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Publié le 6 Février 2024

Cosi fan tutte (Wolfgang Amadé Mozart – Burgtheater de Vienne, le 26 janvier 1790)
Représentation du 04 février 2024
Théâtre du Châtelet

Fiordiligi Agneta Eichenholz
Dorabella Claudia Mahnke
Ferrando Rainer Trost
Guglielmo Russell Braun
Don Alfonso Georg Nigl
Despina Patricia Petibon

Direction Musicale Christophe Rousset
Mise en scène Dmitri Tcherniakov (2023)
Orchestre Les Talens Lyriques et Chœur Stella Maris

Coproduction Festival d’Aix-en-Provence

                                           Claudia Mahnke (Dorabella)

Le retour d’un opéra mis en scène sur les planches du Théâtre du Châtelet, 10 ans après la fin d’une période faste pour le genre lyrique en ce lieu, est un moment qui compte dans la vie d’une institution malmenée par la politique culturelle de la ville de Paris ces dernières années.

C’est donc avec un immense plaisir que l’on s’y rend à nouveau en attendant de connaître la véritable première saison d’Olivier Py, un grand professionnel du théâtre, qui, on l’espère, sera cette fois pleinement soutenu par l’équipe municipale.

Georg Nigl (Don Alfonso), Claudia Mahnke (Dorabella), Russell Braun (Guglielmo), Rainer Trost (Ferrando) et Agneta Eichenholz (Fiordiligi)

Georg Nigl (Don Alfonso), Claudia Mahnke (Dorabella), Russell Braun (Guglielmo), Rainer Trost (Ferrando) et Agneta Eichenholz (Fiordiligi)

Confiée à des chanteurs quinquagénaires familiers de Mozart Claudia Manke chantait dans ‘Cosi fan tutte’ il y a 20 ans de cela -, la nouvelle production du dernier volet de la trilogie Da Ponte conçue par le metteur en scène russe Dmitri Tcherniakov, dont on ne compte plus les chefs-d’œuvre scéniques qui comblent les théâtres lyriques du monde entier depuis son inoubliable vision d’‘Eugène Onéguine’ (2006), arrive à Paris après sa création au Festival d’été d’Aix-en-Provence.

Hormis Patricia Petibon qui remplace Nicole Chevalier, la distribution est identique, et c’est cette fois l’orchestre des Talens Lyriques, dirigé par Christophe Rousset, qui reprend la tâche de conduire ces chanteurs le long des plus belles lignes mozartiennes.

Russell Braun (Guglielmo), Agneta Eichenholz (Fiordiligi), Claudia Mahnke (Dorabella) et Rainer Trost (Ferrando)

Russell Braun (Guglielmo), Agneta Eichenholz (Fiordiligi), Claudia Mahnke (Dorabella) et Rainer Trost (Ferrando)

Ce spectacle est un émerveillement de par la manière ingénieuse, et bien rodée, avec laquelle Dmitri Tcherniakov réussit à transcender des chanteurs d’opéras pour en faire des acteurs d’une crédibilité phénoménale.

Trop intelligent pour se satisfaire d’un livret qui voudrait faire croire que deux jeunes femmes peuvent se laisser séduire par l’amant de l’autre sans s’en rendre compte, il nous raconte comment les deux hommes de deux couples aisés et bien établis vont suggérer à leurs épouses respectives de se laisser tenter par une aventure échangiste, lors d’un week-end passé chez Don Alfonso et son amie Despina.

Le décor, très épuré, représente un salon lumineux chauffé par un poêle à bois qui donne, en arrière scène, sur deux chambres disposant chacune d’un très grand lit confortable et immaculé.

Claudia Mahnke (Dorabella) et Agneta Eichenholz (Fiordiligi)

Claudia Mahnke (Dorabella) et Agneta Eichenholz (Fiordiligi)

Avec une habileté hors pair, le metteur en scène noue une première intrigue où la scène des étrangers, venant séduire les deux belles, est tout simplement représentée comme une tentative assumée de proposer l’échange de couples, ce que les deux femmes vont refuser dans un premier temps.

L’analyse du comportement de ces personnages contemporains, se donnant plus ou moins artificiellement de la contenance, lançant des sujets de conversation superficiels, cherchant à créer une ambiance en jouant des apparences, est formidable de précision, particulièrement le personnage de Fiordiligi chanté par Agneta Eichenholz, un modèle d’adaptation sociale très convainquant.

Un bref baisser de rideau permet de bien marquer l’articulation de l’intrigue dans le temps, et la scène des faux malades tend, en apparence, à alléger l’atmosphère.

Comme très souvent avec Tcherniakov, l’aspect anodin des choses ne s’éternise pas et atteint un point de bascule qui précipite l’irréversibilité du drame.

Patricia Petibon (Despina)

Patricia Petibon (Despina)

Dans la seconde partie, Guglielmo réussit à attirer Dorabella dans son lit, et Fiordiligi, qui avait pour un temps repoussé Ferrando, va être sensible à la blessure de ce dernier, vexé lorsque son ami, si l’on peut dire ainsi, lui a montré le film de ses ébats personnels. Ils couchent donc pas consolation et vengeance, comportement à la psychologie bien éprouvée.

Mais le cynisme de situation atteint son paroxysme lorsque Don Alfonso et Despina, disposant de toutes les preuves, les font chanter et obtiennent d’eux qu’ils leur signent, sous la menace, de gros chèques.

Une vengeance de classe se rajoute à la satire sociale, l’instigateur finissant finalement sous les balles de sa complice. On ne sait plus si la morale est sauve ou bien totalement pulvérisée.

Tout cela est joué avec un réalisme bluffant qui hisse tous ces artistes à un niveau théâtral absolument sidérant!  

Claudia Mahnke (Dorabella) et Agneta Eichenholz (Fiordiligi)

Claudia Mahnke (Dorabella) et Agneta Eichenholz (Fiordiligi)

Certes, aucun des chanteurs n’est à son zénith, mais ils démontrent qu’ils ont toujours en chacun d’eux l’essence du chant mozartien, vif et piqué, expressif et sans lourdeur.

Agneta Eichenholz se tire très bien des variations de Fiordiligi, et lorsqu’elle se résout à rejoindre Ferrando, leur duo ‘Fra gli amplessi’ s’achève même sous les applaudissements alors que, dans l’assistance, on verra une mère de famille retenir sa petite fille d’applaudir tant l’immoralité de la situation est rendue avec une très grande force. Son incarnation de la parfaite bourgeoise bien éduquée ne cesse d’ailleurs d’éblouir du début à la fin.

Claudia Mahnke (Dorabella), Agneta Eichenholz (Fiordiligi), Georg Nigl (Don Alfonso), Patricia Petibon (Despina), Russell Braun (Guglielmo) et Rainer Trost (Ferrando)

Claudia Mahnke (Dorabella), Agneta Eichenholz (Fiordiligi), Georg Nigl (Don Alfonso), Patricia Petibon (Despina), Russell Braun (Guglielmo) et Rainer Trost (Ferrando)

Claudia Mahnke, en Dorabella, préserve encore une rondeur de timbre chargée de noirceur, et donne une image de plus en plus sympathique en tant que femme qui aime pleinement les joies de la vie, ce qui l’apparie très bien au Guglielmo de Russell Braun, Mozartien depuis bientôt 30 ans, qui peut compter sur un jeu déclamatoire décomplexé pour compenser l’effacement d’une jeunesse vocale charmeuse.

Georg Nigl (Don Alfonso), Claudia Mahnke (Dorabella), Russell Braun (Guglielmo), Agneta Eichenholz (Fiordiligi), Rainer Trost (Ferrando) et Patricia Petibon (Despina)

Georg Nigl (Don Alfonso), Claudia Mahnke (Dorabella), Russell Braun (Guglielmo), Agneta Eichenholz (Fiordiligi), Rainer Trost (Ferrando) et Patricia Petibon (Despina)

Probablement le plus touchant de la distribution, Rainer Trost fait aussi ressentir des limites dans les aigus les plus sensibles, mais cela va tant de pair avec le portrait timoré, voir torturé, de Ferrando, qu’il en ressort une véritable intégrité de caractère - il chantait déjà le rôle en 1992 ! -.

Et c’est un Don Alfonso iconoclaste que fait entendre Georg Nigl, au mordant très clair, doté d’une souplesse corporelle stupéfiante, et d’un véritable goût pour les maléfices de l’esprit. Patricia Petibon trouve enfin auprès de lui un emploi qui lui permette d’exprimer la violence intérieure de Despina.

Georg Nigl, Claudia Mahnke, Rainer Trost, Christophe Rousset, Agneta Eichenholz, Russell Braun et Patricia Petibon

Georg Nigl, Claudia Mahnke, Rainer Trost, Christophe Rousset, Agneta Eichenholz, Russell Braun et Patricia Petibon

Reste aux musiciens des Talens Lyriques à faire revivre la verve jeune et raffinée de Mozart, son éclat et son élégance de style, et Christophe Rousset leur impulse un superbe geste ferme et allant, agile et chaleureusement coloré qui, en permanence, figure l’esprit malicieux et tendre du compositeur. 

Une réalisation de très belle facture qui enveloppe l’action scénique pour aboutir à un spectacle des plus enthousiasmant et captivant, et qui démonte tous les poncifs ringards que l’on peut avoir sur le genre opératique. Le public, probablement en grande majorité éloigné des amateurs lyriques, a pu constater à quel point une œuvre du passé peut encore lui parler de ce qui le concerne.

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Publié le 29 Mars 2022

Concert pour la Paix 
Représentation du 27 mars 2022
Palais Garnier

Giuseppe Verdi
La forza del destino « Ouverture », « Pace, pace mio Dio » - Liudmyla Monastyrska
Macbeth « Patria oppressa » - Chœur et Orchestre de l’Opéra de Paris
Kyrylo Stetsenko
« Pisni moji » - Russell Braun, Piano Olga Dubynska
Serguei Rachmaninov
«Ne poy, Krasavitsa pri mne» - Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Piano Olga Dubynska
Claude Debussy 
"Clair de lune"Chorégraphie Alastair Marriott - Mathieu Ganio, Piano Elena Bonnay
Serguei Rachmaninov
« Polyubila ya na pechal' svoyu » - Emanuela Pascu, Piano Olga Dubynska
Taras Chevtchenko
« Reve ta Stohne Dnipr shirokyy » - John Daszak, Piano Olga Dubynska
Mykola Lyssenko
« Na pivnochi, na kruchi » - John Daszak, Russell Braun, Piano Olga Dubynska
Body and SoulChorégraphie Crystal PiteMusique Frédéric Chopin - Marion Barbeau, Simon Le Borgne
Modeste Moussorgski
« Prière des Streltsy » - Chœur et Orchestre de l’Opéra de Paris

Concert pour la Paix - dimanche 27 mars 2022 - Palais Garnier

Pietro Mascagni « Cavalleria rusticana » - Chœur et Orchestre de l’Opéra de Paris
Georges Bizet
« Carmen suite » - Chorégraphie Alberto Alonso - Alexander Stoyanov, Kateryna Kukhar
Richard Wagner
« Wesendonck Lieder No. 5, Träume » - Marie-Andrée Bouchard-Lesieur
Camille Saint-Saëns
La Mort du cygne - Chorégraphie Mikhael Fokine / Serge Lifar - Dorothée Gilbert, Violoncelliste Aurélien Sabouret, Piano Ryoko Hisayama
Vincenzo Bellini
« Casta Diva », Norma - Liudmyla Monastyrska
Le Parc musique Wolfgang Amadeus Mozart - Chorégraphie Angelin Preljocaj - Alice Renavand, Stéphane Bullion, Piano Jean-Yves Sebillotte
Giuseppe Verdi
Nabucco « Va pensiero » - Chœur et Orchestre de l’Opéra de Paris

Direction musicale Carlo Rizzi
Cheffe des chœurs Ching-Lien Wu

Après le Théâtre du Châtelet et la Salle Favart, le Palais Garnier présentait en ce dimanche soir un concert mêlant symphonies lyriques, airs d’opéras, mélodies russes et ukrainiennes, chœurs monumentaux et extraits de ballets.

Liudmyla Monastyrska - 'Pace, pace mio Dio' (La Force du destin)

Liudmyla Monastyrska - 'Pace, pace mio Dio' (La Force du destin)

En début de ce spectacle introspectif fortement évocateur et très bien conçu afin de restituer tous les sentiments en jeu envers les victimes de la guerre en Ukraine, l’énergie un peu rude de Carlo Rizzi avait quelque chose d’implacable pour l'ouverture de la ‘Force du destin’, et le « Pace, pace mio Dio » de Liudmyla Monastyrska, chanté avec un timbre d’airain ambré et ému, s’achevait même sur un splendide bras protecteur tendu vers le ciel.

Chœur de l'Opéra national de Paris - ‘Patria Oppressa’ (Macbeth)

Chœur de l'Opéra national de Paris - ‘Patria Oppressa’ (Macbeth)

D’une grande force tellurique, le ‘Patria Oppressa’ composé par Verdi pour la version parisienne de ‘Macbeth’ ne pouvait être alors plus juste, chant déploratif d’un peuple contre lequel un Roi cherchait à éliminer ses enfants.

Emanuela Pascu - 'Polyubila ya na pechal' svoyu' (Rachmaninov)

Emanuela Pascu - 'Polyubila ya na pechal' svoyu' (Rachmaninov)

Si le «Ne poy, Krasavitsa pri mne» de Rachmaninov interprété par Marie-Andrée Bouchard-Lesieur avec sobriété et une belle assurance, au son des accords terriblement sombres d’Olga Dubynska, était connu, les autres airs russes et ukrainiens étaient plutôt une découverte, qu’ils soient vécus avec le tranchant d’ivoire d’ Emanuela Pascu, ou la clarté puissante aux éclats très marquants de John Daszak.

 Mathieu Ganio - 'Clair de Lune'

Mathieu Ganio - 'Clair de Lune'

Puis, il y eut la solitude élancée de Mathieu Ganio au ‘Clair de Lune’, et le fameux duo de ‘Body and Soul’ dansé par Marion Barbeau et Simon Le Borgne en s’alliant avec finesse au texte énoncé.

Russell Braun et John Daszak - 'Na pivnochi, na kruchi Mykola' (Lyssenko)

Russell Braun et John Daszak - 'Na pivnochi, na kruchi Mykola' (Lyssenko)

Et la prière finale de ‘La Khovantchina’ que nous entendions encore sur la scène Bastille quelques jours avant l’agression russe s’est achevée dans un murmure tout en retenue. Mais aujourd’hui, c’est un peuple tourné vers l’avenir et vers la liberté qui est opprimé par le retour de l’ancienne Russie.

Marie-Andrée Bouchard-Lesieur - ‘Traüme’ (Richard Wagner)

Marie-Andrée Bouchard-Lesieur - ‘Traüme’ (Richard Wagner)

Ouvrant de façon plus conventionnelle sur l’intermezzo de ‘Cavalleria rusticana’ et un extrait de ‘Carmen suite’ – passage incarné par deux artistes de l’Opéra National d’Ukraine, Alexander Stoyanov et Kateryna Kukhar -, la présence centrale de Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, offrant un ‘Traüme’ chanté avec orchestre sur une scène hantée par la pénombre, permettait l’épanouissement d’une intériorité profonde, avant que l’on ne retrouva les ondoyances immatérielles de Dorothée Gilbert dans le ‘Chant du Cygne’ et la fraîcheur d’Alice Renavand et Stéphane Bullion, tournoyant d’amour sur l’adagio du concerto pour piano n°23 de Mozart. Comme un appel à l’espérance, en fait.

Alice Renavand et Stéphane Bullion - Le Parc (Preljocaj)

Alice Renavand et Stéphane Bullion - Le Parc (Preljocaj)

Liudmyla Monastyrska s’est jointe enfin au Chœur, d’abord pour interpréter un ‘Casta Diva’ dans une tonalité très intériorisée, puis pour se fondre dans la solennité du chœur des esclaves de ‘Nabucco’.

Kateryna Kukhar, Olga Dubynska et Liudmyla Monastyrska

Kateryna Kukhar, Olga Dubynska et Liudmyla Monastyrska

La soirée avait pour finalité de réunir des fonds pour le collectif Alliance urgences en Ukraine, aussi modestes qu’ils soient au vu de la situation, véritablement dans un esprit réflexif et non démonstratif.

Kateryna Kukhar, Carlo Rizzi, Ching-Lien Wu, Olga Dubynska et Liudmyla Monastyrska

Kateryna Kukhar, Carlo Rizzi, Ching-Lien Wu, Olga Dubynska et Liudmyla Monastyrska

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Publié le 10 Mars 2022

A Quiet Place (Leonard Bernstein – 1983)
Livret Stephen Wadsworth - adaptation de 2013
Création mondiale de la nouvelle orchestration pour grand orchestre
Répétition générale du 04 mars et représentation du 09 mars 2022
Palais Garnier

Dede Claudia Boyle
François Frédéric Antoun
Junior Gordon Bintner
Sam Russell Braun
Funeral director Colin Judson
Bill Régis Mengus
Susie Hélène Schneiderman
Analyst Loïc Félix
Doc Jean-Luc Ballestra
Mrs Doc Emanuela Pascu
Mourners Soprano Marianne Croux
Mourners Alto Ramya Roy
Mourners Tenor Kiup Lee
Mourners Bass Niall Anderson
Dinah Johanna Wokalek

Direction musicale Kent Nagano                                 Johanna Wokalek (Dinah)
Mise en scène Krzysztof Warlikowski (2022)
Décors, Costumes Małgorzata Szczęśniak
Lumières Felice Ross
Vidéo Kamil Polak
Collaboration artistique Claude Bardouil
Dramaturgie Miron Hakenbeck

Diffusion sur France Musique le 23 avril 2022 à 20h

L’entrée au répertoire de ‘A Quiet Place’, le dernier opéra de Leonard Bernstein, est un évènement pour l’Opéra national de Paris pour plusieurs raisons :

Claudia Boyle (Dede), Frédéric Antoun (François) et Gordon Bintner (Junior)

Claudia Boyle (Dede), Frédéric Antoun (François) et Gordon Bintner (Junior)

Premièrement, il s’agit du premier opéra d’un compositeur d’origine américaine qui soit joué sur la scène du Palais Garnier depuis son ouverture le 05 janvier 1875, et il s’agit du second opéra d’un compositeur d’origine américaine qu’ait accueilli l’institution au cours de son histoire depuis ’Porgy and Bess’ de Georg Gershwin donné sur la scène Bastille en décembre 1996 dans une production du Houston Grand Opera.

A Quiet Place (Boyle - Bintner -Nagano - Warlikowski) Opéra de Paris

Secondement, il s’agit d’une première en France. ‘A Quiet Place’ fut créé, fort à propos, au Houston Grand Opera le 17 juin 1983 dans une version en un acte, en seconde partie de son premier opéra ‘Trouble in Tahiti’ créé en 1952. 

Loïc Félix (Analyst) et Emanuela Pascu (Mrs Doc)

Loïc Félix (Analyst) et Emanuela Pascu (Mrs Doc)

Puis, Leonard Bernstein arrangea en 1984 une nouvelle version en trois actes de son opéra pour la Scala de Milan et Washington, moyennant quelques coupures et la suppression des personnages secondaires après la scène de l’enterrement, en y fondant sous forme de flash-back ‘Trouble in Tahiti’. Il l’améliora et le dirigea en 1986 à l’Opéra de Vienne. Un enregistrement de cette version est disponible aujourd’hui chez DG.

Claudia Boyle (Dede) et Danielle Gabou

Claudia Boyle (Dede) et Danielle Gabou

Kent Nagano collaborait déjà avec le compositeur à cette époque et trouvait, lui aussi, qu’une version de chambre de cet opéra correspondrait mieux à l’intimisme de la pièce. En 2013, le chef d’orchestre américain présenta au Konzerthaus de Berlin une version de chambre de ‘A Quiet Place’ orchestrée par Garth Edwin Sunderland pour 18 musiciens, qui revenait à la partition originale, sans l’insert de ‘Trouble in Tahiti’, et réintégrait les passages coupés en 1984, mais pas les personnages secondaires aux deux derniers actes. Cette version fut enregistrée pour Decca en 2018.

Et pour le Palais Garnier, Kent Nagano propose de faire découvrir au public parisien, en création mondiale, une nouvelle orchestration pour grand orchestre de cette version de 2013 afin de s’adapter aux dimensions de la salle de style Second Empire.

Colin Judson (Funeral director)

Colin Judson (Funeral director)

Enfin, troisièmement, Kent Nagano fait son grand retour sur la scène de l’Opéra national de Paris, 13 ans après avoir dirigé ‘Werther’ à l’Opéra Bastille. Il est l’un des chefs d’orchestre américains que Gerard Mortier avait pour habitude d’inviter régulièrement tout au long de son mandat de 2004 à 2009.

Hélène Schneiderman (Susie), Régis Mengus (Bill) et Claudia Boyle (Dede)

Hélène Schneiderman (Susie), Régis Mengus (Bill) et Claudia Boyle (Dede)

Et à grand chef d’orchestre grand metteur en scène, puisque c’est à Krzysztof Warlikowski qu’Alexander Neef a proposé de réaliser l’interprétation théâtrale de cet ouvrage qui traite de relations familiales abîmées, de non-dits, de la question de la bisexualité et du suicide qui éloignent cette famille des normes de bonheur bien établies de la société américaine des années 50-60.

Kent Nagano et Krzysztof Warlikowski se connaissent bien puisqu’ils ont collaboré ensemble en 2018 à Salzbourg pour la nouvelle production de ‘The Bassarids’ de Henze. Ils partagent le même goût pour les œuvres musicalement riches aux thèmes complexes, avec une véritable appétence pour la recherche et la réflexion sur leurs sens.

Johanna Wokalek (Dinah) et Gordon Bintner (Junior)

Johanna Wokalek (Dinah) et Gordon Bintner (Junior)

‘A Quiet Place’ débute par une superbe vidéographie en images de synthèse de Kamil Polak où l’on assiste aux dernières minutes de la vie de Dinah, perdue dans ses pensées au volant de son véhicule dont elle va perdre le contrôle. Malgré la violence de l’accident, le vidéaste préserve la grâce et la beauté de la victime pour faire de la mort un moment d’apaisement, comme l’évoquera Junior dans les dernières minutes de l’opéra.

La scène s’ouvre sur les funérailles qui se déroulent dans une sorte de salle de conférence aux teintes bleu-vert, une trentaine de sièges étant tournés vers la salle du Palais Garnier, un bar rose-fluo se tenant en arrière plan, avec le cercueil de Dinah disposé en position centrale.

Gordon Bintner (Junior)

Gordon Bintner (Junior)

Krzysztof Warlikowski rend extrêmement vivants tous les personnages secondaires qui animent de manière assez futile cette cérémonie. Colin Judson, le croque-mort au timbre clair et réaliste, Hélène Schneiderman, Susie pétillante aux couleurs vocales fantaisistes, Loïc Félix, psychiatre d’allure rigoriste, la somptueuse Emanuela Pascu associée à Jean-Luc Ballestra en couple Doc, et les pleureurs, installés côté cour, Marianne Croux, Ramya Roy, Kiup Lee et Niall Anderson, tous issus de l’Académie de l’Opéra.

Ce premier acte introduit, non sans violence dans les ragots que colportent cette petite communauté, la famille de Dinah. Des acteurs noirs, parmi lesquels la comédienne et chorégraphe Danielle Gabou qui tient le portrait de la victime comme pour rappeler aux invités pour qui ils sont présents, illustrent le positionnement des noirs dans cette société qui ne s’est pas encore totalement émancipée.

Gordon Bintner (Junior)

Gordon Bintner (Junior)

Kent Nagano se régale à induire dans la vivacité des interjections musicales et ses réminiscences mélodiques attendrissantes l’humanité piquante de cette grande scène sociale et chaotique qui frise l’hystérie.
Il y a même une grande similarité de texture vocale entre Frédéric Antoun (François) et Régis Mengus (Bill), dans des tons mats et austères bien que le premier soit ténor et le second baryton, et ce premier tableau révèle ceux qui étaient attachés à Dinah par un amour inabouti.

Russell Braun (Sam) et Claudia Boyle (Dede)

Russell Braun (Sam) et Claudia Boyle (Dede)

Deux chanteurs principaux présents ce soir, Claudia Boyle et Gordon Bintner, ont participé à l’enregistrement de 2018 et font, à cette occasion, leurs débuts à l’Opéra national de Paris. La soprano irlandaise est réjouissante de par son expressivité naturellement souple et sympathique qui respire l’optimisme, et de par la facilité avec laquelle elle parle en chantant avec un brillant qui fuse avec une grande netteté. 

Le baryton canadien est quant à lui absolument géant. Gordon Bintner est non seulement un immense acteur par la façon dont il s’approprie un personnage lunatique, drôle et irrévérencieux, mais aussi par sa grande largeur de voix, ferme et adaptable, et une chaleur doucereuse qui imposent un charisme éblouissant.

Gordon Bintner (Junior), Russell Braun (Sam) et Claudia Boyle (Dede)

Gordon Bintner (Junior), Russell Braun (Sam) et Claudia Boyle (Dede)

Dans le second acte, Krzysztof Warlikowski met en scène de manière très directe, côté jardin, la vie homosexuelle de Junior et sa relation en ménage par le passé avec François, tandis que côté cour, c’est l’intérieur aux couleurs vert malachite de l’appartement de ses parents qui est représenté où Sam, incarné par un Russell Braun désabusé, et Dede, cherchent à résoudre leurs problèmes en fouillant dans le passé des souvenirs de Dinah.

Claudia Boyle (Dede), Russell Braun (Sam) et Frédéric Antoun (François)

Claudia Boyle (Dede), Russell Braun (Sam) et Frédéric Antoun (François)

Comme un fantôme qui erre parmi eux, l’actrice allemande Johanna Wokalek joue avec nonchalance et mélancolie l’âme de Dinah en observant en silence comment son monde affectif réagit après sa disparition. Sa présence permet au spectateur de s’identifier aux sentiments d’un personnage disparu et de renforcer le lien émotionnel à cette histoire familiale.

Krzysztof Warlikowski et Małgorzata Szczęśniak

Krzysztof Warlikowski et Małgorzata Szczęśniak

Le troisième acte est véritablement le moment psychothérapeutique de cette histoire, et la résolution se joue à travers le jeu de tague que Krzysztof Warlikowski illustre par l’emploi d‘un revolver en plastique. Il s’agit de désamorcer les haines latentes. Malgré l’imbroglio émotionnel, le fait de voir que les liens entre le père et le fils, qui ne s’étaient plus vus pendant 20 ans, n’ont point perdu de force montre aussi ce qu’est la valeur de la vie, et en quoi il ne faut jamais perdre espoir dans les rapports humains.

Très belle idée aussi que de faire apparaître un petit garçon, Junior dans son enfance, qui regarde l’émission de Leonard Bernstein ‘Young People’s Concerts’ en 1958 à travers laquelle le compositeur explique aux téléspectateurs comment Tchaikovski réussit à transmettre ses émotions dans sa quatrième symphonie.

Kent Nagano

Kent Nagano

On comprend l’attachement de Kent Nagano à cette partition. Elle lui permet autant d’entrer dans un univers intimiste dynamisant en jouant sur la fragilité des sonorités ténues avec quelques instrumentistes, que de caresser des mélodies immédiatement tendres et harmonieuses, pour déployer aussi de grands ensembles richement orchestrés et luxuriants comme dans les grands opéras de Richard Strauss. Cet amour de magicien méticuleux pour l’orchestration est une autre dimension profonde de cette création française.

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Publié le 19 Août 2018

The Bassarids (Hans Werner Henze)
Représentation du 16 août 2018
Felsenreitschule  - Salzburger Festspiele 2018

Dionysus  Sean Panikkar
Pentheus  Russell Braun
Cadmus  Willard White
Tiresias / Calliope  Nikolai Schukoff
Captain / Adonis  Károly Szemerédy
Agave / Venus  Tanja Ariane Baumgartner
Autonoe / Proserpine  Vera-Lotte Böcker
Beroe  Anna Maria Dur
Danseuses Rosalba Guerrero Torres

Directeur musical Kent Nagano
Orchestre Wiener Philharmoniker

Mise en scène Krzysztof Warlikowski (2018)
Décors et costumes Małgorzata Szczęśniak
Lumières Felice Ross
Vidéo Denis Guéguin
Chorégraphie Claude Bardouil
Dramaturgie Christian Longchamp

Rosalba Guerrero Torres (Danseuse), Sean Panikkar (Dionysos) et Russel Braun (Penthée) - Photo Bernd Uhlig                 

The Bassarids est un opéra du compositeur allemand Hans Werner Henze (1926-2012) qui fut créé au Festival de Salzbourg le 06 août 1966 dans une traduction allemande. C’est seulement deux ans plus tard qu’il fut chanté pour la première fois en anglais, la langue originale du livret, lors de sa première aux Etats-Unis.

Œuvre majeure du XXe siècle inspirée des Bacchantes d’Euripide, elle est régulièrement reprise dans le monde entier, Milan 1968, Londres 1968 et 1974, Berlin 1986 et 2006, Cleveland & New-York 1990, Paris-Châtelet & Amsterdam 2005, Munich 2008, Rome 2015, Madrid 1999 et 2018, mais sous des altérations diverses (traduction allemande, orchestration réduite, version révisée de 1992 sans l’intermezzo).

Tanja Ariane Baumgartner (Agavé) et Vera-Lotte Böcker (Autonoé) - Photo Bernd Uhlig

Tanja Ariane Baumgartner (Agavé) et Vera-Lotte Böcker (Autonoé) - Photo Bernd Uhlig

Revenir à la version originale en anglais avec l’intermezzo et avec une orchestration opulente, comme la représente cette année le Festival de Salzbourg, permet donc d’explorer un espace sonore étendu, et de révéler sa puissance théâtrale. Pour Kent Nagano, ce n’est cependant pas une première, car il vient de diriger The Bassarids à Madrid en juin dernier avec l’Orchestre et le Chœur nationaux d’Espagne.

Le sujet, le retour à Thèbes de Dionysos, dieu vengeur obsédé par la mort atroce de sa mère, Sémélé, se confrontant à la société autoritaire et ordonnée sur laquelle règne Penthée, petit-fils du fondateur de la ville, Cadmos, et fils d’Agavé, la sœur de Sémélé qui n’avait pas cru à l’union de cette dernière avec Zeus, pourrait dans un premier temps faire écho au Roi Roger de Karol Szymanowski, mais il en diffère considérablement. La musique est bien plus complexe et brutale, et les forces destructrices en jeu bien plus extrêmes.

Russel Braun (Penthée) et Sean Panikkar (Dionysos) - Photo Bernd Uhlig

Russel Braun (Penthée) et Sean Panikkar (Dionysos) - Photo Bernd Uhlig

Krzysztof Warlikowski et Małgorzata Szczęśniak montrent cela en disposant un décor longitudinal et peu élevé en dessous des arcades du Felsenreitschule, qu’ils divisent en trois parties.

A gauche, la tombe de Sémélé et les lieux de culte où se retrouve le peuple thébain. Au centre une pièce du Palais Royal. A droite, une pièce plus intime où les désirs s’expriment et l’humain s’y déshabille.

Dionysos arrive par une des arcades latérales, dominant la scène, accompagné d’une ménade fortement érotisée.

Dans ce cadre écrasé, l’oppression des thébains est montrée par l’arrivée du chœur face à la scène, comme des spectateurs, mais qui se font chasser par des policiers lorsqu’ils montrent leur attirance pour le nouveau culte de Dionysos.

Tanja Ariane Baumgartner (Agavé) - Photo Bernd Uhlig

Tanja Ariane Baumgartner (Agavé) - Photo Bernd Uhlig

Le vieux roi Cadmos ne peut trouver en Willard White qu’un interprète émouvant, humain, un timbre sombre et dilué, des attaques fauves, ce chanteur / acteur touchant en est au moins à sa septième collaboration avec Krzysztof Warlikowski. Il est d’ailleurs le seul personnage représenté simplement sur scène, le moins fou de tous probablement, mais physiquement diminué et impuissant.

Russell Braun, qui interprétait également le rôle de Penthée à Rome en 2015, préserve une forme d’innocence aussi bien par sa façon si naturelle de jouer que par la clarté vaillante du timbre qui supporte solidement les tensions de la partition. On croirait entendre un adolescent encore jeune pour le pouvoir, enfant gâté qui se connait mal et se croit capable de résister indéfiniment à la jouissance sexuelle qui est à la base de l’humanité.

Quant à son costume beige aux motifs naïfs, il suggère une envie pacifique de découvrir une autre communauté, de trouver son identité.  Il est le personnage le plus tourné en dérision avec celui de Tiresias que Nikolai Schukoff, chargé d’exclamations à cœur ouvert, rend entièrement sympathique. Et Károly Szemerédy est un très étrange capitaine, plein d’aplomb mais également animé par une légèreté insidieuse.

Tiresias (Nikolai Schukoff), Tanja Ariane Baumgartner (Agavé), Willard White (Cadmos) - Photo Bernd Uhlig

Tiresias (Nikolai Schukoff), Tanja Ariane Baumgartner (Agavé), Willard White (Cadmos) - Photo Bernd Uhlig

Sean Panikkar, qui participait aux représentations des Bassarids à Madrid avec Nikolai Schukoff, est véritablement celui qui est dans la plénitude de son épanouissement vocal. Son rayonnement puissant s’accompagne d’une netteté de phrasé parfaite, et son personnage cultive l’ambiguïté en montrant une face mystérieuse qui peut soudainement s’affirmer et devenir subtilement menaçante, ou bien découvrir une apparence bienveillante.

Dramatique et hystérique Tanja Ariane Baumgartner en Agavé, tempérament plus aiguisé pour l’Autonoé de Vera-Lotte Böcker, impulsivité d’Anna Maria Dur, les rôles féminins se distinguent par la manière dont ils s’emparent de l’excessivité du jeu voulue par le metteur en scène.

Russel Braun (Penthée) et Sean Panikkar (Dionysos)

Russel Braun (Penthée) et Sean Panikkar (Dionysos)

Mais si d’aucun faisait remarquer que, dans les grandes maisons de répertoires, Krzysztof Warlikowski donne parfois l’impression d’éviter les expressions scéniques excessives, en revanche, The Bassarids entrent en concordance parfaite avec l’univers du metteur en scène, son déchaînement viscéral, sa culture littéraire antique, si bien que l’on ne sait plus si c’est la musique qui transcende son approche théâtrale, ou bien si c’est son geste expressif qui donne un sens fort au drame orchestral.

Cette osmose atteint son climax dans la scène de transe extatique des Bassarides, où le désir sexuel féminin frénétique est à la source de la fureur meurtrière qui va s’en suivre. Les éclairages ondoyants (Felice Ross) sur les corps excités font ressentir la fascination à l’approche de l’enfer, mais auparavant, et tout au long du drame, la danseuse Rosalba Guerrero Torres incarne par le dévoilement de son corps et sa souplesse esthétique la tentation qui enserre l’appel de Dionysos.

Małgorzata Szczęśniak, Krzysztof Warlikowski et Sean Panikkar

Małgorzata Szczęśniak, Krzysztof Warlikowski et Sean Panikkar

Précédemment aux ardeurs de la scène du Mont Cithéron, l’intermezzo annonce à travers le jugement de Calliope comment ce désir féminin peut devenir destructeur. La scène est jouée dans la chambre située à droite, et sa projection vidéo est déroulée à gauche où l’on voit Dionysos apprendre à Penthée la puissance de cette aspiration. C’est intelligemment mis en scène, ce qui permet à chacun de suivre le déroulement du jeu. Mais l’ajout de figurants mimant des chiens asservis fait surtout sourire et distrait de l’enjeu réel de ce tableau un peu long.

La scène finale, qui évoque tant Salomé avec cette tête coupée dans les mains d’Agavé suivie par les restes du corps de Panthée, n’est pas présentée comme une apothéose, mais comme un résultat navrant que Dionysos finit par incendier à coup de bidons d’essence.

Ainsi, deux désirs monstrueux se résolvent, celui d'Agavé pour la tête de son fils, et celui de Dionysos pour sa mère fantasmée, deux forces sous-jacentes qui se révèlent à la toute fin.

Anna Maria Dur, Nikolai Schukoff, Kent Nagano, Tanja Ariane Baumgartner

Anna Maria Dur, Nikolai Schukoff, Kent Nagano, Tanja Ariane Baumgartner

Et l'on pense beaucoup à Richard Strauss au cours de cette représentation, car Kent Nagano joue admirablement des tensions violemment théâtrales de la musique, tout en lui vouant un lustre sonore caressant éblouissant. Les percussions sont situées en hauteur à droite de la scène, l’immersion orchestrale est somptueuse, et l’on peut suivre en permanence le chef diriger les solistes, les phalanges de musiciens, les envolées lyriques des chœurs qu’il mime d’un geste panaché fulgurant, un immense travail qui valorise les strates harmoniques, les murmures inquiétants et les effets foudroyants.

Chœur qui magnifie une écriture vocale respirant en phase avec les ondes orchestrales, Wiener Philharmoniker luxueux, cette expérience musicale et théâtrale aboutie qui nous plonge au cœur des névroses humaines, renvoie en même temps une énergie sensuelle qu’il faut prendre telle quelle au-delà de ce que le texte exprime.

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Publié le 1 Octobre 2013

Tristan und Isolde (Richard Wagner)
Représentation du 29 septembre 2013
Vlaamse Opera Antwerpen

Isolde Lioba Braun
Tristan Franco Farina
Le Roi Marke Ante Jerkunica
Brangäne Martina Dike
Kurwenal Martin Gantner
Melot Christophe Lemmings
Un jeune marin / un berger Stephan Adriaens
Un pilote Simon Schmidt

Mise en scène Stef Lernous
Direction musicale Dmitri Jurowski
Orchestre et Choeurs du Vlaamse Opera

 

                                                                                                           Lioba Braun (Isolde)

Parfois, il arrive qu’une affiche ne présentant que des célébrités, comme celle de l’Opéra de Munich qui comprenait, en mars dernier, les noms de Meier, Lang, Dean Smith, Nagano, ne soit pas suivie d’une interprétation artistiquement captivante, et sombre dans une routine approximative.

Mais il arrive également qu’une distribution construite sur un ensemble de très bons chanteurs, qui ne soient pas pour autant starisés, réussisse à extraire d’un spectacle une âme qui vous prenne et vous touche en vous rendant heureux d’être là à les entendre.
Et c’est-ce qu’il vient de se produire au Vlaamse Opera d’Anvers avec la nouvelle production de Tristan et Isolde présentée en ouverture de saison.

Stephan Adriaens (Un jeune marin)

Stephan Adriaens (Un jeune marin)

Le metteur en scène Stef Lernous, mieux connu pour être le directeur artistique de l’Abattoir fermé, un théâtre tourné vers les mondes situés en marge de la société, a en effet construit un thriller qui s’appuie sur des éléments d’actions et de lieux qui ne sont généralement pas évoqués, et qu’il transpose dans un univers glauque contemporain.

Le premier acte se déroule à la sortie d’un cinéma, lors de la dernière représentation du soir, devant lequel le corps d’un homme assassiné, le Morold, git sur le sol. Les badauds sont présents, les représentants de l’ordre également, mais Isolde et Brangäne, désemparées, ne dénoncent cependant pas celui qui en est l’auteur, Tristan.

La confrontation entre les deux protagonistes qui s’aiment sans le reconnaître se déroule à l’avant-scène avec une lisibilité naturelle.

Martina Dike (Brangäne) et Lioba Braun (Isolde)

Martina Dike (Brangäne) et Lioba Braun (Isolde)

Dans la seconde partie, les deux amants se retrouvent dans une sorte de vestiaire délabré, un lieu volontairement sale et sordide, dont le visuel rebute et s‘oppose à la plénitude de la musique.
Sur un écran, apparaissent furtivement les regards espions de Marke et Melot, alors que Brangäne met en garde les amants de la traque dont ils sont l’objet.
L’arrivée de Marke en sorte de chef d’organisation criminelle, escorté par des écuyères raides dans leurs bottes et porteuses d’un sceau chevaleresque sur la poitrine, tourne au règlement de compte.

Il s’agit, ici, d’une vision moderne de la transgression des règles dont est coupable Tristan, habillé de vieux vêtements usés.
Le plus extraordinaire, dans cette scène, est que la déliquescence contenue dans la musique de Wagner en renforce le sentiment de décrépitude. Le meurtre de Tristan par Melot, un voyou zélé, a ainsi quelque chose de très réaliste.

Lioba Braun (Isolde) et Franco Farina (Tristan)

Lioba Braun (Isolde) et Franco Farina (Tristan)

Il faut alors un certain temps pour comprendre pourquoi nous nous retrouvons, au dernier acte, dans un restaurant de luxe situé sur les escarpements d’une montagne qui fait penser à la Montagne Magique de Thomas Mann. Cette description fantastique du château de Kurwenal et de ses clients sans âme qui filment l’agonie de Tristan semble être une manière décalée de représenter le monde réel tel que, blessé à mort, il le perçoit.
C’est en tout cas étrange, comme ce gouffre rougeoyant vers lequel se dirige le couple à la fin du Liebestod.

Mais cette conception aurait-elle pu être aussi captivante et sublimer nombre de passages simplement humains, si la direction et l’interprétation musicales n’avaient été aussi fortes et prenantes?
L’Opéra d’Anvers est d’une taille modeste, et ses loges en bois lui donnent un charme british chaleureux et intime, si bien que l’ampleur d’une œuvre comme Tristan & Isolde apparaît bien importante pour un tel lieu.

Lioba Braun (Isolde) et Franco Farina (Tristan)

Lioba Braun (Isolde) et Franco Farina (Tristan)

Seulement, la direction musicale de Dmitri Jurowski est une merveille à la fois de dynamisme, de brillance et d’épaisseur. Les écoulements fluides des cordes et les contrastes des bois lui donnent du corps et du mouvement et, par conséquent, une réalité palpable, changeante avec tous les motifs frémissants et une vie inaltérable.

Ce Tristan profond et terrestre, et qui laisse de côté les évanescences immatérielles, fond l’action scénique en quelque chose qui unit le drame et les chanteurs dans un tout artistiquement magnifique et émouvant.

Parmi ces chanteurs, Franco Farina est une énigme. Ce ténor avait fait les beaux jours des années Gall à l’Opéra de Paris dans les années 90, interprétant des rôles majeurs ou secondaires du répertoire italien, Macduff (Macbeth), Foresto (Attila), Caravadossi (Tosca) ou Calaf (Turandot) sans éclat particulier, mais, avec un grain dans la voix que, personnellement, je n’avais pas oublié.
Et depuis, plus rien. Puis, pour la première fois depuis une décennie, son nom réapparait soudainement en tête d’un des rôles les plus écrasants de l’histoire lyrique, ce qui ne peut qu’engendrer interrogations.

Une garde et Christophe Lemmings (Melot)

Une garde et Christophe Lemmings (Melot)

Alors, sans arriver à expliquer quoi que ce soit, l’interprétation de Tristan qu’il vient de faire à Anvers a de quoi marquer. Son timbre n’a rien de séducteur, certes, mais la solidité du chant, sombre et homogène, est sans faille, et le legato est suffisamment travaillé pour en adoucir l’expressivité.
Et même dans les moments les plus désespérés, il ne cherche pas à forcer l’affectation, ce qui, d’ailleurs, ne détériorerait pas ses expressions quand la souffrance se fait extrême.
Cette impression de chant naturel, sans signe d’essoufflements tout au long du drame, à part, peut être, dans le final du Ier acte, est quand même quelque chose d’assez rare pour ne pas le reconnaître.

Martin Gantner (Kurwenald)

Martin Gantner (Kurwenald)

Et on pourrait dire la même chose de tous ses partenaires, Lioba Braun en premier. Son Isolde a un timbre assez similaire à celui de Waltraud Meier, plus soyeux et harmonieux et aussi un peu plus fragile. Mais son jeu scénique, plus économe, ne lui donne pas le même charisme. Hormis cette réserve, son personnage est passionné, d’un très haut niveau dramatique, d’une surprenante naïveté après l’absorption du filtre d’amour, avec un petit côté « bourgeoise » sans doute du à la mise en scène.

Elle est en permanence soutenue par sa partenaire, Martina Dike, qui compose une Brangäne de grande classe, presque trop incendiaire dans ce théâtre trop petit pour elle. Elle a une manière d’être extrêmement touchante car elle est dans un état d’esprit constamment compassionnel, d’une dignité sans faille, et sa clarté la rapproche fortement d’Isolde.

Lioba Braun (Isolde) et Franco Farina (Tristan)

Lioba Braun (Isolde) et Franco Farina (Tristan)

Et l’on retrouve cette même solidité chez Ante Jerkunica, le Roi Marke, et Martin Gantner, Kurwenal. Le premier ne cède jamais au pathétique pour tenir son personnage sur une ligne autoritaire qui a du charme, et le second, vêtu aussi sobrement que Tristan, impose un personnage fraternel, fortement présent, d’une stature qui lui est égale.

Et dans les rôles plus secondaires, Christophe Lemmings joue un Melot terriblement crapuleux, à l’opposé de Stephan Adriaens, tendre et léger marin.

Nul doute que l’esthétique de ce spectacle puisse déplaire, mais la dramaturgie et l’interprétation musicale sont, elles, une surprenante réussite.

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Publié le 16 Novembre 2008

La Flûte Enchantée (Mozart)
Répétition générale du 15 novembre 2008 (Bastille)

Mise en scène La Fura dels Baus
Direction musicale Thomas Hengelbrock

Tamino Shawn Mathey
Pamina     Maria Bengtsson
Papageno Russell Braun
Sarastro Kristinn Sigmundsson
Monostatos Markus Brutscher
Königin der Nacht Erika Miklosa
Der Sprecher José Van Dam
Erste Dame Iwona Sobotka
Zweite Dame Katija Dragojevic
Dritte Dame Cornelia Oncioiu

La coïncidence est assez extraordinaire pour être relevée : au moment même où Gerard Mortier annonce dans le journal El Païs son intérêt pour prendre la direction du Teatro Real de Madrid (l'aventure avec le New York City Opera ayant viré à la débacle comme le rapporte le NewYorkTimes), la coproduction avec ce théâtre de Die Zauberflöte fait son retour à l’Opéra Bastille.

D’abord montée dans l’ancien bassin minier de Bochum en 2003 pour le festival de la Ruhr Triennale, et diffusée sur Arte la même année, cette version déjantée du chef d’œuvre de Mozart revu par La Fura dels Baus fût fraîchement accueillie en 2005 à Paris.

Le plus polémique résidait dans la substitution des récitatifs de Schikaneder par un poème catalan de Rafael Argullol récité en français (se reporter à la fin de l'article).
Le texte jouait sur l' identification du serpent qui poursuit Tamino, au monstre présent en chaque spectateur.
Le scandale était donc assuré car tout le monde n‘accepte pas ce genre d‘effet miroir.

De plus, ce poème était construit à partir des éléments présents dans le livret mais restituait un sens nouveau. C'était une manière d'éliminer toute interprétation maçonnique.

Russell Braun (Papageno)

Russell Braun (Papageno)

Pour cette reprise, le texte original a donc été rétabli en bonne partie. Cela recentre l’histoire sur l’homme instinctif métamorphosé afin de passer avec sagesse les épreuves lui permettant de conquérir celle qu’il aime.

Loin d’être une version classique, celle de La Fura dels Baus est bariolée de loufoqueries et d’effets vidéos, bien que l’omniprésence des matelas et du bruit de fond scénique puisse lasser.

Visuellement les images sont souvent très fortes et d’une pertinence illustrative passionnante : le jeu d’échec pour les épreuves de Sarastro, le supplice des épées auquel succombe le prêtre dans le pardon, ou bien encore Tamino en Chrysalide.

L’environnement étoilé et en perpétuel mouvement de la Reine de la Nuit est également d’une force impressive enchanteresse.

Erika Miklosa (La Reine de la Nuit)

Erika Miklosa (La Reine de la Nuit)

Alors, dans cet univers fantaisiste et libéré des conventions, Russell Braun devient un Papageno-Drag Queen admirable dans la manière de s’approprier un savoir être de starlette.
Son chant n’est pas d’une ampleur phénoménale mais ne verse pas dans la lourdeur.

Très comique, Markus Brutscher ne fait pas trop dans la séduction pour Monostatos et l’on regrettera peut être que le Sarastro de Kristinn Sigmundsson soit aussi sévère et dénué de cette tendresse mélancolique qui en fait sa grandeur.

C'est avec joie et un brillant succès qu'Erika Miklosa s'offre une Reine de la Nuit aux vocalises impeccables et toujours aussi vénéneuse. Ce grand manteau étoilé et la luminosité de ses attributs féminins sont une des plus belles idées imaginées par la Fura del Baus pour traduire une nature provocatrice des instincts humains.

Absolument charmante, Maria Bengtsson est en plus une très belle voix, presque dramatique, qui rend touchante sa Pamina, ensuite c’est à chacun d’apprécier si le Tamino scéniquement un peu ballot de Shawn Mathey peut expliquer la fascination des trois Dames pour lui.

D’ailleurs, la seconde dame de Katija Dragojevic, pleine de rondeurs vocales mériterait d’être entendue à part.

Moins pétaradant que Marc Minkowski, Thomas Hengelbrock choisit une lecture plus fine et adaptée aux voix, mais peut être va t-il tenter au fil des représentations de donner un peu plus d’énergie dans les moments où tout s’emballe sur scène.

Maria Bengtsson (Pamina)

Maria Bengtsson (Pamina)

Ci dessous, le poème catalan traduit en français et utilisé par la Fura dels Baus à la place des récitatifs originaux dans la version 2003 et 2005 de La Flûte Enchantée.

Die Zauberflöte

Texte de Rafael Argullol

Regarde, voila qu’ils passent, le prince et le bouffon.
A moins que ce ne soit l’inverse, le bouffon et le prince,
la raison et la pulsion.
Ont-ils inversé leurs vies ?
L’avenir et le passé.
La terre consumée et cette autre terre qui n’existe pas encore.
L’oiseau et le reptile, le plongeon et le vol,
les désirs conquis, les espoirs perdus,
la richesse du sauvage, la nudité du roi.
Regarde, les voila qui passent, ils se connaissent depuis toujours,
mais ils ne s’identifient pas aisément.

Qui pense trop, rêve.
Qui parle trop, ment.
Qui boit d’un trait le nectar de la vie, s’étrangle.
Vite… Voici venu le temps de la lenteur,
maîtresse du bonheur et du plaisir.

Que de bons sentiments éveille une image,
un portrait doux et innocent.
La peau sans la chair n’est qu’harmonie
et promesse n’est que nostalgie de l’âge d’or,
comme les anciennes photos de famille.
Mais donnons de la chair à cette peau,
Donnons de la temporalité à la silhouette, de la mémoire à l’instant,
et les pulsions sautilleront de-ci, de-la,
emplissant tous les pores, traquant le plaisir,
sans jamais se laisser dompter par les promesses,
les nostalgies, ou par les bons sentiments.
Mais le portrait, la belle image, réapparaîtra peut-être dans l’eau croupie du puits.
Les repoussants insectes de l’abîme nous annoncent peut-être les étoiles.

Voilà l’histoire.
Là-bas, sur la place, un vieillard charmait un serpent avec sa flûte.
Mais un jour, distrait par le joli sourire d’une jeune fille
qui passait sur le marché, il laissa la flûte et le serpent se charmer
mutuellement, respectivement par la musique et par la danse.
Ils se fondirent si fort l’un en l’autre que le vieillard commença à confondre
la mélodie de l’envoûtement et le balancement hypnotique,
la langue fourchue et le chant doré, le bâton du sage et le serpentin,
le phallus et la fange, la révolte que nous nions
et le miracle que nous appelons de nos vœux à chaque instant.

Regarde toi dans le plus profond des miroirs :
le diable c’est celui là. Le bouffon, c’est celui-ci.
Le brigand, le violeur a ce visage affreux.
Le clown est cet histrion gesticulant.
Le lubrique, c’est celui là, et celui-ci, malheur à lui, est aussi le sot.
Il est niais, l’imbécile, aussi naïf qu’un enfant.
Brise rapidement ton verre avant qu’il ne te renvoie ton image.

Soit courageux et regarde.
D’autres yeux t’attendent au cœur du labyrinthe.
Et bien que le chemin ne soit pas simple à trouver,
bien que le plus facile soit toujours le renoncement,
celui qui entrera dans le labyrinthe trouvera un autre regard.
Il trouvera le désir, le plaisir ainsi que la porte
qui lui permettra de quitter le labyrinthe.

Il te plaît, spectateur, de n’être que spectateur.
caché derrière ta rétine, tapi derrière ton ouïe,
immunisé contre les bactéries qui, à chaque seconde,
agressent l’organisme, immunisé contre les crimes,
protégé contre la contagion, de la chair, du souvenir,
et du sang d’encre des noirs pressentiments.
Mais toi, contemplateur ébahi de ce monde,
ce soir spectateur, tu ne seras pas que cela.
Tu descendras dans l’arène pour te présenter au monstre,
à ce monstre à mille têtes, qui a grandi dans tes entrailles,
nourri par les années, les doutes, les angoisses, et les désirs.
Ce monstre, tu voudrais le nier, mais sache, spectateur, qu’il est l’essence
de ce que tu portes de meilleur et de plus authentique :
un amant qui jamais plus ne te rendra ta liberté.

Je parle de toi, cher spectateur.
Te souviens-tu du temps où de larges allées s’ouvraient à toi
et où tu te contentais d’impasses ?
Te souviens-tu quand tu allais, de nuit, ramasser des rêves
que tu laissais ensuite tomber dans les fossés ?
Penses à ces sentiments qui jamais n’osèrent devenir pensées,
et à ces pensées qui jamais ne furent mises en paroles…
Pense à ces paroles que désavouent tes actes.
Ce n’est pas la voix des autres qui tisse l’intrigue.
La représentation t’appartient.

Aux cris, réponds par le mutisme,
à l’ivresse, par la lenteur et le silence.
Ecarte lentement et sans bruit le voile de ce monde,
et tire la leçon de chaque instant.
Le cœur soulagé, mets-toi en chemin,
en te disant qu’il n’existe ni carte ni potion magique,
ni guide auquel tu pourrais te fier.
Méprise ce qu’on cherche à t’imposer.
Humblement étudie les livres que le chemin t’accordera de découvrir.
Pense que le vrai pouvoir git dans la gamelle du mendiant.

Un cosmos sans enfer, une planète sans menace, un pays sans frontière,
une ville sans violence, une rue sans vacarme, une maison sans murs,
une pensée sans dogme, un homme qui se tait.

L’éclair nous semble une égratignure dans le ciel,
et le tonnerre nous parait lointain.
La vie est ailleurs, comme notre pays, comme la conscience,
comme le désir.
Le ciel suscite en nous la nostalgie de l’enfer.
La passion nous inspire un besoin de calme, mais à la fin d’une
trop paisible soirée, nous voilà désireux d’une nuit riche en sensations.

Le contemplateur s’effraie devant l’éblouissement du plaisir.
Mais pour l’aveugle c’est une lumière infinie, un feu chaleureux et tendre,
Un regard de lave, une langue brûlante, des lèvres qui embrassent,
sous les décombres du quotidien, la peau pillée à coups de couteau,
le poitrail qui abat les murailles pour mieux recevoir la colère de son
dernier ennemi.
Un autel de sacrifice, jonché de braise, orné de l’incomparable gravité
de la cendre.
Aucun être capable de désir n’échangera un tel feu contre l’océan.

Même face au poignard le plus glacial ne te tourne jamais vers la mort
mais regarde la vie. Plante les plus beaux regards dans ton cerveau,
injecte l’arc-en-ciel dans la texture de tes nerfs, tatoue tes entrailles avec
des ailes de papillon.
Ce sera ton blanc-seing contre les ténèbres.

Voyageur, dans ta poche tu possèdes la carte du trésor mais, paresseux et
angoissé tu ne la déplies pas.
Arrête-toi, voyageur, et pour un jour seulement, délaisse l’âme que tu as
bradée pour quelques broutilles. Délaisse la valeur de l’argent si ardemment
célébré.
Délaisse la télévision poisseuse et ses coulisses et ses sables mouvants.
Délaisse la démagogie des beaux parleurs.
Délaisse les champs de bataille du capitalisme extrême de la frénésie du
rendement et cette poupée de chiffons au visage sans cesse remodelé.

Arrête-toi, sors de la sarabande chancelante. Tais-toi, fuis les cris.
Tant qu’il y aura du vacarme, tout sera sans dessus dessous, le temps,
l’amitié, la beauté.
Nous souhaitons retenir la mer entre nos doigts, puis nous regrettons
notre erreur.
Quand le bruit s’interrompt, nous voyons plus loin,
nous nos approprions les heures et nous nous abandonnons aux sens.

« Je déplie la carte mais elle est vierge ». Regarde bien.  « Je ne vois aucun pays ».
Concentre-toi. « Je ne vois aucune ville ». Sois patient. « Je ne vois aucun chemin ».
Attends d’être dans le labyrinthe.

Au-delà de l’orage, un arc-en-ciel. A la chrysalide difforme succède le joli papillon.
Quand la solitude nous tue, le regard de feu sait nous ramener à la vie.

Vous me tuez, ou vous croyez me tuer, chaque homme, chaque génération,
Dans vos rêves, dans vos cauchemars, ou dans ce que vous appelez en vous
gargarisant votre réalité.
Mais moi, le serpent à chaque génération et pour chaque homme je revis
dans les blessures, dans les moqueries, dans la sarabandes des heures,
ou en secret, parce que je suis votre espace vital, parce que je suis votre temps,
parce que je vis dans vos passions, parce que je m’insinue dans vos pensées
et que je contemple le joyeux chaos de vos cellules et la soi-disant harmonie
de vos constellations.
Vous me tuez, ou vous croyez me tuer.
Mais je suis aux aguets, je m’immisce dans vos recoins les plus secrets,
Je me love autour de vos mystères, je me nourris de beauté et je fais ma mue
au détour d’un sentier pour que vous puissiez continuer de rêver encore.

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