scéniques.
Pour décrire l’impression que laisse cette immense soprano allemande immédiatement différenciable, il faut imaginer le tempérament d’une amazone, guerrière et hautaine, des inflexions agressives laissant transparaître de la peine, une projection d’aigus intenses et perçants, aigus mêmes qu’elle limite cependant fortement lorsqu’ils surviennent dans le prolongement d’une longue ligne vocale.

Iain Paterson (Kurwenal) et Stephen Gould (Tristan)

Iain Paterson (Kurwenal) et Stephen Gould (Tristan)

On ressent aussi beaucoup de droiture, même dans le Liebestod, comme si elle retenait ses émotions profondes et ne souhaitait pas laisser filer ses expressions de tendresse, alors que l’on attendrait, parfois, une noblesse de ligne plus naturelle, une ouverture du cœur plus ample. Elle parait sans véritable faille affective.

Stephen Gould, lui, est un immense Tristan de bout en bout, d’une totale signifiance, avec ses parts d’ombre. Chant lui aussi intense, variant ses couleurs des graves aux aigus sans amoindrir l’homogénéité du timbre, impossible d’oublier la noirceur désespérée, véritable cri de souffrance dans la nuit, qu’est sa longue plainte du troisième acte.

Et quand surgit le Roi Marke de Georg Zeppenfeld, la sensible âpreté du timbre du chanteur semble, dans un premier temps, déshumaniser le monarque. Mais progressivement, il s’accorde à l’évidence avec l’image de truand voulue par Katharina Wagner, et son personnage s’impose musicalement par la rancœur haineuse qu’il dégage.

Evelyn Herlitzius (Isolde)

Evelyn Herlitzius (Isolde)

Dans cette mise en scène, les deux personnages complices de Tristan et Isolde, Kurwenal et Brangäne, sont réduits à des rôles d’impuissants observateurs, plus serviteurs malhabiles que conseillers éclairés. Iain Paterson et Christa Mayer les incarnent tous deux avec les mêmes expressions sonores, imparfaites et donc plus humbles.

Étonnamment discrète, la direction de Christian Thielemann est d’une belle élégance chambriste, magnifiée par de superbes motifs solitaires et ensorcelants, mais nous entraîne peu vers les insondables abysses que cette musique embrasse. Même les passages qui entrent en résonance avec les agitations du cœur vibrent de tempérance.

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Publié le 28 Mars 2013

Roméo et Juliette (Charles Gounod)
Version de concert du 24 mars 2013

Palais des Beaux-Arts (Bruxelles)
Théâtre Royal de la Monnaie

Juliette           Nino Machaidze
Stéphano      Angélique Noldus
Gertrude       Carole Wilson
Roméo         John Osborn
Tybalt           Tansel Akzeybek
Benvolio       Stefan Cifolelli
Mercutio      Lionel Lhote
Pâris            Alexandre Duhamel
Grégorio      Nabil Suliman
Capulet        Paul Gay
Frère Laurent Jérôme Varnier
Duc de Vérone Patrick Bolleire
Manuela      Amalia Avilán
Pepita          Kinga Borowska
Angelo         Marc Coulon
Frère Jean    Pascal Macou

Direction musicale         Evelino Pidò                              Tansel Akseybek (Tybalt)
Direction des chœurs    Martino Faggiani                       

Bozar, ou le Palais des Beaux-Arts, possède une salle magnifique pour y représenter Roméo et Juliette en version de concert, car elle abrite, au fond de la scène, un orgue au son somptueux.
La cérémonie de mariage de Juliette et Pâris en est le meilleur instant pour profiter de cette richesse sonore.
Dans cet opéra, la musique de Charles Gounod prend des accents épiques, dès l’ouverture, et elle décrit le drame avec des effets virtuoses et des climats intemporels entre lesquels viennent se glisser des passages plus pompeux et triviaux.
 

Orchestre Symphonique et choeurs de la Monnaie, direction Evelino Pido

Orchestre Symphonique et choeurs de la Monnaie, direction Evelino Pido

En tout cas, son énergie théâtrale est nimbée d’un sentimentalisme délicat pour lequel Evelino Pidò n’est peut être pas le meilleur défenseur. Sa rythmique tonique est une force qui place l’orchestre en principal acteur dramatique, mais la tonalité légère et pastel de cette musique s’évanouit dans un premier temps, et ne réapparaît, avec tout son mystère, que lors de la scène nocturne du balcon, le premier grand moment d’inspiration et d’évasion vers les rêves.

On retrouve de très beaux moments quand les chœurs fusionnent avec la masse orchestrale créant ainsi une harmonie d’ensemble souple et forte à la fois. D’autres passages perdront en revanche toute la fragilité allante et fluide que l’on voudrait entendre.

Nino Machaidze (Juliette)

Nino Machaidze (Juliette)

Même si l’on peut trouver qu’un opéra donné sans un minimum de mise en espace réduit considérablement son pouvoir émotionnel, à moins que l’interprétation musicale ne soit exceptionnelle, c’est pourtant l’occasion de révéler des chanteurs, parfois peu ou pas assez connus.

Ce n’est évidemment pas le cas de la soprano géorgienne Nino Machaidze qui avait déjà chanté le rôle de Juliette à Salzbourg, en 2008, avec Rolando Villazon. Belle femme pleine d’énergie, elle ne peut à aucun moment faire croire à une Juliette adolescente et sensible. Lumineuse et spectaculaire dans les aigus, elle use avec une joie évidente du pouvoir rayonnant de sa voix, mais tous les sentiments complexes et noirs, désespérés de la vie, que l’on devrait ressentir quand elle s’exprime dans les tonalités plus graves sont négligés.

Lionel Lhote (Mercutio) et John Osborn (Roméo)

Lionel Lhote (Mercutio) et John Osborn (Roméo)

John Osborn, bien plus précis que sa partenaire quant à la diction stylisée qu’exige la poésie du texte, réussit à rendre à la fois l’innocente adolescence de Roméo et l’héroïsme vital sans la moindre défaillance. Mais, comme à son habitude, il donne cette impression de grande fierté, que l’on retrouve chez un chanteur wagnérien actuel, Simon O’Neill, qui s’oppose au romantisme noir et éperdu des personnages qu’il interprète. C’était déjà le cas pour Hoffmann (Offenbach), et, là aussi, le démonstratif l’emporte sur la sensibilité.

Plus dense et imposant que Paul Gay, père Capulet touchant mais écourtant tous les aigus,  Jérôme Varnier est un très beau Frère Laurent, humain mais inflexible, une voix un peu grisonnante qui rejette tout affect pour rester sur une ligne bienveillante.
 

Parmi les émouvantes surprises, Tansel Akzeybek dessine un Tybalt superbe d’éloquence avec une beauté tendre qui contraste avec le caractère de ce personnage que Shakespeare n’idéalise surement pas. Il conquière les cœurs, là où il devrait être perçu comme le pire des destructeurs.
On découvre une chanteuse souriante et charmante, Angélique Noldus, présente seulement pour quelques minutes dans le rôle de Stéphano, nous enchantant d’un timbre boisé plein d’éclat, inhabituellement baroque.

Lionel Lhote et Carole Wilson, respectivement Mercutio et Gertrude, se répondent sur scène par leur jovialité, mais l’on attend plus de juvénilité chez le premier, et plus de maternalisme chez la seconde.

                                                                                         Angélique Noldus (Stéphano)

Alors, quand l’unité du drame n’est pas vraiment là, ce sont tous ces moments éphémères de vérité et d’émerveillement qui font la joie que l'on garde en soi.

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