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Publié le 25 Janvier 2022

Hamlet (Ambroise Thomas – 1868)
Représentation du 24 janvier 2022
Opéra Comique – Salle Favart

Hamlet Stéphane Degout
Ophélie Sabine Devieilhe
Claudius Laurent Alvaro
Gertrude Géraldine Chauvet
Laërte Pierre Derhet
Le Spectre Jérôme Varnier
Marcellus, 2ème Fossoyeur Yu Shao
Horatio, 1er Fossoyeur Geoffroy Buffière
Polonius Nicolas Legoux

Direction musicale Louis Langrée
Mise en scène Cyril Teste (2018)
Orchestre des Champs-Élysées & Chœur Les Eléments

AvecRoméo et Juliette’ de Charles Gounod puis, ce soir, ‘Hamlet’ d’Ambroise Thomas,  l’Opéra Comique présente en moins de deux mois deux opéras français en cinq actes créés à Paris à moins d’un an d’intervalle, respectivement en avril 1867 et en mai 1868, au crépuscule de l’ère du Grand opéra. Cette conjonction est d’autant plus remarquable que ces deux ouvrages sont inspirés de deux tragédies shakespeariennes qui feront les belles soirées du Théâtre national de l’Opéra jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, avant de décliner durablement.

Sabine Devieilhe (Ophélie) et Stéphane Degout (Hamlet)

Sabine Devieilhe (Ophélie) et Stéphane Degout (Hamlet)

Mais si ‘Roméo et Juliette’ fut souvent représenté à la Salle Favart, ce ne fut pas le cas d’’Hamlet‘ qui ne fit son entrée au répertoire de cette salle qu’en 2018, dans la production de Cyril Teste qui est reprise en ce début d’année 2022.

‘Hamlet’ n’était en effet réapparu sur la scène parisienne qu’en l’an 2000 au Théâtre du Châtelet dans la production du Capitole de Nicolas Joel, avec Thomas Hampson, Natalie Dessay et José van Dam, à un moment où ce grand théâtre parisien rouvrait pour concurrencer l’Opéra national de Paris.

Sabine Devieilhe (Ophélie) et Stéphane Degout (Hamlet)

Sabine Devieilhe (Ophélie) et Stéphane Degout (Hamlet)

La scénographie de Cyril Teste inscrit les errances d’Hamlet dans l’univers mondain d’une grande famille d’aujourd’hui à partir d’un décor facilement modulable et épuré, éclairé avec un goût raffiné et légèrement glacé, qui représente les différents lieux d’un grand appartement bourgeois avec chambres et salle de réception qui se succèdent. 

Le sol et l’arrière-scène noirs semble isoler cet espace du reste du monde, et la direction d’acteur privilégie la lenteur comme si Hamlet vivait dans un temps décalé par rapport à un milieu qui ne lui convient pas. 

L’emploi de vidéographies permet sur toute la hauteur du cadre de scène de projeter les visages sévères, éperdus ou dépressifs des différents protagonistes avec une grande force expressive. 

Après une succession d’horizons pastels, de gris océaniques et une plongée calme dans des eaux abyssales, la mort d’Ophélie constitue le climax de ce travail de vidéaste qui n’est pas sans rappeler les réflexions de Bill Viola sur la mort de Tristan.

Stéphane Degout (Hamlet) et Géraldine Chauvet (Gertrude)

Stéphane Degout (Hamlet) et Géraldine Chauvet (Gertrude)

L’utilisation des espaces entourant la salle de l’Opéra-Comique, et le suivi filmé en direct du Roi ou du chœur avant qu'ils ne pénètrent au niveau du parterre, contribuent à l’immersion de l’auditeur, avec toutefois une réserve sur le spectre du père d’Hamlet – chanté par Jérôme Varnier avec une présence vocale d’outre-tombe saisissante, légèrement grisaillante et fortement impressive – qui s’extrait des rangs des spectateurs en tant qu’observateur, ce qui ne permet plus de l’associer à une conscience immatérielle.

Ce beau travail visuel, dont la complexité est savamment masquée, prend cependant le dessus sur l’envie d’enrichir le livret par une relecture forte des symboles contenus dans l’œuvre shakespearienne. En 2012, au Theater an der Wien, Olivier Py avait brillamment analysé les aspects œdipiens du drame, par exemple.

Fureur d'Hamlet après la pièce du Meurtre de Gonzague

Fureur d'Hamlet après la pièce du Meurtre de Gonzague

10 ans après ses débuts en Hamlet, justement dans la production d’Olivier Py, Stéphane Degout est au summum de sa maturité vocale et dramatique. Grande force éruptive, désarroi poétique, chant et déclamation superbement liés et d’une grande netteté, il s’impose aujourd'hui comme l’un des interprètes majeurs du prince danois, lucide et torturé, et surtout moderne. Et pourtant, n’y a-t-il pas des sentiments encore plus noirs et encore plus profonds qui pourraient être montrés?

Auprès de lui, Sabine Devieilhe trouve ici probablement son rôle le plus abouti et le plus complet à la scène jusqu’à présent, car il met à l’épreuve sa virtuosité - dans son grand air final intime et si purement aérien, évidemment -, et il fait également exprimer les couleurs joliment teintées et les accents les plus touchants que l’on puisse entendre de sa part. Son regard sur Hamlet est d’une totale sollicitude, et quel malheur que ce soit le personnage le plus équilibré de l’histoire qui finisse par disparaître ! Cyril Teste cherche probablement à créer une connivence forte entre le public féminin et Ophélie.

Sabine Devieilhe (Ophélie)

Sabine Devieilhe (Ophélie)

D’une solide homogénéité de timbre, Laurent Alvaro dépeint un Claudius robuste avec une excellente assise, mais son personnage ne sort pas beaucoup d’un certain monolithisme. Géraldine Chauvet connaît bien le personnage de Gertrude depuis son incarnation au Grand Opéra d’Avignon en 2015, et offre ainsi un beau portrait de la mère d’Hamlet, sensible et réservé, sans aucun trait excessif, avec un timbre de voix ambré peu altéré qui contribue à la dignité de son caractère. 

Et par ailleurs, l’excellent Laërte de Pierre Derhet, avec un véritable sens de l’urgence et un impact vocal poignant, ne fait que donner envie de l’entendre dans des rôles bien plus consistants.

Enfin, la magie du chœur des Eléments opère formidablement dans cette salle qui permet d’en apprécier l’unité élégiaque et le raffinement jusque dans les murmures, et même si la salle Favart parait un peu restreinte pour déployer toute l’étendue du tissu orchestral d’'Hamlet', Louis Langrée lui apporte du nerf, attache une grande attention à la poésie des motifs des instruments en solo, bien mis en valeur ici, et la scène du meurtre de Gonzague est véritablement le confluent des forces instrumentales qu’il conduit sur une ligne théâtrale d’une grande efficacité.

Pierre Derhet (Laërte) et Sabine Devieilhe (Ophélie)

Pierre Derhet (Laërte) et Sabine Devieilhe (Ophélie)

Le final est celui de la création, c’est-à-dire l’avènement d’ Hamlet au trône du Danemark - mais Cyril Teste nous montre en ultime image le visage d’un Hamlet intérieurement ravagé, et c’est avec grande impatience que l’on attend de savoir si c’est cette version d’'Hamlet' que l’Opéra de Paris présentera au cours des prochaines saisons, ou bien si ce sera celle modifiée par Ambroise Thomas pour Londres (1869) qui s’achève sur la mort de l’anti-héros afin de rapprocher un peu plus son œuvre lyrique de l’esprit de la pièce de Shakespeare.

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Publié le 28 Janvier 2016

Capriccio (Richard Strauss)
Représentation du 27 janvier 2016
Palais Garnier

La Comtesse Emily Magee
Le Comte Wolfgang Koch
Flamand Benjamin Bernheim
Olivier Lauri Vasar
La Roche Lars Woldt / Franz Hawlata
Clairon Michaela Schuster
La chanteuse italienne Chiara Skerath
Le chanteur italien Juan José De León
Monsieur Taupe Graham Clark
Le Majordome Jérôme Varnier

Direction musicale Ingo Metzmacher
Mise en scène Robert Carsen (2004)                          Emily Magee (La Comtesse Madeleine)

La nouvelle reprise de Capriccio dans la mise en scène de Robert Carsen est une telle réussite artistique, qu’elle dépasse l’effet de ravissement simplement dû à une brillante interprétation musicale.

Car à une époque où une proposition scénique s’efface rapidement devant la suivante, celle du directeur canadien atteint un tel absolu dans la rencontre entre une œuvre lyrique et un lieu mythique de l’histoire de l’Opéra, que l’on n’imagine pas un seul instant qu’elle puisse être un jour remplacée.

Benjamin Bernheim (Flamand)

Benjamin Bernheim (Flamand)

Ainsi, quand l’on repense au temps qu’évoque le livret, notre imaginaire se figure l'année 1775 dans un château inconnu proche de Paris, cinq ans après la reconstruction d’une nouvelle salle d’opéra au Palais Royal, sous la direction de l’architecte Pierre-Louis Moreau Desproux.

En ce temps, et après une longue carrière à Vienne, Christoph Willibald Gluck vient d’arriver dans la capitale, et est entré à l’Académie Royale de Musique sous la protection de son ancienne élève de Schönbrunn, Marie Antoinette, devenue Reine au même moment.

Il y crée ‘Iphigénie en Aulide’, opéra révolutionnaire par l’importance donnée à une musique savante, ce que le Directeur, dans la pièce Capriccio, déplore au début du livret.

La scène, avant le sextuor

La scène, avant le sextuor

Quant au château de la Comtesse Madeleine, Robert Carsen le transpose au Palais Garnier, bâtiment somptueux devenu, plus tard, le nouveau château de la bourgeoisie parisienne de la fin du XIXème siècle.

En nous montrant ainsi, en ouverture, l’arrière scène d’un théâtre où traîne une toile des Noces de Figaro mis en scène par Giorgio Strehler à Versailles puis Garnier au début de l’ère Liebermann (1973-1980)  – autre rapprochement frappant d’un Château Royal avec ce Théâtre Lyrique -, puis une reconstitution fastueuse des luminaires, glaces et colonnes dorées torsadées du Foyer de la danse, il avance ainsi sur scène une salle intime située en fait cinquante mètres en arrière vers le fond du bâtiment.

Nous ne la verrons, repoussée au loin, qu’à la toute fin, dans le prolongement du vide laissé une fois l’ensemble des décors retirés.

Emily Magee (La Comtesse Madeleine) et  Lauri Vasar (Olivier)

Emily Magee (La Comtesse Madeleine) et Lauri Vasar (Olivier)

Cet enfermement du théâtre dans le théâtre, dans lequel le public peut se voir aussi bien à travers les conversations des protagonistes que visuellement dans les reflets des miroirs, est la plus belle allégorie de l’amour du public parisien pour un art qui lui renvoie une image flatteuse de lui-même.

Voilà pourquoi réentendre cet opéra interprété par une équipe d’artistes aussi talentueux et aussi mélodieusement liés que ceux entendus ce soir ré-enchante profondément notre rapport à un lieu et à un art vivant fondamental.

Le Salon de la danse reconstitué en théâtre

Le Salon de la danse reconstitué en théâtre

Après l’ouverture du sextuor jouée d’une douce nonchalance, Benjamin Bernheim, le musicien Flamand, et Lauri Vasar, le poète Olivier, apparaissent d’emblée d’une sensibilité comparable.

L’un a évidemment un timbre plus clair que l’autre, des éclats du cœur plus piquants, mais tous deux se retrouvent dans une même tonalité tendre et directe. Tous deux semblent en permanence prisonniers d’un sentiment amoureux qu’ils tentent de vivre comme un défi qui les pousse à donner de façon exemplaire le meilleur d’eux-mêmes.

Benjamin Bernheim (Flamand)

Benjamin Bernheim (Flamand)

Le Comte de Wolfgang Koch, lui, révèle une douce humilité que l’on n’imagine pas naturellement quand on le connait dans les rôles plus brutaux que sont ceux de Wotan (Der Ring des Nibelungen) ou de Barack (Die Frau Ohne Schatten).

Et La Roche bénéficie exceptionnellement des talents de comédien de Lars Woldt, aphone ce soir, et de la voix mordante et chaleureuse de Franz Hawlata, planté stoïquement en doublure sur le côté de la scène, où il incarna ce rôle 12 ans auparavant.

Malgré leur distinction, la fusion entre les gestes de l’un et le chant de l’autre opère le plus souvent sans que l’on s’en rende compte.

Emily Magee (La Comtesse Madeleine) et son double
Emily Magee (La Comtesse Madeleine) et son double

Emily Magee (La Comtesse Madeleine) et son double

Et même si Michaela Schuster incarne une Clairon très sûre d’elle avec des traits déclamatoires véristes, elle s’insère en toute aisance dans ce jeu où elle représente l’actrice qui existe d’abord par son sens du langage du corps.

Rôle mis en valeur qu'à la fin de cette journée de conversation, le majordome de Jérôme Varnier, sérieux et droit, ajoute une nuance de classicisme à cet univers chargé de la pompe clinquante du Second Empire.

Emily Magee (La Comtesse Madeleine)

Emily Magee (La Comtesse Madeleine)

Depuis la création de ce spectacle en 2004, nous avons inévitablement le souvenir d’une Renée Fleming sophistiquée et glamour. Et bien, maintenant, nous avons avec Emily Magee la présence d’une Comtesse entièrement vraie, femme vivante qui ne s’enferme pas dans un style précieux, mais qui s'enrichit d'une spontanéité qui se retrouve dans le relief de la diction, très claire, une constance de couleur qui chante la simplicité du cœur, et une émission très canalisée, dénuée de l’évanescence que l’on associe aussi à ce rôle.

Elle a de la personnalité, et elle nous touche par à la générosité avec laquelle elle la partage.

Salut final avec, en fond de scène, le Foyer de la danse

Salut final avec, en fond de scène, le Foyer de la danse

Mais s’il y a une évidente accroche entre tous ces artistes qui fait que l’on vit constamment avec eux leurs émotions prises à ce jeu du théâtre, l’expression de leurs sentiments est cependant sublimée par la direction exceptionnelle d’Ingo Metzmacher. Il amène en effet l’orchestre de l’Opéra National de Paris à vivre en phase avec chaque chanteur, comme si le souffle de l’orchestre devait épouser fidèlement les débordements de leurs élans du coeur.

L’auditeur est donc doublement pris par les troubles en jeu, et par la musique qui les surligne dans un mouvement long, ondoyant, majestueux et presque subliminal par cette attention que le chef porte à soigner les détails tout en préservant le rayonnement de chaque être sur scène.  C’est magnifique et d’une beauté totalement irréelle.

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Publié le 28 Mars 2013

Roméo et Juliette (Charles Gounod)
Version de concert du 24 mars 2013

Palais des Beaux-Arts (Bruxelles)
Théâtre Royal de la Monnaie

Juliette           Nino Machaidze
Stéphano      Angélique Noldus
Gertrude       Carole Wilson
Roméo         John Osborn
Tybalt           Tansel Akzeybek
Benvolio       Stefan Cifolelli
Mercutio      Lionel Lhote
Pâris            Alexandre Duhamel
Grégorio      Nabil Suliman
Capulet        Paul Gay
Frère Laurent Jérôme Varnier
Duc de Vérone Patrick Bolleire
Manuela      Amalia Avilán
Pepita          Kinga Borowska
Angelo         Marc Coulon
Frère Jean    Pascal Macou

Direction musicale         Evelino Pidò                              Tansel Akseybek (Tybalt)
Direction des chœurs    Martino Faggiani                       

Bozar, ou le Palais des Beaux-Arts, possède une salle magnifique pour y représenter Roméo et Juliette en version de concert, car elle abrite, au fond de la scène, un orgue au son somptueux.
La cérémonie de mariage de Juliette et Pâris en est le meilleur instant pour profiter de cette richesse sonore.
Dans cet opéra, la musique de Charles Gounod prend des accents épiques, dès l’ouverture, et elle décrit le drame avec des effets virtuoses et des climats intemporels entre lesquels viennent se glisser des passages plus pompeux et triviaux.
 

Orchestre Symphonique et choeurs de la Monnaie, direction Evelino Pido

Orchestre Symphonique et choeurs de la Monnaie, direction Evelino Pido

En tout cas, son énergie théâtrale est nimbée d’un sentimentalisme délicat pour lequel Evelino Pidò n’est peut être pas le meilleur défenseur. Sa rythmique tonique est une force qui place l’orchestre en principal acteur dramatique, mais la tonalité légère et pastel de cette musique s’évanouit dans un premier temps, et ne réapparaît, avec tout son mystère, que lors de la scène nocturne du balcon, le premier grand moment d’inspiration et d’évasion vers les rêves.

On retrouve de très beaux moments quand les chœurs fusionnent avec la masse orchestrale créant ainsi une harmonie d’ensemble souple et forte à la fois. D’autres passages perdront en revanche toute la fragilité allante et fluide que l’on voudrait entendre.

Nino Machaidze (Juliette)

Nino Machaidze (Juliette)

Même si l’on peut trouver qu’un opéra donné sans un minimum de mise en espace réduit considérablement son pouvoir émotionnel, à moins que l’interprétation musicale ne soit exceptionnelle, c’est pourtant l’occasion de révéler des chanteurs, parfois peu ou pas assez connus.

Ce n’est évidemment pas le cas de la soprano géorgienne Nino Machaidze qui avait déjà chanté le rôle de Juliette à Salzbourg, en 2008, avec Rolando Villazon. Belle femme pleine d’énergie, elle ne peut à aucun moment faire croire à une Juliette adolescente et sensible. Lumineuse et spectaculaire dans les aigus, elle use avec une joie évidente du pouvoir rayonnant de sa voix, mais tous les sentiments complexes et noirs, désespérés de la vie, que l’on devrait ressentir quand elle s’exprime dans les tonalités plus graves sont négligés.

Lionel Lhote (Mercutio) et John Osborn (Roméo)

Lionel Lhote (Mercutio) et John Osborn (Roméo)

John Osborn, bien plus précis que sa partenaire quant à la diction stylisée qu’exige la poésie du texte, réussit à rendre à la fois l’innocente adolescence de Roméo et l’héroïsme vital sans la moindre défaillance. Mais, comme à son habitude, il donne cette impression de grande fierté, que l’on retrouve chez un chanteur wagnérien actuel, Simon O’Neill, qui s’oppose au romantisme noir et éperdu des personnages qu’il interprète. C’était déjà le cas pour Hoffmann (Offenbach), et, là aussi, le démonstratif l’emporte sur la sensibilité.

Plus dense et imposant que Paul Gay, père Capulet touchant mais écourtant tous les aigus,  Jérôme Varnier est un très beau Frère Laurent, humain mais inflexible, une voix un peu grisonnante qui rejette tout affect pour rester sur une ligne bienveillante.
 

Parmi les émouvantes surprises, Tansel Akzeybek dessine un Tybalt superbe d’éloquence avec une beauté tendre qui contraste avec le caractère de ce personnage que Shakespeare n’idéalise surement pas. Il conquière les cœurs, là où il devrait être perçu comme le pire des destructeurs.
On découvre une chanteuse souriante et charmante, Angélique Noldus, présente seulement pour quelques minutes dans le rôle de Stéphano, nous enchantant d’un timbre boisé plein d’éclat, inhabituellement baroque.

Lionel Lhote et Carole Wilson, respectivement Mercutio et Gertrude, se répondent sur scène par leur jovialité, mais l’on attend plus de juvénilité chez le premier, et plus de maternalisme chez la seconde.

                                                                                         Angélique Noldus (Stéphano)

Alors, quand l’unité du drame n’est pas vraiment là, ce sont tous ces moments éphémères de vérité et d’émerveillement qui font la joie que l'on garde en soi.

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Publié le 23 Septembre 2012

Capriccio (Richard Strauss)
Représentations des 8 et 22 septembre 2012
Palais Garnier

La Comtesse Michaela Kaune
Le Comte Bo Skovhus
Flamand Joseph Kaiser
Olivier Adrian Eröd
La Roche Peter Rose
Clairon Michaela Schuster
Monsieur Taupe Ryland Davies
La chanteuse italienne Barbara Bargnesi
Le chanteur italien Manuel Nuñez Camelino
Le Majordome Jérôme Varnier

Mise en scène Robert Carsen (2004)
Direction musicale Philippe Jordan

                                                                                                                Michaela Kaune (La Comtesse Madeleine)

 

Inévitablement, la seconde reprise de Capriccio fait ressurgir les souvenirs idéalisés des derniers jours de la direction d’Hugues Gall.

Le choix d’une œuvre abordant sur le plan philosophique la convergence des arts - le théâtre, la danse, la musique et la poésie - et la candeur du sentiment amoureux telles qu’elles se déclinent dans la création lyrique ne pouvaient que générer une immense impression de totalité, surtout lorsque des interprètes emblématiques de ce directeur, Renée Fleming, Franz Hawlata, Anne Sofie von Otter pour ne citer qu’eux, étaient réunis à l’occasion de cette ultime conversation en musique.

Adrian Eröd (Olivier), Peter Rose (La Roche) et Joseph Kaiser (Flamand)

Adrian Eröd (Olivier), Peter Rose (La Roche) et Joseph Kaiser (Flamand)

Une fois compris et dépassé le regard nostalgique sur cette époque, le spectacle qui ouvre la saison de 2012/2013 sous les ors du Palais Garnier apparaît comme un luxueux brillant lyrique qui conserve une part de son âme grâce à la présence de Michaela Kaune dans la grande scène finale, une apparition merveilleuse pour le spectateur qui la découvre pour la première fois après les deux levers de rideaux successifs, celui de la scène, puis celui du théâtre sur la scène.

Si le chant de la soprano allemande ne dispose pas de ce fil subtilement velouté qui lie les mots sous le souffle de Renée Fleming, tout est impeccablement déclamé au cours des longues digressions jusqu’à ce qu’elle devienne tragédienne, embellie par ses expressions qui révèlent des torpeurs tout en maintenant une ligne vocale finement épurée.
Réussir cela est indispensable pour donner grâce et vérité à ce mouvement final d’extériorisation.

Michaela Kaune (La Comtesse Madeleine)

Michaela Kaune (La Comtesse Madeleine)

Elle ne domine pas crânement, sans doute, mais elle s’harmonise avec un ensemble de chanteurs qui ont tous des qualités qui les distinguent subtilement de façon à créer une troupe équilibrée qui se répond avec naturel.
Sous les traits de La Roche, Peter Rose impose une franchise de ton et une agréable homogénéité de timbre qui adoucit le caractère de ce directeur tiré vers une sensibilité humaine malgré ses soucis de gloire.

Les deux prétendants ont eux aussi leur petites particularités, Joseph Kaiser ayant surtout pour lui la poésie d’un timbre aux accents slaves quand il jette ses exclamations à cœur ouvert vers la Comtesse, mais également une souplesse feutrée dans la démarche théâtrale, alors qu'Adrian Eröd est le plus classique des Olivier, le parfait gentilhomme élevé aux bonnes manières, un chant mesuré, et taillé sur mesure, sans le moindre accroc.

Bov Skovhus s’est souvent fait remarquer pour ses emphases qui dramatisent à l’excès, mais avec sincérité, ses sentiments envers ses personnages de jeu, alors le Comte passe pour un instable incontrôlable avec lequel seule l’actrice Clairon peut rivaliser.

 Joseph Kaiser (Flamand)

 

Riche en contrastes, le timbre de Michaela Schuster peut être aussi clair que parcellé d’intonations sombres et d’irrégularités qu’elle dépasse par la sympathie de ses mimiques rarement dirigées vers les postures hautaines.
Avec elle et Peter Rose, la vision de Robert Carsen, tendue vers la comédie de Marivaux, trouve un liant qui dédramatise, une vitalité à la fois distanciée et susceptible amusante à regarder.

Le livret de Capriccio s’apprécie hors représentation, car en suivre les surtitres au cours de la scène ne peut que distraire, et empêcher même de laisser son imaginaire se construire au fil de la musique et des échanges entre chanteurs.

Michaela Schuster (Clairon)

Michaela Schuster (Clairon)

Robert Carsen ne s’est pas contenté de travailler l’animation du jeu scénique, et surtout les jeux de distances, de fuites et de rapprochements entre les protagonistes, il a également offert le cadre extraordinaire d’un avant scène dépouillé et, en arrière plan, une reproduction du foyer de la danse soutenu par des piliers torsadés qui reflètent son mobilier et la salle à travers ses miroirs dans une ambiance lumineuse dorée comme en fin de journée, la fin d’une époque.

Mais lorsque l’on sait avec quelle splendeur la conclusion est offerte au spectateur, on ne peut s’empêcher de vivre avec un certain empressement dans l’attente de ce moment crucial qui peut se lire sous plusieurs points de vue.

Michaela Kaune (La Comtesse Madeleine)

Michaela Kaune (La Comtesse Madeleine)

Le plus évident est d’y voir l’apparition magique d’une pièce lyrique intemporelle devant laquelle s’effacent les fatigantes discussions sans fin du quotidien.
Plus profondément, on peut y trouver le reflet de ce que représente l’art lyrique, une projection en ombres et lumières de l’âme humaine lorsqu’elle n’est plus étouffée par la vie en société, ses convenances, ou ses propres contradictions.

Robert Carsen rajoute alors un dernier niveau en faisant disparaître brutalement les décors déplacés nonchalamment pas les techniciens de l’Opéra Garnier, pour laisser la scène vide avec en arrière plan, tout de même, le Foyer de la danse au creux duquel une danseuse achève son entraînement. Les illusions explosent, et l’auditeur peut toujours se demander ce que tout cela a changé.

Capriccio (Kaune-Rose-Kaiser-Eröd-Schuster-Jordan) Garnier

On avait quitté l’Opéra Bastille avec l’Arabella dirigée par Philippe Jordan, puis suivit les débuts du jeune directeur musical à Bayreuth pour la dernière reprise du Parsifal mis en scène par Stefan Herheim, et, infatigable, le revoici dirigeant en ouverture le testament  lyrique de Richard Strauss.

Si le sextuor à cordes initial semble trop rivaliser avec le confort doucereux des velours de Garnier, Philippe Jordan mène par la suite l’orchestre vers de majestueuses enveloppes - tout en souplesse.

Les textures des cordes prennent des couleurs surannées qui ont leur charme, mais sans les irisations chatoyantes qu’elles pourraient disperser, et les plus belles impressions musicales se lisent quand harpes et cuivres se mêlent au bois pour tendre vers une profonde liquidité reposante, un envahissement sonore qui ne nous quittera plus, on l’espère, pour un peu de temps.

Michaela Kaune (La Comtesse Madeleine)

Michaela Kaune (La Comtesse Madeleine)

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Publié le 10 Juin 2012

Hippolyte et Aricie (Jean-Philippe Rameau)
Répétition générale du 07 juin 2012
Palais Garnier

Phèdre Sarah Connolly
Aricie Anne-Catherine Gillet
Diane Andrea Hill
L’Amour Jaël Azzaretti
Oenone Salome Haller
Tisiphone Marc Mauillon
La Grande Prêtresse Aurélia Gay
Hippolyte Topi Lehtipuu
Thésée Stéphane Degout
Pluton/Jupiter François Lis
Neptune Jérôme Varnier

Mise en scène Ivan Alexandre
Direction Emmanuelle Haïm
Concert d’Astrée
Production du Théâtre du Capitole de Toulouse (2009)

                                                                                                                 Stéphane Degout (Thésée)

Librement inspiré de la tragédie de Jean Racine, Phèdre, le livret d’Hippolyte et Aricie débute par un prologue au cours duquel s’affrontent Diane et Cupidon, déités pourtant toutes deux vouées au bonheur de l’humanité.

Alors que la déesse lunaire, garante de la paix du monde, se fait forte de son invulnérabilité aux attaques de ce dernier qui pourrait lui faire perdre le contrôle sur son existence, l‘Amour, présenté ici sous sa forme directe et foudroyante, vise les cœurs et est associé au désordre, voir la guerre.

A travers Diane, on retrouve ainsi l’esprit méfiant vis-à-vis de l’Amour qui anime le personnage d’Hippolyte, particulièrement dur dans la version d’Euripide où Aricie n’existe pas.
Mais dans l’Opéra de Rameau, la déesse prend une dimension très particulière, car elle intervient elle-même pour permettre à l’amour réciproque des jeunes amants de vivre, malgré les manigances de
 Phèdre et l’erreur de jugement de Thésée.

Andrea Hill (Diane)

Andrea Hill (Diane)

Autre intérêt de la pièce, le deuxième acte se passe intégralement en enfer, là où le Roi d’Athènes, inspiré par la force affective de ses sentiments, est redescendu pour ramener son ami Pyrithoüs capturé et tué par le Cerbère.
Cette grande scène, la plus réussie de la scénographie d’Ivan Alexandre, est aussi la plus complexe musicalement. Elle s’achève sur l’avertissement des trois Parques qui prédisent à Thésée un enfer à son retour chez lui.

La seconde partie reprend le fil de la tragédie de Racine, avec toutefois un final heureux étendu dans le temps.
Phèdre y a une importance moindre, mais Sarah Connolly l’incarne avec une énergie vocale et théâtrale violente, des expressions parfois très réalistes et pathétiques, lui assurant un relief considérable

Sarah Connolly (Phèdre)

Sarah Connolly (Phèdre)

Dans une tessiture principalement sombre, Stéphane Degout donne à Thésée une épaisseur profondément intériorisée et mature, toujours portée par ce souffle long, homogène, qui exprime une gravité et un sens de l’honneur très maîtrisés.
Le geste est juste et sensible, une constante chez lui.

On pourrait dire qu’elle est la chanteuse idéale dans les rôles d’amoureuses spontanées, Anne-Catherine Gillet s’identifie tout de suite par ses fragiles vibrations et cet art de la diction qui créent un rapport affectif à la langue française. Malgré le caractère fade d’Aricie, elle en fait une figure touchante et forte, peut être même l’impression la plus marquante de la soirée.

Hormis les rôles de Jupiter et Pluton, liés à la belle présence de François Lis, les personnages, même les plus secondaires, sont confiés à des interprètes différents.
On retrouve une autre voix de basse tout aussi présente, celle de Jérôme Varnier, un Amour animé par l’impertinence espiègle, et peu angélique, de Jaël Azzaretti, une Diane sombre et mélancolique sous les traits d’Andrea Hill, un Hippolyte comme décomposé par ses sentiments, mais que Topi Lehtipuu ne peut
faire briller, le personnage étant particulièrement creux dans l‘oeuvre.

Anne-Catherine Gillet (Aricie)

Anne-Catherine Gillet (Aricie)

Artisane d’une atmosphère intime et chaleureuse, Emmanuelle Haïm est quelqu’un que l’on admire autant pour l’attention confiante qu’elle porte aux chanteurs, que pour cette apparente envie d’élévation qu’elle communique à ses musiciens.
Les couleurs du Concert d’Astrée sont séduisantes, et même d’une richesse harmonique généreuse, et, un peu à l’image de la gestique angulaire du chef, les effets de continuité restent mesurés, mais sans sécheresse de tonalité.

Il est difficile de ne pas être séduit par la scénographie d’Ivan Alexandre, un enchainement de tableaux en trompe l’œil, à l’ancienne certes, mais unis par un raffinement du détail tant dans les décors que les costumes, et une luminosité sombre et dorée qui enveloppe tout l’ensemble dans un climat hors du temps.

Les nombreux ballets sont réglés avec délicatesse, et évitent tout ridicule mais pas forcément l’ennui, lié à un procédé musical aujourd’hui inexpressif.
Le chœur des chasseresses, au quatrième acte, est cependant très bien mis en scène avec son évocation forte des flèches de Diane et de Cupidon.

Choeur des chasseresses

Choeur des chasseresses

Plutôt conventionnel et sage, le jeu théâtral pourrait mieux mettre en valeur certains passages clés, comme le retour de Thésée, mais ce grand moment de silence, quand Phèdre se retire avec ses idées noires à la fin du premier acte, et qui survient après une amplification dramatique et musicale saisissante, est d‘une force imparable.
La saison prochaine, Dmitri Tcherniakov fera son entrée à la Comédie Française pour mettre en scène Phèdre. Un immanquable bien évidemment.

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Publié le 4 Mai 2012

Hamlet (Ambroise Thomas)
Représentation du 30 avril 2012
Theater an der Wien
Das neue Opernhaus

Hamlet Stéphane Degout
Ophélie Christine Schäfer
Claudius Phillip Ens
Gertrude Stella Grigorian
Laërte Frédéric Antoun
Le Spectre Jérôme Varnier
Polonius Pavel Kudinov
Horatio Martijn Cornet
Marcellus Julien Behr

Coproduction Théâtre de la Monnaie

Mise en scène Olivier Py
Direction musicale Marc Minkowski
Wiener Symphoniker
Arnold Schoenberg Chor
Saxophone Michaela Reingruber            Stéphane Degout (Hamlet) et Stella Grigorian (Gertrude)

Lorsque l’on s’intéresse de près au travail d’un metteur un scène, il devient passionnant de suivre la logique qui le guide dans le choix des œuvres, les techniques théâtrales et les sentiments personnels développés au fil de ses créations.

Pour l’ouverture de sa dernière saison à la direction du Théâtre de l’Odéon, Olivier Py a porté sur la scène - avec un immense succès - le Roméo et Juliette de Shakespeare, et s’est attaché à décrire la dérive romantique mortelle des jeunes amants.

Puis, au cours de l’hiver, son adaptation française de sa propre pièce créée à Berlin peu avant, Die Sonne [Le Soleil], est apparue comme un manifeste des thèmes qui lui sont chers, signification et sublimation de la souffrance, sens du théâtre, goût pour la beauté classique, prégnance de la culpabilité et du désespoir, identité de genre.
 

Et même si le Hamlet d’Ambroise Thomas est une adaptation lyrique remaniée de la pièce de Shakespeare, la substance philosophique est suffisamment préservée pour y trouver des ressorts psychologiques à éclairer.

La scénographie repose sur un imposant décor de briques modulable en forme de grand escalier, en dessous duquel se révèle un large plateau pivotant pouvant supporter les cloisons et les estrades des différents appartements du palais.

L'architecture souterraine devient un complexe enchevêtrement d'arceaux, et ses éléments que l'on retrouve fréquemment dans les pièces d'Olivier Py engendrent inévitablement la question du lieu original qui en est l'inspiration.

                                                                                          Stéphane Degout (Hamlet)

Pas de sites champêtres, de jardins en fleurs, de ciel ensoleillé, tout se passe dans cet espace fermé sur lequel pèse l'ombre du meurtre, et Hamlet hante les lieux d'une pénombre à une autre.

Dans ce rôle, Stéphane Degout dessine un Prince saisissant de présence et de mélancolie, mais aussi de froideur.
Son timbre est toujours aussi homogène, soutenu par un souffle et un superbe legato qui en font le charme unique. Néanmoins, ce sentiment d'émotions retenues et de détachement provient aussi du manque de contraste des inflexions vocales.

Christine Schäfer (Ophélie)

Christine Schäfer (Ophélie)

Acteur simple et convaincant, aucun geste n'est inutile et faux, il est confondant de réalisme au troisième acte, le plus théâtral de l’œuvre.
Car, si depuis le prélude les propres scarifications d‘Hamlet - image habituelle chez Olivier Py - répondent au paroles « Je suis le roi de mes propres douleurs » de Richard II, un autre personnage de Shakespeare en proie au doute existentiel, l’impossibilité d’aimer Ophélie du fait de la culpabilité de son père, Polonius, fait perdre toute son âme à Hamlet.

Ce passage symbolique est figuré par la baignoire dans laquelle le Prince se lave de ses blessures, totalement nu, avant d’affronter sa mère. Cette scène ambigüe, on pourrait croire à une scène de purification alors qu'elle en est le contraire, est d’une force étonnante par sa violence et sa dimension œdipienne, la marque d’une damnation irréversible.

Le Meurtre de Gonzague. Au saxo solo, Michaela Reingruber

Le Meurtre de Gonzague. Au saxo solo, Michaela Reingruber

Stella Grigorian n’a peut être pas une fluidité musicale parfaite, mais elle compense cela par une intense expressivité, quoique un peu surjouée. Elle a de la personnalité, cela se ressent, et son portrait de Gertrude en femme aimante - de tous ses proches - et déchirée est d’une profonde authenticité.

Par de subtils jeux d’ombres, la lutte verbale et physique avec la baryton français préserve autant que possible la pudeur du chanteur, mais le plaisir de la contemplation esthétique pour les admiratrices et admirateurs n’est pas oublié pour autant, une autre valeur incontournable du metteur en scène.

Christine Schäfer (Ophélie) et Stéphane Degout (Hamlet)

Christine Schäfer (Ophélie) et Stéphane Degout (Hamlet)

De cet enchaînement de tableaux sans temps morts, la scène reconstituant « Le meurtre de Gonzague » est une saisissante démonstration de la force de vie du théâtre - la pièce se joue sur un théâtre miniature évocateur de la Grèce classique - avec, encore et toujours, les codes d’Olivier Py.

On y retrouve la spiritualité du féminin – c'est une très belle femme, Michaela Reingruber, qui interprète le solo de saxophone, instrument nouveau et moderne à l'époque d'Ambroise Thomas – et ce bâtiment est surplombé d'un Dôme sur lequel un personnage travesti joue le rôle de la reine.

 Autre très belle scène, celle du suicide d'Ophélie dans le lac simplement représenté par le plateau pivotant qui emporte Christine Schäfer et son air de folie dans la grisaille, un adieu d'une tristesse irrésistible.

Stella Grigorian (Gertrude)

Stella Grigorian (Gertrude)

C'est à ce moment précis que la soprano allemande est la plus émouvante, même si la légèreté des coloratures lui échappe, car elle a la sincérité de l'expression et le pathétique d'un timbre singulier avec elle.

Plus avant, son esprit semble un peu ailleurs, moins impliqué, alors qu'on l'avait connue si bouleversante dans La Traviata à l'Opéra Garnier.

Parmi les interventions marquantes, l'humaine douleur de Claudius effondré au pied du mur doit autant à la force de l'image qu'au sens tragique de Phillip Ens, et Jérôme Varnier, dont le diadème est devenu un masque scintillant, révèle la diction la plus claire et incisive de la scène, mais elle est presque trop présente pour suggérer idéalement l'âme surnaturelle du revenant.

On peut imaginer plusieurs raisons au peu de reconnaissance de l'Hamlet d'Ambroise Thomas.

Le drame de Shakespeare y est simplifié et modifié, la musique comprend des platitudes, et les coloratures d'Ophélie sont antithéâtrales. Et en même temps, sa poésie mélancolique, la force théâtrale du 3ème acte et les réminiscences de motifs raffinés le rendent attachant.

Stéphane Degout (Hamlet)

Stéphane Degout (Hamlet)

Ainsi, Marc Minkowski oriente son interprétation musicale vers une théâtralité prenante et peu modérée. Elle se conjugue relativement bien avec la mise en scène d'Olivier Py en mettant en valeur la dimension dramatique de l'opéra.
C'est un travail sur les couleurs et l'énergie musicale plus que sur la finesse du tissu orchestral, qu'il sera possible de réentendre au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles à partir de l'automne 2013.

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Publié le 26 Juin 2011

Les Huguenots (Meyerbeer)
Représentation du 19 juin 2011
Théâtre de la Monnaie de Bruxelles

Marguerite de Valois Marlis Petersen
Valentine Mireille Delunsch
Urbain Yulia Lezhneva
Raoul de Nangis Eric Cutler
Comte de Saint-Bris Philippe Rouillon
Comte de Nevers Jean-François Lapointe
De Retz Arnaud Rouillon
Marcel Jérôme Varnier
Cossé Xavier Rouillon

Direction Musicale Marc Minkowski
Mise en scène Olivier Py

                                                                                                           Eric Cutler (Raoul de Nangis)

Face à l’Opéra de Paris, le Théâtre de la Monnaie ne pèse qu’un sixième du budget et se permet pourtant d’offrir autant de soirées d’opéras que la moitié de la saison de ce grand temple parisien.

Le dynamisme de la direction artistique se distingue aussi bien par le choix des ouvrages, seule une petite moitié est dédiée au grand répertoire facilement accessible, que par la forme théâtrale qu’elle confie à des scénographes créatifs.
La force attractive de cette maison prend chaque année une ampleur internationale de plus en plus incontournable.

 Décor des Huguenots (mis en scène par Olivier Py) à la fin du deuxième acte.

Décor des Huguenots (mis en scène par Olivier Py) à la fin du deuxième acte.

Sous le regard d’Olivier Py, Les Huguenots apparaissent fortuitement comme la continuité de  Mathis der Maler, œuvre qu’il a mis en scène à l’automne dernier.
Les mêmes façades renaissance d’édifices épiscopaux, dispendieusement recouvertes d’or, la même distinction symbolique entre les Protestants vêtus d’un noir austère et les Catholiques habillés en blanc sous une cuirasse de métal doré, et la même identification du fanatisme de l’église romaine à l’idéologie national-socialiste allemande (au moyen de brassards blanc marqués d’une croix noire) constituent des lignes de forces esthétiques et didactiques frappantes.

Le grand tableau final, au cours duquel on voit sur deux niveaux le chœur tomber sous les coups claquants des croix maniées par un soldat en armure - il s’agit d’une figure allégorique issue du retable d’Issenheim, et qui fut précédemment utilisée à Bastille pour le chef d’œuvre d’Hindemith -, est une exposition forte et retenue des massacres religieux perpétués jusqu’à notre époque moderne.

Dans les deux premières parties, depuis le château de Chaumont-sur-Loire où réside le Comte de Nevers puis, quelques kilomètres plus au sud, au château de Chenonceau où vit en toute quiétude Marguerite de Valois, les fêtes dionysiaques et les scènes érotiques qui illustrent le « péché » tel que le reproche plus loin  Marcel, le valet de Raoul, à la Maison catholique, sont l’occasion de retrouver le goût impudique d’Olivier Py pour ces scènes. Il réussit bien mieux à magnifier la légèreté des pas et la douceur de peau des baigneuses, sous les lumières assombries d’ocre, que les corps masculins auxquels il n’accorde que peu de grâce.

 

Mireille Delunsch (Valentine)

Au nombre des réussites visuelles, parmi lesquelles se remarque le découpage architectural du décor des rues de Paris qui mue de façon dynamique dans les moments d’agitation populaire, se compte une vision très romantique lorsque Valentine apparaît la nuit à la fenêtre d’une tour qui prolonge l’extrémité des loges de la salle dans la scène. Elle semble n’être éclairée que par la lune. A cet instant, elle songe au moyen de prévenir Raoul du complot ourdi contre lui.

On sait que l’implication de Catherine de Médicis dans le massacre de la Saint-Barthelémy reste controversée, alors avec prudence, Olivier Py la fait assister de manière passive aux prises de décision, une main sur le cœur trahit même son émotion à l’instant irréversible.

Eric Cutler (Raoul de Nangis)

Eric Cutler (Raoul de Nangis)

Les Huguenots sont réputés difficiles à monter de par le niveau d’exigence qu’ils imposent aux chanteurs. L’intégralité de la distribution montre cependant qu’elle dispose de qualités vocales et expressives suffisamment nobles pour défendre une telle partition fleuve.

A l’ouverture, le charme et la maturité de Jean-François Lapointe, et son soin du langage,  projettent le Comte de Nevers dans le camp des bons, des hommes dont on sent que l’âme ne peut être totalement pervertie malgré l’entourage impétueux.
Il est le contraire de Philippe Rouillon qui hisse le Comte de Saint-Bris à la noire hauteur du Grand Inquisiteur imaginé par Verdi dans Don Carlos, mais avec un côté teigneux.
 

Sous les traits d‘un groom taquin, la très jeune Yulia Lezhneva interprète joliment, et avec clarté, les pages enjôleuses d’Urbain. Elle a encore toute une sensualité profonde à développer avec les années, comme en rayonne déjà Marlis Petersen, subtilement virtuose. Chaleureusement rêveuse, elle fait de Marguerite de Valois une femme vivante et humaine et déconnectée de la dangereuse réalité politique.

Du côté des Huguenots, Jérôme Varnier caractérise Marcel avec beaucoup d‘âme, car si son timbre n’est pas policé, il signe une individualité inhabituelle d’autant plus que la diction est impeccable, et son élocution marquante.

Cependant, Valentine et Raoul forment le pilier humain qui porte de bout en bout l’ouvrage.
On peut dire ce que l’on veut sur Mireille Delunsch, l’aigu pourrait être plus lissé, les graves plus timbrés, mais l’ampleur et la précision vocale sont bien là, et il y a en elle cette magie d’actrice, une mélancolie qui tressaille et s’abîme sur le visage.
Son jeu est si vivant, que le danger est de ne plus la quitter du regard, même lorsqu’elle n’est plus au centre de l’action.

Il ne doit pas y avoir beaucoup de chanteurs capables aujourd’hui de soutenir avec autant de prestance qu’Eric Cutler, le grand berger du  Roi Roger à l’Opéra Bastille à la toute fin du mandat de Gerard Mortier, le rôle omniprésent de Raoul.  Non seulement il ne manifeste aucune faille, on comprend nettement son français, mais sa vaillance peut se transformer en grâce jusqu’au dernier acte. Cet engagement total est la plus grande surprise de cette matinée.

Mireille Delunsch (Valentine)

Mireille Delunsch (Valentine)

Quand il s’agit de donner du souffle à une partition, Marc Minkowski entretient avec l’orchestre une tension bagarreuse qui peut l’amener à un peu négliger les plus fins détails, les écritures en dentelle. Son énergie, combinée à un chœur relativement peu bridé, n’est d’ailleurs pas loin de mener les grands ensembles au bord d’une cacophonie écrasante.

Mais la théâtralité prime, et la musique de Meyerbeer suit un courant plein d’allant issu de la même inspiration vitale qu’Offenbach, et surtout, Minkowski  révèle une exubérante exaltation romantique dans le grand duo d’amour « O ciel! Où courez vous? » dont il sublime l’intensité verdienne.  On est alors transporté dans le grand duo d’amour du Bal Masqué entre Amelia et Riccardo.

La Monnaie de Bruxelles avait achevé sa saison précédente avec  Macbeth, mis en scène par Krzysztof Warlikowski, reconnu comme le meilleur spectacle européen de l’année.
Avec Les Huguenots elle refait l’événement, et laisse de forts souvenirs avant la trêve estivale.

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Publié le 13 Octobre 2008

Oedipe (George Enescu)

Livret d'Edmond Fleg

Représentation du 12 octobre 2008 au Théâtre du Capitole de Toulouse

Oedipe Franck Ferrari                         Tirésias Arutjun Kotchinian
Créon Vincent le Texier                      Le Berger Emiliano Gonzalez Toro
Le Grand-prêtre Enzo Capuano            Phorbas Harry Peeters
Le veilleur Jérôme Varnier                   Thésée Andrew Schroeder

Laïos Léonard Pezzino                         Jocaste Sylvie Brunet

La Sphinge Marie-Nicole Lemieux     Antigone Amel Brahim-Djelloul

Mérope Maria José Montiel               Une Thébaine Qiu Lin Zhang

Conception scénique Nicolas Joel

Direction musicale Pinchas Steinberg

A un jour près, l'Opéra de Paris et le Théâtre du Capitole ressuscitent deux œuvres jouées une seule fois à Paris sans reprise ultérieure dans leur langue originale.

Ainsi, alors que La Fiancée Vendue fait son apparition à l'Opéra Garnier après sa création parisienne il y a 80 ans, Œdipe réapparaît en France à Toulouse, 72 ans après sa création justement à l'Opéra Garnier en 1936 (le reprise de 1963 à l‘Opéra de Paris ayant été chantée en roumain).

La musique est innovante et pourrait rappeler celle de Debussy et surtout celle de Bloch (d'ailleurs son livret de Macbeth fût écrit par Edmond Fleg également) avec des réminiscences wagnériennes.

La nature du chant déclamé et du texte, plus descriptif des interrogations de l'âme que d'actions scéniques, impose de mettre en valeur avant tout la richesse des motifs orchestraux.

Or la conception scénique choisie à Toulouse s'attache à reconstituer l'architecture de pierre d'une Grèce classique, ancienne et puissante (les colonnes doriques du temple d'Apollon qui surplombe l'Agora de Corinthe par exemple) traduisant surtout le goût de Nicolas Joel pour les architectures figées et colossales.

Les personnages sont de plus dirigés selon des conventions extrêmement prévisibles, de fausses afflictions, des simulations d'étonnements et de surprises, mauvais théâtre exaspérant et souvent ennuyeux détournant en partie l'attention du discours musical.

Indubitablement, il aurait fallu un Bob Wilson. Pas de geste inutile avec lui, on imagine un geste d'horreur simplement symbolisé par un détournement de tête et une main tendue vers l'avant pour maintenir une distance, et surtout un travail sur les ambiances lumineuses qui aurait complètement sublimé la musique.

Au lieu de cela, le final s'achève par la disparition lente d' Œdipe dans une trappe et sous un éclairage fixe et lumineux alors que la musique suggère un progressif retour à la paix. 

Franck Ferrari (Oedipe)

Franck Ferrari (Oedipe)

Ceci dit la scène de La Sphinge, dans la pénombre d'un amphithéâtre rougeoyant, est très mystérieuse et constitue la meilleure réussite visuelle de ce spectacle.

La distribution vocale est riche et se détachent tout de même quelques solistes :

Arutjun Kotchinian, très bon en Tirésias flanqué d'un timbre caverneux et vieilli aux prémonitions effrayantes, et Jérôme Varnier impressionnant dans la scène musicalement la plus marquante de l'ouvrage : la rencontre avec le veilleur sous les murs de Thèbes.

Jérôme Varnier reçoit étrangement un accueil neutre alors qu'il crée un effroi saisissant lors de sa rencontre avec Œdipe.

Hilare lors des applaudissements - il faut dire que La sphinge sortie du sol au milieu de draps immenses semble ici très inspirée de la "Reine de la Nuit" façon Benno Besson - Marie-Nicole Lemieux extirpe des intonations insolites pour restituer les sarcasmes du monstre.

Oedipe (Franck Ferrari) et La Sphinge (Marie-Nicole Lemieux)

Oedipe (Franck Ferrari) et La Sphinge (Marie-Nicole Lemieux)

Très à son avantage en Œdipe jeune et beau, Franck Ferrari défend un rôle fait pour lui en référence aux intonations brutes du héros, mais ne réussit pas véritablement sa transformation monstrueuse lorsqu'il perd ses yeux.

Si l'on s'intéresse à ce qui avait motivé Enescu dans la création d' Œdipe, il avait eu une fascination incroyable pour Mounet Sully dans la pièce d'"Œdipe Roi" et pour la manière dont les expressions du visage le défiguraient.

A la direction musicale, Pinchas Steinberg réalise un envoûtant travail de nuances et de théâtralité. Seulement comme pour La Femme sans Ombre, l'équilibre sonore est parfois trop à l'avantage des chanteurs.

Les chœurs sont d'ailleurs une des grandes forces de la représentation et réveillent toute la salle à la fin du IIième acte.

Malgré un sentiment mitigé, il aurait été injuste de ne pas parler de la renaissance de cette œuvre car il reste une marge importante pour lui donner une expression scénique aboutie.

Et sur cette lancée il faut souhaiter que Nicolas Joel étudie la possibilité de lui donner une chance à l'Opéra Bastille.

Coproduit avec le Festival International George Enescu de Bucarest, cette production d'Œdipe en fera l'ouverture le 30 août 2009 avec Franck Ferrari et une distribution différente pour les autres rôles.

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