Articles avec #perez tag

Publié le 15 Janvier 2025

Salomé (Richard Strauss – Dresde, le 09 décembre 1905)
Représentation du 12 janvier 2025
Opera Ballet Vlaanderen - Gand

Salomé Allison Cook
Herodes Florian Stern
Herodias Angela Denoke
Jochanaan Kostas Smoriginas
Narraboth Denzil Delaere
Page der Herodias Linsey Coppens
Erster Jude Daniel Arnaldos
Zweiter Jude Hugo Kampschreur
Dritter Jude Timothy Veryser
Vierter Jude Hyunduk Kim
Fünfter Jude Marcel Brunner
Erster Nazarener Reuben Mbonambi
Zweiter Nazarener Leander Carlier
Erster Soldat Igor Bakan
Zweiter Soldat Marcel Brunner
Ein Kappadozier Reuben Mbonambi
Ein Sklave Linsey Coppens

Direction musicale Alejo Pérez
Mise en scène Ersan Mondtag (2024)

Né à Berlin en 1987 d’une famille d’immigrés turcs, Ersan Mondtag est un metteur en scène formé à l’histoire de l’art, le cinéma et la musique qui réalisa sa première pièce officielle au Staatstheater Kassel en 2015, ‘TYRANNIS’. D’autres spectacles suivirent dont ‘Das Internat’ créé en 2016 au Schauspiel Dortmund dans un décor gothique tournant, hanté par le mal.

Puis, en février 2018, il mit en scène au Théâtre Maxim Gorki de Berlin ‘Salome’, d’après Oscar Wilde, sur des textes arrangés par Orit Nahmias, et ce n’est que par la suite qu’il appréhenda la mise en scène d’opéra avec ‘Der Schmied von Gent’ de Franz Schreker donné en 2020 à l’Opéra des Flandres, suivi en ce même théâtre par ‘Le Lac d’argent’ de Kurt Weill.

Allison Cook (Salomé) et Linsey Coppens (Le Page)

Allison Cook (Salomé) et Linsey Coppens (Le Page)

Il est donc de retour en ce lieu empreint, dès la fin des années 60, de l’influence de Gerard Mortier, pour mettre en scène ‘Salome’ de Richard Strauss.

Son interprétation s’appuie de façon saisissante sur un décor d’une grande force évocatrice comprenant deux faces, l’une représentant l’extérieur des façades du Palais d’Hérode à travers des jeux d’ombres qui se dessinent sur des escaliers, alcôves, créneaux et remparts qui donnent une allure fantastique et expressionniste à ce château, dont les tours représentent les bustes immenses des maîtres du palais.

C’est ici que se jouera la relation entre Salomé et Jochanaan.

Salome (Cook Denoke Stern Smoriginas Pérez Mondtag Vlaanderen) Gand

Puis, par effet pivotant, notre regard découvre l’intérieur du Palais, centre de pouvoir à nouveau sculpté avec une finesse de détails impressionnante représentant deux escaliers en courbes élégantes flanqués de luxueuses loges latérales cérémonielles et cosy, qui encadrent en plein centre les symboles du pouvoir, une queue de paon surmontée d’une pyramide protégée par cinq statues - les gardiens du temple - qui remémorent les temps soviétiques. Mais les teintes rouges et les éléments de confort évoquent surtout un monde de luxure.

Et lors du passage d’un lieu à l’autre, deux immenses graphismes représentent la nature monstrueuse d’Hérode et Hérodias, le premier dévoreur de chair fraîche, la seconde animée par un sadisme diabolique.

Les corps de tous les figurants sont en revanche enlaidis par des effets qui donnent une couleur terne et flétrie à leur chair.

Tout figure le centralisme fasciste et monumental.

Salome (Cook Denoke Stern Smoriginas Pérez Mondtag Vlaanderen) Gand

Mais ce que raconte Ersan Mondtag est comment une jeune princesse née dans ce milieu là va, en premier lieu, en reproduire les codes, d’abord dans sa relation avec Jochanaan qui est lui-même fortement sexualisé avec son allure de jeune homme affublé d’un peignoir bleu, puis, par la manière dont elle va sembler jouer la connivence, notamment avec sa mère, lors des scènes festives, pour ensuite se retourner contre tout ce monde qui a abusé d’elle.

En effet, l’on assiste à la disparition un par un de tous les hommes présents sur scène, de Narraboth assassiné depuis un sombre interstice, car complice de l’oppression, jusqu'aux juifs et Hérode lui-même, éliminés par un groupe de femmes vivant à la cour. Et Salomé brandira fièrement la tête de Jochanaan comme pour parachever une victoire féministe sur un univers brutaliste dominé par le pouvoir masculin, Hérodias finissant dans le cachot du prophète.

Cette lecture qui invoque un renversement du monde est sans doute moins forte que la vision qu’a porté à la scène Lydia Steier à l’Opéra Bastille qui dissociait, au tableau final, l’acte monstrueux de Salomé de sa perception amoureuse envers Jochanaan. Mais on retrouve à nouveau une utilisation très politique de l’œuvre qui tente de sauver les femmes.

Et le jeu d’acteur est aussi très bien exploité de la part de tous les artistes, avec un recours au grotesque qui vise à contrebalancer la violence en jeu.

Kostas Smoriginas (Jochanaan)

Kostas Smoriginas (Jochanaan)

A l’opéra des Flandres, la cohésion entre l’expression scénique et l’interprétation orchestrale est souvent profondément travaillée, et l’on retrouve dans la direction d’Alejo Pérez une théâtralité sombre et un peu brute mais qui fait entendre le foisonnement de l’orchestration straussienne dans toute sa complexité, en dégageant avec soin les contrastes et les lignes étincelantes que les musiciens du Symfonisch Orkest Opera Ballet Vlaanderen décrivent avec un vrai sens de l’intime.

Les cuivres semblent un peu étouffés, mais le travail des cordes est de toute beauté, et le discours dramaturgique est fermement appuyé. Manque sans doute une forme d’évanescence lyrique qui amplifierait le mystère et l’atmosphère surnaturelle qui se rattachent fortement à cet univers.

Angela Denoke (Herodias), Florian Stern (Herodes), Allison Cook (Salomé) et Linsey Coppens (Le Page)

Angela Denoke (Herodias), Florian Stern (Herodes), Allison Cook (Salomé) et Linsey Coppens (Le Page)

Sur scène, Allison Cook fait sienne une personnalité qu’elle entend bien défendre avec un art du phrasé méticuleusement sculpté, et d’une grande clarté discursive inhérente à la signature straussienne.

Fine d’apparence, elle joue d’une animalité subtile, féminine et lucide, chante avec un souffle percutant, pas forcement très puissant, mais qui est toujours bien profilé. Elle mélange ainsi une maturité d’être à un comportement ludique ce qui la situe quelque part entre la jeune fille inconsciente et le monstre prêt à passer à l’acte.

Kostas Smoriginas possède de belles expressions autoritaires qui dépeignent un portrait rajeuni du Prophète, si bien qu’il est bien moins le représentant d’une force divine implacable que celui d’un homme ayant une sensualité vocale et physique qui trouble l’image archaïque que l’on pourrait avoir de Jochanaan, même si les effets théâtraux de l'orchestre prennent parfois le dessus.

Angela Denoke (Herodias)

Angela Denoke (Herodias)

Si Florian Stern dépeint une figure d’Hérode plus faible que sarcastique, ce qui va aussi dans l’esprit de la mise en scène qui fait la part belle aux femmes, Angela Denoke rend au contraire à Hérodias une présence physique et un aplomb vocal qui dominent les scènes du palais. Elle est la seule à donner franchement l’impression que la salle est trop petite pour elle.

Son timbre sibyllin est coloré d’inflexions qui la rendent unique mais qui sont moins prononcées dans ce rôle, car l’une des caractéristiques d’Angela Denoke est de savoir profondément incarner la souffrance humaine. C’est donc un immense plaisir de la voir autant au premier plan dans cette production, tout en repensant aux rôles sensibles qu’elle sait aussi représenter.

Kostas Smoriginas et Angela Denoke

Kostas Smoriginas et Angela Denoke

Parmi les rôles secondaires, Denzil Delaere donne une impression de solidité et de sensibilité qui défendent très bien Narraboth, et même si le page incarné par Linsey Coppens est un peu en retrait en terme de noirceur, tout son chant est dessiné avec précision.

Et en juif et cappadocien, Reuben Mbonambi impose un timbre de basse rocailleux qui annonce une obscurité prémonitoire.

Florian Stern, Allison Cook, Alejo Pérez, Kostas Smoriginas, Angela Denoke et Linsey Coppens

Florian Stern, Allison Cook, Alejo Pérez, Kostas Smoriginas, Angela Denoke et Linsey Coppens

Tous les éléments de cette production artistique réussissent ainsi à former un tout vivant et autonome dont le sens de l’action peut paraître au départ plutôt traditionnel, mais dont les écarts se révèlent petit à petit. L’interprétation féministe est certes réductrice, mais il y a ici un travail de mise en scène et de qualité dans le mixage des éclairages à la complexité du relief des décors qui séduit, et la radicalité qui se précipite dans la dernière partie participe aussi à la pureté sauvage que draine l’ouvrage.

Voir les commentaires

Publié le 6 Mai 2023

La Bohème (Giacomo Puccini - 1896)
Représentation du 02 mai 2023
Opéra Bastille

Mimì Ailyn Pérez
Musetta Slávka Zámečníková
Rodolfo Joshua Guerrero
Marcello Andrzej Filończyk
Schaunard Simone Del Savio
Colline / Benoît Gianluca Buratto
Alcindoro Franck Leguérinel
Parpignol Luca Sannai*
Sergente dei doganari Bernard Arrieta*
Un doganiere Pierpaolo Palloni*
Un venditore ambulante Paolo Bondi*
Le maître de cérémonie Virgile Chorlet (mime)
* Artistes des Chœurs de l’Opéra de Paris

Direction musicale Michele Mariotti    
Mise en scène Claus Guth (2017)

Il est courant à l’opéra qu’une mise en scène qui propose une lecture contemporaine d’une œuvre lyrique composée des décennies, voir des siècles, auparavant rencontre une forte résistance à sa création, puis trouve son chemin et devienne un classique. Ce fut le cas pour le ‘Ring’ dirigé par Patrice Chéreau à Bayreuth en 1976, ou bien, plus récemment, pour ‘Don Giovanni’ et ‘Iphigénie en Tauride’ respectivement mis en scène par Michael Haneke et Krzysztof Warlikowski au Palais Garnier en 2006.

Joshua Guerrero (Rodolfo) et Ailyn Pérez (Mimì)

Joshua Guerrero (Rodolfo) et Ailyn Pérez (Mimì)

C’est donc avec grand intérêt que la première soirée de reprise de ‘La Bohème’ imaginée par Claus Guth en décembre 2017, à l’occasion de laquelle l’orchestre de l’Opéra de Paris et Gustavo Dudamel collaboraient pour la première fois, était attendue afin de voir comment le public allait réagir.

La grande force de cette production est de déplacer le centre émotionnel sur la condition de Rodolfo et ses amis qui vivent leurs dernières heures à bord d’un vaisseau spatial qui dérive dans le vide sidéral, alors que l’oxygène vient à manquer, ce qui est une autre façon de représenter le sort de ces quatre artistes qui n’ont plus de quoi se nourrir.

Mimi devient ainsi une figure du souvenir nostalgique du bonheur terrestre qui survient quand le cerveau se met à fabriquer des images mentales colorées à l’approche du moment où la vie s'en va.

Joshua Guerrero (Rodolfo)

Joshua Guerrero (Rodolfo)

Comparé aux versions traditionnelles qui inlassablement reproduisent une vision cliché du Paris bohème fin XIXe siècle et de l’animation de ses bars qui convoque des dizaines de figurants sur scène, ce puissant spectacle gagne en épure poétique et ne fait intervenir qu’un nombre très limité de participants avec des coloris signifiants : le blanc pour les tenues des astronautes sur le point de perdre la vie, le rouge pour la robe de Mimi et l’élan vital qu’elle représente, le noir pour tous les personnages parisiens issus de l’imagination de Rodolfo.

Joshua Guerrero (Rodolfo) et Ailyn Pérez (Mimì)

Joshua Guerrero (Rodolfo) et Ailyn Pérez (Mimì)

Le troisième acte réussit une parfaite synthèse entre le concept spatial de Claus Guth et la désolation de la barrière d’Enfer sur cette surface lunaire balayée par les chutes de neige, et le quatrième acte brille par l’humour de la scène étincelante de cabaret qui constitue le dernier baroud de folie pour fuir la réalité avant que la mort n’achève d’entraîner Rodolfo après ses amis.

Mimi, cette lueur de vie qui était apparue afin de surmonter pour un temps le désespoir de la situation, et qui dorénavant s’éteint au dernier souffle du poète, disparaît dans le paysage lunaire.

Slávka Zámečníková (Musetta)

Slávka Zámečníková (Musetta)

Ailyn Pérez, jeune interprète américaine du répertoire français et italien fin XIXe siècle régulièrement invitée au New-York Metropolitan Opera depuis 8 ans, inspire dans les deux premiers actes une félicité épanouie dénuée de toute mélancolie. Ce rayonnement s’accompagne d’une clarté et d’un moelleux de timbre d’une très agréable suavité, ce qui donnerait envie de l’entendre prolonger plus longuement ce souffle passionné qu’elle écourte parfois un peu tôt promptement. 

Andrzej Filończyk (Marcello) et Ailyn Pérez (Mimì)

Andrzej Filończyk (Marcello) et Ailyn Pérez (Mimì)

Son compatriote, Joshua Guerrero, qui devait être son partenaire dans la reprise de ‘Manon’ la saison dernière à l’opéra Bastille, avant qu'il ne se retire pour raison de santé, fait des débuts très appréciés sur la scène parisienne grâce à un charme vocal vaillant d’une très belle unité, même dans la tessiture aiguë, et une impulsivité théâtrale ombreuse qui laisse émaner beaucoup de profondeur de la part de Rodolfo. 

Il donne d’ailleurs l’impression de porter en lui une fougue rebelle qui donne un véritable sens au sentiment de rébellion de son personnage.

La Bohème (Pérez Guerrero Zámečníková Mariotti Guth) Opéra de Paris

Les trois autres artistes/astronautes sont vocalement très bien caractérisés et de façons très distinctes, que ce soit Gianluca Buratto, en Colline, qui dispose d’une forte résonance grave bien timbrée, ou bien Simone Del Savio qui insuffle une douce débonnaireté à Schaunard, ainsi que Andrzej Filończyk qui offre à Marcello jeunesse et modernité, mais peu de noirceur. On pourrait presque le sentir en concurrence avec Rodolfo.

Mais quel envoûtement à entendre la Musetta de Slávka Zámečníková! Glamour et plénitude du timbre, pureté du galbe vocal, sensualité et sophistication de la gestuelle corporelle, elle réussit à devenir un point focal d’une très grande intensité lorsqu’elle interprète ‘Quando me’n vo’ au cœur de l’alcôve dorée qu’a conçue Claus Guth, si bien qu’elle donne immédiatement envie de la découvrir dans des rôles de tout premier plan. 

Ailyn Pérez (Mimì)

Ailyn Pérez (Mimì)

Tous les autres rôles associés, dont quatre sont confiés à des artistes du chœur de l’Opéra de Paris, s’insèrent naturellement à la vitalité scénique, et Michele Mariotti, fervent défenseur d’une lecture à la théâtralité bien marquée, infuse l’amplitude orchestrale à l’action scénique de manière très harmonieuse avec des timbres orchestraux efficacement déployés.

Claus Guth, Michele Mariotti et Ailyn Pérez

Claus Guth, Michele Mariotti et Ailyn Pérez

Et l’un des grands plaisirs est d’avoir redécouvert comment cette version, qui dépouille le drame de toute agitation excessive, recrée un lien très intime entre l’auditeur et la musique de Puccini, d'autant plus que ce retour à la sincérité et à la simplicité se double d’une énergie extrêmement positive renvoyée toute la soirée par les spectateurs présents dans la salle, du moins dans l’entourage proche.

Car dorénavant délivré du public trop traditionnel, bruyant lors des premières et souvent ennuyeux par ses commentaires prévisibles, l’opéra Bastille semble accueillir des personnes plus jeunes et moins formatées qui manifestent beaucoup de joie à cette lecture qui les surprend souvent, ce qui permet de profiter de la soirée avec une fraîcheur tout à fait inattendue.

Et la plus belle surprise est de constater que Claus Guth, revenu pour cette reprise, reçoit au rideau final de chaleureux applaudissements, que les pourvoyeurs de huées se sont évanouis, que les mécontents se retirent en silence, ce qui confirme que ce type de proposition est clairement justifié et conforté.

 

Pour aller plus loin : Présentation de la nouvelle production de La Bohème par Claus Guth pour l'Opéra Bastille

Voir les commentaires

Publié le 10 Octobre 2022

Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny (Kurt Weill – 1930)
Représentation du 08 octobre 2022
Opera Ballet Vlaanderen – Gand 

Jim Mahoney Leonardo Capalbo
Jenny Hill Katharina Persicke
Leokadja Begbick Maria Riccarda Wesseling
Dreieinigkeitsmose Zachary Altman
Fatty der prokurisk James Kryshak
Sparbüchsenbill Thomas Oliemans
Jack O'Brien / Tobby Higgins Frédérick Ballentine
Alaskawolf Joe Marcel Brunner

Direction musicale Alejo Pérez
Mise en scène Ivo van Hove (2019)
Orchestra Symfonisch Orkest Opera Vlaanderen & Chorus Koor Opera Vlaanderen 

Coproduction Festival d'Aix-en-Provence, Metropolitain Opera, Dutch National Opera, Les Théâtres de la ville de Luxembourg

La reprise de la production de 'Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny' créée lors de l’édition 2019 du Festival d'Aix-en-Provence permet de profiter de ce spectacle dans une salle bien mieux taillée à son propos, l'Opéra Royal de Gand.

Zachary Altman (Dreieinigkeitsmose), Maria Riccarda Wesseling (Leokadja Begbick) et James Kryshak (Fatty der prokurisk)

Zachary Altman (Dreieinigkeitsmose), Maria Riccarda Wesseling (Leokadja Begbick) et James Kryshak (Fatty der prokurisk)

Car on pourrait croire qu’Ivo van Hove a lu et pris en compte les recommandations de mise en scène de Kurt Weill parues le 12 janvier 1930 sous le titre « Vorwort zum Regiebuch der Oper Mahagonny » dans le journal musical autrichien ‘Anbruch’ édité par Paul Stéphane, le biographe de Gustav Mahler (la traduction française est consultable sous le lien suivant : Remarques à propos de mon opéra Mahagonny).

Maria Riccarda Wesseling (Leokadja Begbick) et Zachary Altman (Dreieinigkeitsmose)

Maria Riccarda Wesseling (Leokadja Begbick) et Zachary Altman (Dreieinigkeitsmose)

Economie de moyens scéniques, structure simple de la scène pour faciliter sa transplantation, naturel et simplicité des gestes des acteurs et chanteurs, réalisme, projections qui illustrent l’évolution de la ville, on retrouve tous ces éléments dans cette production, à la nuance près que le système de projection est basé sur une technologie moderne qui permet de créer, à partir d’un fond vert disposé côté jardin, des incrustations vidéos plaquées en temps-réel sur des scènes de vie mimées par les chanteurs. 

Scène de maquillage chez Jenny Hill

Scène de maquillage chez Jenny Hill

L’anecdotique est évité – pas de camion en panne présent à l’arrivée de Leokadja Begbick et ses acolytes - , et il s’agit ici de gens d’aujourd’hui, sans distinction de classes sociales, habillés de manière tout à fait triviale, qui évoluent sur scène. Les six filles de Jenny sont par ailleurs rejointes pas un jeune travesti, rôle purement d’acteur, qui ajoute un élément de diversité de genre naturellement intégré à la société dépeinte, et une forme d'innocence pure qui a du charme.

Leonardo Capalbo (Jim Mahoney) et Katharina Persicke (Jenny Hill)

Leonardo Capalbo (Jim Mahoney) et Katharina Persicke (Jenny Hill)

Les deux points essentiels de cette mise en scène reposent ainsi sur l’imagerie parfois poétique qui est reconstituée sur l’écran – mais qui s’avère aussi un peu lourde lors de la scène répétitive au bordel de Mandeley -, sur l’humanité qui est montrée de l’ensemble des artistes, solistes, acteurs et choristes, appuyée par la vidéo – le parcours des visages de la population craignant l’arrivée de l’ouragan est saisissante -, une humanité qui est prise au piège – et c’est d’abord cette absence d’horizon possible qui est saillante –, qui se laisse parfois aller à une dérisoire rêverie, et qui est valorisée par la proximité avec les spectateurs.

Ensemble

Ensemble

Par ailleurs, sous la direction musicale d’Alejo Pérez, l’orchestre symphonique de l’Opéra des Flandres restitue non seulement la vitalité éclatante de l’écriture de Kurt Weill, mais lie également cet ensemble par un très beau continuo musical, souple et profond, sans sonorités trop austères et avec la tonicité nécessaire à son entrain.

A ces très grandes qualités orchestrales s’ajoute la présence presque animale du chœur dont la diversité des timbres se perçoit fort bien, tout en constituant une grande force populaire qui vient chercher l’auditeur au fond des tripes.

Leonardo Capalbo (Jim), Thomas Oliemans (Bill), Frédérick Ballentine (Jack) et Marcel Brunner (Joe)

Leonardo Capalbo (Jim), Thomas Oliemans (Bill), Frédérick Ballentine (Jack) et Marcel Brunner (Joe)

Dans un esprit d’expression viscérale et de caractérisation forte, la distribution réunie met en avant les qualités théâtrales de chacun des solistes. Ainsi, Maria Riccarda Wesseling, dont on ne peut oublier l’Iphigénie si sensible qu’elle composa au Palais Garnier lors de la première d’’Iphigénie en Tauride’ donnée au Palais Garnier le 08 juin 2006 dans la production de Krzysztof Warlikowski, montre une excellente présence dans les passages déclamés, assombrit peu son timbre, et donne une image très assurée de Leokadja Begbick sur laquelle le temps a pourtant passé.

Katharina Persicke (Jenny Hill)

Katharina Persicke (Jenny Hill)

Actrice très expressive, Katharina Persicke fait vivre Jenny Hill avec beaucoup d’impertinence et de coloris printaniers dans la voix, plutôt légère mais très malléable, et Leonardo Capalbo trouve ici un très beau rôle pour mettre en valeur un tempérament écorché, des variations d’intonations scandées qui expriment la sincérité acharnée, et plutôt héroïque, de Jim.

Cortège du corps de Jim

Cortège du corps de Jim

Mais les seconds rôles ont aussi leurs personnalités propres et un fort impact, comme le Dreieinigkeitsmose de Zachary Altman, baryton-basse au cuir ductile, ou bien le Jack O'Brien épanoui de Frédérick Ballentine.

On ressort ainsi de ce spectacle porté par son énergie vitale, malgré la fin sans espoir au moment du transport du corps de Jim, qui montre tout de même que cette humanité ne peut échapper à une unité de par le sort qui lui est dévolu.

Salle de l'Opéra Royal de Gand

Salle de l'Opéra Royal de Gand

Voir les commentaires

Publié le 2 Octobre 2019

Don Carlos (Giuseppe Verdi – 1886)
Représentation du 28 septembre 2019
Opera Vlaanderen – Anvers

Don Carlos Leonardo Capalbo
Élisabeth de Valois Mary Elizabeth Williams
Philippe II Andreas Bauer Kanabas
Rodrigue Kartal Karagedik
La princesse Eboli Raehann Bryce-Davis
Le Grand Inquisiteur Roberto Scandiuzzi
Un moine (Charles V) Werner Van Mechelen
Thibault, une voix céleste Annelies Van Gramberen
Le comte de Lerme, un héraut royal Stephan Adriaens

Direction musicale Alejo Pérez
Mise en scène Johan Simons  (2019)

Coproduction Opera Wrocławska

                                                                                                 Andreas Bauer Kanabas (Philippe II)

Parmi la trentaine de productions de Don Carlo qui seront données en Europe au cours de la saison 2019/2020, de Vienne à Londres en passant par Nuremberg, Moscou, Paris, Stuttgart, Venise, Francfort, Athènes, Liège, Essen, Salzbourg, Sofia, Munich et Dresde, pour ne citer qu’elles, celle de l’Opéra des Flandres est l’une des rares qui soit chantée dans sa langue originale française.

Leonardo Capalbo (Don Carlos)

Leonardo Capalbo (Don Carlos)

Ce n’est cependant pas la version 5 actes de la création parisienne de 1867, composée à partir du livret de Joseph Méry et Camille du Locle, qui est jouée sur la scène flamande, mais la version 5 actes de Modène 1886, basée sur le texte révisé par Charles Nuitter en 1884, née du remaniement par Verdi de sa propre partition pour la création à la Scala de Milan peu avant le coup d’éclat d’Otello.

On peut être surpris du choix de la langue française, habituellement c’est la traduction en italien par Angelo Zanardini qui est interprétée sur les scènes internationales, car il est difficile de trouver des chanteurs capables de rendre justice à la langue native de l’ouvrage. Mais à l’écoute de cette version qui propose une interprétation scénique psychanalytique en faisant de Don Carlos un enfant qui rejoue mentalement son drame, les intonations perdent de la véhémence de la langue italienne, ce qui accentue l’expression dépressive du chant. L’atténuation de la lisibilité du texte est donc contrebalancée par le fond mélancolique qui teinte tous les tableaux.

Werner Van Mechelen (Un moine)

Werner Van Mechelen (Un moine)

Globalement, l’ensemble de la distribution manque de précision de diction, hormis dans la voix d’Andreas Bauer Kanabas, qui compose un Philippe II intelligible, sévère mais aux failles sensibles, ainsi que dans l’interprétation du moine d’une très grande clarté par Werner Van Mechelen, et de Stephan Adriaens qui dresse une stature presque surnaturelle du comte de Lerme et du héraut royal.

Leonardo Capalbo est familier de la langue française, il a chanté Hoffmann à Londres, mais son naturel vaillant avec beaucoup d’ouverture privilégie l’impact à la souplesse et au caractère feutré du chant de Don Carlos.

La mise en scène lui faisant jouer un personnage malade et quasi-autiste du début à la fin, sa capacité à incarner un être dans toute sa complexité et qui évolue face aux épreuves n’est pas véritablement mise en valeur non plus.

Don Carlos (Capalbo-Williams-Bauer Kanabas-Karagedik-Bryce-Davis-Pérez-Simons) Anvers

Mary Elizabeth Williams s’en sort mieux du fait qu’elle fait d’Elisabeth une femme moderne et forte, malgré la fragilité induite par son mariage contraint avec Philippe II, et qu’elle peut compter sur les irisations de sa voix pour toucher la sensibilité de chacun.  Cependant, les accents perçants prennent le dessus sur la profondeur et l’ampleur impériale.

Fortement affaibli par le manque de contraste dans le chant de Kartal Karagedik, assourdi par la langue de Molière, Rodrigue reste trop en retrait, mais Raehann Bryce-Davis qui, de son chant palpitant aux mille reflets minéraux, imprime une Chanson du Voile aux coloratures un peu trop vite expédiées, ancre solidement son tempérament de feux dans une incarnation qui atteint son sommet au O Don Fatale immanquablement ardent.

Réduit à une entrée piteuse, Roberto Scandiuzzi n’arrive à rendre de l’Inquisiteur qu’un portrait usé qui ne peut inquiéter le Roi.

Raehann Bryce-Davis (La princesse Eboli)

Raehann Bryce-Davis (La princesse Eboli)

Le public de l’opéra des Flandres est habitué à des lectures psychologiques proches de l’absurde, à l’instar du Roi Candaule joué en 2016, et sans préjugé on peut adhérer au dépouillement de Johan Simons  qui recrée, sur une scène souvent nue, les passages de la vie de Don Carlos vécues depuis son lit d’hôpital, et qui fait apparaître et disparaitre en fond de scène des paysages de Flandres vallonnés ou de jardins royaux d’une très belle épure pastelle.

Et quand ceux-ci s’effacent, apparaît le chœur vêtu de costumes flamands fantasmés, et même toutes sortes de symboles architecturaux de la ville qui envahissent la chambre du malade au moment de la scène d’autodafé.
On remarque également l’inversion entre l’acte I et le premier tableau de l'acte II, artifice destiné à placer d’emblée Don Carlos en position dépressive avant de rejouer toute son histoire.

Ces références récurrentes aux couleurs des Flandres semblent ainsi comme destinées à rapprocher avec plus d’évidence l’histoire de Don Carlos du cœur de son public.

Mary Elizabeth Williams (Élisabeth de Valois)

Mary Elizabeth Williams (Élisabeth de Valois)

Le chœur, voilé en première partie, gagne en cohésion pour finir sur une attitude indicative et frontale d’une très grande force face aux spectateurs, grand moment d’emphase avec l’orchestre qui, sous la direction d’Alejo Pérez, aura été tout au long de la soirée le premier acteur du drame, enflant et débordant même les chanteurs, afin de décrire une trame historique noire, envahissante, assombrie même par les cuivres ronflants tapis dans l’ombre. L’impression domine d’une lecture d’ensemble théâtrale et inhabituelle qui paraît surdimensionnée face à l’absence de grandiose et au recueil intime de l’interprétation scénique.

Voir les commentaires

Publié le 22 Octobre 2013

Die Eroberung von Mexico (Wolfgang Rihm)
La Conquête du Mexique
Représentation du 19 octobre 2013
Teatro Real de Madrid

Montezuma Nadja Michael
Cortez Georg Nigl
Un hombre que grita Graham Valentine
Malinche Ryoko Aoki
Soprano Caroline Stein
Contralto Katarina Bradic
Primer actor Stephan Rehm
Segundo actor Peter Pruchniewitz

Direction Musicale Alejo Perez
Chœur et orchestre du Teatro Real

Mise en scène Pierre Audi
Scénographie Alexander Polzin
Costumes Wojciech Dziedzic
Lumière Urs Schönebaum
Vidéo Claudia Rohrmoser                                               Nadja Michael (Montezuma)

Die Eroberung von Mexico est la première des six nouvelles productions programmées par Gerard Mortier pour la saison 2013/2014 du Teatro Real, saison qui devrait être le point culminant de son projet artistique.

L’opéra représenté ce soir est une œuvre que Wolfgang Rihm, un des grands compositeurs contemporains allemands, né à Karlsruhe en 1952, a élaboré entre 1987 et 1991.

Cette œuvre relate la rencontre historique entre le conquistador espagnol Hernán Cortés et l'empereur aztèque Montezuma vécue comme un choc émotionnel aux réactions imprévisibles.

Malgré les contraintes financières sévères, Mortier a fait tout son possible pour mettre en valeur cette pièce peu connue.

Nadja Michael (Montezuma) et Georg Nigl (Hernan Cortés)

Nadja Michael (Montezuma) et Georg Nigl (Hernan Cortés)

Ainsi, dès l’entrée dans le théâtre, trois panneaux lumineux éclairent le visiteur d’une part sur la biographie du compositeur, d’autre part sur son travail musical qui remonte aux sources antiques, et enfin, sur l’architecture de ‘La conquête du Mexique’.

Ces textes sont signés Jan Vandenhouwe, le jeune dramaturge musical que l’on a connu à Paris avec Mortier - il avait fait une analyse musicale de Parsifal fascinante - et que l’on retrouve dans nombre de spectacles européens aujourd’hui.
Un petit livret d’une trentaine de pages est également offert à tous.

Pintura de Alexander Polzin

Pintura de Alexander Polzin

Une fois dans la salle, chacun peut contempler la répartition spatiale des instruments de musique dans tout le théâtre. Les percussions sont divisées en cinq groupes, deux dans la fosse, un dans la grande loge de face, et deux dans les loges de côté. Hautbois, trompettes et violons sont également disposés dans ces loges, cors, violoncelles, contrebasses et vents, ainsi qu’une harpe, un piano et deux basses électriques composant ainsi la formation principale de l’orchestre.

Quand la lumière s’éteint, les spectateurs se trouvent alors face à l’immense façade multicolore composée des murs et des toits de la ville de Tenochtitlan, qui se lève pour laisser apparaitre Montezuma dans un état de transe, et qui redescend à l’arrivée des Espagnols.

Georg Nigl (Hernan Cortés)

Georg Nigl (Hernan Cortés)

Les conquistadors, dissimulés sous des boucliers, arrivent la peur au ventre en longeant l’intérieur de la salle. Hernán Cortés, lui,  est représenté en tenant une grande croix tendue de la main,  signe d’une foi qui le rassure dans son avancée vers l’inconnu de la vie. Il arrive en traversant l’allée centrale de la salle.
 

On entend les voix des Aztèques, le chœur, derrière le décor, et il en sera ainsi pendant toute la représentation.

 

La musique, elle, est mystérieusement inquiétante, et les battements de percussions évoquent à la fois, au milieu d’éclats de voix étranges, l’ambiance naturelle et sauvage du milieu de vie des Aztèques, et les pulsations à cœur battant des Espagnols qui y pénètrent. 

 

Nadja Michael apparaît alors sous les traits de Montezuma. Elle se plie avec souplesse aux ondoyances de son corps félin, qui est une belle manière d’opposer à Cortés une vision dérangeante, lui qui est empreint d’une religion catholique qui a toujours entretenu de la méfiance vis-à-vis du corps.

 

L’ampleur et le bronze de la voix de cette artiste allemande incontournable dans les rôles de grandes héroïnes païennes (Médée, Salomé, Lady Macbeth) s’épanouissent d’autant mieux que ce chant puissant et parlé laisse le son se déployer somptueusement dans des aigus solides et saillants.

Baryton clair et expressif, Georg Nigl a une voix dont la texture dense se mélange très bien à celle de Nadja Michael, et bien qu’il soit Autrichien, sa technique porte une modernité qui rappelle celle des ténors que l’on entend dans les opéras de Britten, une sorte de juvénilité éperdue.

Nadja Michael (Montezuma) et Georg Nigl (Hernan Cortés)

Nadja Michael (Montezuma) et Georg Nigl (Hernan Cortés)

Dans le feu de la rencontre, la musique devient plus violente et émotionnellement prenante. L’effet est d’autant plus intense et saisissant, que la dispersion spatiale du son renforce la sensation d’intériorité de ce climat musical.

Survient même un passage où le chœur obsédant et la tension aigüe de la musique évoquent l’atmosphère infinie du Lux Æternam de György Ligeti immortalisée dans « 2001 l’Odyssée de l’Espace », le film culte de Stanley Kubrick.

Pour signifier le rôle d'intermédiaire de Malinche, une actrice et danseuse, Ryoko Aoki, intervient entre les deux protagonistes. Mais cette présence de la sagesse asiatique est vaine à réduire la tension des échanges.

Si la mise en scène rappelle quelques scènes factuelles de cette rencontre, comme la découverte de l’or accumulé par les Aztèques, et la fascination des conquistadors pour cette richesse abondante, l’image la plus troublante s’impose quand les corps des soldats des deux camps apparaissent suspendus sur cet univers sombre. 

Nadja Michael (Montezuma) et Georg Nigl (Hernan Cortés)

Nadja Michael (Montezuma) et Georg Nigl (Hernan Cortés)

Seules les artères et les veines rouges et bleues qui parcourent tout leurs corps sont visibles, concentrées vers le cœur. Ni le cerveau, ni le système nerveux ne sont représentés, image artistiquement humaine de l'émotion sans contrôle de l'esprit.
Tous ces êtres ne sont en interaction que par leurs pulsions sanguines, la raison n’y a pas sa place. Là sont les germes d'une totale incompréhension.

Cette image est forte, car elle renvoie une vision de la vie inquiétante lorsqu’elle est uniquement guidée par le cœur, un cœur naturellement aimant pouvant devenir profondément noir.

Et lorsque l’on prend conscience de la variété des instruments en jeu, on n’en a que plus d’admiration pour l’exaltation d’Alejo Perez à diriger une telle partition qui, parfois, réserve des moments de scintillements intenses extraordinaires, tout en ne lâchant rien à la violence sous-jacente de la musique.

Voir les commentaires

Publié le 24 Juillet 2012

Ainadamar, fuente de lagrimas (Osvaldo Golijov)
Représentation du 22 juillet 2012
Teatro Real de Madrid

Margarita Xirgu Nuria Espert

                         Jessica Rivera
Federico Garcia Lorca Kelley O’Connor
Nuria Nuria Rial
Ruiz Alonso Jesus Montota
José Tripaldi Miguel Angel Zapater

Mise en scène Peter Sellars
Direction musicale Alejo Pérez

                                                               Kelley O'Connor (Lorca) et Nuria Espert (Margarita Xirgu)

Provenant de l’Opéra de Santa Fe où elle fut créée en 2005, la production de Peter Sellars est reprise et modifiée par lui-même pour le Teatro Real de Madrid, illustrant ainsi les derniers jours de la vie du poète espagnol exécuté par les antirépublicains sous les murs de Grenade en 1936.

Toute la scénographie repose sur les expressions du visage et les gestes qui disent la beauté et la souffrance dans laquelle vécut la relation entre Lorca et l’actrice Margarita Xirgu. Comme pour Iolanta, le metteur en scène américain utilise des éclairages disposés au sol et tournés vers l’intérieur de la scène afin de mettre en valeur l’humaine profondeur de ces acteurs et chanteurs magnifiques.

Nuria Espert (Margarita Xirgu), Kelley O'Connor (Lorca) et Nuria (Nuria Rial)

Nuria Espert (Margarita Xirgu), Kelley O'Connor (Lorca) et Nuria (Nuria Rial)

L’actrice Nuria Espert - reconnue aujourd’hui comme une grande interprète de Federico Garcia Lorca - entretient un rapport d'échange à coeur ouvert avec l’audience, car elle engage chacun à conserver et partager le meilleur de son humanité même dans des circonstances aussi graves que le joug de la barbarie fasciste.

Il en résulte un climat dépressif, et la musique d’Osvaldo Golijov lui apporte une certaine légèreté vitale et hispanisante faite de rythmes des congas, ou bien de larges passages symphoniques quasi debussystes.

Les voix sont certes amplifiées, mais l’équilibre sonore est superbement entretenu, si bien qu’elles y gagnent en pureté, faisant prendre à celle de Nuria Rial des couleurs de contreténor frappantes et déroutantes à la fois.

Nuria Espert (Margarita Xirgu), Kelley O'Connor (Lorca) et Miguel Angel Zapater (José Tripaldi)

Nuria Espert (Margarita Xirgu), Kelley O'Connor (Lorca) et Miguel Angel Zapater (José Tripaldi)

L’ensemble est entouré par des toiles abstraites de l’artiste peintre Gronk, des formes complexes en teinte de terre rouge, auxquelles chacun réagit à sa manière et selon son état psychique du moment.

Face à ce spectacle fort, mais qui n’a pas totalement rempli la salle, on ne peut s’empêcher de se demander pourquoi ne voit-on pas plus de monde éprouver le besoin de découvrir ces œuvres artistiques qui alimentent un questionnement fondamental sur notre rapport aux autres?

Voir les commentaires

Publié le 25 Avril 2012

Le Rossignol et autres fables (Igor Stravinsky)
Représentation du 22 avril 2012
Opéra de Lyon
 

Petites pièces
Ragtime Orchestre de l’Opéra de Lyon
Trois pièces pour clarinette Jean-Michel Bertelli
Pribaoutki Svetlana Shilova
Deux poèmes de Constantin Balmont Elena Semenova
Berceuse du chat Svetlana Shilova
Quatre chants paysans russes Chœur de femmes de l’Opéra de Lyon

Renard
Ténors Marat Gali et Lothar Odinius
Barytons Nabil Sulinan et Ruslan Rozyev

Rossignol
Le Rossignol Anna Gorbachyova
La Cuisinière Elena Semenova
La Mort Svetlana Shilova
Le Pêcheur Lothar Odinius
Le Chambellan Nabil Sulinan
Le Bonze Michael Uloth
Trois envoyés japonais Philippe Maury, Didier Roussel, Paolo Stupenengo

  Marionnettistes-acrobates Andréanne Joubert, Noam Markus, Vincent Poliquin-Simms, Wellesley Robertson III, Martin Vaillancourt                             Anna Gorbachyova (Le Rossignol)
 
Mise en scène Robert Lepage
Direction musicale Aléjo Perez

 

Lorsque l’on entre dans l’Opéra de Lyon, on est tout d’abord frappé par l’omniprésence d’un noir oppressant, émanation de l’humeur austère de l’architecte ou bien conception excessivement solennelle de l’approche théâtrale qui s‘y déroule.

Heureusement, la vision du bassin en suspend au dessus de l’emplacement de la fosse d’orchestre, flanqué de deux balconnets avec au centre un piédestal pour le chef, présente une première image intime et bucolique inédite.
 

Une quinzaine de musiciens s’installent par la suite sur la scène et interprètent Ragtime, composition inspirée du Jazz qui apparaissait aux Etats-Unis au début du XXème siècle.
L’évocation est en total décalage avec le charme slave des fables qui vont suivre, mais en même temps, l’esprit à la fois populaire et délicat de cette ouverture respire tout autant de couleurs et de joie de vivre presque enfantine. Ce sera une constante de toute la première partie - une incroyable merveille visuelle en ombres chinoises.

Et Robert Lepage, bien entendu assisté par des concepteurs habilles et raffinés, recrée la forme des personnages et animaux héros des petites pièces, grâce à de talentueux animateurs situés sur un des balconnets de la scène.

                     Svetlana Shilova et Elena Semenova

Leurs mains s’entrelacent, s’animent, et une lampe transforment leurs gestes en perdrix, lièvres, serpents, fleurs, ces histoires prennent vie en noir sur un grand bandeau blanc déployé au dessus de l’orchestre.
On est complètement hypnotisé par ce spectacle irréel, et bercé par la tendre poésie d’Elena Semenova et Svetlana Shilova, puis du chœur de femmes, joyeuses paysannes russes toutes souriantes.

Entre chacune de ces pièces, la clarinette malicieuse de Jean-Michel Bertelli joue seule un court interlude, une belle mise en valeur de la vitalité légère de cet instrument.

Scène du Renard

Scène du Renard

Pour Le Renard, chanté par deux ténors et deux barytons aux couleurs vocales tout autant pittoresques, cinq acrobates - on découvrira leur impressionnante musculature au salut final - vêtus de masques finement ciselés recréent un saisissant jeu d’illusions avec leur corps intégral projeté depuis l’arrière de l’écran blanc.
C’est un étonnement permanent, et l’esprit même ne peut s’empêcher de déconstruire l’image pour comprendre comment elle a été formée.

Nul doute que cette féérie mériterait d’être offerte à une salle remplie exclusivement d’enfants, car elle réunit toutes les conditions pour que germent l’amour du chant, de la musique et, plus largement, du spectacle vivant dans le cœur de la jeunesse.

Anna Gorbachyova (Le Rossignol)

Anna Gorbachyova (Le Rossignol)

Mais l’émerveillement n’est pas fini.
La seconde partie est dédiée au Rossignol, œuvre véritablement opératique composée d’après le conte Le Rossignol et l’Empereur de Chine d’Hans Christian Andersen.
L’orchestre, beaucoup plus important, est repoussé en arrière scène, un arbre repose sur un des balconnets et se penche sur l’eau du bassin qui sera le lieu principal de toute l’action.
Puis, les chanteurs et animateurs arrivent dans l’eau en poussant les embarcations guidées par des marionnettes expressives, finement détaillées, et toute l’histoire est ainsi racontée avec une poésie, une saturation de couleurs et un mélange magnifique de personnages réels et symboliques.

Le Pêcheur (Lothar Odinius)

Le Pêcheur (Lothar Odinius)

L’héroïne est évidemment Anna Gorbachyova, une interprète angélique au timbre boisé, mais également brillante colorature, joliment lumineuse et qui respire de désirs de vie.

La scénographie nocturne est superbe, avec des zones d’ombres et d’autres comme éclairées par la pleine Lune, les costumes du chœurs - la cour de l’Empereur - sont éblouissants, et tous ces chanteurs ont une belle homogénéité vocale et une projection adaptée à l‘intimité de la salle.

Peut être, un jour, le Théâtre des Champs Elysées, lieu lié intrinsèquement au génie de Stravinsky, aura-t-il l’occasion de l’accueillir.

Anna Gorbachyova (Le Rossignol)

Anna Gorbachyova (Le Rossignol)

Du fait de l’absence de réflecteurs acoustiques, le détail des sonorités de l’orchestre, dirigé avec beaucoup de souplesse par Aléjo Perez, a paru un peu tassé dans la masse sonore, mais il faut vraiment chercher à se détacher de l’unité d’ensemble pour y faire attention.

Voir les commentaires