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Publié le 29 Octobre 2019

Der Prinz von Homburg (Hans Werner Henze - 1960)
Représentation du 26 octobre 2019
Opéra de Stuttgart

Friedrich Wilhelm, Kurfürst von Brandenburg Štefan Margita
Die Kurfürstin Helene Schneiderman
Prinzessin Natalie von Oranien Vera-Lotte Böcker
Prinz Friedrich Artur von Homburg Robin Adams
Graf Hohenzollern Moritz Kallenberg
Feldmarschall Dörfling Michael Ebbecke
Obrist Kottwitz Friedemann Röhlig
Wachtmeister Johannes Kammler

Direction musicale Thomas Guggeis
Mise en scène Stephan Kimmig (2019)

                                                                                    Vera-Lotte Böcker (Natalie)

Der Prinz von Homburg est un opéra de Hans Werner Henze qui appartient aux dix premières années de sa vie créative.

Le livret est une adaptation par Ingeborg Bachmann, poète autrichienne qui est également à l'origine du texte de Der junge Lord, un opéra plus tardif de Henze, de la pièce homonyme d'Heinrich von Kleist, qui ne fut représentée qu'en 1821, bien après sa mort.

Moritz Kallenberg (Graf Hohenzollern), Robin Adams (Prinz von Homburg) et Štefan Margita (Kurfürst von Brandenburg)

Moritz Kallenberg (Graf Hohenzollern), Robin Adams (Prinz von Homburg) et Štefan Margita (Kurfürst von Brandenburg)

Le père de Hans Werner Henze et ce dramaturge romantique ont en commun d'avoir servi au front, Première et Seconde Guerre mondiale pour le premier, Campagne du Rhin contre Napoléon pour le second, expérience humaine qui transforma Heinrich von Kleist dont l'écriture ne pouvait que séduire l'esprit révolutionnaire de Henze.

Le cœur de l'argument de Der Prinz von Homburg pousse à son extrême le conflit entre la nature émotionnelle et la tendance illusionnelle de l'homme, d'une part, et l'organisation hiérarchique et sociale qu'il subit, d'autre part.

Robin Adams (Prinz von Homburg)

Robin Adams (Prinz von Homburg)

Ce prince pourrait aussi bien être un Frédéric II qu’un Louis II de Bavière, et la musique de Henze, dont on reconnait certaines influences sérielles, est d'une puissance et d'une capacité d'envoûtement saisissante. L’onde musicale qui soutient le drame peut prendre de très belles formes galbées par les cors et les variations des autres cuivres, puis, ponctuée des réminiscences du  piano, se transformer en un continuo de cordes aiguës aux effets célestes, avant que cette enveloppe n'entrelace les mouvements et les textures des instruments en en variant l'intensité.

Par ailleurs, les soudains coups de théâtre orchestraux ne sont jamais gratuits et soulignent les chocs émotionnels vécus sur scène, et cette écriture riche, qui suggère autant des humeurs sombres sous-jacentes qu'elle ne magnifie de somptueux interludes, se fond aux mélopées pathétiques des chanteurs pour amplifier leurs expressions.

Robin Adams (Prinz von Homburg) et Vera-Lotte Böcker (Prinzessin Natalie von Oranien)

Robin Adams (Prinz von Homburg) et Vera-Lotte Böcker (Prinzessin Natalie von Oranien)

Le jeune chef Thomas Guggeis, fort à l’aise avec le lyrisme foisonnant et fluide de la partition, donne ainsi l'impression d’avoir à faire à un monstre qu'il faut en permanence dompter.

En revanche, la mise en scène de Stephan Kimmig se distancie fortement de la musique en situant l’action dans l'arrière-cour d'une dictature où s'entraînent des soldats en tenues sportives sur fond déshumanisé et uniforme de murs en carrelage blanc, comme dans un abattoir où l'on se souille de sang.

Une double échelle symbolise la hiérarchie militaire, et le Prinz Friedrich Artur von Homburg apparaît d'emblée corrompu par ce monde violent, loin d'exprimer l'âme d'un romantique.

On le sent fort proche d'un Wozzeck rendu fou par un milieu viril qui lui ôte tout accès au rêve, au point qu'il se jette par lui-même dans la guerre.

Štefan Margita (Kurfürst von Brandenburg) et Helene Schneiderman (Die Kurfürstin)

Štefan Margita (Kurfürst von Brandenburg) et Helene Schneiderman (Die Kurfürstin)

La scène de jugement, après qu'il ait déclenché de façon symbolique l'assaut sur les Suédois, est résolue dans un petit espace confiné à l'avant-scène, recouvert de miroirs qui permettent d'associer le public au jugement, et qui suscitera également le regard introspectif de l'électeur de Branbenburg.

Quant à la scène de pardon finale, elle repose sur un ensemble de mots écrits sur des panneaux brandis vers le public, invitant à la clémence et à la magnanimité.

Natalie, elle, est présentée comme un être lucide qui souffre de ne pouvoir tirer le prince de son monde déconnecté des sentiments, et l'engagement tant expressif que vocal de Vera-Lotte Böcker, une éloquence du geste prolongée par une excellente projection des vibrations du timbre, claires et précisément canalisées, renforcent la droiture de son personnage.

Robin Adams (Prinz von Homburg) et Helene Schneiderman (Die Kurfürstin)

Robin Adams (Prinz von Homburg) et Helene Schneiderman (Die Kurfürstin)

Et Robin Adams fait jaillir de ce prince malade et déchiré une énergie animale tenace et saillante, splendide baryton écorché, doué d'une tessiture qui peut s'adoucir et prendre des accents attendrissants. 

Erre autour de ces jeunes gens la stature inflexible du grand électeur Friedrich Wilhelm au regard perçant d'un aigle royal, celui de Štefan Margita. Il n'y a pas plus implacable que la voix d'émail éclatant de ce chanteur incisif dont chaque mot est une lame destinée à entailler sa victime.

Cependant, dans la dernière partie, sa demi-nudité souligne son humanité qui est susceptible de se révéler, ce qui sera effectivement le cas dans un grand soulagement final.

Vera-Lotte Böcker, Thomas Guggeis, Robin Adams, Štefan Margita et Helene Schneiderman

Vera-Lotte Böcker, Thomas Guggeis, Robin Adams, Štefan Margita et Helene Schneiderman

Les seconds rôles sont par ailleurs méticuleusement détaillés. Ainsi, le jeune Comte Hohenzollern de Moritz Kallenberg prodigue gravité tout en souplesse et clarté, et Helene Schneiderman détaille avec vérité les états d'âme compatissants de l'électrice.

Après Heinrich von Kleist, l'opéra de Stuttgart consacrera dès le lendemain sa scène principale à un second dramaturge Allemand du tournant du XIXe siècle, Friedrich Schiller, à travers un des chefs-d’œuvre de Giuseppe Verdi, Don Carlos, en langue française.

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Publié le 5 Juin 2019

Der Junge Lord (Hans Werner Henze)
Livret d’Ingebord Bachmann d’après une parabole tirée du conte Der Scheik von Alessandria und seine Sklaven de Wilhelm Hauff.
Représentation du 30 mai 2019
Staatstheater am Gärtnerplatz (Munich)

Sir Edgar Dieter Fernengel
Sir Edgars Sekretär Christoph Filler
Lord Barrat Brett Sprague
Begonia Bonita Hyman
Der Bürgermeister Levente Páll
Oberjustizrat Hasentreffer Liviu Holender
Ökonomierat Scharf Holger Ohlmann
Professor von Mucker Juan Carlos Falcón
Wilhelm, Student Lucian Krasznec
Baronin Grünwiesel Ann-Katrin Naidu
Luise, ihr Mündel Mária Celeng
Frau Oberjustizrat Hasentreffer Jennifer O'Loughlin
Ida, ihre Tochter Ilia Staple
Frau von Hufnagel Anna-Katharina Tonauer
Amintore La Rocca Alexandros Tsilogiannis

Direction musicale Anthony Bramall
Mise en scène Brigitte Fassbaender (2019)

Théâtre musical à vocation populaire, le Staatstheater am Gärtnerplatz de Munich obtint de la part de Louis II de Bavière l’autorisation d’exister le 10 mai 1864, six jours après que le roi ait rencontré pour la première fois Richard Wagner au Palais de la Résidence. Il n’avait pas encore dix-neuf ans, alors que le compositeur de plus de trente ans son aîné n’était rentré de son long exil d’Allemagne que depuis seulement trois ans.  

Alexandros Tsilogiannis (Amintore La Rocca)

Alexandros Tsilogiannis (Amintore La Rocca)

Théâtre Royal sous Ludwig II, et temple de l’opérette pendant plus d’un demi-siècle, l’opéra et la comédie musicale y ont trouvé un lieu d’expression depuis les années 1950, et, en admirant la forme de sa salle, la sobriété néo-classique de ses apparats et les drapés rouges de son rideau de scène, l’on ne peut s’empêcher de penser à son grand frère, le Bayerische Staatsoper, dont on croirait une réplique aux dimensions plus réduites.

Et après cinq ans de travaux, cette maison au caractère intime et familial est ré-ouverte depuis le 15 octobre 2017, affichant une diversité de répertoire surprenante où La Flûte Enchantée côtoie Priscilla-folle du désert et The Chocolate Soldier.

Der Junge Lord (Filler-Hyman-Sprague-Naidu-Celeng-Bramall-Fassbaender) Staatstheater am Gärtnerplatz

A l’instar de Dantons Tod (Gottfried Von Einem) joué en ce lieu en début de saison, la nouvelle production de Der Junge Lord est un événement, puisque qu’elle porte sur la scène un opéra aussi peu représenté dans le monde que le Falstaff de Salieri, par exemple, et qui n’a connu que trois productions en 15 ans (Klagenfurt 2005, Dortmund 2009, Hanovre 2017).

Du livret inspiré de ‘Singe pour homme’, un conte de Wilhelm Hauff issu de son ouvrage ‘Le Cheik d’Alexandrie et ses esclaves’ (1826), Hans Werner Henze invente une musique qui entraîne l’auditeur dans une action théâtrale trépidante, une griserie instrumentale qui fond nombre d’ornements de bois aux traits impertinents à la chaleur intimiste des éclats cristallins de pianos et aux sonorités merveilleuses du célesta.

On pense beaucoup aux descriptions de la vie si fines chez Mozart, et au mystère des interludes de Benjamin Britten, et l’immédiateté de l’art descriptif et mélodique de Hans Werner Henze surprend au premier abord lorsque l’on sait qu’il représenta la génération qui suivit Paul Hindemith et Ernst Krenek.

Christoph Filler (Sir Edgars Sekretär)

Christoph Filler (Sir Edgars Sekretär)

Mais lorsque l’on prend conscience des agacements et des intrigues sociales qui se nouent autour de ce jeune lord totalement libre, Sir Edgar, qui se fiche pas mal de ce que pense cette société qui prend comme un affront son absence d’intérêt pour ses événements mondains, on peut penser que Brigitte Fassbaender n’a pas souhaiter viser directement le public d’aujourd’hui, et laisser à chacun le choix de s’identifier ou pas.

Et l’on admire tout au long du spectacle le naturel et l’excellent sens de la comédie de l’ensemble des artistes qui ont chacun l’occasion de mettre en avant leur présence et leur aisance vocale.

Bonita Hyman (Begonia)

Bonita Hyman (Begonia)

En osmose complète avec les musiciens du Staatstheater am Gärtnerplatz, l’énergie et l’incisivité ludique d’Anthony Bramall s’immergent à merveille dans le jeu scénique alertement mené par la direction scénique Brigitte Fassbaender, tout en conservant l’épaisseur nécessaire lorsqu’il s’agit de souligner les noirceurs du drame. 

Bien que ne prenant pas trop de risques en construisant une scénographie haut en couleur au charme fin XIXe siècle, la principale originalité de la mise en scène repose sur l’utilisation d’une immense maquette de la ville à travers les rues de laquelle une caméra nous fait déambuler pour suggérer, lors des transitions, un cloisonnement urbain qui est aussi celui des mentalités de ses habitants.

Ann-Katrin Naidu (Baronin Grünwiesel)

Ann-Katrin Naidu (Baronin Grünwiesel)

Avec son allure de Dandy gothique étincelant, Christoph Filler est un splendide secrétaire qui chante avec une fraîcheur de timbre mâtinée d’une suavité au charme fou, une manière d’incarner un fascinant détachement ironique qui rend sa présence magique. Autre bijou vocal, le beau galbe noir profond aux aigus glorieux d’Ann-Katrin Naidu porte au premier plan le personnage de la Barone Grünwiesel dont l’éminence aristocratique au regard dangereux évoque le tempérament d’une Turandot prête à tuer.

Autour de ces deux personnalités centrales, la jovialité et le panache d’Alexandros Tsilogiannis vibrent de joie de vivre, l’outrecuidance d’Ilia Staple recherche l’effet perçant, la bonhommie de Bonita Hyman, qui incarnait aussi Begonia à Hanovre en 2017, évoque l’allure d’un chanteuse de gospel, et la sincérité s’incarne en Maria Celeng, Louise transformée au final en Sophie du Chevalier à La Rose recevant la fleur d’argent des mains de Brett Sprague, le singe déguisé pour l’occasion en Octavian.

Christoph Filler (Sir Edgars Sekretär)

Christoph Filler (Sir Edgars Sekretär)

Brigitte Fassbaender voulait-elle faire un clin d’œil aux amateurs d’opéras dont la passion peut sublimer leur regard sur la réalité ? Quoi qu’il en soit, cette histoire d’un petit monde qui se laisse abuser par un singe, ce qui pointe cruellement la faculté de ces individualités à mimer des personnalités artificielles au lieu d’être pleinement elles-mêmes dans l’expression de leur amour pour la vie, est véritablement universelle, et peut ainsi réunir autour d’elle tous les publics, toutes les familles, par le simple plaisir visuel, sensoriel et satirique qu’il a à offrir.

Et le chœur d’enfants du théâtre fortement associé aux scènes de vie de la cité est admirable de cohésion et de spontanéité.

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Publié le 19 Août 2018

The Bassarids (Hans Werner Henze)
Représentation du 16 août 2018
Felsenreitschule  - Salzburger Festspiele 2018

Dionysus  Sean Panikkar
Pentheus  Russell Braun
Cadmus  Willard White
Tiresias / Calliope  Nikolai Schukoff
Captain / Adonis  Károly Szemerédy
Agave / Venus  Tanja Ariane Baumgartner
Autonoe / Proserpine  Vera-Lotte Böcker
Beroe  Anna Maria Dur
Danseuses Rosalba Guerrero Torres

Directeur musical Kent Nagano
Orchestre Wiener Philharmoniker

Mise en scène Krzysztof Warlikowski (2018)
Décors et costumes Małgorzata Szczęśniak
Lumières Felice Ross
Vidéo Denis Guéguin
Chorégraphie Claude Bardouil
Dramaturgie Christian Longchamp

Rosalba Guerrero Torres (Danseuse), Sean Panikkar (Dionysos) et Russel Braun (Penthée) - Photo Bernd Uhlig                 

The Bassarids est un opéra du compositeur allemand Hans Werner Henze (1926-2012) qui fut créé au Festival de Salzbourg le 06 août 1966 dans une traduction allemande. C’est seulement deux ans plus tard qu’il fut chanté pour la première fois en anglais, la langue originale du livret, lors de sa première aux Etats-Unis.

Œuvre majeure du XXe siècle inspirée des Bacchantes d’Euripide, elle est régulièrement reprise dans le monde entier, Milan 1968, Londres 1968 et 1974, Berlin 1986 et 2006, Cleveland & New-York 1990, Paris-Châtelet & Amsterdam 2005, Munich 2008, Rome 2015, Madrid 1999 et 2018, mais sous des altérations diverses (traduction allemande, orchestration réduite, version révisée de 1992 sans l’intermezzo).

Tanja Ariane Baumgartner (Agavé) et Vera-Lotte Böcker (Autonoé) - Photo Bernd Uhlig

Tanja Ariane Baumgartner (Agavé) et Vera-Lotte Böcker (Autonoé) - Photo Bernd Uhlig

Revenir à la version originale en anglais avec l’intermezzo et avec une orchestration opulente, comme la représente cette année le Festival de Salzbourg, permet donc d’explorer un espace sonore étendu, et de révéler sa puissance théâtrale. Pour Kent Nagano, ce n’est cependant pas une première, car il vient de diriger The Bassarids à Madrid en juin dernier avec l’Orchestre et le Chœur nationaux d’Espagne.

Le sujet, le retour à Thèbes de Dionysos, dieu vengeur obsédé par la mort atroce de sa mère, Sémélé, se confrontant à la société autoritaire et ordonnée sur laquelle règne Penthée, petit-fils du fondateur de la ville, Cadmos, et fils d’Agavé, la sœur de Sémélé qui n’avait pas cru à l’union de cette dernière avec Zeus, pourrait dans un premier temps faire écho au Roi Roger de Karol Szymanowski, mais il en diffère considérablement. La musique est bien plus complexe et brutale, et les forces destructrices en jeu bien plus extrêmes.

Russel Braun (Penthée) et Sean Panikkar (Dionysos) - Photo Bernd Uhlig

Russel Braun (Penthée) et Sean Panikkar (Dionysos) - Photo Bernd Uhlig

Krzysztof Warlikowski et Małgorzata Szczęśniak montrent cela en disposant un décor longitudinal et peu élevé en dessous des arcades du Felsenreitschule, qu’ils divisent en trois parties.

A gauche, la tombe de Sémélé et les lieux de culte où se retrouve le peuple thébain. Au centre une pièce du Palais Royal. A droite, une pièce plus intime où les désirs s’expriment et l’humain s’y déshabille.

Dionysos arrive par une des arcades latérales, dominant la scène, accompagné d’une ménade fortement érotisée.

Dans ce cadre écrasé, l’oppression des thébains est montrée par l’arrivée du chœur face à la scène, comme des spectateurs, mais qui se font chasser par des policiers lorsqu’ils montrent leur attirance pour le nouveau culte de Dionysos.

Tanja Ariane Baumgartner (Agavé) - Photo Bernd Uhlig

Tanja Ariane Baumgartner (Agavé) - Photo Bernd Uhlig

Le vieux roi Cadmos ne peut trouver en Willard White qu’un interprète émouvant, humain, un timbre sombre et dilué, des attaques fauves, ce chanteur / acteur touchant en est au moins à sa septième collaboration avec Krzysztof Warlikowski. Il est d’ailleurs le seul personnage représenté simplement sur scène, le moins fou de tous probablement, mais physiquement diminué et impuissant.

Russell Braun, qui interprétait également le rôle de Penthée à Rome en 2015, préserve une forme d’innocence aussi bien par sa façon si naturelle de jouer que par la clarté vaillante du timbre qui supporte solidement les tensions de la partition. On croirait entendre un adolescent encore jeune pour le pouvoir, enfant gâté qui se connait mal et se croit capable de résister indéfiniment à la jouissance sexuelle qui est à la base de l’humanité.

Quant à son costume beige aux motifs naïfs, il suggère une envie pacifique de découvrir une autre communauté, de trouver son identité.  Il est le personnage le plus tourné en dérision avec celui de Tiresias que Nikolai Schukoff, chargé d’exclamations à cœur ouvert, rend entièrement sympathique. Et Károly Szemerédy est un très étrange capitaine, plein d’aplomb mais également animé par une légèreté insidieuse.

Tiresias (Nikolai Schukoff), Tanja Ariane Baumgartner (Agavé), Willard White (Cadmos) - Photo Bernd Uhlig

Tiresias (Nikolai Schukoff), Tanja Ariane Baumgartner (Agavé), Willard White (Cadmos) - Photo Bernd Uhlig

Sean Panikkar, qui participait aux représentations des Bassarids à Madrid avec Nikolai Schukoff, est véritablement celui qui est dans la plénitude de son épanouissement vocal. Son rayonnement puissant s’accompagne d’une netteté de phrasé parfaite, et son personnage cultive l’ambiguïté en montrant une face mystérieuse qui peut soudainement s’affirmer et devenir subtilement menaçante, ou bien découvrir une apparence bienveillante.

Dramatique et hystérique Tanja Ariane Baumgartner en Agavé, tempérament plus aiguisé pour l’Autonoé de Vera-Lotte Böcker, impulsivité d’Anna Maria Dur, les rôles féminins se distinguent par la manière dont ils s’emparent de l’excessivité du jeu voulue par le metteur en scène.

Russel Braun (Penthée) et Sean Panikkar (Dionysos)

Russel Braun (Penthée) et Sean Panikkar (Dionysos)

Mais si d’aucun faisait remarquer que, dans les grandes maisons de répertoires, Krzysztof Warlikowski donne parfois l’impression d’éviter les expressions scéniques excessives, en revanche, The Bassarids entrent en concordance parfaite avec l’univers du metteur en scène, son déchaînement viscéral, sa culture littéraire antique, si bien que l’on ne sait plus si c’est la musique qui transcende son approche théâtrale, ou bien si c’est son geste expressif qui donne un sens fort au drame orchestral.

Cette osmose atteint son climax dans la scène de transe extatique des Bassarides, où le désir sexuel féminin frénétique est à la source de la fureur meurtrière qui va s’en suivre. Les éclairages ondoyants (Felice Ross) sur les corps excités font ressentir la fascination à l’approche de l’enfer, mais auparavant, et tout au long du drame, la danseuse Rosalba Guerrero Torres incarne par le dévoilement de son corps et sa souplesse esthétique la tentation qui enserre l’appel de Dionysos.

Małgorzata Szczęśniak, Krzysztof Warlikowski et Sean Panikkar

Małgorzata Szczęśniak, Krzysztof Warlikowski et Sean Panikkar

Précédemment aux ardeurs de la scène du Mont Cithéron, l’intermezzo annonce à travers le jugement de Calliope comment ce désir féminin peut devenir destructeur. La scène est jouée dans la chambre située à droite, et sa projection vidéo est déroulée à gauche où l’on voit Dionysos apprendre à Penthée la puissance de cette aspiration. C’est intelligemment mis en scène, ce qui permet à chacun de suivre le déroulement du jeu. Mais l’ajout de figurants mimant des chiens asservis fait surtout sourire et distrait de l’enjeu réel de ce tableau un peu long.

La scène finale, qui évoque tant Salomé avec cette tête coupée dans les mains d’Agavé suivie par les restes du corps de Panthée, n’est pas présentée comme une apothéose, mais comme un résultat navrant que Dionysos finit par incendier à coup de bidons d’essence.

Ainsi, deux désirs monstrueux se résolvent, celui d'Agavé pour la tête de son fils, et celui de Dionysos pour sa mère fantasmée, deux forces sous-jacentes qui se révèlent à la toute fin.

Anna Maria Dur, Nikolai Schukoff, Kent Nagano, Tanja Ariane Baumgartner

Anna Maria Dur, Nikolai Schukoff, Kent Nagano, Tanja Ariane Baumgartner

Et l'on pense beaucoup à Richard Strauss au cours de cette représentation, car Kent Nagano joue admirablement des tensions violemment théâtrales de la musique, tout en lui vouant un lustre sonore caressant éblouissant. Les percussions sont situées en hauteur à droite de la scène, l’immersion orchestrale est somptueuse, et l’on peut suivre en permanence le chef diriger les solistes, les phalanges de musiciens, les envolées lyriques des chœurs qu’il mime d’un geste panaché fulgurant, un immense travail qui valorise les strates harmoniques, les murmures inquiétants et les effets foudroyants.

Chœur qui magnifie une écriture vocale respirant en phase avec les ondes orchestrales, Wiener Philharmoniker luxueux, cette expérience musicale et théâtrale aboutie qui nous plonge au cœur des névroses humaines, renvoie en même temps une énergie sensuelle qu’il faut prendre telle quelle au-delà de ce que le texte exprime.

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