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Publié le 8 Octobre 2024

Turandot (Giacomo Puccini – 25 avril 1926, Scala de Milan)
Représentation du 06 octobre 2024
Bayerische Staatsoper München

La principessa Turandot Saioa Hernández
L'imperatore Altoum Kevin Conners
Timur, Re tartaro spodestato Vitalij Kowaljow
Il principe ignoto (Calaf) Yonghoon Lee
Liù Selene Zanetti
Ping Thomas Mole
Pang Tansel Akzeybek
Pong Andrés Agudelo
Un mandarino Bálint Szabó
Il principe di Persia Andrés Agudelo

Direction musicale Antonino Fogliani
Mise en scène Carlus Padrissa - La Fura dels Baus (2011)

En pleine ascension tardive au répertoire du Bayerische Staatsoper où l’ultime opéra de Giacomo Puccini a dorénavant rejoint les 30 premiers titres les plus joués des 25 dernières années grâce à la production de Carlus Padrissa - l’un des six directeurs artistiques de ‘La Fura dels Baus’ – créée sur les planches munichoises le 03 décembre 2011, ‘Turandot’ trouve dans cette réalisation une lecture d’une grande force expressive qui axe toutefois son propos sur la nature tortionnaire du régime chinois.

Saioa Hernández (La principessa Turandot)

Saioa Hernández (La principessa Turandot)

Ainsi, rarement Ping, Pang et Pong n’apparaîtront de façon aussi sordide comme les rouages majeurs de la machine répressive de Turandot, entreprenant au second acte une danse macabre devant un immense amas de crânes auxquels des vidéographies numériques stylisées ajouteront un vrai sentiment de malaise.

Cette machine répressive se manifeste sur scène à travers un discret service d’ordre se mélangeant à des mouvements de foules parfois exotiques, que ce soit par la présence de danseurs de hip-hop ou de patineuses qui se révèlent, elles, naturellement plus évocatrices de la nature ondoyante de la musique.

La plus troublante image du chœur proviendra pourtant d’un groupe d’enfants habillés en tenues blanches illuminées, trainant le char du Prince de Perse sacrifié comme si l’inconscience de l’enfance se laissait d’emblée pervertir pour devenir complice du système.

Turandot (Hernández Lee Zanetti Fogliani Padrissa) Munich

 

Des vidéographies se superposent à la scénographie pour renvoyer des images en lien avec les ressorts dramatiques et violents en jeu, ou bien pour représenter la glace intérieure de Turandot qui s’effondre sous forme d’immenses icebergs se dégradant au fur et à mesure que Calaf résout les énigmes.

A cela s'ajoutent des lunettes 3D prêtées au public qui permettent de visualiser les effets psychédéliques qui s’animent autour d’un large anneau descendant des cintres pour envelopper Turandot, sans que celles-ci soient pour autant l’attraction majeure de cette lecture flamboyante.

Selene Zanetti (Liù)

Selene Zanetti (Liù)

La version choisie étant celle inachevée par Puccini, l’opéra se termine sur la mort de Liù qui est mise en scène de façon très cruelle, car la jeune femme subit l’horrible supplice du bambou, pousse dure à croissance rapide pouvant transpercer la chair en quelques jours.

Si cette vision de la Chine est effrayante mais aussi haut-en-couleur au moment de l’entrée de celle-ci dans la société de consommation et de la drogue, le spectacle regorge de références symboliques et calligraphiques, mais a pour paradoxe de peu mettre en valeur les liens sentimentaux entre les personnages simples, Calaf, Liù et Timur, pour, au contraire, humaniser Turandot en la faisant descendre de son piédestal et la montrer en relation directe avec les personnages principaux.

Il est même rendu compte de son drame intérieur à travers une vidéo sombre montrant une jeune femme fuyant à travers la forêt mais ne pouvant échapper à un viol.

Saioa Hernández (La principessa Turandot)

Saioa Hernández (La principessa Turandot)

Pour cette reprise qui en est à sa 42e représentation en 13 ans, la soprano espagnole Saioa Hernández investit à nouveau le personnage de Turandot, un an après sa prise de rôle au Teatro Real de Madrid en juillet 2023, et son superbe aplomb s’impose sans faille d’autant plus qu’elle maîtrise une tessiture absolument inaltérable même dans les aigus les plus hauts et puissants.

Elle domine ainsi constamment l’orchestre, y compris dans les passages les plus éruptifs, en nourrissant et enrichissant le son d’une manière dynamique qui préserve l’unité de la texture vocale.

Il y a donc beaucoup d’assurance dans cette Turandot inflexible mais moins distante que d’autres interprétations, douée d’une humanité austère et sophistiquée à la fois.

Yonghoon Lee (Calaf)

Yonghoon Lee (Calaf)

Son partenaire, Yonghoon Lee, qui a abordé le rôle de Calaf pour la première fois il y a 12 ans au Teatro Comunale de Bologne, affiche une solide endurance avec une détermination et une expressivité de geste et de visage d’une sincérité très directe, sans jamais détimbrer.

Toutefois, s’il s’impose facilement quand l’orchestre est en retrait, sa puissance ne domine pas autant celle de Saioa Hernández, sa tessiture manquant un peu de corps. Par ailleurs, l’élocution est également moins bien définie, le métal de sa voix restant de toute façon très homogène avec une coloration uniformément mate.

Reste que son incarnation doloriste est pleinement convaincante, et qu’il fait preuve d’allègement et de nuance dans le célébrissime ‘Nessun dorma’.

Selene Zanetti (Liù) et Saioa Hernández (La principessa Turandot)

Selene Zanetti (Liù) et Saioa Hernández (La principessa Turandot)

Elle était déjà Liù auprès de Saioa Hernández à la Fenice de Venise début septembre, Selene Zanetti ne joue clairement pas le mélodrame en privilégiant une grande intériorité.

Elle peut compter sur un timbre somptueux gorgé de couleurs profondes, ce qui lui permet d’imposer une pure présence vocale à chacune de ses interventions, et ce d’autant plus qu’accompagnée du chœur murmurant c’est elle qui achève l’opéra dans une posture sacrificielle d’une grande dureté.

Turandot (Hernández Lee Zanetti Fogliani Padrissa) Munich

Sans la moindre drôlerie, bien au contraire, les trois ministres Ping, Pang et Pong trouvent en Thomas Mole, Tansel Akzeybek et Andrés Agudelo trois chanteurs consistants et homogènes.

Quant à Vitalij Kowaljow, il impose facilement ses résonances graves en Timur, mais sans affect sensible avec Liù, alors que l’Empereur Altoum de Kevin Conners s’inscrit dans la même tonalité sévère d’ensemble.

Selene Zanetti

Selene Zanetti

Aux commandes d’un Orchestre d’État de Bavière ronflant et chaleureux, Antonino Fogliani joue le grand spectacle à fond, n’hésitant pas à faire trembler les piliers du théâtre avec un vrai sens de l’influx dramatique. Il s’appuie sur des tempi modérés, découvre un ensemble de colorations foisonnantes, et fait même entendre des textures spatio-temporelles surnaturelles – air de Liù au premier acte - qui s’accordent fort bien avec la scénographie imaginative et visuelle de la production.

Selene Zanetti, Antonino Fogliani, Saioa Hernández et Yonghoon Lee

Selene Zanetti, Antonino Fogliani, Saioa Hernández et Yonghoon Lee

Les chœurs ont l’unité et le pouvoir inspirant que nous leur connaissons bien, et quand vous y ajoutez les effets acoustiques particuliers de ce théâtre, selon votre emplacement, ce spectacle offre dans toutes ses dimensions une énergie stimulante et une saturation de codes et de symboles d’une pénétrance fort connectée à l’univers impérial et sanguinaire de cette Chine fantasmée et inquiétante.

Turandot (Hernández Lee Zanetti Fogliani Padrissa) Munich

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Publié le 7 Juillet 2024

Le Grand Macabre (György Ligeti – Stockholm, le 12 avril 1978)
Représentations du 28 juin et 01 juillet 2024
Münchner Opernfestspiele 2024
Bayerische Staatsoper

Chef der Geheimen Politischen Polizei (Gepopo)
           Sarah Aristidou
Venus Sarah Aristidou
Amanda Seonwoo Lee
Amando Avery Amereau
Fürst Go-Go John Holiday
Astradamors Sam Carl
Mescalina Lindsay Ammann
Piet vom Fass Benjamin Bruns
Nekrotzar Michael Nagy
Ruffiack Andrew Hamilton
Schobiack Thomas Mole
Schabernack Nikita Volkov
Weißer Minister Kevin Conners
Schwarzer Minister Bálint Szabó
Refugees (Chorsoli) Isabel Becker, Sabine Heckmann, Saeyong Park, Sang-Eun Shim

Direction musicale Kent Nagano
Mise en scène Krzysztof Warlikowski (2024)               
      Kent Nagano
Décors et costumes Małgorzata Szczęśniak
Lumières Felice Ross
Vidéo Kamil Polak
Chorégraphie Claude Bardouil
Dramaturgie Christian Longchamp, Olaf Roth

Né au sein d’une famille juive hongroise le 28 mai 1923, György Ligeti étudia en Roumanie à Cluj-Napoca. Il désirait devenir scientifique, mais les lois antisémites nazis contrarièrent ce projet.

Il connut le travail forcé sous ce régime et perdit son père et son frère dans les camps de concentration. Sa mère survivra à Auschwitz, mais il devra fuir Budapest en 1956 au moment de la révolution hongroise qui sera écrasée par Staline.

Michael Nagy (Nekrotzar)

Michael Nagy (Nekrotzar)

Réfugié à Vienne puis à Cologne, il étudie la musique d’avant-garde et commence à composer. Il connaît son premier véritable succès avec ‘Atmosphères’ (1961), une pièce orchestrale d’une durée de 9 mn qui sera par la suite popularisée en 1968 à travers le film de Stanley Kubrick ‘2001, A Space Odyssey’ dont elle fera l’ouverture.

Sa créativité engendre par la suite nombre de concertos pour orchestre ou instrument seul, ainsi que des pièces chorales – le célèbre ‘Lux Aeterna’, autre composition utilisée dans ‘2001’ -, et ce sens pour le développement de textures denses et surnaturelles combinées à des sonorités mécaniques inspirera nombre de musiciens.

Le Bayerische Staatsoper, lundi 01 juillet 2024

Le Bayerische Staatsoper, lundi 01 juillet 2024

De 1974 à 1977, il compose son unique opéra ‘Le Grand Macabre’ d’après la pièce de Michel de Ghelderode ‘La balade du Grand Macabre’ (1934), qui connaîtra sa première le 12 avril 1978 à l’Opéra Royal de Stockholm, en suédois – le compositeur souhaitait que l’ouvrage soit interprété dans la langue du pays qui l’accueille -. Bien qu’amalgame d’inspirations diverses, la musique décrit un univers ayant son identité propre. 

La première à l’Opéra de Paris aura lieu trois ans plus tard, le 23 mars 1981.

Ouverture du 'Grand Macabre' - ms Krzysztof Warlikowski

Ouverture du 'Grand Macabre' - ms Krzysztof Warlikowski

György Ligeti crée par la suite, en 1996, une version révisée en langue anglaise qui réduit les passages parlés et retravaille la structure orchestrale. Cette nouvelle version sera mise en scène en 1997 par Peter Sellars au Festival de Salzbourg sous la direction de Esa-Pekka Salonen, en coproduction avec le Théâtre du Châtelet (une coproduction Gerard MortierStéphane Lissner, si l'on peut dire ainsi), et c’est celle-ci qui est jouée pour la première fois à l’opéra d’État de Bavière à l’occasion de l’ouverture du Festival lyrique d’été 2024.

Salle du Bayerische Staatsoper, lundi 01 juillet 2024

Salle du Bayerische Staatsoper, lundi 01 juillet 2024

Pour mettre en scène cet ouvrage difficile à interpréter, vocalement et musicalement, Serge Dorny a choisi Krzysztof Warlikowski qui en est à sa septième production munichoise depuis ‘Eugène Onéguine’ donné le 31 octobre 2007 sous la direction du chef d’orchestre américain Kent Nagano, lorsque ce dernier était directeur musical de l’institution.

Avec ‘Le Grand Macabre’, les deux artistes en sont dorénavant à leur quatrième collaboration en incluant ‘The Bassarids’ (Salzbourg, 2018) et ‘A Quiet Place’ (Palais Garnier, 2022).

Benjamin Bruns (Piet vom Fass)

Benjamin Bruns (Piet vom Fass)

Le décor monumental représente une salle d’accueil de réfugiés aux murs gris comprenant plusieurs larges fenêtres quadrillées de barreaux donnant une impression de grande froideur. Cette salle prendra de plus en plus la forme d’une salle de sport.

Dès l’ouverture, un écran longitudinal descend des cintres pour montrer à contre-jour l’arrivée de personnes dans ce centre où un gardien vérifie l’identité de chacun. Ce gardien, vêtu d’un long manteau noir, n’est autre que Nekrotzar qui annonce la fin du monde. Visage de mort, blanc blafard et les yeux cernés de noir, cette symbolique se retrouve sur tous les personnages qui incarnent une autorité policière. 

Seonwoo Lee (Amanda) et Avery Amereau (Amando)

Seonwoo Lee (Amanda) et Avery Amereau (Amando)

Éprises de narcissisme, le visage bandé par une opération de chirurgie esthétique traduisant leur désir de jeunesse éternelle afin de contrer l’arrivée de la mort, Amando et Amanda livrent une charmante danse d’amoureuses.

Krzysztof Warlikowski superpose les scènes selon un art du contrepoint théâtral qui lui est propre. Ainsi, au même moment que la première scène menée par Nekrotzar et l’ivrogne Piet se développe, les personnages principaux de la seconde scène, Astradamors et Mescalina, se préparent à l’exposition de leur relation sadomasochiste qui, une fois passée au premier plan, joue avec beaucoup d’humour sur les interprétations sexuelles qui tendent à accentuer l’identité homosexuelle du jeune astronome.

Sarah Aristidou (Gepopo), Bálint Szabó (Schwarzer Minister) et Kevin Conners (Weißer Minister)

Sarah Aristidou (Gepopo), Bálint Szabó (Schwarzer Minister) et Kevin Conners (Weißer Minister)

Une cage grillagée se plante en plein centre de la scène pour constituer une zone d’enfermement. 

Au fur et à mesure de la représentation, devient ainsi sensible, en trame de fond, l’expérience que connut Ligeti face aux régimes autoritaires avec leurs tribunaux administratifs chargés de sélectionner les personnes et de les enfermer, ce qui se produira dans cette production lorsque le prince Go-Go passera sous l’influence de deux ministres et du chef de la police, Gepopo.

Scène d'ouverture de 'Melancholia' de Lars von Trier

Scène d'ouverture de 'Melancholia' de Lars von Trier

Les impressions musicales, mélange de brusqueries et d’atmosphères métalliques, se retrouvent dans cette conception visuelle acerbe, mais l’équipe de production révèle aussi un rapport très poétique à l’univers par sa manière de présenter l’imminence de la catastrophe planétaire sous des lumières bleu nuit-orangé impressives (Felice Ross), toujours magnifiquement alliées à la musique surnaturelle de Ligeti, à travers un choix de vidéos montrant un astre incandescent tournant sur lui-même, ou bien en reprenant l’ouverture du film de Lars von Trier ‘Melancholia’ (2011mettant en scène la collision entre une planète gigantesque et la Terre.

Sam Carl (Astradamors) découvrant l'arrivée de la Comète

Sam Carl (Astradamors) découvrant l'arrivée de la Comète

Il y a ainsi l’apocalypse engendrée par une catastrophe stellaire – on peut d’ailleurs voir, à travers la scène des enfants écoutant Astradamors autour de son écran d’ordinateur, une référence à l’envie originelle de Ligeti de devenir scientifique, ce qui apparaîtra sous force de témoignage du compositeur en fin de spectacle -, mais il y a aussi l’apocalypse engendrée par la démesure et la folie humaine, l’holocauste, bien sûr, tout autant que les guerres dévastatrices des grands conquérants tels Gengis-Khan ou Napoléon.

Scène de la mort de Nekrotzar et de l'apocalypse

Scène de la mort de Nekrotzar et de l'apocalypse

Krzyzstof Warlikowski et Kamil Polak font défiler au moment de l’impact irrépressible une série d’extraits de plusieurs films muets issus de l’entre-deux-Guerres où naquit Ligeti, ‘Faust’ (Murnau), ‘Napoléon (Gance), ‘Les Dix Commandements’ (DeMille), ‘Sodom und Gomorrha’ (Curtiz), tous fascinants par leur imagerie poétique, ainsi que la scène finale de ‘Theorem’ (Pasolini) qui montre l’anéantissement de l’homme dans le désert.

En aparté, on peut remarquer qu'Abel Gance fut l'auteur en 1931 d'un film de transition entre le muet et le parlant intitulé 'La fin du monde', sur une musique d'Arthur Honegger et d'après le roman éponyme de l'astronome et écrivain français Camille Flammarion (1893), dont le thème du passage d'une comète, qui croise la trajectoire de la Terre en l'évitant de justesse, suscitant des scènes d'orgie, rejoint totalement l'histoire du 'Grand Macabre'.

Michael Nagy (Nekrotzar)

Michael Nagy (Nekrotzar)

Car le cataclysme a bien lieu – la manière dont le décor se recouvre d’une noirceur macabre le long des grilles est d’un très grand impact dramatique -, et à la toute fin, trois astronautes ayant découvert les restes de cette planète récupèrent le seul souvenir de tous ces gens que nous avons vu enfermés, puis revenir affublés de masques d’animaux fantomatiques, une émouvante collection de photographies de familles.

Lindsay Ammann (Mescalina) et Sam Carl (Astradamors)

Lindsay Ammann (Mescalina) et Sam Carl (Astradamors)

A travers le costume laid et dénudé de Nekrotzar, puis de Mescalina, au second acte, le grotesque insiste également sur l’obsession de la détérioration des corps, et c’est donc une réflexion sur l’angoisse de la vieillesse qui est renforcée dans ce spectacle en renvoyant férocement chaque individu à sa finitude.

Il y a donc quelque chose de particulièrement savoureux, mais aussi de malicieux de la part du directeur du théâtre, à programmer ‘Le Grand Macabre’ en ouverture de festival, lorsque le public munichois vient parader dans ses plus beaux effets. Il faut d’ailleurs souhaiter que la personne qui a fait un malaise au parterre, lors de la seconde représentation, au paroxysme de la brutalité musicale qui démultipliait les effets hystérisés du chef de la police, s’en est bien remise depuis.

John Holiday (Go-Go)

John Holiday (Go-Go)

Virevoltant sur leurs chaises à roulettes, comme en apesanteur, Go-Go et Piet semblent passés dans un autre monde, et les trois gardes qui les rejoignent révèlent, sous leurs tenues de policiers d’état, des vêtements résilles qui les érotisent. La perspective de la mort est ainsi faussement dédramatisée à travers un grand cocktail partagé à l’avant scène, en montrant en arrière plan ce qu’il reste de tous ceux qui ont disparu par la faute des régimes politiques, comme si le destin de l’homme n’était que dérisoire.

Scène finale

Scène finale

Pour un chanteur, travailler avec Krzysztof Warlikowski ne consiste pas seulement à s’intégrer dans une dramaturgie originale qui fait très souvent se croiser plusieurs histoires personnelles et parfois plusieurs niveaux temporels, mais également à étoffer sa propre manière d’incarner sur scène afin de conserver cet acquis dans le temps. Et c’est pour cela que beaucoup d’artistes apprécient de s'en remettre avec ce metteur en scène qui les fait se dépasser.

Ainsi, ceux qui ont connu Benjamin Bruns en Pilote du ‘Vaisseau Fantôme’ (Bayreuth, 2012), en Tamino (Vienne, 2015) ou bien Lohengrin (Munich, 2024) seront surpris du jeu absolument clownesque qu’il imprime à Piet, avec une expressivité sardonique mêlée de clarté adoucie.

Sarah Aristidou (Gepopo)

Sarah Aristidou (Gepopo)

La même sidération s’impose face à Sarah Aristidou, soprano franco-chypriote née à Paris mais surtout connue en Allemagne où elle chante régulièrement Zerbinette à Frankfurt et Berlin, tout en se passionnant pour la musique contemporaine, qui se retrouve dorénavant à interpréter les rôles de Vénus et du Chef de la Police après les avoir abordés à la Maison de la Radio et de la Musique, en français, en décembre 2023. 

Non seulement son agilité vocale fait merveille, mais elle tire aussi des sonorités formidablement malléables et puissamment effilées dans les aigus, tout en leur donnant un métal consistant d’une grande souplesse avec des glissandi surnaturels, en se livrant à un jeu qui peut se révéler assez acrobatique, notamment avec l’utilisation du cheval d’arçons. Cette soirée est autant importante pour elle que pour le public qui n’a pas manqué de lui transmettre, au rideau final, ses fortes impressions.

Salut final

Salut final

Autre voix assez atypique, celle du contre-ténor américain John Holiday a une capacité à glisser de la clarté baroque à une étrange vocalité purement féminine qui ajoute une ambiguïté considérable à son personnage, accrochant en permanence l’auditeur par les changements de représentations mentales qu’il engendre naturellement. Il joue ainsi le rôle d’un homme politique qui vire au portrait d’un enfant gâté qui fuit ses responsabilités en envoyant au front médiatique ses deux ministres.

Baryton d’origine hongroise né à Stuttgart, Michael Nagy donne de l’épaisseur à Nekrotzar tout en suggérant une mélancolie désabusée qui fait penser à celle d’Amfortas. Son personnage, qui évolue de l’inquiétant au grotesque maladif, évoque pas son évolution esthétique glauque un rapport morbide à la mort.

Krzysztof Warlikowski avec en arrière-plan Avery Amereau et Sam Carl

Krzysztof Warlikowski avec en arrière-plan Avery Amereau et Sam Carl

En parallèle, la contralto Lindsay Ammann et le basse-baryton Sam Carl mettent beaucoup de vivacité et de drôlerie dans la peinture décomplexée de la relation entre l’astronome et sa femme, jouée avec beaucoup de présence.

Enfin, il y a une concordance idéale dans la fusion sensuelle des timbres des deux amants incarnés par Seonwoo Lee et Avery Amereau, Bálint Szabó et Kevin Conners sont deux ministres aux très grands talents de comédiens, et Andrew Hamilton, Thomas Mole et Nikita Volkov forment un groupe de trois soldats cerbériques aux profils de grands gaillards espiègles.

Kent Nagano, avec en arrière plan Sarah Aristidou, Sam Carl et Michael Nagy

Kent Nagano, avec en arrière plan Sarah Aristidou, Sam Carl et Michael Nagy

En grand défenseur des œuvres contemporaines, Kent Nagano impressionne beaucoup par sa maîtrise d’un orchestre d’une telle complexité, engageant les musiciens dans une théâtralité sans ambages dans les passages les plus violents – le paroxysme étant atteint dans la scène délirante de l’officier de la police secrète -, avec une très grande densité du son, mais aussi avec un soin merveilleux accordé à l'immatérialité des tissures orchestrales. La nature chaotique de la musique est aussi très bien contrôlée de manière à ce qu’elle respire avec le jeu des solistes, les jaillissements des cuivres sont toujours éclatants, et le sentiment d’unité du spectacle en est renforcé.

Seonwoo Lee, Krzysztof Warlikowski et Avery Amereau

Seonwoo Lee, Krzysztof Warlikowski et Avery Amereau

Avec une telle lecture d’ensemble, ce ‘Grand Macabre’ immerge l’auditeur dans le génie artistique de György Ligeti autant que dans son histoire personnelle, et montre à quel point celle-ci recouvre des résonances avec notre monde et ses images inquiétantes.

Kent Nagano, John Holiday, Felice Ross et Claude Bardouil

Kent Nagano, John Holiday, Felice Ross et Claude Bardouil

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Publié le 10 Février 2024

Beatrice di Tenda (Vincenzo Bellini – La Fenice de Venise, le 16 mars 1833)
Répétition générale du 03 février et représentations du 09 février et 07 mars 2024
Opéra Bastille

Beatrice di Tenda Tamara Wilson
Filippo Visconti Quinn Kelsey
Agnese del Maino Theresa Kronthaler
Orombello Pene Pati
Anichino Amitai Pati
Rizzardo del Maino Taesung Lee

Direction musicale Mark Wigglesworth
Mise en scène Peter Sellars (2024)

Nouvelle production et Entrée au répertoire
Coproduction avec le Gran Teatre del Liceu, Barcelone

Avec le soutien exceptionnel de Howard & Sarah D.Solomon Foundation - En hommage à Gerard Mortier
 

Retransmission en direct le jeudi 15 février 2024 sur la plateforme de l'Opéra national de Paris, Paris Opera Play
Diffusion sur France Musique le samedi 05 avril 2024 à 20h dans l'émission 'Samedi à l'opéra' présentée par Judith Chaine

Obsédé depuis 25 ans par ‘Beatrice di Tenda’, Peter Sellars a enfin l’occasion de monter l’avant-dernier opéra de Vincenzo Bellini composé pour Venise en 1833, deux ans avant ‘I Puritani’

Le compositeur cherchait à ouvrir le langage musical à travers cet ouvrage qui parle de la brutalité des dictatures, un sujet ô combien d’actualité.

L’œuvre connut sa première parisienne le 08 février 1841, au Théâtre des Italien installé à ce moment-là à la salle Ventadour, théâtre de 1500 places situé aujourd’hui à 500m du Palais Garnier, mais n’avait jamais été jouée jusqu’à présent à l’Opéra de Paris.

Quinn Kelsey (Filippo Visconti) et Tamara Wilson (Beatrice di Tenda)

Quinn Kelsey (Filippo Visconti) et Tamara Wilson (Beatrice di Tenda)

Le livret relate fidèlement les évènements tragiques qui amenèrent Béatrice Lascaris de Tende, épouse du duc de Milan, Filippo Maria Visconti, à être accusée d’adultère par ce dernier qui était en fait épris d’une autre femme. La jeune aristocrate sera alors emprisonnée, torturée et décapitée le 13 septembre 1418.

Raconter cette histoire dans un théâtre à vocation dramaturgique ne relève pas du simple amour pour le belcanto, mais de l'envie d'en montrer la valeur politique malgré une musique et un livret faiblement dramatiques. La volonté de Peter Sellars est d’en faire un manifeste contre la torture, celle-ci restant toujours pratiquée dans le monde, y compris dans certains pays développés, dans les situations où leur sécurité est engagée.

Tamara Wilson (Beatrice di Tenda)

Tamara Wilson (Beatrice di Tenda)

Il contextualise cette histoire à travers un décor unique stylisé qui représente un jardin à l’italienne composé de palissades labyrinthiques, d’arbres en forme de cônes et d’arbustes sphériques aux feuillages très finement dentelés qui permettent, par des éclairages intérieurs, de donner une coloration d’ensemble vert malachite, dont on peut soupçonner qu’elle est étudiée pour avoir une influence psychique sur le spectateur.

Les parois de la scène sont également recouvertes de panneaux réfléchissants qui élargissent l’espace naturel lorsque les lumières nocturnes sont en place.

Et en ouverture de seconde partie, les éclairages prennent une teinte rouge grenat afin de suggérer la violence de la scène de jugement qui va suivre, l’arrière scène représentant un environnement architectural froid et brutaliste par des effets de transparence complexes.

Une petite passerelle située latéralement en hauteur sur la droite permet d’isoler certaines scènes, dont le premier échange entre Agnese et Orombello, et de donner au chant un rayonnement plus stellaire.

Quinn Kelsey (Filippo Visconti)

Quinn Kelsey (Filippo Visconti)

Théâtralement, l’action reste minimaliste, mais les poses des artistes sont signifiantes et contrastées – l’ordonnancement des choristes se fait vers la scène, et non vers la salle, et malgré leur haine réciproque, Filippo et Beatrice se retrouvent pour un temps dans les bras l’un de l’autre  -, et il y a surtout une volonté de mettre en relief le sort de Beatrice et Orombello, dont rien n’est montré des actes de tortures qu’ils subissent, sinon, en avant scène, le résultat physique et réaliste des dégradations sur leurs corps.

L’horreur vient donc se confronter à la douce harmonie des lignes musicales afin de créer une dissonance de perceptions visuelle et auditive chez le spectateur.

Anecdotiquement, des figurants effectuent des gestes en apparence anodins, réglage d’une caméra de surveillance, coupe au sécateur des haies, nettoyage des parois, et enfin creusement dans le sol, gestes que n’importe quel quidam pourrait effectuer pour accompagner un acte de torture, jusqu’au nettoiement et enterrement des preuves.

Theresa Kronthaler (Agnese del Maino) et Pene Pati (Orombello)

Theresa Kronthaler (Agnese del Maino) et Pene Pati (Orombello)

Pour incarner la confrontation entre les deux aristocrates de Milan, ce sont deux artistes habitués à des rôles de compositeurs postérieurs à Bellini, de plus grandes capacités expressives, qui sont réunis.

Huit ans après ses débuts à Bastille en Rigoletto, Quinn Kelsey est de retour à Paris depuis la naissance de sa fille. Il fait vivre les torpeurs de Filippo avec un mélange séduisant d’inflexibilité et de velours malgré la monstruosité de son personnage.

C’est très troublant à entendre car, à l’écoute du baryton hawaïen, on ne peut s’empêcher de croire que ce Duc odieux pourrait se raviser. Mais non, la grande résonance humaine de son timbre de voix ne change rien à l’issue réservée à Beatrice.

Tamara Wilson (Beatrice di Tenda)

Tamara Wilson (Beatrice di Tenda)

Celle-ci est interprétée par Tamara Wilson qui était, il y a encore quelques mois, une impressionnante Turandot sur cette scène. Cette fois, les lignes belliniennes lui permettent d’exprimer une véritable sensibilité, d’éprouver des nuances piano, de maîtriser la finesse de ses aigus, mais aussi de laisser libre cours à des exaltations d’une grande intensité. 

Elle utilise son timbre vitraillé comme une lame qu’elle assouplit à volonté, tout en ayant une capacité à forger subitement une vrille d’une véritable pureté de glace à l’effet saisissant.

Le public en sera très impressionné et lui réservera, au final, un accueil dithyrambique.

Début de l'acte II : chœur des Demoiselles et Courtisans

Début de l'acte II : chœur des Demoiselles et Courtisans

Son amoureux, Orombello, est porté par un Pene Pati en pleine forme, magnifique de coulant vocal avec des teintes de couleur crème très variées, sombrement ambrées et parcellées d’éclats solaires, qui se mêlent à une sensualité de toute beauté. Son dernier soupir ‘Angiol di pace’, chanté depuis les coulisses, est d’ailleurs une merveille d’élégie. 

On retrouve ces mêmes qualités de flexibilité et de toucher chez son frère, Amitai Pati, qui fait vivre avec détermination le rôle plus court d’Anichino, l’ami d’Orombello.

Tamara Wilson (Beatrice di Tenda) et Pene Pati (Orombello)

Tamara Wilson (Beatrice di Tenda) et Pene Pati (Orombello)

Personnage trouble et triste qui tente de se raviser à la fin, Agnese del Maino trouve aussi à travers la voix de Theresa Kronthaler une fraîcheur aux lignes très maîtrisées avec de charmantes fluctuations de timbre, sa première mélodie étant un pur ravissement avant que ne se révèle la nature complotiste d’une femme trop jalouse.

Et Taesung Lee, ténor faisant partie du chœur, brille aussi en Rizzardo del Maino, style clair, franc et posé.

Tamara Wilson (Beatrice di Tenda) et Quinn Kelsey (Filippo Visconti)

Tamara Wilson (Beatrice di Tenda) et Quinn Kelsey (Filippo Visconti)

Un autre des grands plaisirs de la soirée est la cohésion du chœur scindé en deux parties équilibrées, féminine et masculine, qui se répondent à plusieurs reprises dans la scène sentencielle, avec un legato et une unité de style qui ne cherche pas l’effet trop forcé, et dieu sait si Ching-Lien Wu, la cheffe de chœur, peut avoir tendance à les massifier.

Dans ce répertoire, la touche est plus nuancée, et le positionnement des chœurs en frontal du haut du second balcon, lors de la seconde phase du jugement, permet d’entendre un bel effet de spatialisation d’ensemble bien réglé sur la direction du chef d’orchestre Mark Wigglesworth.

Tamara Wilson (Beatrice di Tenda)

Tamara Wilson (Beatrice di Tenda)

Ce dernier accorde constamment du soin à la fluidité des lignes et la clarté du tissu orchestral, les déliés des motifs solo étant toujours très mélodieux, mais il amortit moins les coups d’éclats de l’orchestration un peu trop dominés par les percussions.

Quinn Kelsey, Tamara Wilson, Pene Pati et Theresa Kronthaler

Quinn Kelsey, Tamara Wilson, Pene Pati et Theresa Kronthaler

Le très grand succès de cette première, donnée en l’absence de Peter Sellars retenu pour raison familiale - il ne reviendra qu'à la dernière représentation en spectateur -, mais qui était bien présent parmi le public à la dernière répétition avec son naturel enjoué qu’on lui connaît bien, s’est accompagné d’une vibrante ovation et de multiples rappels en hommage aux artistes et à une production qui cherche à sensibiliser sur l’essentiel sans surcharger inutilement.

Amitai Pati, Pene Pati, Tamara Wilson, Mark Wigglesworth, Ching-Lien Wu, Quinn Kelsey, Theresa Kronthaler et Taesung Lee

Amitai Pati, Pene Pati, Tamara Wilson, Mark Wigglesworth, Ching-Lien Wu, Quinn Kelsey, Theresa Kronthaler et Taesung Lee

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Publié le 15 Juillet 2023

Le Concert de Paris au Champ-de-Mars
Concert du 14 juillet 2023
Champ-de-Mars - Paris

Hector Berlioz – La Damnation de Faust : « Marche Hongroise » 
Giacomo Puccini Turandot : « Nessun dorma » [Francesco Demuro]
Edith Piaf : « La Vie en rose » [Pretty Yende]
Georges Bizet Carmen : « Habanera » [Stéphanie d’Oustrac]
Michel Legrand : « Les Moulins de Mon coeur» [Maîtrise de Radio France]
Jules Massenet Thaïs : « Voici donc la terrible cité » [Ludovic Tézier]
Edouard Lalo : « La Symphonie espagnole » [Vilde Frang]
Francesco Cilea Adriana Lecouvreur: « Io son l’umile ancella » [Ermonela Jaho]
Igor Stravinsky Petrouchka : « Danse russe » [Orchestre National de France]
George Gerschwin Porgy & Bess : « Summertime » [Marie-Laure Garnier]
Georg Friedrich Haendel – Le Messie – « Hallelujah » [Chœur de Radio France]
Grazyna Bacewicz : « Ouverture » [Orchestre National de France]
Sergueï Rachmaninov Rhapsodie sur un thème de Paganini : « Variation XVIII : Andante cantabile » [Daniil Trifonov]
Wolfgang Amadeus Mozart : « Ave Verum Corpus » [Maîtrise de Radio France]
Jules MassenetThaïs : « duo final » [Ludovic Tézier et Ermonela Jaho]
Camille Saint-Saëns Samson et Dalila : « Bacchanale » [Orchestre National de France]
Giuseppe Verdi Don Carlo : « Dio che nell'alma infondere » [Francesco Demuro et Ludovic Tézier]
Jacques Offenbach Les Contes d’Hoffmann : « Barcarolle » [Stéphanie d’Oustrac et Ermonela Jaho]
Ludwig von Beethoven Symphonie n°9 : « Final» [Orchestre et Chœur de Radio France]
Hector Berlioz / Claude Joseph Rouget de Lisle La Marseillaise (couplets n°1 et 2)

Avec Ermonela Jaho, soprano, Marie-Laure Garnier, soprano, Stéphanie d’Oustrac, mezzo-soprano, Francesco Demuro, ténor, Pretty Yende, soprano, Ludovic Tézier, baryton, Vilde Frang, violon, Daniil Trifonov, piano                     

Direction musicale Cristian Măcelaru
Chœur et Maîtrise de Radio France
Orchestre National de France

Initié en 2013 par Bertrand Delanoë, pour sa dernière année en tant que maire de la ville de Paris, le Concert de Paris célèbre en 2023 ses dix ans, et propose un programme de deux heures au cours duquel seront interprétées une vingtaine de pièces lyriques, instrumentales et chorales par six chanteurs lyriques, deux solistes, le Chœur et la Maîtrise de Radio France, tous portés par l’Orchestre national de France sous la direction de Cristian Măcelaru.

Stéphane Bern, Ermonela Jaho et Marie-Laure Garnier

Stéphane Bern, Ermonela Jaho et Marie-Laure Garnier

Et comme chaque année, le concert s’ouvre par la ‘Marche hongroise’, pièce entraînante extraite de l’ouverture de ‘La Damnation de Faust’ d’Hector Berlioz, un opéra créé le 06 décembre 1846  à la seconde salle Favart de l’Opéra Comique de Paris, et qui résonne en ce 14 juillet parisien avec le défilé militaire, ainsi que par son thème popularisé en 1966 par le film de Gerard Oury, ‘La Grande Vadrouille’

La grande scène de répétition au Palais Garnier où Louis de Funès incarnait le chef d’orchestre (imaginaire) Stanislas Lefort, est, en effet, restée inoubliable dans toutes les mémoires.

Marie-Laure Garnier chantant La Marseillaise

Marie-Laure Garnier chantant La Marseillaise

Ce soir, et en avant concert, le jeune pianiste sud-coréen Hyuk Lee, lauréat du concours international Long-Thibault 2022, se produit seul sur la scène du concert pendant 20 minutes.

Puis, Stéphane Bern, accompagné d’Ermonela Jaho et de Marie-Laure Garnier, lauréate du concours Voix des Outre-Mer 2019, présente le concert rediffusé en direct sur France Télévisions.

Des centaines de milliers de personnes venues seules, en famille ou entre amis, sont installées depuis des heures sur les pelouses du Champ-de-Mars, ce qui rend ce rendez-vous très intéressant afin de vivre la manière dont tout le monde va partager ces moments de musique classique joués en direct.

Il faut toutefois savoir que, contrairement aux téléspectateurs, le public présent n’entend pas la présentation des différents airs.

Maîtrise de Radio France - Les Moulins de Mon cœur

Maîtrise de Radio France - Les Moulins de Mon cœur

Et c’est à Francesco Demuro, venu à Paris pour chanter le rôle de Roméo dans ‘Roméo et Juliette’ joué en ce moment à l’Opéra Bastille jusqu’au 15 juillet, de faire l’ouverture de la retransmission. 

Il apparaît en cette fin de saison comme un véritable sauveur, car pour ceux qui s’en rappellent, il était allé remplacer Jonas Kaufmann à Londres le 01 juillet dernier dans ‘Werther’, alors qu’il venait, la veille, de faire son entrée sur la scène Bastille.

Et à nouveau ce soir, il remplace au dernier moment le ténor allemand qui a du annuler pour raison de santé.

Francesco Demuro - Nessun dorma

Francesco Demuro - Nessun dorma

Seul air de Giacomo Puccini que nous entendrons au cours du spectacle, ‘Nessun dorma’ est interprété avec style et douceur et aussi beaucoup de clarté dans la voix, ce qui en fait un prince très humble et lumineux. 

Pretty Yende, qui est la Juliette du ténor italien à l’opéra Bastille, et elle aussi venue au dernier moment pour faire revivre l’immortelle ‘Vie en rose’ d’Edith Piaf avec beaucoup de charme. Elle se permet même de rajouter une splendide coda lyrique à la fin de la chanson.

Pretty Yende - La Vie en rose

Pretty Yende - La Vie en rose

En Carmen, Stéphanie d’Oustrac se fait énormément plaisir en dépeignant un relief coquin, dangereux et sophistiqué pour la plus célèbre héroïne d’opéra du monde, et Ludovic Tézier, accompagné par un Orchestre national de France particulièrement luxuriant à ce moment précis, déploie avec intensité la stature d’Athanaël avec un air qui raconte comment sa ville d’origine, Alexandrie, l’a perverti.

Puis, l’irrésistible glamour d’Ermonela Jaho, qu’elle ornemente par des mouvements du corps souples et fortement courbés, tout en faisant entendre un timbre d’un velours noir très émouvant, ennoblit Adriana Lecouvreur en en faisant un portrait de diva lyrique de très grande classe.

Stéphanie d'Oustrac et Ermonela Jaho - La Barcarolle

Stéphanie d'Oustrac et Ermonela Jaho - La Barcarolle

Et avec ‘Summertime’, et surtout la Marseillaise qu’elle interprétera avec une voix très chaude et profonde en fin de concert, Marie-Laure Garnier impose une ampleur et une attitude plus solennelle, tout en faisant partager à tous son amour pour l’art du gospel.

Ermonela Jaho, Stéphanie d’Oustrac, Ludovic Tézier et Francesco Demuro reviendront ensuite dans des duos de Massenet, Offenbach et Verdi, ce qui nous permettra de profiter des jeux interactifs entre les artistes où se mêlent charme, soutien et confrontation.

Ludovic Tézier et Ermonela Jaho - Duo final de Thaïs

Ludovic Tézier et Ermonela Jaho - Duo final de Thaïs

Parmi les passages purement orchestraux, une rareté de la compositrice polonaise Grazyna Bacewicz, ‘Ouverture’, est jouée avec une verve trépidante comme s’il s’agissait de raconter une action scénique qui défile sans qu’aucune respiration ne soit possible.

Mais c’est sur la ‘Bacchanale’ de ‘Samson et Dalila’, menée avec un allant enthousiasmant et une très belle coloration, que l’on verra des spectateurs se laisser entraîner par les cadences orientalisantes.

Très forte impression également pour la ‘Rhapsodie sur un thème de Paganini’ de Rachmaninov, éblouissante par l’esprit fusionnel qui lie Daniil Trifonov à Cristian Măcelaru et l’Orchestre national de France.

Quant à Vilde Frang, c’est toute l’élégance d’un geste déterminé qu’elle exprime dans la ‘Symphonie espagnole’  d’Edouard Lalo.

Cristian Măcelaru et l'Orchestre national de France

Cristian Măcelaru et l'Orchestre national de France

Chœur de Radio France à son meilleur dans la 'Symphonie n°9' de Beethoven, Maîtrise de Radio France douce et apaisante, la rencontre avec un public qui, majoritairement, est peu habitué au répertoire classique, laisse aussi entrevoir qu’il y a forcément une ou plusieurs pièces musicales qui toucheront chacun des auditeurs, tant les styles proposés sont différents.

Hyuk Lee, Daniil Trifonov, Vilde Frang, Pretty Yende, Marie-Laure Garnier, Francesco Demuro, Ermonela Jaho, Cristian Măcelaru, Stéphanie d'Oustrac et Ludovic Tézier

Hyuk Lee, Daniil Trifonov, Vilde Frang, Pretty Yende, Marie-Laure Garnier, Francesco Demuro, Ermonela Jaho, Cristian Măcelaru, Stéphanie d'Oustrac et Ludovic Tézier

Cette soirée est aussi l'occasion d’une prouesse technique qui se traduit par une qualité de restitution musicale très appréciable en extérieur, et aussi par une grande complexité des jeux d’éclairages, surtout en fin de concert, quand la nuit est tombée. Au final, ce sont 3 260 000 téléspectateurs qui se sont retrouvés sur France Télévisions.

Le grand feux d’artifice final fait ainsi l’effet d’une bouteille de champagne que l’on ouvre pour célébrer haut en couleur ce grand hommage vivant offert à la musique classique.

Feux d'artifice du 14 juillet 2023

Feux d'artifice du 14 juillet 2023

Il est possible de revoir le Concert de Paris 2023 (jusqu'au 13 avril 2024) sous le lien suivant : le Concert de Paris 2023.

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