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Publié le 12 Janvier 2020

Quatuor Van Kuijk (Christian Rivet - 2019, Wolfgang Rihm - 2004, Robert Schumann - 1842)
Biennale de quatuors à cordes - Concert du 11 janvier 2020
Amphithéâtre de la Cité de la musique

Christian Rivet Quatuor n° 1 - Amahlathi amanzi
2019, création mondiale, co-commande de ProQuartet et Het Concertgebow d’Amsterdam
Wolfgang Rihm Quartettstudie
Robert Schumann Quatuor à cordes n° 3

Quatuor Van Kuijk
Nicolas Van Kuijk , violon  Sylvain Favre-Bulle, violon
Emmanuel François, alto     François Robin, violoncelle

8 ans après la 5e biennale des quatuors à cordes à laquelle participait avec un programme Rihm, Schumann et Beethoven le Quatuor Ysayë, le Quatuor Van Kuijk prend la relève de cet ensemble auprès duquel il a grandi, pour interpréter à nouveau Rihm et Schumann mais dans un esprit alternatif à Beethoven qui est à l'honneur de cette 9e biennale à la Cité de la musique.

 Sylvain Favre-Bulle, violon

Sylvain Favre-Bulle, violon

Sur la scène de ce magnifique auditorium surmonté d’un orgue au buffet de bois originalement sculpté en une forme de coupe sacrale (facture Jean-François Dupont 1994), les quatre musiciens ouvrent leur concert par le Quatuor n° 1 - Amahlathi amanzi que Christian Rivet, présent dans la salle, a créé spécialement pour eux, et qu’ils avaient pu préalablement jouer à Amsterdam au cours de l’automne dernier.

Le quatuor Van Kuijk et l'orgue de l'amphithéâtre de la Cité de la Musique

Le quatuor Van Kuijk et l'orgue de l'amphithéâtre de la Cité de la Musique

L’acoustique à la fois chaude et concentrée de l’amphithéâtre permet d’entendre la moindre vibration et sentir la rondeur de chaque trait musical, et les sonorités isolées de cette pièce inspirée par l’ambiance des forêts africaines sont comme un jeu de correspondance entre chaque instrument, et défilent sur un fond de silence comme si l’on parcourait le ciel en rencontrant telle ou telle étoile alors que, parfois, elles se regroupent en une nappe impressive et finement dentelée. L’effet méditatif est par ailleurs renforcé par l’attention totale du public.

Nicolas Van Kuijk et Sylvain Favre-Bulle, violons

Nicolas Van Kuijk et Sylvain Favre-Bulle, violons

La remontée progressive dans le temps s’arrête ensuite sur le Quartettstudie composé par Wolfgang Rihm et créé à Munich le 16 septembre 2004 par le Quatuor Ebène.

La musique s’étire en élongations d’archets quasi-cristallins entrelacés de motifs allègres ou pathétiques, décrit le sentiment nostalgique des souvenirs, change brusquement de rythme, surprend donc l’auditeur, et la fougue des musiciens surgit ainsi de l’intensité avec laquelle ils imprègnent la tension qui irrigue les mouvements qui les relient.

Quatuor Van Kuijk (Amahlathi amanzi - Wolfgang Rihm -   Robert Schumann) Cité de la musique

On retrouve dans la seconde partie du concert cette même intensité saisissante qui correspond si bien aux émotions du jeune Robert Schumann qui débutait sa vie familiale avec Clara à Liepzig en 1842.
Le jeu de regards croisés entre les quatre artistes, second violon (Sylvain Favre-Bulle) vers premier violon (Nicolas Van Kuijk), alto (Emmanuel François) vers violoncelle (François Robin) est une surveillance de tous les instants et prend même des allures ludiques, mais à d’autres moments l’intensité des émotions se charge d’une douce colère et d’une insistance qui entraîne ce 3e quatuor à cordes dans un romantisme quasi-révolutionnaire dont on ressort chargé et empli de densité.

François Robin (violoncelle), Emmanuel François (alto), Sylvain Favre-Bulle et Nicolas Van Kuijk (violons)

François Robin (violoncelle), Emmanuel François (alto), Sylvain Favre-Bulle et Nicolas Van Kuijk (violons)

Et pour finir, sous forme de bis, le quatuor nous fait redécouvrir l'adagietto de l'Arlésienne, musique de scène dédiée aux cordes d'un grand ensemble qui fut composée par Georges Bizet en 1872, dans une interprétation frémissante et inaltérée de la partition originale.

Le concert était enregistré par Radio France, on ne peut qu’espérer le réécouter ultérieurement sur France Musique.

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Publié le 22 Octobre 2013

Die Eroberung von Mexico (Wolfgang Rihm)
La Conquête du Mexique
Représentation du 19 octobre 2013
Teatro Real de Madrid

Montezuma Nadja Michael
Cortez Georg Nigl
Un hombre que grita Graham Valentine
Malinche Ryoko Aoki
Soprano Caroline Stein
Contralto Katarina Bradic
Primer actor Stephan Rehm
Segundo actor Peter Pruchniewitz

Direction Musicale Alejo Perez
Chœur et orchestre du Teatro Real

Mise en scène Pierre Audi
Scénographie Alexander Polzin
Costumes Wojciech Dziedzic
Lumière Urs Schönebaum
Vidéo Claudia Rohrmoser                                               Nadja Michael (Montezuma)

Die Eroberung von Mexico est la première des six nouvelles productions programmées par Gerard Mortier pour la saison 2013/2014 du Teatro Real, saison qui devrait être le point culminant de son projet artistique.

L’opéra représenté ce soir est une œuvre que Wolfgang Rihm, un des grands compositeurs contemporains allemands, né à Karlsruhe en 1952, a élaboré entre 1987 et 1991.

Cette œuvre relate la rencontre historique entre le conquistador espagnol Hernán Cortés et l'empereur aztèque Montezuma vécue comme un choc émotionnel aux réactions imprévisibles.

Malgré les contraintes financières sévères, Mortier a fait tout son possible pour mettre en valeur cette pièce peu connue.

Nadja Michael (Montezuma) et Georg Nigl (Hernan Cortés)

Nadja Michael (Montezuma) et Georg Nigl (Hernan Cortés)

Ainsi, dès l’entrée dans le théâtre, trois panneaux lumineux éclairent le visiteur d’une part sur la biographie du compositeur, d’autre part sur son travail musical qui remonte aux sources antiques, et enfin, sur l’architecture de ‘La conquête du Mexique’.

Ces textes sont signés Jan Vandenhouwe, le jeune dramaturge musical que l’on a connu à Paris avec Mortier - il avait fait une analyse musicale de Parsifal fascinante - et que l’on retrouve dans nombre de spectacles européens aujourd’hui.
Un petit livret d’une trentaine de pages est également offert à tous.

Pintura de Alexander Polzin

Pintura de Alexander Polzin

Une fois dans la salle, chacun peut contempler la répartition spatiale des instruments de musique dans tout le théâtre. Les percussions sont divisées en cinq groupes, deux dans la fosse, un dans la grande loge de face, et deux dans les loges de côté. Hautbois, trompettes et violons sont également disposés dans ces loges, cors, violoncelles, contrebasses et vents, ainsi qu’une harpe, un piano et deux basses électriques composant ainsi la formation principale de l’orchestre.

Quand la lumière s’éteint, les spectateurs se trouvent alors face à l’immense façade multicolore composée des murs et des toits de la ville de Tenochtitlan, qui se lève pour laisser apparaitre Montezuma dans un état de transe, et qui redescend à l’arrivée des Espagnols.

Georg Nigl (Hernan Cortés)

Georg Nigl (Hernan Cortés)

Les conquistadors, dissimulés sous des boucliers, arrivent la peur au ventre en longeant l’intérieur de la salle. Hernán Cortés, lui,  est représenté en tenant une grande croix tendue de la main,  signe d’une foi qui le rassure dans son avancée vers l’inconnu de la vie. Il arrive en traversant l’allée centrale de la salle.
 

On entend les voix des Aztèques, le chœur, derrière le décor, et il en sera ainsi pendant toute la représentation.

 

La musique, elle, est mystérieusement inquiétante, et les battements de percussions évoquent à la fois, au milieu d’éclats de voix étranges, l’ambiance naturelle et sauvage du milieu de vie des Aztèques, et les pulsations à cœur battant des Espagnols qui y pénètrent. 

 

Nadja Michael apparaît alors sous les traits de Montezuma. Elle se plie avec souplesse aux ondoyances de son corps félin, qui est une belle manière d’opposer à Cortés une vision dérangeante, lui qui est empreint d’une religion catholique qui a toujours entretenu de la méfiance vis-à-vis du corps.

 

L’ampleur et le bronze de la voix de cette artiste allemande incontournable dans les rôles de grandes héroïnes païennes (Médée, Salomé, Lady Macbeth) s’épanouissent d’autant mieux que ce chant puissant et parlé laisse le son se déployer somptueusement dans des aigus solides et saillants.

Baryton clair et expressif, Georg Nigl a une voix dont la texture dense se mélange très bien à celle de Nadja Michael, et bien qu’il soit Autrichien, sa technique porte une modernité qui rappelle celle des ténors que l’on entend dans les opéras de Britten, une sorte de juvénilité éperdue.

Nadja Michael (Montezuma) et Georg Nigl (Hernan Cortés)

Nadja Michael (Montezuma) et Georg Nigl (Hernan Cortés)

Dans le feu de la rencontre, la musique devient plus violente et émotionnellement prenante. L’effet est d’autant plus intense et saisissant, que la dispersion spatiale du son renforce la sensation d’intériorité de ce climat musical.

Survient même un passage où le chœur obsédant et la tension aigüe de la musique évoquent l’atmosphère infinie du Lux Æternam de György Ligeti immortalisée dans « 2001 l’Odyssée de l’Espace », le film culte de Stanley Kubrick.

Pour signifier le rôle d'intermédiaire de Malinche, une actrice et danseuse, Ryoko Aoki, intervient entre les deux protagonistes. Mais cette présence de la sagesse asiatique est vaine à réduire la tension des échanges.

Si la mise en scène rappelle quelques scènes factuelles de cette rencontre, comme la découverte de l’or accumulé par les Aztèques, et la fascination des conquistadors pour cette richesse abondante, l’image la plus troublante s’impose quand les corps des soldats des deux camps apparaissent suspendus sur cet univers sombre. 

Nadja Michael (Montezuma) et Georg Nigl (Hernan Cortés)

Nadja Michael (Montezuma) et Georg Nigl (Hernan Cortés)

Seules les artères et les veines rouges et bleues qui parcourent tout leurs corps sont visibles, concentrées vers le cœur. Ni le cerveau, ni le système nerveux ne sont représentés, image artistiquement humaine de l'émotion sans contrôle de l'esprit.
Tous ces êtres ne sont en interaction que par leurs pulsions sanguines, la raison n’y a pas sa place. Là sont les germes d'une totale incompréhension.

Cette image est forte, car elle renvoie une vision de la vie inquiétante lorsqu’elle est uniquement guidée par le cœur, un cœur naturellement aimant pouvant devenir profondément noir.

Et lorsque l’on prend conscience de la variété des instruments en jeu, on n’en a que plus d’admiration pour l’exaltation d’Alejo Perez à diriger une telle partition qui, parfois, réserve des moments de scintillements intenses extraordinaires, tout en ne lâchant rien à la violence sous-jacente de la musique.

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