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Publié le 6 Mai 2023

La Bohème (Giacomo Puccini - 1896)
Représentation du 02 mai 2023
Opéra Bastille

Mimì Ailyn Pérez
Musetta Slávka Zámečníková
Rodolfo Joshua Guerrero
Marcello Andrzej Filończyk
Schaunard Simone Del Savio
Colline / Benoît Gianluca Buratto
Alcindoro Franck Leguérinel
Parpignol Luca Sannai*
Sergente dei doganari Bernard Arrieta*
Un doganiere Pierpaolo Palloni*
Un venditore ambulante Paolo Bondi*
Le maître de cérémonie Virgile Chorlet (mime)
* Artistes des Chœurs de l’Opéra de Paris

Direction musicale Michele Mariotti    
Mise en scène Claus Guth (2017)

Il est courant à l’opéra qu’une mise en scène qui propose une lecture contemporaine d’une œuvre lyrique composée des décennies, voir des siècles, auparavant rencontre une forte résistance à sa création, puis trouve son chemin et devienne un classique. Ce fut le cas pour le ‘Ring’ dirigé par Patrice Chéreau à Bayreuth en 1976, ou bien, plus récemment, pour ‘Don Giovanni’ et ‘Iphigénie en Tauride’ respectivement mis en scène par Michael Haneke et Krzysztof Warlikowski au Palais Garnier en 2006.

Joshua Guerrero (Rodolfo) et Ailyn Pérez (Mimì)

Joshua Guerrero (Rodolfo) et Ailyn Pérez (Mimì)

C’est donc avec grand intérêt que la première soirée de reprise de ‘La Bohème’ imaginée par Claus Guth en décembre 2017, à l’occasion de laquelle l’orchestre de l’Opéra de Paris et Gustavo Dudamel collaboraient pour la première fois, était attendue afin de voir comment le public allait réagir.

La grande force de cette production est de déplacer le centre émotionnel sur la condition de Rodolfo et ses amis qui vivent leurs dernières heures à bord d’un vaisseau spatial qui dérive dans le vide sidéral, alors que l’oxygène vient à manquer, ce qui est une autre façon de représenter le sort de ces quatre artistes qui n’ont plus de quoi se nourrir.

Mimi devient ainsi une figure du souvenir nostalgique du bonheur terrestre qui survient quand le cerveau se met à fabriquer des images mentales colorées à l’approche du moment où la vie s'en va.

Joshua Guerrero (Rodolfo)

Joshua Guerrero (Rodolfo)

Comparé aux versions traditionnelles qui inlassablement reproduisent une vision cliché du Paris bohème fin XIXe siècle et de l’animation de ses bars qui convoque des dizaines de figurants sur scène, ce puissant spectacle gagne en épure poétique et ne fait intervenir qu’un nombre très limité de participants avec des coloris signifiants : le blanc pour les tenues des astronautes sur le point de perdre la vie, le rouge pour la robe de Mimi et l’élan vital qu’elle représente, le noir pour tous les personnages parisiens issus de l’imagination de Rodolfo.

Joshua Guerrero (Rodolfo) et Ailyn Pérez (Mimì)

Joshua Guerrero (Rodolfo) et Ailyn Pérez (Mimì)

Le troisième acte réussit une parfaite synthèse entre le concept spatial de Claus Guth et la désolation de la barrière d’Enfer sur cette surface lunaire balayée par les chutes de neige, et le quatrième acte brille par l’humour de la scène étincelante de cabaret qui constitue le dernier baroud de folie pour fuir la réalité avant que la mort n’achève d’entraîner Rodolfo après ses amis.

Mimi, cette lueur de vie qui était apparue afin de surmonter pour un temps le désespoir de la situation, et qui dorénavant s’éteint au dernier souffle du poète, disparaît dans le paysage lunaire.

Slávka Zámečníková (Musetta)

Slávka Zámečníková (Musetta)

Ailyn Pérez, jeune interprète américaine du répertoire français et italien fin XIXe siècle régulièrement invitée au New-York Metropolitan Opera depuis 8 ans, inspire dans les deux premiers actes une félicité épanouie dénuée de toute mélancolie. Ce rayonnement s’accompagne d’une clarté et d’un moelleux de timbre d’une très agréable suavité, ce qui donnerait envie de l’entendre prolonger plus longuement ce souffle passionné qu’elle écourte parfois un peu tôt promptement. 

Andrzej Filończyk (Marcello) et Ailyn Pérez (Mimì)

Andrzej Filończyk (Marcello) et Ailyn Pérez (Mimì)

Son compatriote, Joshua Guerrero, qui devait être son partenaire dans la reprise de ‘Manon’ la saison dernière à l’opéra Bastille, avant qu'il ne se retire pour raison de santé, fait des débuts très appréciés sur la scène parisienne grâce à un charme vocal vaillant d’une très belle unité, même dans la tessiture aiguë, et une impulsivité théâtrale ombreuse qui laisse émaner beaucoup de profondeur de la part de Rodolfo. 

Il donne d’ailleurs l’impression de porter en lui une fougue rebelle qui donne un véritable sens au sentiment de rébellion de son personnage.

La Bohème (Pérez Guerrero Zámečníková Mariotti Guth) Opéra de Paris

Les trois autres artistes/astronautes sont vocalement très bien caractérisés et de façons très distinctes, que ce soit Gianluca Buratto, en Colline, qui dispose d’une forte résonance grave bien timbrée, ou bien Simone Del Savio qui insuffle une douce débonnaireté à Schaunard, ainsi que Andrzej Filończyk qui offre à Marcello jeunesse et modernité, mais peu de noirceur. On pourrait presque le sentir en concurrence avec Rodolfo.

Mais quel envoûtement à entendre la Musetta de Slávka Zámečníková! Glamour et plénitude du timbre, pureté du galbe vocal, sensualité et sophistication de la gestuelle corporelle, elle réussit à devenir un point focal d’une très grande intensité lorsqu’elle interprète ‘Quando me’n vo’ au cœur de l’alcôve dorée qu’a conçue Claus Guth, si bien qu’elle donne immédiatement envie de la découvrir dans des rôles de tout premier plan. 

Ailyn Pérez (Mimì)

Ailyn Pérez (Mimì)

Tous les autres rôles associés, dont quatre sont confiés à des artistes du chœur de l’Opéra de Paris, s’insèrent naturellement à la vitalité scénique, et Michele Mariotti, fervent défenseur d’une lecture à la théâtralité bien marquée, infuse l’amplitude orchestrale à l’action scénique de manière très harmonieuse avec des timbres orchestraux efficacement déployés.

Claus Guth, Michele Mariotti et Ailyn Pérez

Claus Guth, Michele Mariotti et Ailyn Pérez

Et l’un des grands plaisirs est d’avoir redécouvert comment cette version, qui dépouille le drame de toute agitation excessive, recrée un lien très intime entre l’auditeur et la musique de Puccini, d'autant plus que ce retour à la sincérité et à la simplicité se double d’une énergie extrêmement positive renvoyée toute la soirée par les spectateurs présents dans la salle, du moins dans l’entourage proche.

Car dorénavant délivré du public trop traditionnel, bruyant lors des premières et souvent ennuyeux par ses commentaires prévisibles, l’opéra Bastille semble accueillir des personnes plus jeunes et moins formatées qui manifestent beaucoup de joie à cette lecture qui les surprend souvent, ce qui permet de profiter de la soirée avec une fraîcheur tout à fait inattendue.

Et la plus belle surprise est de constater que Claus Guth, revenu pour cette reprise, reçoit au rideau final de chaleureux applaudissements, que les pourvoyeurs de huées se sont évanouis, que les mécontents se retirent en silence, ce qui confirme que ce type de proposition est clairement justifié et conforté.

 

Pour aller plus loin : Présentation de la nouvelle production de La Bohème par Claus Guth pour l'Opéra Bastille

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Publié le 25 Octobre 2021

L’Elixir d’Amour (Gaetano Donizetti - 1832)
Représentations du 24 et 27 octobre 2021
Opéra Bastille

Adina Pretty Yende (le 24)
           Aleksandra Kurzak (le 27)
Nemorino Pene Pati
Belcore Simone Del Savio
Il Dottor Dulcamara Ambrogio Maestri
Giannetta Lucrezia Drei

Direction musicale Giampaolo Bisanti
Mise en scène Laurent Pelly (2006)

Coproduction Royal Opera House, Covent Garden, Londres

 

                                                            Pretty Yende (Adina)

 

 

Depuis son arrivée sur la scène de l’opéra Bastille le 30 mai 2006 à l'initiative de Gerard Mortier, la production de L’Élixir d’Amour par Laurent Pelly s’est hissée parmi les 10 opéras les plus représentés à l’Opéra de Paris depuis les 15 dernières années avec plus de 60 soirées programmées sur cette période. 

Il est difficile de prédire si elle conservera le même rythme à l’avenir car elle a sans doute profité de l’absence de production des Noces de Figaro de Mozart pendant tout ce temps là, lacune qui sera heureusement comblée cette saison par la production de Netia Jones.

Pene Pati (Nemorino)

Pene Pati (Nemorino)

Cette reprise comporte plusieurs distributions, et la seconde série permet de découvrir pour la première fois le ténor Pene Pati originaire des Îles Samoa de Polynésie. Et la qualité de timbre qu’il révèle dans l’immensité de Bastille est impressionnante. 

Dans cette production relocalisée dans l’Italie des années 50, il incarne un Nemorino habillé de manière très simple comme s’il n’avait aucun sou, et il se glisse dans la peau de ce jeune homme maladroit avec une aisance qui paraît sans limite. Gesticulations mécaniques mais avec une très agréable souplesse de corps, mimiques expressives même quand il ne chante pas, il joue la carte du grand benêt bondissant en manque affectif avec une facilité qui lui vaut un répondant enchanté de la part du public, mais aussi parce que sa voix est d’une suavité savoureuse, une italianité aux clartés chantantes mêlée à une tessiture de crème ambrée profondément enjôleuse.

Sa complainte «Una furtiva lagrima» devient inévitablement le point culminant du spectacle car il déploie à ce moment là une amplitude poétique hypnotique et merveilleuse.

Pretty Yende (Adina) - le 24 octobre

Pretty Yende (Adina) - le 24 octobre

Pour un soir, c’est Pretty Yende qui incarne Adina auprès de lui. La soprano sud-africaine prend beaucoup de plaisir à jouer la comédie de cette jeune femme sûre d’elle-même avec nombre de petits rires moqueurs de ci de là, et se permet parfois des variations coloratures qui démontrent son agilité vocale et le tempérament coquet de son personnage.

Son chant médium se fond un peu trop dans les sonorités de l’orchestre et de l’ouverture de la salle, mais ses aigus s’épanouissent dans un souffle vainqueur qu’elle aime fièrement brandir.

Aleksandra Kurzak (Adina) - le 27 octobre

Aleksandra Kurzak (Adina) - le 27 octobre

Et pour un autre soir, le mercredi 27 octobre, c’est Aleksandra Kurzak qui fait vivre Adina auprès de Pene Pati, et la personnalité qu'elle découvre se révèle bien plus charnelle. Elle joue en effet sur une très belle association entre son timbre riche dans le médium, joliment chaloupé, qui la sensualise énormément, et son corps dont elle assume le pouvoir charmeur.

La projection de la voix est très homogène - alors que cette artiste sur-dynamitée bouge dans tous les sens - sans aller toutefois aussi loin que Pretty Yende dans le plaisir ornemental démonstratif, mais il en résulte un fort tempérament vivant et instinctivement très humain qui lui donne l'impression d'être encore plus spontanée et naturellement vraie.

Aleksandra Kurzak (Adina) - le 27 octobre

Aleksandra Kurzak (Adina) - le 27 octobre

Lui aussi bon comédien, mais sans verser dans l’exagération clownesque, Simone Del Savio offre à Belcore une très belle tenue vocale, légère et homogène mais avec de l’impact, et son personnage gagne en ambiguïté avec des parts d’ombre qui font qu’il peut être pris au sérieux, alors qu’à l’opposé, Ambrogio Maestri impose une présence vocale écrasante en faisant du Dottor Dulcamara un charlatan d’une très grande sagesse.

Il a en effet dans son comportement une attitude en apparence loufoque qui le rend tout à fait crédible par cette sorte de clairvoyance masquée qu’il a sur les illusions du monde qui l’entoure. Cet aspect là est remarquablement bien joué!  

Simone Del Savio (Belcore)

Simone Del Savio (Belcore)

Son rôle est discret, mais Lucrezia Drei fait ressortir tout le naturel pétillant de Giannetta dans la seconde partie où les bottes de foin se sont ouvertes pour créer un espace plus intime autour de la fête de mariage.

Rideau de scène à la fin de l'acte I de l'Elixir d'amour

Rideau de scène à la fin de l'acte I de l'Elixir d'amour

Pour animer tout ce petit monde d’un instant, Giampaolo Bisanti joue la carte des couleurs orchestrales gorgées d’un son dense, tenues par un bon rythme sans qu'il ne cherche la vivacité à tout prix, sans doute pour préserver une ambiance chaleureuse qui mette à l’aise l’ensemble des artistes.

Et le chœur, personnage à part entière, est d’un excellent relief où l’harmonie et l’expressivité sont parties prenantes de cette histoire.

Pene Pati (Nemorino), Pretty Yende (Adina) et Simone Del Savio (Belcore)

Pene Pati (Nemorino), Pretty Yende (Adina) et Simone Del Savio (Belcore)

Les gags - comme la tant attendue course réjouissante du petit chien qui traverse de part en part à plusieurs reprises le plateau - et le jeu de scène sont toujours aussi bien réglés, ce qui en fait une des productions phares de la scène Bastille pour faire aimer l’opéra au plus grand nombre.

Pretty Yende (Adina) et Ambrogio Maestri (Il Dottor Dulcamara)

Pretty Yende (Adina) et Ambrogio Maestri (Il Dottor Dulcamara)

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Publié le 13 Septembre 2017

Cosi fan tutte (Wolfgang Amadé Mozart)
Répétition générale du 09 septembre 2017
Palais Garnier

Fiordiligi Ida Falk-Winland / Cynthia Loemij*
Dorabella Stéphanie Lauricella / Samantha van Wissen*
Ferrando Cyrille Dubois / Julien Monty*
Guglielmo Edwin Crossley-Mercer / Michaël Pomero*
Don Alfonso Simone Del Savio / Bostjan Antoncic*
Despina Maria Celeng / Marie Goudot*

*Danseurs de la Compagnie Rosas

Direction musicale Philippe Jordan
Chorégraphie Anne Teresa De Keersmaeker (2017)
Dramaturgie Jan Vandenhouwe

                                               Ida Falk-Winland (Fiordiligi)

C’est avec l’une des deux distributions présentées en janvier et février 2017 pour la nouvelle production de Cosi fan tutte que l’Opéra de Paris ouvre sa nouvelle saison au Palais Garnier, dans une reprise d’une très grande fluidité musicale.

La première représentation est par ailleurs dédiée à Pierre Bergé auquel la vie artistique de cette maison doit tant.

Philippe Jordan

Philippe Jordan

Ce Cosi fan tutte chorégraphié par Anne Teresa De Keersmaeker, qui est bien parti pour être une originale référence, est tout à la fois éloigné de la comédie vaudevillesque que du drame social mis en scène par Michael Haneke au Teatro Real de Madrid.

Le vide et le blanc immaculé de la scène laissent en effet la place à un art du mouvement cohérent de l’harmonie mozartienne, qui se lit aussi bien à travers les impulsions des chanteurs que selon les déplacements des danseurs qui les doublent.

Ida Falk-Winland (Fiordiligi) et Cyrille Dubois (Ferrando)

Ida Falk-Winland (Fiordiligi) et Cyrille Dubois (Ferrando)

Associé à la lecture souple, impulsive et enjouée de Philippe Jordan, le meilleur Mozart entendu sous sa direction, en totale communion avec l’art de la nuance des artistes, l’auditeur est avant tout pris par l’entière musicalité du spectacle, mais aussi par les particularités physiques des danseurs qui offrent un effet miroir aux caractères qu’ils incarnent.

Samantha van Wissen et ses déhanchés humoristiques, Cynthia Loemij et ses courses feutrées, Marie Goudot et ses saccades qui évoquent une danse de la rue, sollicitent le regard du spectateur et l’influencent dans son interprétation de la musique.

Samantha van Wissen et  Stéphanie Lauricella (Dorabella)

Samantha van Wissen et Stéphanie Lauricella (Dorabella)

Les voix, elles, sont intégralement juvéniles – il est habituellement courant de voir les rôles de Despina et de Don Alfonso confiés à des vétérans du chant -, ce qui renforce le sentiment d’assister à une leçon de jeunesse, mâtinée de mélancolie, sans cruauté surjouée.

Ainsi, Ida Falk-Winland est absolument fascinante par le contraste entre le calme et la finesse de ses postures longilignes et la sincérité introvertie de son chant lumineusement touchant, Stéphanie Lauricella, mezzo-soprano claire et naturellement spontanée, voit son caractère renforcé par la présence de Samantha van Wissen, et Maria Celeng est l’une des plus musicales Despine entendues à ce jour.

Maria Celeng (Despine)

Maria Celeng (Despine)

Côté masculin, Cyrille Dubois est parfait dans ce rôle de jeune naïf lancé sur les cheminements de la maturité, Edwin Crossley-Mercer, à l'opposé, est si sombre qu’il semble porter en lui les intentions dissimulées et calculatrices d’un Don Giovanni, et Simone Del Savio se délecte d'une interprétation allègre et joliment déliée de Don Alfonso.

Les loges du Palais Garnier lors de la répétition générale de Cosi fan tutte

Les loges du Palais Garnier lors de la répétition générale de Cosi fan tutte

Il y a une apparente simplicité dans ce spectacle qui peut dérouter et faire oublier le sens des mots, mais sa cohésion lui donne une valeur un peu mystérieuse, et ce mystère en est une composante inaltérable.

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Publié le 27 Janvier 2017

Cosi fan Tutte (Wolfgang Amadé Mozart)
Répétition du 20 janvier 2017 et représentations du 04 et 10 février 2017
Palais Garnier

Fiordiligi Ida Falk-Winland / Jacquelyn Wagner / Cynthia Loemij*
Dorabella Stéphanie Lauricella / Michèle Losier / Samantha van Wissen*
Ferrando Cyrille Dubois / Frédéric Antoun /Julien Monty*
Guglielmo Philippe Sly / Michaël Pomero*
Don Alfonso Simone Del Savio / Paulo Szot / Bostjan Antoncic*
Despina Maria Celeng / Ginger Costa-Jackson / Marie Goudot*

*Danseurs de la Compagnie Rosas

Direction musicale Philippe Jordan
Chorégraphie Anne Teresa De Keersmaeker (2017)
Dramaturgie Jan Vandenhouwe

                                                                                           Stéphanie Lauricella (Dorabella)

Patrice Chéreau ayant préféré ne plus reprendre sa mise en scène de Cosi fan Tutte, et la production Ezio Toffolutti créée à Garnier en 1996 ayant fait son temps, s’ouvre dorénavant une nouvelle jeunesse pour le dernier volet de la collaboration légendaire entre Mozart et le librettiste italien Da Ponte.

Philippe Sly (Guglielmo) et Stéphanie Lauricella (Dorabella)

Philippe Sly (Guglielmo) et Stéphanie Lauricella (Dorabella)

Ainsi, plutôt que de faire appel à un pur metteur en scène de théâtre ou d’opéra, Stéphane Lissner a choisi de confier à une chorégraphe, qui connait le monde lyrique, le renouvellement scénique d’un des chefs-d’œuvre du compositeur autrichien.

Anne Teresa de Keersmaker a en effet déjà chorégraphié des opéras tels Le Château de Barbe-Bleue et I Due Foscari, et son nom, qui évoque, pour un large public, la danse contemporaine, a le pouvoir d’attirer au Palais Garnier des spectateurs qui ne privilégient pas forcément l’art lyrique dans leur monde culturel.

Chanteurs et danseurs

Chanteurs et danseurs

Sur une scène nue, débarrassée de ses parois latérales, totalement repeinte en blanc jusqu’au mur arrière qui fait partie intégrante du théâtre, des diagonales, figures géométriques et cercles concentriques définissent des contours sur lesquels les chanteurs - deux distributions sont prévues en janvier et février - et les danseurs qui les doublent respirent, se synchronisent, et jouent avec l’espace et la pesanteur en fonction des pulsations et du rythme de la musique de Mozart.

Inévitablement, cette évocation des sciences mathématiques met à découvert des structures parfaites dont les lois reflètent celles sur lesquelles l’écriture musicale est fondamentalement construite.

Les artistes paraissent ainsi liés les uns aux autres par des forces invisibles, mais le plus beau, dans ce spectacle, qui prive de décor le spectateur, réside dans le choix des chanteurs dont le chant est d’une très belle homogénéité, auquel se rajoute, chez les femmes, des lignes physiques savamment exploitées pour leur fascinante souplesse.

Ida Falk-Winland (Fiordiligi)

Ida Falk-Winland (Fiordiligi)

A ce titre, Ida Falk-Winland, qui ne chante que pour deux soirs, est une Fiordiligi longiligne, sophistiquée, véhémente dans ses injections vocales, et pourtant d’une classe irradiante, un peu comme une Isolde fantasmée, lignes aux vents, ayant la capacité de capter par la totalité de son être le regard admiratif du spectateur.

Stéphanie Lauricella, plus physique, mais tout aussi charmante, incarne une Dorabella très lumineuse, en décalage complet avec les interprétations sulfureuses et profondément sensuelles des mezzo-sopranos dramatiques, mélange de maitrise de soi et de sensibilité touchante réservée.

Chanteurs et danseurs

Chanteurs et danseurs

Leurs partenaires, Cyrille Dubois et Philippe Sly, représentent une jeunesse pleine de fraîcheur et de sincérité, chez lesquels on ne peut soupçonner la moindre perversion. 

Le premier, jeune ténor issu de l’atelier lyrique, rend à Ferrando une épure adolescente, un peu lunaire, teintée d’immature timidité, alors que le second joue avec les sentiments en usant des facettes les plus alanguies de son timbre coulé de tendresse. 

Ida Falk-Winland (Fiordiligi) et, de dos, Cynthia Loemij

Ida Falk-Winland (Fiordiligi) et, de dos, Cynthia Loemij

Cette vision fluide qui s’accompagne du Don Alfonso bon vivant et léger de Simone Del Savio et de la spontanéité de Maria Celeng, qui rend Despine plus agréable que bon nombre d’interprétations, est bien entendu portée par les danseurs de la compagnie Rosas, dont les mouvements peuvent paraître simples, mais qui ont véritablement en eux un sens du balancement qui tisse ce lien subliminal entre les trajectoires chorégraphiques et la musique.

Une des danseuses, Samantha van Wissen, est particulièrement captivante dans ses déplacements, avant, arrière, et son attention portée à Dorabella.

Cyrille Dubois (Ferrando), Cynthia Loemij et Ida Falk-Winland (Fiordiligi)

Cyrille Dubois (Ferrando), Cynthia Loemij et Ida Falk-Winland (Fiordiligi)

Quelques scènes reviennent à la pure théâtralité du livret, comme celle de l’empoisonnement qui s’amuse de l’effet d’attraction des deux beaux torses des garçons comme le faisait Michael Haneke dans sa mise en scène de l’œuvre à Madrid, et, dans la seconde partie, Anne Teresa De Keersmaeker utilise l’espace entier pour permettre à chaque danseuse de représenter en arrière scène les tourments des deux jeunes femmes.

Dans la fosse d’orchestre, Philippe Jordan, chef, mais également claveciniste, livre une de ses meilleures interprétations de Mozart entendues à ce jour. L’orchestre ne sonne ni lourd, ni trop étoffé, et le directeur musical prend un plaisir visible à entraîner les musiciens, à les envelopper avec un panache jubilatoire, à s’accorder avec la chorégraphie, et à soutenir son attention pour chaque artiste. 

Le son, qui peut être aussi piqué que fondu dans une patine rutilante, se pare d'une beauté moderne et inventive qui en magnifie la verve jouissive.

Jacquelyn Wagner (Fiordiligi) et, de dos, Cynthia Loemij

Jacquelyn Wagner (Fiordiligi) et, de dos, Cynthia Loemij

Quelques jours plus tard, nous retrouvons la distribution choisie pour interpréter la majorité des représentations.

Personnage d’une puissante allure adoucie par l’onde de sa longue chevelure blonde, Jacquelyn Wagner, qui évoque ainsi la déesse de la sagesse, Athéna, incarne l’idéal mozartien d’une grâce lyrique rarement aussi aboutie dans le rôle de Fiordiligi. 

Michèle Rosier, en Dorabella, aurait du paraître encore plus voluptueuse, mais sa vitalité, très humaine, et sa tessiture grave, plus modeste, la révèlent plutôt comme le prolongement espiègle de Zerlina, une des héroïnes d’un autre opéra de Mozart et de Da Ponte, Don Giovanni.

Au cours du duo de séduction avec le beau Philippe Sly, il serait alors naturel, après un long silence, d’entendre l’air ‘La ci darem la mano’ s’élever pour unir les deux artistes.

Frédéric Antoun (Ferrando) et Philippe Sly (Guglielmo)

Frédéric Antoun (Ferrando) et Philippe Sly (Guglielmo)

Et dans le rôle de Ferrando, Frédéric Antoun, fascinant de son regard sombre et méditerranéen, et de son timbre doux et légèrement noir, donne lui aussi une épaisseur mystérieuse à son personnage.

Rarement aura-t-on admiré Despina plus séductrice, libre et entreprenante que celle de Ginger Costa-Jackson, un regard brillant magnifique.

Quant à Paulo Szot, encore jeune pour incarner un vieil Don Alfonso, rusé et désabusé, il est en premier lieu un acteur charismatique d’une ironie mordante.

A la veille de diriger Lohengrin, dimanche, Philippe Jordan est, à nouveau, maître d’une interprétation magistrale de Mozart, nuancée et théâtrale à la fois.

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Publié le 2 Novembre 2013

Turandot (Giacomo Puccini)
Représentation du 29 octobre 2013
Teatro dell’Opera di Roma

Turandot Evelyn Herlitzius
Calaf Kamen Chanev
Liù Carmela Remigio
Timur Roberto Tagliavini
Ping Simone Del Savio
Pong Saverio Fiore
Pang Gregory Bonfatti
Altoum Chris Merritt
Mandarino Gianfranco Montresor

Direction musicale Pinchas Steinberg
Mise en scène Roberto De Simone (reprise de Mariano Bauduin)
Orchestre et choeur du Teatro dell’Opera
Chœur de voix blanches du Teatro dell’Opera

 

                                                                                                                 Evelyn Herlitzius (Turandot)

Le reprise de la production de Roberto De Simone par Mariano Bauduin est, avant toute autre raison, une rencontre avec la mémoire de la création de Turandot, car elle est associée à la version de la première représentation du 25 avril 1926 que dirigea Arturo Toscanini à la Scala de Milan.

Ce jour là, l’ultime opéra de Puccini fut joué sans le duo d’amour final, et s’acheva donc sur la mort de Liù.
Le public du attendre la seconde représentation pour découvrir la version complétée par Franco Alfano, un musicien rattaché au mouvement vériste, version qui est celle habituellement jouée depuis.

Kamen Chanev (Calaf) et Carmela Remigio (Liù)

Kamen Chanev (Calaf) et Carmela Remigio (Liù)

Cette première représentation contenait dans son déroulement un symbole fort de résistance au fascisme. Arturo Toscanini avait en effet refusé catégoriquement d’interpréter en introduction l’hymne fasciste Giovinezza, et, dans ces conditions, Mussolini déclina l’invitation de la direction du théâtre à y assister.

Bien que cette version inachevée en réduise le fil dramaturgique, le metteur en scène rattrape cette lacune subtilement en montrant Turandot - Evelyn Herlitzius l’incarne avec une âme farouchement belle - prendre conscience de la force de l’amour de Liù pour le prince en ressentant comme un choc intérieur.
Dans les derniers instants de cette histoire, sur les réminiscences susurrées du chœur, on perçoit alors le visage de cette femme si dure s’ouvrir à son prétendant en lui tendant une fleur blanche, fleur que la petite fille, son aïeule, lui a offerte, en rêve, pour l’annonciation d’une autre vie à venir.

Salle de l'Opéra de Rome

Salle de l'Opéra de Rome

Le décor, qui décrit l’entrée du palais d’où descend un grand escalier vers une estrade sacrificielle, est ainsi le cadre unique d’une vie impériale saturée de costumes, de chapeaux et de voiles aux formes et couleurs débridées, de rites violents et fantaisistes, et de scènes de mimes fantomatiques.
Les enfants sont présents et participent également aux scènes macabres. Et, pour le plaisir esthétique, six serviteurs aux torses nus aussi finement dessinés que ceux des Adonis, Ganymède et autres Apollon des Musées du Vatican, entourent Ping, Pang, Pong de chorégraphies étranges, allongés sur le sol. Leur présence révèle cependant l’esprit souverain des trois maîtres.

Kamen Chanev (Calaf) et la jeune fille

Kamen Chanev (Calaf) et la jeune fille

Ce visuel se reçoit ainsi comme si l’on assistait à un film d’aventure tel Indiana Jones et le Temple Maudit, avec ce chœur grimé en guerriers de terre cuite, mais la musique, elle, dépeint cette légende avec une tension et un raffinement des détails d’une toute autre nature.

Pourtant, Pinchas Steinberg s’attache surtout à impulser de l’intensité et de l’allant au drame, mais semble difficilement contrôler la vitalité passionnée de l’Orchestre de l’Opéra de Rome. Ce caractère bon enfant des musiciens déborde très souvent, mais, en même temps, on ressent une énergie à laquelle on pardonne aisément les imprécisions harmoniques, les mouvements de cordes moins bien sensuellement dessinés, et les cuivres d’argent de temps en temps dissonants.

Evelyn Herlitzius (Turandot)

Evelyn Herlitzius (Turandot)

En revanche, la texture sombre des contrebasses, trombones et cors est, elle, une fusion sonore magnifiquement continue et captivante. Par ailleurs, le chœur, chantant avec finesse et harmonie, ne domine pas suffisamment le volume orchestral.

Sur scène, les artistes offrent une impressionnante interprétation, et montrent une unité dramatique resserrée sur l‘essentiel des liens humains.
Les rôles des deux basses du Mandarin et de Timur sont confiés respectivement à Gianfranco Montresor et Roberto Tagliavini, et leur chant noble, pathétiquement italien, s’écoute avec bonheur.
Les trois ministres, deux ténors, Saverio Fiore et Gregory Bonfatti, et un baryton, Simone Del Savio, forment un trio comique soudé et roublard. Le baryton, le plus musical, est aussi un peu moins sonore. Quant à Chris Meritt, en empereur, le prosaïsme sympathique du timbre de sa voix suffit à le reconnaître.

Roberto Tagliavini (Timur) et Carmela Remigio (Liù)

Roberto Tagliavini (Timur) et Carmela Remigio (Liù)

Ce sont pourtant bien les trois rôles principaux qui forcent la brillance d’un regard admiratif : Kamen Chanev est certes un Calaf au jeu conventionnel, mais il a une fière allure solidement assurée lorsqu’il projette son « Vincerò! » avec une ouverture fantastique vers la salle. Il en recueille une salve d’applaudissements alors que la musique poursuit son déroulement.
Sa voix est d’une belle homogénéité, graduée entre profondeur intériorisée et clarté rayonnante qui irradie d’une énergie également physique toute la puissance de son corps.

Et Carmela Remigio pose à ses genoux une Liù d’une tendresse et d’une expressivité vocale riche en couleurs et formidablement lumineuse, douée d’un souffle inépuisable et d’une caractérisation crédible qui n’ajoutent rien de plus au sentimentalisme de la partition.
C’est grâce à des chanteurs de cette trempe que l’art lyrique peut rendre une vérité humaine qui touche chacun au cœur de ses émotions les plus intimes.

Evelyn Herlitzius (Turandot)

Evelyn Herlitzius (Turandot)

Mais un autre monstre arpente les hauteurs des marches du palais jusqu’à l’avant-scène, une artiste qui laisse nombre de spectateurs incrédules et fascinés par ses incarnations hors du commun : Evelyn Herlitzius, Ortrud à la Scala de Milan l’hiver dernier, Kundry à Vienne, Elektra à Aix-en-Provence et, dans quelques jours, Isolde à Essen, s’empare d’un autre rôle massif du répertoire, amputé cependant de la grande scène finale, avec un aplomb d’une froideur sans crainte, un art de la déclamation imparable et une batterie d’aigus surhumains et spectaculaires à en paralyser l’auditeur d’effroi.
Un tel don de soi, un tel engagement envers son personnage lapidaire, font craindre à chaque fois qu’elle y abime sa voix, et, pourtant, aucune faille ne transparaît, sinon un peu moins d’aisance quand l’écriture vocale devient plus rapide.

Et il y a ce regard de feu, ces expressions du visage déformé, cette mâchoire qui s’ouvre comme un gouffre pour en laisser ressortir une humanité profondément déchirée, cet éblouissement devant la beauté d’une femme qui se consume totalement pour son art.

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