Publié le 13 Août 2023
Don Giovanni (Wolfgang Amadé Mozart – 29 octobre 1787, Prague)
Représentation du 10 août 2023
Soirées lyriques de Sanxay
Don Giovanni Florian Sempey
Leporello Adrian Sampetrean
Donna Elvira Andreea Soare
Donna Anna Klara Kolonits
Don Ottavio Granit Musliu
Zerlina Charlotte Bonnet
Masetto et Le Commandeur Adrien Mathonat
Direction musicale Marc Leroy-Calatayud
Mise en scène Jean-Christophe Mast (2023)
Granit Musliu (Don Ottavio)
Après ‘La Flûte enchantée’ qui fut monté pour la première fois sur la scène du théâtre antique de Sanxay en août 2017, un second opéra de Mozart fait son entrée au répertoire des Soirées Lyriques de Sanxay, festival dominé jusqu’à présent par Verdi et Puccini qui ont occupé les 2/3 des représentations depuis l’an 2000.
‘Don Giovanni’ devient ainsi le 14e ouvrage lyrique à être proposé au public de la région Aquitaine, et le défi est grand ce soir à représenter en plein air cet ouvrage qui fut créé à Prague dans une salle d’un millier de places seulement, le Théâtre des États, et que les Chorégies d’Orange n’ont abordé pour la première fois qu’en 1996.
Pourtant, au déroulé de cette première représentation rien n’y paraît, bien au contraire, l’absorption des spectateurs par l’action scénique étant fortement palpable.
L’ouverture instrumentale permet de saisir d’emblée comment la musique de Mozart va sonner, et Marc Leroy-Calatayud induit un intimisme crépusculaire dont la fluidité du discours sera une constante tout au long du spectacle.
Des mouvements soyeux viennent alors charmer l’oreille.
Dans cette optique, la théâtralité est portée par la mise en scène et les artistes, et l’orchestre vient assouplir ce geste théâtral et lui donner une poétique qui bénéficie au magnétisme des chanteurs.
L’emploi d’un piano à la place du clavecin ajoute par ailleurs une rondeur cristalline et chaleureuse aux récitatifs.
Le dispositif scénique évoque entièrement les ténèbres, flanqué de deux pylônes noirs et d’un autel central qui servira de chambre ou d’alcôve mortuaire lors de la scène du cimetière.
Deux portes simples, surmontées toutes deux d’une ornementation en forme de cornes, permettent les entrées des protagonistes côté cour et côté jardin, et les éclairages allègent la noirceur des décors en leur donnant une teinte gris anthracite.
Jean-Christophe Mast habille de rouge le héros principal qui évoque ainsi le désir, le sang et donc la violence et la vie, ce qui le démarque de tous ses opposants, y compris son valet, habillés de noir pour les plus nobles jusqu’au gris clair pour le peuple paysan, tous les costumes étant somptueusement dessinés.
Un jeu d’acteur vif, dynamique et très sensible avec les personnages féminins donne beaucoup d’entrain aux situations sans verser dans la farce excessive, le spectateur ayant bien conscience d’assister à un drame que l’humour vient seulement alléger sans prendre le dessus pour autant. Une petite touche de fantaisie viendra même illuminer la scène champêtre au cours de laquelle des ballons de fête selon lâchés dans le ciel nocturne.
Et par bonheur, l’ensemble de la distribution sert excellemment l’ouvrage en offrant au public une musicalité très homogène et un chant affiné et coloré.
Après avoir assuré à Sanxay plusieurs rôles secondaires il y a une dizaine d’années, Florian Sempey se voit confier pour la troisième année consécutive un rôle de premier plan.
Il y eut Escamillo dans ‘Carmen’ en 2021, Figaro dans ‘Le Barbier de Séville’ en 2022, dorénavant c’est à une nouvelle prise de rôle qu’il se confronte, et son Don Giovanni lui va comme un gant.
Vivacité vocale, noirceur de timbre naturellement fumé qu’il manie avec un impact d’une grande justesse, aucun effet trop appuyé, toutes ces qualités servent une aisance dont il imprègne ce personnage insaisissable, mais pourtant familier. Dans une mise en scène qui vise à faire circuler des flux d’acteurs/chanteurs dans un empressement vivifiant, sa prestance est maîtresse des lieux.
A ses côtés, Adrian Sampetrean fait montre de la même ardeur et dépeint un portrait élégant et très expressif, toujours un peu imprévisible, de Leporello. Son air du catalogue chanté devant un immense drapé représentant les différents pays européens brille par son agilité et son assurance.
Et les trois dames se distinguent par des profils vocaux et psychologiques bien distincts.
La Donna Anna de Klara Kolonits a le timbre qui exprime le plus la maturité, voir un certain maternalisme, avec des effets corsés alliés à un filage des aigus très aisé.
Arrivant dans une charmante chaise à porteur, moyen de déplacement couramment utilisé par l’aristocratie en Espagne et même dans toute l’Europe au XVIIe siècle, Andreea Soare donne beaucoup de pénétrance à Donna Elvira, une subtilité que l’on retrouve autant dans la finesse des lignes vocales que les coloris des graves.
Par ailleurs, son riche costume et son chapeau décoré d’une plume lui donnent une allure qui la place au même niveau que son séducteur de mari, ce qui traduit également une grande bienveillance générale de la part du metteur en scène vis-à-vis de tous les personnages du drame.
Et Charlotte Bonnet, qui fit ses débuts très appréciés à Sanxay en Frasquita (Carmen) en 2021, puis à l’opéra Bastille en Noémie (Cendrillon) en 2022, apporte une vitalité très naturelle à Zerlina avec une harmonieuse unité de la voix et aussi une plénitude de rayonnement fort enjôleuse.
Elle semble dans un réel rapport de séduction avec le public, et son léger empressement dans la reprise de ‘Batti, Batti, o bel Masetto’ permettra d’apprécier la dextérité de Marc Leroy-Calatayud à réaligner l’orchestre tout en assurant la continuité musicale.
Elle est de plus associée au Masetto d’Adrien Mathonat, nouvel entrant à l’Académie de l’Opéra de Paris en septembre dernier qui fera fort impression deux mois plus tard lors du spectacle ‘Nocturne vidéo-en-chantée’ de Denis Guéguin (le vidéaste de Krzysztof Warlikowski) donné à l’amphithéâtre Bastille, doué d’une magnifique souplesse de timbre mais aussi d’une profonde noirceur qui le rapproche beaucoup plus de la stature du commandeur qu’il incarne également ce soir.
Ce chanteur est à suivre absolument dans les années à venir.
Enfin, Granit Musliu donne du style et suffisamment d’épaisseur à Don Ottavio pour lui éviter l’effacement qui lui est souvent attribué.
Et rappelons le, tous ces artistes sont liés par une cohésion musicale et de manière d’être qui fait la valeur de cette représentation qui s’achève sur une impressionnante image d’une statue de commandeur évoquant la mort, suivie par la morale finale qui permet à chaque artiste de saluer le public alors que Don Giovanni réapparaît fugacement pour ordonner à Leporello de le suivre, signe que son emprise reste intacte.
Pari hautement remporté pour les Soirées Lyriques de Sanxay, auxquelles l’on souhaite que les représentants politiques qui financent ce festival absolument unique de par le lieu champêtre où il se déroule mesurent bien sa portée artistique et sociale.