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Publié le 5 Avril 2013

Parsifal (Richard Wagner)
Représentation du 31 mars 2013
Wiener Staatsoper

Amfortas  Tomasz Konieczny
Gurnemanz Kwangchul Youn
Klingsor Wolfgang Bankl
Kundry Evelyn Herlitzius
Parsifal Christian Elsner

Mise en scène Christine Mielitz (2004)

Direction musicale Franz Welser-Möst
                            James Pearson

                                                                                                              Evelyn Herlitzius (Kundry)

 On ne compte plus les interprétations de Parsifal jouées cette année pour célébrer le bicentenaire de la naissance de Richard Wagner. Il est possible de les entendre dans pas moins de douze villes allemandes, Munich, Hambourg, mais aussi Berlin, Cologne, Essen et Freiburg, ces quatre dernières lui consacrant de nouvelles productions, à l’instar de New-York et du Vlaamsopera, Madrid ayant même proposé une version inédite sur instruments anciens.


Enfin, le festival de Pâques de Salzbourg vient de révéler la nouvelle mise en scène de Michael Schulz, dont l’accumulation de statues antiques sur scène a décontenancé bien des spectateurs, et l’Opéra de Vienne reprend, un dimanche de Pâques, la production de Christine Mielitz, en résonnance avec le jour du vendredi Saint au cours duquel se déroule le troisième acte.

L’ampleur orchestrale et le mystère de Parsifal dépassent à ce point l’entendement qu’aucune autre œuvre n’a le pouvoir de faire déplacer des passionnés d’opéra à travers le monde, plusieurs fois au cours d’une même année.

 

                                                                                       Tomasz Koniecsny (Amfortas)

Ainsi, je repense à ce citadin madrilène rencontré au Teatro Real, en janvier dernier, lors du Parsifal en version de concert, rempli d’une joie indéfinissable à l’écoute de son troisième Parsifal en six mois, après celui de Bayreuth, puis celui de Berlin, auquel il avait amené son fils par envie de lui faire partager son engouement pour ce monument musical.

Mais aujourd’hui, alors que la neige tombe sur Vienne en fine pluie sans interruption depuis le matin, dans une blancheur immaculée encore plus irréelle pour un dimanche de Pâques, l’annonce du remplacement de Jonas Kaufmann, souffrant, par un chanteur moins connu, Christian Elsner, crée une déception qui reste cependant toute relative, car la force de l‘œuvre ne repose pas uniquement sur ce rôle, mais surtout sur la structure musicale et l‘habilité artistique des instrumentistes.

Kwangchul Youn (Gurnemanz)

Kwangchul Youn (Gurnemanz)

L’appréhension précède ainsi les premières notes de l’orchestre, comme si tout se jouait dans l’émerveillement des premières minutes de l’ouverture.
Le Wiener Staatsopernorchester ne faillit pas à sa réputation, et entraîne des remous qui s’entrelacent au milieu d’un beauté de son chaleureuse, prononcée par les couleurs sombres des cordes, l’éclat dramatique rougeoyant des cuivres, évoquant la vision d’un fleuve charriant une puissance grondante prête à éclater à tout instant.  Cet emport dramatique, et cette beauté magnifique des lignes, agiles, mais avec de l’épaisseur, donne l’impression d’un déroulement qui va de soi, et d’une aisance évidente.

Christian Elsner (Parsifal) et les filles fleurs

Christian Elsner (Parsifal) et les filles fleurs

A première vue, la mise en scène de Christine Mielitz fait craindre le pire avec ces chevaliers habillés en escrimeurs dans un décor dont on ne sait si la saleté humide est volontaire ou due à une usure prématurée de ses éléments. Mais, dès l’arrivée de Kundry, en voiles noirs, telle une troyenne, puis de Parsifal, la scène prend un aspect très brutal. Des sacrifices à main nue y sont exécutés, et, lors de la cérémonie du Graal, la vision impressionnante du choeur féminin cloisonné sous la grande table ronde renvoie l’image des femmes telles qu’elles étaient considérées en Allemagne jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale.

On devra attendre le second acte pour découvrir comment Evelyn Herlitzius va donner vie à Kundry, mais ce premier acte offre une chance de réentendre le Gurnemanz inébranlable de Kwangchul Youn, et d‘une impeccable diction. Son allure conquérante, la sagesse autoritaire de tout son être, l‘assurance et la solidité vocale prêchant avec espoir dans un univers de fous est en train de devenir une incontournable interprétation du rôle.

Wolfgang Bankl (Klingsor)

Wolfgang Bankl (Klingsor)

Tomasz Konieczny, que nous avions découvert en Rocco dans une version de concert de Fidelio au Théâtre des Champs Elysées, en octobre dernier, interprète un Amfortas écorché vif, point pathétique, mais d’une violence qui l’entraîne à la limite du déséquilibre.
La sauvagerie de son tempérament d’artiste rend la scène du Graal encore plus archaïque et hors du temps.

Les chœurs masculins se fondent de surcroît dans la masse orchestrale avec une pureté d’harmonie d’une magnifique homogénéité, comblant notre besoin de grâce, et raisonnant avec les élévations des Messes Pascal de la matinée.

Lorsque ce premier acte s’est achevé, les spectateurs ont eu la surprise d’apprendre qu’après une telle intensité Franz Welser-Möst s’était effondré, rendant impossible son retour dans la fosse.
Après une attente prolongée, c’est le chef des répétitions, James Pearson, qui a repris en toute improvisation la direction de l’orchestre. Si les tempi se sont un peu ralentis, limitant sensiblement les effets flamboyants de l’ouverture au château de Klingsor, toutes les couleurs de l’orchestre et ses dons d’alliage sont restés intacts.

Christian Elsner (Parsifal)

Christian Elsner (Parsifal)

Suivant le primitivisme des chevaliers du Graal, Christine Mielitz transpose le second acte chromatique de Parsifal dans le monde d’un dictateur, Klingsor, discourant sur son estrade sous une représentation hémisphérique du Globe terrestre vu depuis le Nord.
Les éclairages déforment le visage fantomatique de Wolfgang Bankl, un impressionnant magicien aux inflexions d‘acier, pour lequel les femmes ne sont qu‘objets de plaisirs sensuels.
Les filles fleurs et Kundry apparaissent comme des prostituées de luxe qui font partie du décor des univers politiciens, et toute la scène de séduction est représentée dans des tons lumineux rouges qu’une sphère à facette réfléchit vers la salle de mille éclats tournoyants.

Après son incarnation fortement théâtrale d‘Ortrud à la Scala de Milan, Evelyn Herlitzius était impatiemment attendue dans un rôle tout aussi incendiaire. Rarement, peut-on penser, aura-t-on vu un tel accomplissement, une telle extrémité dans la séduction et l’injonction.

Evelyn Herlitzius (Kundry)

Evelyn Herlitzius (Kundry)

Glissant des attaques extraordinairement perçantes, tout en conservant un éclat magnifique, même dans les aigus les plus élevés, pour passer instantanément à des exclamations très expressives et tirant vers l‘animalité, la soprano allemande nous renvoie une image de la vie poussée au-delà de ses limites, déchargeant des secousses corporelles violentes et hystériques, des regards hallucinés, et c’est cela que l’on aime tant voir et entendre sur scène, avec tout cet excès démesuré d‘émotions.

Dans cette vision, la nature maternelle de Kundry, évoquant Herzeleide, la mère de Parsifal, n’est pas mis en avant, mais pour cet engagement inhumain Evelyn Herlitzius ne mérite que des mots d‘amour, même si un tel don de soi et sa technique d'ouverture vocale très large peuvent inquiéter lorsque l‘on sait qu‘elle interprètera Isolde, Elektra, Brünnhilde, Turandot et Marie au cours des prochains mois. On craint toujours un excès qui pourrait endommager prématurémment sa voix.

Le Parsifal de Christian Elsner, remplaçant émérite de Jonas Kaufmann, laissait planer une interrogation. Elle fut vite levée, car le ténor a fait découvrir un timbre légèrement sombre, une belle tenue de souffle, renvoyant l‘image d‘un homme conscient de la vie et mélancolique. Et malgré son physique enrobé, on voit en lui l‘aisance du corps, la souplesse dans la manière de se mouvoir, qui le rend agréable à suivre.

Evelyn Herlitzius (Kundry)

Evelyn Herlitzius (Kundry)

Après la catastrophe du second acte, un holocauste nucléaire né du geste ultime d’un homme élevé dans un monde où la femme ne détient aucun pouvoir, Christine Mielitz déroule sa logique féministe sur un univers dévasté et lunaire, qui, avec le retour de Parsifal, va renaître sous forme d’un horizon vert-bleu édénique.
La scène est dépouillée, et la beauté des images réside uniquement dans les rapports simples entre les survivants, dont Kundry et Gurnemanz, qui se détachent isolément.

Le rassemblement des chevaliers est d’une puissance phénoménale, l’orchestre soutenant leur marche en évoquant le poids fatal du jugement dernier. Le chœur impressionne à nouveau par sa noblesse naturelle, et les images de l’enterrement de Titurel, déversé sans ménagement de son cercueil, sont toujours aussi violentes et crues.

Kundry se fond finalement au milieu de la masse des hommes.

Evelyn Herlitzius (Kundry)

Evelyn Herlitzius (Kundry)

Après une interprétation aussi intense et engagée, l’ensemble des artistes a eu droit à une ovation et des rappels sans fin, jusqu‘au départ des derniers spectateurs, le juste retour pour cette représentation exceptionnelle dont même Dominique Meyer, le directeur de l'opéra, gérant et suivant le spectacle depuis sa loge, n’avait peut-être pas imaginé une telle issue.

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Publié le 2 Avril 2013

Wozzeck (Alban Berg)
Représentation du 30 mars 2013
Wiener Staatsoper

Wozzeck Simon Keenlyside
Le Tambour Major Gary Lehman
Hauptmann Herwig Pecoraro
Le Docteur Wolfgang Bankl
Marie Anne Schwanewilms

Direction musicale Franz Welser-Möst
Mise en scène Adolf Dresen (1987)

                                                      Wozzeck (Simon Keenlyside) et Marie (Anne Schwanewilms)

Si l’on désire défendre un chef-d’œuvre comme celui de Wozzeck, ce n’est certainement pas en réanimant une production datant de 1987, coulée dans la toile de cire, que l’on pourra capter un public jeune, si celui-ci vient avec un manque d’habitude à la culture lyrique.

Il s’agit d’une illustration sans le moindre recul par rapport au texte, avec un matériau vieilli qui tire ce spectacle vers une vision enfantine. Certains artifices sont ridicules, comme la manière de faire déambuler sur place les interprètes, ou d’imaginer une lune rouge « qui saigne » sur l’horizon, alors qu’une lumière de clair de lune plonge au même instant depuis le zénith vers le couple de Wozzeck et Marie.

Marie (Anne Schwanewilms)

Marie (Anne Schwanewilms)

Les scènes intimes entre Marie et son enfant sont, elles, plus touchantes lorsqu’elles sont isolées sous les lueurs intérieures de la pièce, sur un simple lit ou devant un petit bureau, et l’aspiration progressive de Wozzeck vers les eaux troubles de l’étang conserve une part d’illusion bien mystérieuse.

Quand on connaît l’image un peu froide mais fragile d’Anne Schwanewilms, et sa belle chevelure rousse crêpée, telle qu’on peut l’admirer dans les rôles de la Maréchale ou d’Elsa von Brabant, la voir s’emparer ainsi d’un personnage de chair et de sang modifie notre regard sur elle, et la rend plus fascinante.

Elle chante le plus souvent dans la tessiture aigue, la plus pure et la mieux projetée pour sa voix, et passe à des expressions naturalistes chevillées au corps avec une brutalité qui, malgré tout, ne lui ôte en rien sa féminité aristocratique. Elle est un peu trop sophistiquée, ce qui crée un décalage supplémentaire avec Wozzeck, pour lequel Simon Keenlyside n’est que trop bien un habitué du rôle.
 

Jouer la maladresse, les blocages et l’humanité sans masque de ce soldat est comme une seconde nature pour lui. On est en empathie constante avec ce personnage dont l’inadaptation révèle aussi l’incompréhension et l’insensibilité de la société qui joue et danse autour de lui.

Vocalement, la poésie désabusée de son timbre réduit l’impact que pourraient avoir des intonations plus incisives, et c’est donc son jeu savamment incontrôlé qui s’impose en toute évidence.

Les rôles secondaires sont très bien tenus, mais aucun des protagonistes, ni même le Tambour Major, ne décrit de personnalité qui impressionne par sa stature ou son caractère.

                                                                                          Marie (Anne Schwanewilms)

En réalité, la plus grande réussite de la soirée repose dans les mains des musiciens et du chef. Franz Welser-Möst sculpte une œuvre d’une force rarement jouée avec un son aussi prodigieux de transparence et de finesse, une clarté d’harmonie des instruments à vents, des couleurs straussiennes qui respirent avec une ampleur comme jamais on en a entendu dans cette partition, mais également un tumulte sarcastique qui évoque les œuvres de Prokofiev.
Pris par une telle intensité puissante et théâtrale, on perçoit cependant la rupture avec le drame sur scène.

On n’écouterait que l’orchestre, si l’attente d’une expressivité visuelle qui s’accorde mieux avec un tel engagement musical ne se faisait trop sentir.

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