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Publié le 27 Avril 2022

Jenůfa (Leoš Janáček – 1904)
Représentation du 26 avril 2022
Opéra de Rouen

Jenůfa Buryja Natalya Romaniw
Kostelnička Buryjovka Christine Rice
Laca Klemeň Kyle van Schoonhoven
Števa Buryja Dovlet Nurgeldiyev
Stařenka Buryjovka Doris Lamprecht
Stárek Yoann Dubruque
Le maire du village Victor Sicard
La femme du maire Aline Martin
Karolka Séraphine Cotrez
Pastuchyňa Lise Nougier
Barena Yete Queiroz
Jano Clara Guillon

Direction musicale Antony Hermus
Mise en scène Calixto Bieito (2007)

Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie                        Calixto Bieito
Chœur accentus / Opéra de Rouen Normandie

Production de l'Opéra de Stuttgart

L’arrivée à l’Opéra de Rouen de la production de ‘Jenůfa’ conçue par Calixto Bieito pour l’Opéra de Stuttgart en 2007, où elle avait été reprise en 2015 et 2016 avec Angela Denoke dans le rôle de la sacristine, est un des grands évènements de la saison 2021/2022.

La conception de ce spectacle avait déjà été décrite sur ces propres pages en 2016, et l’on retrouve toutes ses lignes de forces qui en font un drame social contemporain raconté avec un réalisme juste qui n’affadit aucunement ses rudesses, et qui fait apparaître les beautés d’âme à travers des expressions corporelles toujours très fouillées.

Natalya Romaniw (Jenůfa) et Christine Rice (Kostelnička Buryjovka)

Natalya Romaniw (Jenůfa) et Christine Rice (Kostelnička Buryjovka)

C’est donc à l'intérieur d'un vieux bâtiment industriel abandonné que se déroule l’action où vit une communauté marginale qui fait beaucoup penser à celle de ‘Lady Macbeth de Mzensk’ de Chostakovitch.
Jenůfa est une femme d’apparence vulgaire, et Laca, celui qui l’aime et qui ira jusqu’à la défigurer, n’est qu’un simple manutentionnaire. Son demi-frère, Števa, apparaît plus comme un petit arriviste qui cherche à émerger de ce médiocre monde par une réussite matérielle dérisoire, parfaitement lisible au dernier acte lorsqu’il réapparaît avec sa nouvelle femme qui n’a rien de l’humanité de Jenůfa.

Yoann Dubruque (Le meunier)

Yoann Dubruque (Le meunier)

Après le tumulte de la première partie où le chœur accentus est scéniquement fort sollicité tout en faisant entendre une subtile grâce vocale sur fond de danses, les éclairages permettent de circonscrire des unités de lieu de manière plus resserrée tout en focalisant l’attention sur l’intimité du ressenti et des intentions de Kostelnička et Jenůfa.

Les pleurs du bébé de la jeune femme sont omniprésents, et les tourments de la sacristine, avant de commettre le meurtre de l’enfant et après être soumise aux remords, sont mis en scène avec un sens de l’effroi très shakespearien qui fait ressurgir les voix des troubles intérieurs liés à la culpabilité.

Jenufa (Romaniw – Rice – van Schoonhoven - Hermus - Bieito) Opéra de Rouen

Et la troisième partie représente une usine de fabrication de vêtements à la chaîne, qui traduit la sensibilité à la condition humaine broyée par le productivisme avec laquelle Calixto Bieito innerve nombre de ses productions, mais qu’il réussit à transcender en montrant comment l’amour entre Jenůfa et Laca s’élève à travers une délicatesse d’attention et une bienveillance dans le regard qui est une façon de faire émerger une lumière humaine non idéalisée mais profondément authentique.

L’ensemble des solistes et des choristes s’approprient véritablement le jeu d’acteur que le metteur en scène leur instille parfois de façon outrancière, et tous les chanteurs, même les petits rôles, ont des qualités vocales suffisamment expressives pour immerger les spectateurs dans un univers sensitif riche et teinté de sonorités moraves.

Natalya Romaniw (Jenůfa) et Kyle van Schoonhoven (Laca)

Natalya Romaniw (Jenůfa) et Kyle van Schoonhoven (Laca)

Avec son timbre rond au moelleux indéfini qui évoque la lascivité slave, Natalya Romaniw rend à Jenůfa une digne féminité, blessée mais sans excès d’affectation, et fait ainsi ressentir une chaleur naturelle que l’on ne retrouve pas avec une telle intensité dans son entourage. 

Christine Rice, plus jeune que les habituelles interprètes du rôle de Kostelnička, incarne une véritable force vitale très assurée avec, là aussi, une belle homogénéité de voix grave qui fait vivre les forces sombres qui l’animent, et un personnage qui est dans une dure souffrance. Mais l’engagement pourrait aussi accentuer encore plus les fêlures internes et pousser encore plus loin l’extériorisation de la violence qui en découle.

Natalya Romaniw (Jenůfa) et Kyle van Schoonhoven (Laca)

Natalya Romaniw (Jenůfa) et Kyle van Schoonhoven (Laca)

Charmant de par l’unité de ses couleurs vocales brunes, Yoann Dubruque crée un trouble en jouant tout de même un meunier dans les faits moins sympathique que l’allure de son interprète, et Dovlet Nurgeldiyev fait bien ressortir la superficialité indéfinie de Steva, renforcée par la légèreté de son timbre clair bien chantant. 

Le Laca de Kyle van Schoonhoven est en revanche bien plus complexe dans son rendu vocal, que ce soit par la tonalité un peu aigrie qu’il renvoie au premier acte, et le sentiment de malaise qui en découle, que par le renouveau plus adouci et très agréable qu’il va révéler au dernier acte, comme si ces épreuves avaient régénéré son humanité. Voilà un très bel exemple d’évolution de caractère en cours de représentation, une vibrante respiration qui se libère totalement et qui rend ce final si touchant.

Kyle van Schoonhoven, Antony Hermus et Natalya Romaniw

Kyle van Schoonhoven, Antony Hermus et Natalya Romaniw

Et cela va dans le sens de l’évolution dramatique de la représentation, car si le premier acte est dominé par un certain chaos sur scène, un désordre et un conflit de couleurs de voix agressif où l’orchestre semble encore chercher son élan pour porter une telle énergie, c’est dans les actes suivants qu’il se déploie dans toute sa majesté avec ce toucher un peu pittoresque qui induit une essence pleinement nostalgique à ses sonorités. 

Le tissu orchestral dévoile des reflets diaphanes, l’ampleur s’ouvre comme s’il s’agissait d’exhaler l’âme des principaux protagonistes, les différents groupes d’instruments se répondent dans un flux vivant et poétique, et la présence de l’orchestre devient telle qu’elle outrepasse la banalité visuelle du milieu représenté sur scène, une superbe restitution qu’ Antony Hermus tire d’un ensemble porté à son meilleur dans son raffinement, et une telle éloquence s’achève par un triomphe en salle, les spectateurs ne s’y étant pas trompés.

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Publié le 13 Mai 2017

La Création (Joseph Haydn)
Représentation du 11 mai 2017
Auditorium de La Seine Musicale

Gabriel et Eve Mari Eriksmoen
Raphael et Adam Daniel Schmutzhard
Uriel Martin Mitterrutzner

Direction musicale Laurence Equilbey
Mise en scène La Fura dels Baus – Carlus Padrissa
accentus - Insula orchestra

Coproduction Ludwigsburger Schlossfestspiele, Elbphilharmonie Hamburg     
Laurence Equilbey

La création publique de La création de Joseph Haydn au Burgtheater de Vienne, le 19 mars 1799, est un événement majeur dans le développement du Théâtre National Allemand fondé par Joseph II en 1776. 

En effet, 17 ans plus tôt, Wolfgang Amadé Mozart créait dans ce même théâtre L’enlèvement au sérail, un ouvrage considéré comme l’apogée du Singspiel National Allemand, suivi par la trilogie da Ponte (Les Noces de Figaro, Don Giovanni – version de Vienne -, Cosi fan tutte) qui s’imposa difficilement face aux ouvrages d’Antonio Salieri.

L’originalité de Haydn fut de mêler la légèreté d’une écriture poétique aussi fine que celle du jeune Mozart au formalisme de l’oratorio, dont il avait pu s’imprégner lors de ses voyages en Angleterre à travers la découverte des œuvres religieuses d’Haendel.

Et Dieu créa l'homme à son image - 6eme jour

Et Dieu créa l'homme à son image - 6eme jour

Sur la base d’un poème anglais adapté en allemand, il composa une musique à valeur universelle qui décrivit la naissance du monde, et la partition originale conserva par ailleurs les paroles en anglais et en allemand, une première pour l’époque.

C’est donc cet ouvrage unificateur qu’accueille pour deux soirées l’Auditorium de la Seine Musicale inaugurée le 24 avril dernier sur l’Ile Seguin, face au chemin de halage bordés de péniches qui, amarrées au creux d’un bras de Seine, évoquent un désir de vie libre.

Confiée aux technologies électroniques et vidéographiques et aux costumes fantaisistes luminescents imaginés par Carlus Padrissa et La Fura dels Baus, l’imagerie de La création laisse de côté toute évocation religieuse pour créer un spectacle visuel qui ne surprend plus les habitués de la troupe d’artistes catalans, et qui s’appuie sur les véritables éléments de la création de la vie que sont les mouvements perpétuels de l’univers, l’eau et l’ADN.  

Martin Mitterrutzner (Uriel)

Martin Mitterrutzner (Uriel)

L’ouverture débute sur l’explosion du Big-Bang somptueusement magnifiée par les lignes souples et modernes de l’orchestre.

Un des plus beaux et impressifs moment survient au quatrième jour, lorsque des figurants montent le long des rangées de spectateurs en mimant, à l’aide de sphères lumineuses d’éclat variable et multicolore, les révolutions harmonieuses des planètes.

A d’autres instants, la machinerie utilisée pour faire s’élever la narratrice au-dessus des musiciens, comme l’avait fait La Fura dels Baus pour la Reine de la nuit à Bochum et, plus tard, à Bastille, démonte cette impression imaginaire, car les mécanismes sont inévitablement visibles et audibles de par les dimensions modestes de la salle.

Il est vrai que l’équipe artistique a souvent pour habitude de travailler dans des espaces bien plus grands, et cela se ressent.

Martin Mitterrutzner (Uriel)

Martin Mitterrutzner (Uriel)

A la fin du sixième jour, Carlus Padrissa ne manque pas de rendre hommage à son mentor, Gerard Mortier, en faisant apparaitre en filigrane son visage grave au moment où l’œuvre célèbre la création de l’homme à l’image de Dieu. Le chœur accentus entame un splendide choral qui alterne groupes de sopranos, de ténors et de basses chanté avec une précision et un sentiment d’humanité absolument émouvant.

La naissance d’Eve et d’Adam émerge de la cuve d’eau translucide qui, jusqu’à présent, servait surtout des jeux d’eau parfois laborieux. Ce passage est alors accompagné par des évasions de motifs instrumentaux sublimes, à travers l’acoustique d’une salle qui respecte la chair des voix des solistes, l’unité du chœur et l’ampleur du son orchestral avec une impression d’envahissement sonore qui s’abstient de toute réverbération inutile.

Mari Eriksmoen (Eve)

Mari Eriksmoen (Eve)

Ce chœur qui, de bout en bout, éblouit par sa subtilité, revient à nouveau se mélanger aux auditeurs sous d’immenses sphères suspendues, comme des étoiles, et l’on peut alors entendre les moindres murmures de chaque chanteur à portée d’oreille. 

Les trois solistes, Mari Eriksmoen, soprano rayonnante, Martin Mitterrutzner, ténor dont on peut saisir des accents de mélancolie qui rappellent ceux de Charles Workman, et Daniel Schmutzhard, qui se révèle par la jeunesse d’Adam, partagent une même joliesse de timbre et un même sens du classicisme qui participent à l’esprit d’optimisme de la représentation.

Die Schöpfung-La Création (Equilbey-Insula Orchestra-accentus-La Fura dels Baus-Padrissa) La Seine Musicale

En résidence, et donc dorénavant chez eux, les musiciens d’Insula orchestra donnent un magnifique liant clair et vivant à l’interprétation de cette partition, leurs sonorités de métal pures et effilées se fondent avec la lumière du visuel, et cette musique post-révolutionnaire se renouvelle ainsi dans un espace du XXIème siècle que Laurence Equilbey anime avec une verve rigoureuse et naturellement bienveillante.

Concert à revoir sur Concert Arte.

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