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Publié le 29 Mai 2022

Bluthaus (Georg Friedrich Haas - 2011 / 2014)
Il Ballo delle ingrate / Lamento della Ninfa - Madrigali Guerrieri ed Amorosi (Claudio Monteverdi - 1608 / 1638)
Représentation du 25 mai 2022
Cuvilliés Theater

Nadja Albrecht, Tochter Vera-Lotte Boecker
Natascha Albrecht, Ihre Mutter Nicola Beller Carbone
Axel Freund, Makler Hagen Matzeit
Werner Albrecht, Vater Bo Skovhus
Meinhard, Jeremias und Lukas Maleta Solist(en) des Tölzer Knabenchors
Frau Reinisch von der Bank Michaela Steiger
Irene, in Ausbildung Irina Kurbanova
Frau Schwarzer, Nachbarin Michaela Steiger
Herr Schwarzer, Nachbar Silvester von Hößlin
Frau Beikirch / Frau Dr. Rahmani Evelyne Gugolz
Herr Fuchs / Herr Dr. Rahmani Bijan Zamani
Frau Hallosch / Frau Stachl Cathrin Störmer
Herr Hubacher Steffen Höld
Herr Maleta Thomas Reisinger
Herr Stachl Christian Erdt                                                  
  Bo Skovhus
Herr Dr. Strickner Thomas Huber
Monteverdi Madrigale Vera-Lotte Boecker, Lukas Siebert, Hagen Matzeit, Solist(en) des Tölzer Knabenchors, Bo Skovhus

Directeur musical Titus Engel
Mise en scène Claus Guth (2022)
Bayerisches Staatsorchester et Monteverdi-Continuo-Ensemble

Production Bayerische Staatsoper et Residenztheaters en coproduction avec l’Opéra national de Lyon

Point culminant de la première année du Festival Ja. Mai du Bayerische Staatsoper, une nouvelle manifestation initiée par Serge Dorny et destinée à rapprocher musiques anciennes et musiques contemporaines, 'Bluthaus' de Georg Friedrich Haas fut créé le 29 avril 2011 au Rokoko Theater de Schwetzingen et remanié en 2014 à Hambourg.

Vera-Lotte Boecker (Nadja Albrecht)

Vera-Lotte Boecker (Nadja Albrecht)

L’œuvre aborde un sujet très dur à travers un fait divers familial sordide où un père ayant abusé pendant des années de sa fille finit égorgé par sa femme avant qu'elle même ne se suicide.

La jeune femme est cependant dans l'incapacité de retrouver une vie normale et de se détacher de telles souffrances, si bien qu'elle décide de vendre la maison dont les murs conservent la mémoire de son malheur.

La nouvelle production de cette pièce conçue dans le magnifique Théâtre rococo Cuvilliés, où furent créés au XVIIIe siècle 'Catone in Utica' de Giovanni Battista Ferrandini et 'Idomeneo, re di Creta' de Wolfgang Amadé Mozart, trouve à nouveau un superbe écrin d'autant plus que la teinte rouge grenat de son intérieur résonne assez bien avec l'ambiance du drame.

Sont ajoutées en prologue et en épilogue deux compositions musicales de Monteverdi, 'Il Ballo delle ingrate' et  'Lamento della Ninfa' tirés des 'Madrigali Guerrieri ed Amorosi', qui plongent d'emblée l'auditeur dans les plaintes intérieures de Nadja, et l'y ramènent au final, une fois son histoire révélée.

Le Cuvilliés Theater

Le Cuvilliés Theater

La mise en scène de Claus Guth est un impressionnant concentré de lisibilité théâtrale, de froide contemporanéité, de saisissante imprégnation musicale avec la vidéographie et d'effervescence scénique, sans que le moindre temps mort ne puisse s'y immiscer.

Et comme la musique de Georg Friedrich Haas est suffisamment riche en complexité de matériaux et variété de rythmes, les univers du librettiste, Händl Klaus, du compositeur et du metteur en scène se percutent pour créer des moments de surréalisme cinématographique d'une très forte intensité.

Ainsi, au centre d’une pièce totalement grise, le double de Najda broie du noir tel un être défait et renfermé qui reste replié sur lui-même et sa catastrophe personnelle, alors que survient une autre Najda en apparence dynamique et sûre d'elle même au moment de procéder à la visite de sa maison.

Le tableau est tragique, puisqu'il superpose l'image d'une volonté qui veut s'imposer à la société et celle d'une régression intérieure qui se protège des regards d'autrui.

Bluthaus - photo Monika Rittershaus

Bluthaus - photo Monika Rittershaus

Mais malgré la présence de l'agent immobilier - Hagen Matzeit fait ressortir avec son timbre de contre-ténor une innocence ambiguë et railleuse -, puis des visiteurs qui apparaîtront successivement, les fantômes du père - Bo Skovhus d'emblée terrible - et de la mère -  Nicola Beller Carbone digne et ressignée - surgissent lentement des murs, et la maison devient la métaphore de l'âme de Nadja.

Le long des changements de tonalités sombres de la musique, comme un lent continuo d'eau noire qui s'écoule en variant subtilement de flux, l'intérieur de la maison et ses vues vers l'extérieur défilent en circulaire, et le piège obsessionnel se referme.

Bluthaus - photo Monika Rittershaus

Bluthaus - photo Monika Rittershaus

Les différents couples où familles de visiteurs, tous incarnés par des acteurs et actrices du Residenztheaters, sont identifiés avec des costumes de couleurs bien marquées, la famille du sud africain Franz Maleta en violet avec ses trois enfants qui en sont une réplique fidèle – ils apportent vocalement une touche de fraîcheur comme les trois génies de ‘La Flûte enchantée’ de Mozart -, Madame Stachl et son fils Johannes en jaune, fils pour lequel elle manifeste une attirance un peu trop tactile, jusqu’au couple Schwarzers en rouge pour signifier l’esprit de méchanceté qui les anime.

Claus Guth prend soin à maintenir une très grande clarté sur les travers sociaux que représentent ces portraits d’aujourd’hui, si bien que sans comprendre le texte d’une même phrase haché et disséminé dans la bouche des différents protagonistes, le spectateur comprend la satire sociale qui se cristallise autour de Nadja.

Le plafond de la maison s'abaisse finalement afin d'accroitre le sentiment d'oppression.

En réponse à ce découpage où les intervenants ne prononcent pas plus de cinq mots d’affilée, la musique de Haas se dissémine en multiples papillotements de percussions et vents, véritable moteur d’une cacophonie théâtrale remarquable de vie et de musicalité.

Serge Dorny, Bo Skovhus, Vera-Lotte Boecker, Cathrin Störmer, Evelyne Gugolz et Titus Engel

Serge Dorny, Bo Skovhus, Vera-Lotte Boecker, Cathrin Störmer, Evelyne Gugolz et Titus Engel

Dans la dernière partie, le retour à la tonalité et à une liquidité dense et majestueusement étirée intervient pourtant en contrepoint de la scène la plus dramatiquement forte, celle où Bo Skovhus et Vera-Lotte Boecker font revivre un épisode du viol du père sur sa fille. L’animalité torturée et les sentiments contradictoires qu’exprime le chanteur danois sont hors du commun, et quand il revient avec un couteau en sang et que la soprano allemande pousse à l’extrême des manifestations de souffrance insoutenables, c’est tout une douleur interne qui est rendue déchirante.

En 2018, pour ceux qui s’en souviennent,  Bo Skovhus et Barbara Hannigan faisaient vivre à l’Opéra de Paris la dernière création de Michael Jarrell, ‘Bérénice’, dans une mise en scène de Claus Guth

On retrouve ici cette même énergie théâtrale outrancière, et si le foisonnement expressif de Vera-Lotte Boecker fait énormément penser à celui de Barbara Hannigan, elle dispose aussi d’un timbre plus charnu ce qui l’inscrit dans la même lignée d’artistes de théâtre musical que la soprano canadienne, et devrait donc lui permettre d’accéder à une reconnaissance internationale qui dépasse les frontières des pays germaniques.

Quant à Titus Engel, il fait entendre la même splendeur sonore avec ses musiciens que ce soit dans Monteverdi ou Haas, et se met au service d’une théâtralité avec laquelle il fait corps tout en donnant énormément de vie et de respiration à l’orchestre, et surtout façonne un modelé des formes et des couleurs qui font ressortir toutes les beautés d’une musique traversée d’ombres subconscientes.

Bo Skovhus, ‘Bayerischer Kammersänger’

Bo Skovhus, ‘Bayerischer Kammersänger’

Et à l’issue de cette représentation, Serge Dorny apparait sur scène pour rendre hommage à Bo Skovhus, qui a fêté ses 60 ans trois jours auparavant, afin de lui remettre le titre de ‘Bayerischer Kammersänger’ au nom du Ministre Bavarois des Arts. 

Le directeur de l’Opéra de Munich a salué son parcours mais aussi la particularité de Bo Skovhus dans le milieu de l’opéra qui est d’être un chanteur de ‘caractère’ qui met le chant au service du portrait et de la caractérisation et non l’inverse.

Ce spectacle haut en couleur sera repris au Théâtre national populaire de Lyon en mars 2023, pour un prix modique, ce qui est une occasion complète d'appréhender la musique baroque, la musique contemporaine, un chant virtuose et la théâtralité d'un sujet social fort, tout cela dans une même soirée.

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Publié le 29 Janvier 2018

Der Kreidekreis (Alexander von Zemlinsky)
Représentation du 28 janvier 2018
Opéra National de Lyon

Tschang-Ling Lauri Vasar
Mr Ma Martin Winkler
Yü-Pei Nicola Beller Carbone
Tschang-Haitang Ilse Eerens
Prince Pao Stephan Rügamer
Tschao Zachary Altman
Tong Paul Kaufmann
Mrs Tchang Doris Lamprecht
Sage-Femme Hedwig Fassbender
Une bouquetière Josefine Göhmann
Deux coolies Luke Sinclair, Alexandre Pradier
Soldat Matthew Buswell
Tschu-Tschu Stefan Kurt                                          
Stephan Rügamer (Prince Pao) 

Direction musicale Lothar Koenigs
Mise en scène Richard Brunel
Orchestre, Maîtrise et Studio de l’Opéra de Lyon

Dès l'arrivée au pouvoir des nazis, Alexander bon Zemlinsky du quitter ses fonctions au conservatoire de Berlin pour retourner à Vienne pour finalement fuir vers New-York et sauver ainsi sa vie.

Der Kreidekreis, Le cercle de craie, est son septième opéra dont il composa la partition de 1930 à 1931. Après la création zurichoise d'octobre 1933 et la première allemande de Szczecin en 1934, il faudra cependant attendre 1955 pour l'entendre à nouveau dans la ville de Dortmund.

Et, en ce mois de janvier 2018, l'opéra de Lyon lui accorde enfin sa première française.

Ilse Eerens (Tschang-Haitang) et l'enfant

Ilse Eerens (Tschang-Haitang) et l'enfant

Alexander von Zemlinsky a lui même élaboré le livret à partir de la pièce éponyme de Klabund (1925), un écrivain allemand originaire de Pologne dont Der Kreidekreis était devenu un immense succès berlinois, avant que Bertold Brecht n'en écrive une autre version en 1945, en s'inspirant à la fois de la pièce de théâtre chinoise de Li Qianfu et du Jugement de Salomon.

Cette pièce est avant tout une description grinçante d’une société corrompue à tous les niveaux, et le Cercle de Craie peut être vu comme le révélateur d’une vérité absolue, la force du sentiment maternel qui lui seul, dans cet univers asservi aux désirs sexuels, sadiques, possessifs et aux rôles sociaux, donne un sens infalsifiable au mot Amour.

En grand connaisseur des compositeurs du XXe siècle qu’il interprète régulièrement, Lothar Koenigs rend une lecture fine et unifiée de l’ouvrage, dont l’inventivité des ambiances sonores couvre aussi bien la rythmique joyeuse de la musique de cabaret des années 30 que les noirceurs orchestrales subconscientes et saisissantes des univers fantastiques de Richard Strauss.

Dénuée de toute agressivité, fluide, limpide et parcellée de détails ornementaux poétiques, la respiration orchestrale est suffisamment expansive et stimulante, sans être démonstrative, pour unir l’auditeur au flux narratif de la pièce. Et dans les reflets d’acier du tissu musical, le souffle et l’éclat des cuivres s’y mélangent pour former un magnifique son chargé de mystère subliminal. Du théâtre vivant, tout en douceur et subtilité.

 Nicola Beller Carbone (Yü-Pei)

Nicola Beller Carbone (Yü-Pei)

Richard Brunel, qui avait signé au Théâtre des Arts de Rouen une mise en scène de Lakmé très simple et dépouillée mais avec une réelle force de caractère, réalise un travail épuré et clinique qui réserve de très beaux moments de poésie. Sous des éclairages bleutés, blafards ou kitch, et un avant-scène encadré par un ou deux espaces clos, mobiles et transparents, il recrée les caractéristiques symboliques des lieux de vie (maison close, chambre de Haitang, salle d’isolement) qui aseptisent cependant la nature sordide des situations.

C’est en effet le fait de rester trop proche de la parodie qui peut lui être reproché, alors qu’à la lecture du livret on pourrait s’attendre à une noirceur presque insoutenable.
Ainsi, Yü-Pei fait beaucoup penser au personnage de Cruella d’Enfer et, dans la première partie, le consentement avec lequel Tschang-Haitang se laisse manipuler est trop facile pour y croire tout à fait.

Mais les interactions entre les différents personnages sont très convaincants et vivants, même si certains mouvements frénétiques outrent un peu le jeu, et tous les duos sensibles sont mis en valeur avec une virtuosité magique.

La scène du jugement, glaciale, où enfant et mère diamétralement opposés se regardent, est en revanche d’une signification implacable.

Martin Winkler (Mr Ma) et Paul Kaufmann (Tong)

Martin Winkler (Mr Ma) et Paul Kaufmann (Tong)

Et la distribution offre une diversité de caractères qui dépeint tout un monde expressif et théâtral, à commencer par le rôle central qu'incarne à bout de soi Ilse Eerens.

La clarté plaintive de sa voix évoque énormément la demoiselle des neiges, Snegourotchka, qu'avait interprété Aida Garifullina à l'opéra Bastille, on ressent des tressaillements émotionnels, des inflexions naïves, et surtout une accumulation de la douleur qui s'exprime de plus en plus par de longues et puissances expirations de désarroi,

C'est véritablement un rôle de femme déterminée, malgré l'impression de fragilité, qui comptera dans sa vie.

Stephan Rügamer, en jeune amoureux désinvolte, forme avec elle un couple attachant, et leur premier duo atteint même une atemporalité ravissante, mais c'est surtout son retour en Prince qui révèle la maturité du timbre et des inflexions charmeuses.

Ilse Eerens (Tschang-Haitang)

Ilse Eerens (Tschang-Haitang)

Et Martin Winkler, charismatique Mr Ma, imprègne la scène d'une présence décomplexée, clownesque, et bienveillante malgré la rusticité du notable qu'il représente.

Sauvage Mrs Tchang, Doris Lamprecht lui donne un tempérament vériste et déchainé formidable, quant à Nicola Beller Carbone, émission vocale aiguisée qui vire à la noirceur au moment de la lutte pour l'enfant au centre du cercle de craie, elle joue avec délectation l'allure hautaine et pincée de Yü-Pei, un naturel aristocratique qui lui convient très bien.

Enfin, Lauri Vasar tire le caractère du frère d'Tschang-Haitang vers des attitudes dépressives monocordes, et Paul Kaufmann joue un Tong burlesque mais finalement relativement sage.

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