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Publié le 8 Octobre 2024

Turandot (Giacomo Puccini – 25 avril 1926, Scala de Milan)
Représentation du 06 octobre 2024
Bayerische Staatsoper München

La principessa Turandot Saioa Hernández
L'imperatore Altoum Kevin Conners
Timur, Re tartaro spodestato Vitalij Kowaljow
Il principe ignoto (Calaf) Yonghoon Lee
Liù Selene Zanetti
Ping Thomas Mole
Pang Tansel Akzeybek
Pong Andrés Agudelo
Un mandarino Bálint Szabó
Il principe di Persia Andrés Agudelo

Direction musicale Antonino Fogliani
Mise en scène Carlus Padrissa - La Fura dels Baus (2011)

En pleine ascension tardive au répertoire du Bayerische Staatsoper où l’ultime opéra de Giacomo Puccini a dorénavant rejoint les 30 premiers titres les plus joués des 25 dernières années grâce à la production de Carlus Padrissa - l’un des six directeurs artistiques de ‘La Fura dels Baus’ – créée sur les planches munichoises le 03 décembre 2011, ‘Turandot’ trouve dans cette réalisation une lecture d’une grande force expressive qui axe toutefois son propos sur la nature tortionnaire du régime chinois.

Saioa Hernández (La principessa Turandot)

Saioa Hernández (La principessa Turandot)

Ainsi, rarement Ping, Pang et Pong n’apparaîtront de façon aussi sordide comme les rouages majeurs de la machine répressive de Turandot, entreprenant au second acte une danse macabre devant un immense amas de crânes auxquels des vidéographies numériques stylisées ajouteront un vrai sentiment de malaise.

Cette machine répressive se manifeste sur scène à travers un discret service d’ordre se mélangeant à des mouvements de foules parfois exotiques, que ce soit par la présence de danseurs de hip-hop ou de patineuses qui se révèlent, elles, naturellement plus évocatrices de la nature ondoyante de la musique.

La plus troublante image du chœur proviendra pourtant d’un groupe d’enfants habillés en tenues blanches illuminées, trainant le char du Prince de Perse sacrifié comme si l’inconscience de l’enfance se laissait d’emblée pervertir pour devenir complice du système.

Turandot (Hernández Lee Zanetti Fogliani Padrissa) Munich

 

Des vidéographies se superposent à la scénographie pour renvoyer des images en lien avec les ressorts dramatiques et violents en jeu, ou bien pour représenter la glace intérieure de Turandot qui s’effondre sous forme d’immenses icebergs se dégradant au fur et à mesure que Calaf résout les énigmes.

A cela s'ajoutent des lunettes 3D prêtées au public qui permettent de visualiser les effets psychédéliques qui s’animent autour d’un large anneau descendant des cintres pour envelopper Turandot, sans que celles-ci soient pour autant l’attraction majeure de cette lecture flamboyante.

Selene Zanetti (Liù)

Selene Zanetti (Liù)

La version choisie étant celle inachevée par Puccini, l’opéra se termine sur la mort de Liù qui est mise en scène de façon très cruelle, car la jeune femme subit l’horrible supplice du bambou, pousse dure à croissance rapide pouvant transpercer la chair en quelques jours.

Si cette vision de la Chine est effrayante mais aussi haut-en-couleur au moment de l’entrée de celle-ci dans la société de consommation et de la drogue, le spectacle regorge de références symboliques et calligraphiques, mais a pour paradoxe de peu mettre en valeur les liens sentimentaux entre les personnages simples, Calaf, Liù et Timur, pour, au contraire, humaniser Turandot en la faisant descendre de son piédestal et la montrer en relation directe avec les personnages principaux.

Il est même rendu compte de son drame intérieur à travers une vidéo sombre montrant une jeune femme fuyant à travers la forêt mais ne pouvant échapper à un viol.

Saioa Hernández (La principessa Turandot)

Saioa Hernández (La principessa Turandot)

Pour cette reprise qui en est à sa 42e représentation en 13 ans, la soprano espagnole Saioa Hernández investit à nouveau le personnage de Turandot, un an après sa prise de rôle au Teatro Real de Madrid en juillet 2023, et son superbe aplomb s’impose sans faille d’autant plus qu’elle maîtrise une tessiture absolument inaltérable même dans les aigus les plus hauts et puissants.

Elle domine ainsi constamment l’orchestre, y compris dans les passages les plus éruptifs, en nourrissant et enrichissant le son d’une manière dynamique qui préserve l’unité de la texture vocale.

Il y a donc beaucoup d’assurance dans cette Turandot inflexible mais moins distante que d’autres interprétations, douée d’une humanité austère et sophistiquée à la fois.

Yonghoon Lee (Calaf)

Yonghoon Lee (Calaf)

Son partenaire, Yonghoon Lee, qui a abordé le rôle de Calaf pour la première fois il y a 12 ans au Teatro Comunale de Bologne, affiche une solide endurance avec une détermination et une expressivité de geste et de visage d’une sincérité très directe, sans jamais détimbrer.

Toutefois, s’il s’impose facilement quand l’orchestre est en retrait, sa puissance ne domine pas autant celle de Saioa Hernández, sa tessiture manquant un peu de corps. Par ailleurs, l’élocution est également moins bien définie, le métal de sa voix restant de toute façon très homogène avec une coloration uniformément mate.

Reste que son incarnation doloriste est pleinement convaincante, et qu’il fait preuve d’allègement et de nuance dans le célébrissime ‘Nessun dorma’.

Selene Zanetti (Liù) et Saioa Hernández (La principessa Turandot)

Selene Zanetti (Liù) et Saioa Hernández (La principessa Turandot)

Elle était déjà Liù auprès de Saioa Hernández à la Fenice de Venise début septembre, Selene Zanetti ne joue clairement pas le mélodrame en privilégiant une grande intériorité.

Elle peut compter sur un timbre somptueux gorgé de couleurs profondes, ce qui lui permet d’imposer une pure présence vocale à chacune de ses interventions, et ce d’autant plus qu’accompagnée du chœur murmurant c’est elle qui achève l’opéra dans une posture sacrificielle d’une grande dureté.

Turandot (Hernández Lee Zanetti Fogliani Padrissa) Munich

Sans la moindre drôlerie, bien au contraire, les trois ministres Ping, Pang et Pong trouvent en Thomas Mole, Tansel Akzeybek et Andrés Agudelo trois chanteurs consistants et homogènes.

Quant à Vitalij Kowaljow, il impose facilement ses résonances graves en Timur, mais sans affect sensible avec Liù, alors que l’Empereur Altoum de Kevin Conners s’inscrit dans la même tonalité sévère d’ensemble.

Selene Zanetti

Selene Zanetti

Aux commandes d’un Orchestre d’État de Bavière ronflant et chaleureux, Antonino Fogliani joue le grand spectacle à fond, n’hésitant pas à faire trembler les piliers du théâtre avec un vrai sens de l’influx dramatique. Il s’appuie sur des tempi modérés, découvre un ensemble de colorations foisonnantes, et fait même entendre des textures spatio-temporelles surnaturelles – air de Liù au premier acte - qui s’accordent fort bien avec la scénographie imaginative et visuelle de la production.

Selene Zanetti, Antonino Fogliani, Saioa Hernández et Yonghoon Lee

Selene Zanetti, Antonino Fogliani, Saioa Hernández et Yonghoon Lee

Les chœurs ont l’unité et le pouvoir inspirant que nous leur connaissons bien, et quand vous y ajoutez les effets acoustiques particuliers de ce théâtre, selon votre emplacement, ce spectacle offre dans toutes ses dimensions une énergie stimulante et une saturation de codes et de symboles d’une pénétrance fort connectée à l’univers impérial et sanguinaire de cette Chine fantasmée et inquiétante.

Turandot (Hernández Lee Zanetti Fogliani Padrissa) Munich

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Publié le 13 Mai 2017

La Création (Joseph Haydn)
Représentation du 11 mai 2017
Auditorium de La Seine Musicale

Gabriel et Eve Mari Eriksmoen
Raphael et Adam Daniel Schmutzhard
Uriel Martin Mitterrutzner

Direction musicale Laurence Equilbey
Mise en scène La Fura dels Baus – Carlus Padrissa
accentus - Insula orchestra

Coproduction Ludwigsburger Schlossfestspiele, Elbphilharmonie Hamburg     
Laurence Equilbey

La création publique de La création de Joseph Haydn au Burgtheater de Vienne, le 19 mars 1799, est un événement majeur dans le développement du Théâtre National Allemand fondé par Joseph II en 1776. 

En effet, 17 ans plus tôt, Wolfgang Amadé Mozart créait dans ce même théâtre L’enlèvement au sérail, un ouvrage considéré comme l’apogée du Singspiel National Allemand, suivi par la trilogie da Ponte (Les Noces de Figaro, Don Giovanni – version de Vienne -, Cosi fan tutte) qui s’imposa difficilement face aux ouvrages d’Antonio Salieri.

L’originalité de Haydn fut de mêler la légèreté d’une écriture poétique aussi fine que celle du jeune Mozart au formalisme de l’oratorio, dont il avait pu s’imprégner lors de ses voyages en Angleterre à travers la découverte des œuvres religieuses d’Haendel.

Et Dieu créa l'homme à son image - 6eme jour

Et Dieu créa l'homme à son image - 6eme jour

Sur la base d’un poème anglais adapté en allemand, il composa une musique à valeur universelle qui décrivit la naissance du monde, et la partition originale conserva par ailleurs les paroles en anglais et en allemand, une première pour l’époque.

C’est donc cet ouvrage unificateur qu’accueille pour deux soirées l’Auditorium de la Seine Musicale inaugurée le 24 avril dernier sur l’Ile Seguin, face au chemin de halage bordés de péniches qui, amarrées au creux d’un bras de Seine, évoquent un désir de vie libre.

Confiée aux technologies électroniques et vidéographiques et aux costumes fantaisistes luminescents imaginés par Carlus Padrissa et La Fura dels Baus, l’imagerie de La création laisse de côté toute évocation religieuse pour créer un spectacle visuel qui ne surprend plus les habitués de la troupe d’artistes catalans, et qui s’appuie sur les véritables éléments de la création de la vie que sont les mouvements perpétuels de l’univers, l’eau et l’ADN.  

Martin Mitterrutzner (Uriel)

Martin Mitterrutzner (Uriel)

L’ouverture débute sur l’explosion du Big-Bang somptueusement magnifiée par les lignes souples et modernes de l’orchestre.

Un des plus beaux et impressifs moment survient au quatrième jour, lorsque des figurants montent le long des rangées de spectateurs en mimant, à l’aide de sphères lumineuses d’éclat variable et multicolore, les révolutions harmonieuses des planètes.

A d’autres instants, la machinerie utilisée pour faire s’élever la narratrice au-dessus des musiciens, comme l’avait fait La Fura dels Baus pour la Reine de la nuit à Bochum et, plus tard, à Bastille, démonte cette impression imaginaire, car les mécanismes sont inévitablement visibles et audibles de par les dimensions modestes de la salle.

Il est vrai que l’équipe artistique a souvent pour habitude de travailler dans des espaces bien plus grands, et cela se ressent.

Martin Mitterrutzner (Uriel)

Martin Mitterrutzner (Uriel)

A la fin du sixième jour, Carlus Padrissa ne manque pas de rendre hommage à son mentor, Gerard Mortier, en faisant apparaitre en filigrane son visage grave au moment où l’œuvre célèbre la création de l’homme à l’image de Dieu. Le chœur accentus entame un splendide choral qui alterne groupes de sopranos, de ténors et de basses chanté avec une précision et un sentiment d’humanité absolument émouvant.

La naissance d’Eve et d’Adam émerge de la cuve d’eau translucide qui, jusqu’à présent, servait surtout des jeux d’eau parfois laborieux. Ce passage est alors accompagné par des évasions de motifs instrumentaux sublimes, à travers l’acoustique d’une salle qui respecte la chair des voix des solistes, l’unité du chœur et l’ampleur du son orchestral avec une impression d’envahissement sonore qui s’abstient de toute réverbération inutile.

Mari Eriksmoen (Eve)

Mari Eriksmoen (Eve)

Ce chœur qui, de bout en bout, éblouit par sa subtilité, revient à nouveau se mélanger aux auditeurs sous d’immenses sphères suspendues, comme des étoiles, et l’on peut alors entendre les moindres murmures de chaque chanteur à portée d’oreille. 

Les trois solistes, Mari Eriksmoen, soprano rayonnante, Martin Mitterrutzner, ténor dont on peut saisir des accents de mélancolie qui rappellent ceux de Charles Workman, et Daniel Schmutzhard, qui se révèle par la jeunesse d’Adam, partagent une même joliesse de timbre et un même sens du classicisme qui participent à l’esprit d’optimisme de la représentation.

Die Schöpfung-La Création (Equilbey-Insula Orchestra-accentus-La Fura dels Baus-Padrissa) La Seine Musicale

En résidence, et donc dorénavant chez eux, les musiciens d’Insula orchestra donnent un magnifique liant clair et vivant à l’interprétation de cette partition, leurs sonorités de métal pures et effilées se fondent avec la lumière du visuel, et cette musique post-révolutionnaire se renouvelle ainsi dans un espace du XXIème siècle que Laurence Equilbey anime avec une verve rigoureuse et naturellement bienveillante.

Concert à revoir sur Concert Arte.

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