Articles avec #brunel tag

Publié le 29 Janvier 2018

Der Kreidekreis (Alexander von Zemlinsky)
Représentation du 28 janvier 2018
Opéra National de Lyon

Tschang-Ling Lauri Vasar
Mr Ma Martin Winkler
Yü-Pei Nicola Beller Carbone
Tschang-Haitang Ilse Eerens
Prince Pao Stephan Rügamer
Tschao Zachary Altman
Tong Paul Kaufmann
Mrs Tchang Doris Lamprecht
Sage-Femme Hedwig Fassbender
Une bouquetière Josefine Göhmann
Deux coolies Luke Sinclair, Alexandre Pradier
Soldat Matthew Buswell
Tschu-Tschu Stefan Kurt                                          
Stephan Rügamer (Prince Pao) 

Direction musicale Lothar Koenigs
Mise en scène Richard Brunel
Orchestre, Maîtrise et Studio de l’Opéra de Lyon

Dès l'arrivée au pouvoir des nazis, Alexander bon Zemlinsky du quitter ses fonctions au conservatoire de Berlin pour retourner à Vienne pour finalement fuir vers New-York et sauver ainsi sa vie.

Der Kreidekreis, Le cercle de craie, est son septième opéra dont il composa la partition de 1930 à 1931. Après la création zurichoise d'octobre 1933 et la première allemande de Szczecin en 1934, il faudra cependant attendre 1955 pour l'entendre à nouveau dans la ville de Dortmund.

Et, en ce mois de janvier 2018, l'opéra de Lyon lui accorde enfin sa première française.

Ilse Eerens (Tschang-Haitang) et l'enfant

Ilse Eerens (Tschang-Haitang) et l'enfant

Alexander von Zemlinsky a lui même élaboré le livret à partir de la pièce éponyme de Klabund (1925), un écrivain allemand originaire de Pologne dont Der Kreidekreis était devenu un immense succès berlinois, avant que Bertold Brecht n'en écrive une autre version en 1945, en s'inspirant à la fois de la pièce de théâtre chinoise de Li Qianfu et du Jugement de Salomon.

Cette pièce est avant tout une description grinçante d’une société corrompue à tous les niveaux, et le Cercle de Craie peut être vu comme le révélateur d’une vérité absolue, la force du sentiment maternel qui lui seul, dans cet univers asservi aux désirs sexuels, sadiques, possessifs et aux rôles sociaux, donne un sens infalsifiable au mot Amour.

En grand connaisseur des compositeurs du XXe siècle qu’il interprète régulièrement, Lothar Koenigs rend une lecture fine et unifiée de l’ouvrage, dont l’inventivité des ambiances sonores couvre aussi bien la rythmique joyeuse de la musique de cabaret des années 30 que les noirceurs orchestrales subconscientes et saisissantes des univers fantastiques de Richard Strauss.

Dénuée de toute agressivité, fluide, limpide et parcellée de détails ornementaux poétiques, la respiration orchestrale est suffisamment expansive et stimulante, sans être démonstrative, pour unir l’auditeur au flux narratif de la pièce. Et dans les reflets d’acier du tissu musical, le souffle et l’éclat des cuivres s’y mélangent pour former un magnifique son chargé de mystère subliminal. Du théâtre vivant, tout en douceur et subtilité.

 Nicola Beller Carbone (Yü-Pei)

Nicola Beller Carbone (Yü-Pei)

Richard Brunel, qui avait signé au Théâtre des Arts de Rouen une mise en scène de Lakmé très simple et dépouillée mais avec une réelle force de caractère, réalise un travail épuré et clinique qui réserve de très beaux moments de poésie. Sous des éclairages bleutés, blafards ou kitch, et un avant-scène encadré par un ou deux espaces clos, mobiles et transparents, il recrée les caractéristiques symboliques des lieux de vie (maison close, chambre de Haitang, salle d’isolement) qui aseptisent cependant la nature sordide des situations.

C’est en effet le fait de rester trop proche de la parodie qui peut lui être reproché, alors qu’à la lecture du livret on pourrait s’attendre à une noirceur presque insoutenable.
Ainsi, Yü-Pei fait beaucoup penser au personnage de Cruella d’Enfer et, dans la première partie, le consentement avec lequel Tschang-Haitang se laisse manipuler est trop facile pour y croire tout à fait.

Mais les interactions entre les différents personnages sont très convaincants et vivants, même si certains mouvements frénétiques outrent un peu le jeu, et tous les duos sensibles sont mis en valeur avec une virtuosité magique.

La scène du jugement, glaciale, où enfant et mère diamétralement opposés se regardent, est en revanche d’une signification implacable.

Martin Winkler (Mr Ma) et Paul Kaufmann (Tong)

Martin Winkler (Mr Ma) et Paul Kaufmann (Tong)

Et la distribution offre une diversité de caractères qui dépeint tout un monde expressif et théâtral, à commencer par le rôle central qu'incarne à bout de soi Ilse Eerens.

La clarté plaintive de sa voix évoque énormément la demoiselle des neiges, Snegourotchka, qu'avait interprété Aida Garifullina à l'opéra Bastille, on ressent des tressaillements émotionnels, des inflexions naïves, et surtout une accumulation de la douleur qui s'exprime de plus en plus par de longues et puissances expirations de désarroi,

C'est véritablement un rôle de femme déterminée, malgré l'impression de fragilité, qui comptera dans sa vie.

Stephan Rügamer, en jeune amoureux désinvolte, forme avec elle un couple attachant, et leur premier duo atteint même une atemporalité ravissante, mais c'est surtout son retour en Prince qui révèle la maturité du timbre et des inflexions charmeuses.

Ilse Eerens (Tschang-Haitang)

Ilse Eerens (Tschang-Haitang)

Et Martin Winkler, charismatique Mr Ma, imprègne la scène d'une présence décomplexée, clownesque, et bienveillante malgré la rusticité du notable qu'il représente.

Sauvage Mrs Tchang, Doris Lamprecht lui donne un tempérament vériste et déchainé formidable, quant à Nicola Beller Carbone, émission vocale aiguisée qui vire à la noirceur au moment de la lutte pour l'enfant au centre du cercle de craie, elle joue avec délectation l'allure hautaine et pincée de Yü-Pei, un naturel aristocratique qui lui convient très bien.

Enfin, Lauri Vasar tire le caractère du frère d'Tschang-Haitang vers des attitudes dépressives monocordes, et Paul Kaufmann joue un Tong burlesque mais finalement relativement sage.

Voir les commentaires

Publié le 12 Octobre 2009

Lakmé (Delibes)
Représentation du 11 octobre 2009
Théâtre des Arts de Rouen

Direction musicale Roberto Fores Veses
Mise en espace Richard Brunel

Lakmé Petya Ivanova
Gérald Jean-François Borras
Frédéric Christophe Gay
Nilakantha Patrice Berger
Mallika Marie Gautrot
Miss Ellen Maïlys de Villoutreys

 

                                                    Petya Ivanova (Lakmé)

 

Le Théâtre des Arts de Rouen est l’exemple même de ce que devrait être un opéra populaire. Il y règne une ambiance naturelle, tout le monde vient y vivre une expérience commune sans prétention, et avec un grand respect pour la musique. Les personnes vous parlent très spontanément sans s‘appesantir, les sourires se croisent, de tout jeunes enfants y ajoutent une touche de désordre, et tout cela contribue à une chaleur unique en ce lieu.

La première de Lakmé à Rouen se déroula le 23 novembre 1887, quatre ans après la première à l’Opéra Comique, en présence de Léo Delibes. Par la suite, son héroïne résistera comme elle pourra aux personnages de légendes wagnériens.

Jean-François Borras (Gérald)

Jean-François Borras (Gérald)

La capitale de la Haute-Normandie ouvre donc la saison 2009/2010 avec Lakmé dans une mise en espace de Richard Brunel (L'Indefelta Delusa à Sceaux en début d'année).

Mise en espace certes, mais par un metteur en scène de Théâtre. Les lumières et le dépouillement - quelques pupitres, draps bleus et une chaise dans une atmosphère nocturne- font penser à du Bob Wilson, mais avec la direction d’acteur d'un Johan Simons, c’est à dire qu’il s’agit de manipuler et de bousculer les éléments.

Le théâtre vient ici de manière très efficace suppléer à des moyens matériels limités - quelques spectateurs n’apprécieront pas le traitement final de Lakmé laissée là banalement au vent comme si elle avait si peu comptée - alors qu’un grand soin est accordé au niveau musical.

Profitant de l’expérience d’un bon directeur scénique, la distribution trouve ainsi un cadre qui lui permet de jouer de manière simple et crédible, et de s’appuyer sur ses qualités majeures : une agréable homogénéité d’ensemble, et une diction quasi parfaite qui fait honneur à l’ouvrage.

Connu depuis Giovanna d’Arco l’année dernière, Jean-François Borras a gagné en aisance, et tout passe dans un chant sensible et coloré sauf dans l’extrême aigu.

Petit format physique, mais une douceur, et surtout une virtuosité qui nous renvoie à celle de Natalie Dessay, Petya Ivanova est un éblouissement de finesse musicale.
Et plus les airs requièrent de l’habilité, plus faciles paraissent-ils à chanter. Seul son phrasé tend à lisser parfois les syllabes.

Christophe Gay (Frédéric)

Christophe Gay (Frédéric)

La présence de Christophe Gay est celle qui fait la plus forte impression. Baryton clair dégageant un grand sentiment de solidité et de jeunesse, le personnage de Frédéric y trouve une représentation fidèle, homme déterminé et empreint d’idéaux patriotiques.

 

Et les autres rôles continuent à révéler des chanteurs au meilleur d’eux mêmes, impeccable Nilakantha de Patrice Berger, charmante Miss Ellen de Maïlys de Villoutreys, sans oublier Marie Gautrot dans une Mallika un peu plus effacée.

Les chœurs, heureux de bénéficier d’une action scénique intéressante et bien éloignée des clichés traditionnels, se laissent parfois un peu déborder par l’enthousiasme, mais peu importe. Roberto Fores Veses, le chef, joue le théâtre et l’onirisme à fond, sans tirer toutefois de l’orchestre un son des plus cisellés.
Les airs de danses de l’acte II passent à la trappe, soit dit en passant.

En évacuant ainsi le kitsch visuel et des jeux d'acteurs désués, tout en maintenant la musicalité au coeur de l'oeuvre, le Théâtre des Arts vient de prendre des longueurs d’avance sur l’Opéra de Paris dans la mise en valeur de l’opéra romantique français.

Voir les commentaires

Publié le 16 Janvier 2009

L’Infedeltà Delusa (Joseph Haydn)
Représentation du 14 janvier 2009
Théâtre Les Gémeaux - Sceaux

Direction musicale Jérémie Rhorer
Mise en scène Richard Brunel

Vespina Claire Debono
Sandrina Ina Kringelborn
Filippo Yves Saelens
Nencio Julian Prégardien
Nanni Thomas Tatzi

Orchestre Le Cercle de l’Harmonie

 

                           Julian Prégardien (Nencio)

 

L’Opera Buffa fût au XVIIIième siècle une réaction salutaire au genre Seria.
L’Infidélité déjouée (1773) s’inscrit dans ce mouvement vif et spontané qui prend ses origines à Naples dans les années 1730.

L’élément frappant de cette Burletta est le rôle de Vespina dont semble descendre directement la Despina du Cosi fan Tutte de Mozart (17 ans plus tard).

Il n’y a alors que des louanges à faire à Claire Debono, qui sans difficulté apparente se présente sous trois déguisements différents et sous trois types de voix bien distincts.

Son émission claire, presque scintillante, se révèle accrocheuse dès son air d’entrée lorsque se décharge toute la violence du sentiment amoureux en même temps que l’orchestration se tend.
Ce passage porte quelque chose de très vrai, même pas exagéré.

Julian Prégardien est le second point focal de la distribution, ténor au grain doux et séducteur comme est son personnage de jeune bourgeois pimpant.

A l’opposé, Sandrina, Filippo et Nanni incarnent un milieu rural plus rustre, univoques dans leur attitude d’esprit, ce qui les rend peu intéressants malgré l’implication des interprètes.

                                 Claire Debono (Vespina)

C’est donc la proximité et l’intimité du contact entre le public et la scène qui font la saveur de cette pièce, Jérémie Rhorer y animant son orchestre de manière simple et enjouée.

Voir les commentaires