Histoire de l'Opéra, vie culturelle parisienne et ailleurs, et évènements astronomiques. Comptes rendus de spectacles de l'Opéra National de Paris, de théâtres parisiens (Châtelet, Champs Élysées, Odéon ...), des opéras en province (Rouen, Strasbourg, Lyon ...) et à l'étranger (Belgique, Hollande, Allemagne, Espagne, Angleterre...).
Tannhäuser (Richard Wagner) Représentation du 13 janvier 2013 OpernHaus Zürich
Tannhäuser Peter Seiffert Elisabeth Anja Harteros Venus Vesselina Kasarova Wolfram Michael Nagy Hermann Jan-Hendrik Rootering Walther Fabio Trümpy Biterolf Erik Anstine
Direction Musicale Marc Albrecht Mise en scène Harry Kupfer (2011)
Peter Seiffert (Tannhäuser)
En transposant la légende de Tannhäuser dans le monde de la haute société fréquentant les greens de golf et les réceptions dans les Grands hôtels particuliers, Harry Kupfer a sans doute voulu séduire une bonne partie du public zurichois. Cependant, il élimine tant de la symbolique de l’œuvre, que d’aucun en phase avec la musique ne peut sincèrement y trouver la moindre inspiration intellectuelle et profonde.
La scène du Vénusberg mêlant rite païen et érotisme de fines dentelles, sous le regard d’ecclésiastiques dissimulés, semble montrer une volonté d’y impliquer l’institution cléricale, mais rien ne sortira de plus de ces images. En fait, seule la superbe chorégraphie hédonisme d’un des danseurs, au corps parfait, avec une des créatures de cet univers libertin laisse une impression furtivement fascinante.
Le modernisme de façade, avec cette idée lumineuse de substituer une guitare électrique à la harpe, et le peu de consistance donnée à l’interprétation psychologique des caractères, ne font ainsi que transformer un tel opéra en divertissement de luxe.
Vesselina Kasarova (Vénus)
Heureusement, l’interprétation musicale a de la force et une intensité à laquelle les chanteurs se livrent à cœur perdu, dans une salle où l’acoustique trop peu réverbérée ne permet pas aux voix d’y trouver une forme de dissipation plus aérée.
Vesselina Kasarova n’est pas, à priori, une interprète habituelle de Wagner, pourtant, Vénus prend des traits méphistophéliques et une assurance dominatrice sur Tannhäuser qui peut faire penser à la puissante Lady Macbeth de Verdi. Elle détient une richesse de couleurs, de noirceurs appuyées même, qui lui donne un caractère déterminé et exempt de toute sensualité languissante, laissant à part le mystère de sa propre féminité.
Anja Harteros (Elisabeth)
Anja Harteros en est le contraire, campée dans le rôle d’une femme compassionnelle et tournée vers la condition de l’autre, une ligne aristocratique qui se prolonge par la manière de glisser d’une tessiture à l’autre, de laisser filer des sons mystérieusement éthérés, et de canaliser avec aplomb la force d’aigus beaux et effilés.
Dans une conception qui en fait un musicien de rock, Peter Seiffert n’est pas scéniquement mis en valeur. Toute son interprétation repose ainsi sur son impressionnante brillance virile, quelles que soient les tensions exigées pour traduire la personnalité tourmentée de Tannhäuser avec, cependant, un excès de volonté qui masque le fond d’âme, un peu perdu, que l’on aimerait mieux ressentir
Il y a beaucoup de douceur chez Michael Nagy, son Wolfram respire ainsi l’évidence simplicité. « Ô du mein holder Abendstern », soutenu par un orchestre plongé dans une profondeur magnifiquement méditative, est rendu avec un pathétisme d’autant plus touchant qu’il est exprimé à travers un spectacle tant superficiel dans son propos.
Grand artiste de la soirée, celui qui en a fait le liant incontestable, Marc Albrecht inssufle tout au long de cette matinée une énergie et une théâtralité enlevées, quitte à parfois légèrement morceler la ligne musicale flamboyante, tout en accordant une importance dramatique aux cuivres qu'il ne laisse pour autant s’imposer trop bruyamment au flot des cordes.
Le chœur, descendu des interstices des hauteurs de la salle, semble être enregistré - mais il peut s’agit d’une fausse impression - au final de la scène du Vénusberg. Plus loin, le naturel des voix provenant de l’arrière de la salle se révèle cette fois évident, faisant entendre un superbe allant beau par sa fluidité.
Orchestre Philharmonique de Radio France - Richard Wagner Version de concert du 04 janvier 2013 Salle Pleyel
Le Vaisseau fantôme : Ouverture Lohengrin : Prélude de l'acte I Lohengrin : Prélude de l'acte III Lohengrin : Scènes 1 et 2 de l'acte III Tannhäuser : Ouverture et Venusberg Tristan et Isolde : Prélude et mort d'Isolde
Elsa Annette Dasch Lohengrin Stephen Gould Isolde Violeta Urmana
Direction Marek Janowski Orchestre Philharmonique et Choeurs de Radio France
Annette Dasch (Elsa)
Puisque 2013 est une année exceptionnelle par bien des aspects, et que l’on y commémorera en particulier le bicentenaire de la naissance de Richard Wagner, la Salle Pleyel ouvre naturellement cette année avec deux concerts dédiés au maître de Bayreuth.
Si l’on exclut la toute dernière partie de ce premier concert, le Philharmonique de Radio France, conduit par Marek Janowski, est apparu en manque de souffle et de précision. L’ouverture du Vaisseau Fantôme s’appuie principalement sur la fluidité allante des cordes, mais toute l’évocation fantastique de ce Vaisseau maudit et la violence des éléments qui le bousculent ne sont pas rendues.
Orchestre Philharmonique de Radio France et Marek Janowski
Orchestralement, le prélude de Lohengrin suit le même mouvement sans trop de relief et sans que ne se perçoive nettement la lumière mystique qui émane de la pointe des archers, les chœurs se contentant de chanter dans le second prélude sans la hauteur quasi sidérale que ces voix devraient atteindre.
Les deux scènes qui suivent permettent enfin de découvrir Annette Dasch, elle qui fit dans l’urgence l’ouverture de la Scala de Milan, le mois dernier, pour remplacer Anja Harteros dans le même rôle. L’incarnation est nettement plus contenue, moins éthérée, mais l’on retrouve ces petits gestes de poupée mécanique attachants, et un grand raffinement dans l’expression touchante de la fragilité féminine. Stephen Gould, monumental, en devient un Lohengrin distancié par la largeur monocolore et stable de sa voix, évoquant un Tristan noir et sans illusion.
Annette Dasch (Elsa)
La seconde partie débute par l'ouverture de Tannhäuser et un Venusberg malheureusement totalement plats, sans la moindre tension infernale, le moindre courant entraînant, la vigueur des mouvements de la bacchanale se concluant même sur une défaillance ironique des cuivres.
Rien ne laissait donc présager d'un prélude de Tristan et Isolde d’une ampleur somptueuse, comme un grand voyage au cours duquel l’on tombe dans les accidents de l’âme mahlérienne, et où l’on ne peut que se laisser porter les yeux fermés.
Violeta Urmana (Isolde)
Et soudain, apparue du fond de ce flot surnaturel, la voix de Violeta Urmana vient nous surprendre et nous convier à la suivre dans la plénitude lumineuse et confiante de la mort. Rien n’est dramatique, la voix et les couleurs sont inflexibles, et les subtiles vibrations font de ce grand appel une expression de la douleur humaine purifiée inexplicablement bouleversant.
Tristan et Isolde (Richard Wagner) Version concert du 13 octobre 2012 Salle Pleyel
Isolde Nina Stemme Tristan Christian Franz Le Roi Marke Peter Rose Brangäne Sarah Connolly Kurwenal Detlef Roth Melot Richard Berkeley-Steele Un jeune marin Pascal Bourgeois Un berger Christophe Poncet Un pilote Renaud Derrien
Orchestre Philharmonique de Radio France Direction musicale Mikko Franck Chœur d'hommes de Radio France
Sarah Connolly (Brangäne)
Bien que la salle Pleyel possède une acoustique réverbérée et une largeur d’espace favorable aux grandes étendues orchestrales des opéras de Wagner, la blancheur impersonnelle de ses parois anguleuses et sa configuration géométrique s’accommodent mal de l’univers infini de Tristan et Isolde.
Et les images hypnotiques de Bill Viola - filmées pour la mise en scène historique de Peter Sellars à l’Opéra National de Paris - ont marqué nombres d’entre nous d’une empreinte visuelle mystérieusement indélébile. Par conséquent, une version de concert ne peut avoir un impact aussi fort que si l’interprétation intègre le temps pour nous attirer dans les profondeurs de la musique.
C’est pourtant avec un fort sentiment que s’est achevé le premier acte de ce soir. La direction de Mikko Franck, sans temps mort, juxtaposait les lignes du discours dramatique tissées de coloris gris et boisés - lignes fortement contrastées par l’éclat claironnant des cuivres -, régénérant une force théâtrale galvanisante pour Nina Stemme.
Nina Stemme (Isolde)
Qui peut imaginer meilleure interprète de la Princesse d’Irlande, talentueuse au point de savoir faire vivre à la fois un tempérament enflammé et l‘aplomb d‘une grandeur d‘être superbe, tout cela avec une intensité foudroyante et un galbe vocal d’une noirceur de sang noble et sensuelle?
Même son partenaire, Christian Franz, nous a rappelé, pour un moment, la jeunesse resplendissante et immuable de Renée Kollo, gravée au disque sous la direction irréelle de Carlos Kleiber, et Sarah Connolly s’est trouvée elle même emportée au point de tenir égale véhémence face à Isolde.
Seulement, le flux orchestral ne s’est pas ralenti au second acte, et les ondes n’ont fait qu’esquisser une intériorité bien trop superficielle et peu modelée pour suggérer un début d’immersion vers les abysses dépressives du drame. Pire, le rythme ne s’est pas ralenti au troisième acte, et les imprécisions firent concurrence à bien des motifs à peine esquissés, pour s’effacer sous les suivants, entretenant, il est vrai, un influx vital entrainant.
Il y eut bien sûr une petite icône pour chaque acte, la fraîcheur de Pascal Bourgeois isolée au dessus des gradins de l’arrière scène, l’apparition surnaturelle de Sarah Connolly pendant la nuit d’amour, et la plainte du cor depuis le premier balcon en surplomb de l’orchestre, à chaque fois un instant en suspend.
Christian Franz (Tristan) et Nina Stemme (Isolde)
Malgré sa vaillance, Christian Franz n’a pas le théâtre de Nina Stemme, et son corps oscille en usant que rarement des expressions des mains, si bien que peu de cette douleur tellurique interne est renvoyée vers la salle. Il a en revanche une simplicité touchante.
Il y eut aussi l’humanité engagée de Detlef Roth et la noblesse un peu indifférente de Peter Rose. Le lyrisme engloutissant de Myung-Whun Chung aurait sans doute mieux convenu au relief et aux couleurs crépusculaires de Tristan et Isolde.
Parsifal (Richard Wagner) Représentation du 29 juillet 2012 Festival de Bayreuth
Amfortas Detlef Roth Titurel Diógenes Randes Gurnemanz Kwangchul Youn Parsifal Burkhard Fritz Klingsor Thomas Jesatko Kundry Susan Maclean
Mise en scène Stefan Herheim Décors Heike Scheele Lumières Ulrich Niepel Vidéo Momme Hinrichs
Direction musicale Philippe Jordan
Susan Maclean (Kundry) et trois étapes de la jeunesse allemande (hitlérienne, d'avant guerre et d'après guerre sous les traits d'Edmund)
Quatre ans après sa création, la conception historique et psychanalytique de Parsifal par le norvégien Stefan Herheim reste une des plus intelligentes productions du festival, accordée à une scénographie d’une très grande force visuelle. Il faut être particulièrement attentif pour pouvoir saisir et traduire tous les symboles au premier coup d‘œil, d’autant plus que le premier acte est conçu comme le rêve d’un jeune aventurier décidé à quitter sa mère, Herzeleide, vu sous l’angle du lien qui attache les Allemands à leur mère patrie et à la religion, depuis le moyen âge jusqu’à l’Empire.
La villa Wahnfried (Acte I) - Photo: Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele
Un impressionnant décor reconstitue la villa Wahnfried, la maison où vécut Richard Wagner, à l’intérieur de laquelle Winifried Wagner accueillit plus tard Adolf Hitler. En surplomb sur la cheminée, à gauche, un grand portrait de Germania - allégorie féminine et frondeuse de la nation allemande - domine la pièce et oriente le regard sur l’identité des protagonistes lorsqu’ils prennent la même allure d’une femme blessée au flanc, vision christique vêtue tout de blanc, qu’il s’agisse de Kundry, Amfortas, ou Parsifal au dernier acte. La relation à cette femme est montrée sous un aspect douloureux et pénible.
Herheim fait à la fois plaisir à l’audience en représentant la procession du Graal selon un ancien rite orthodoxe lumineux et grandiose, mais ironise tout autant en teintant la coupe d’une couleur violacée factice.
Dans ce monde en apparence innocent et marqué par le symbole bienveillant du cygne, mais qui s’est emmuré, Parsifal apparaît comme un élément perturbateur, joueur, mais encore inconscient du mal sous-jacent qui s’est instillé dans la jeunesse allemande du début XXème.
Le second acte est axé sur la perversion de Klingsor et sur la puissance sexuelle tentatrice de Kundry, identifiée à Marlène Dietrich dans l’Ange Bleu selon le film de Josef von Sternberg. Il s’agit de montrer ici comment le National Socialisme a instrumentalisé la sexualité des Allemands de manière à les rendre plus combattifs dans les années 30 et 40 (scène avec les infirmières). Après avoir échoué à séduire Parsifal, Kundry réapparaît en mère nationale, dernière dispute qui atteint le point culminant de l’œuvre avec l’envahissement de la villa par les Nazis, jeunesse hitlérienne, drapeaux et croix gammées recouvrant tout l’espace dans une vision dramatique saisissante. La destruction de ce monde par la lance du héros d’un blanc étincelant en préserve la pureté, quitte à donner un caractère kitch à cet objet autant symbolique que le Graal.
Le troisième acte ressemble beaucoup à ce que fit pour Paris Krzysztof Warlikowski en 2008. L’ouverture sur l’ombre des ruines de la villa recoupe les images du film de Rossellini« Allemagne année zéro », les derniers symboles religieux combattants s’abattent (fin de l’ordre des templiers), et, après une spectaculaire désagrégation vidéographique du visage de Wagner dans un brouillard noir intensifiée par la marche menaçante et sinueuse qui précède l’arrivée du chœur installé dans un amphithéâtre, l’avènement d’une république démocratique devient l’issue politique durable d’une nouvelle nation basée sur les valeurs d’une famille recomposée. La nouvelle jeunesse allemande apparaît sous les traits d’Edmund (toujours « Allemagne année zéro » ), et Kundry reste en vie.
La force de ce discours dramaturgique est de rester constamment lié à la musique, et de s’appuyer autant sur une exigeante direction d’acteurs que sur une occupation totale de l’espace scénique, dans toute sa profondeur de champ, et sur une utilisation des éclairages qui peuvent créer une lumière naturelle, ou bien des ambiances surnaturelles.
Face à un tel engagement et à la prégnance du visuel, amplifiée par le noir total dans lequel est plongée la salle de par la disposition même de l‘orchestre totalement dissimulé sous la scène, on ne fait même plus attention aux limites d’une distribution convaincante, mais sans être exceptionnelle. Burkhard Fritz incarne un Parsifal humble et très humain aux couleurs vocales plutôt sombres, Susan Maclean atteint très vite ses limites dans les aigus mais se rattrape par son expressivité dans la tessiture grave, et Kwangchul Youn commence sérieusement à fossiliser sa voix, ce qui augmente sa stature autoritaire d’homme du passé.
Susan Maclean (Kundry) et Philippe Jordan
Bien que Klingsor soit très bien défendu par Thomas Jesatko, Detlef Roth devient le chanteur le plus marquant, car il imprime de sa voix claire une humanité complexe et tourmentée, et pourtant énergique, qui donne une vitalité nouvelle à Amfortas.
Cette première représentation de Parsifal au Festival de Bayreuth 2012 est aussi une première pour le directeur musical de l’Opéra National de Paris, Philippe Jordan. Son grand sens symphonique évanescent, qui donne des frissons dès l’ouverture, s’accomplit totalement au troisième acte, et même si l’on reconnait toujours cette forme de timidité face au sens théâtral, perceptible au premier acte, on l’oublie vite dans les grandes montées lumineuses, et aussi par la connaissance que l’on a du cœur sincère de cet homme exceptionnel.
Il y a bien sûr l’acoustique magnifique du Festspielhaus, mais également les qualités d’un chœur capable de donner une force et une unicité à son chant vocal qui nous touchent au plus profond de l’âme.
Pour revoir et réentendre ce spectacle, Arte diffusera en léger différé la troisième représentation prévue le 11 août 2012.
La Walkyrie (Richard Wagner) Représentation du 25 mars 2012 Bayerische Staatsoper (München)
Siegmund Klaus Florian Vogt Hunding Ain Anger Wotan Thomas Johann Mayer Sieglinde Anja Kampe Brünnhilde Katarina Dalayman Fricka Sophie Koch Helmwige Erika Wueschner Gerhilde Danielle Halbwachs Ortlinde Golda Schultz Waltraute Heike Grötzinger Grimgerde Okka von der Damerau Siegrune Roswitha C. Müller Roßweiße Alexandra Petersamer Schwertleite Anaïk Morel
Mise en scène Andreas Kriegenburg Direction musicale Kent NaganoSophie Koch (Fricka)
Parmi les grands théâtres engagés dans le représentation du Ring en hommage au bicentenaire de la naissance de Richard Wagner (1813), le Bayerische Staatsoper présente le prologue et les trois journées de janvier à juin, pour conclure sur une série de deux cycles au cours du festival d’été 2012.
La mise en scène d’Andreas Kriegenburg est une épure lisible qui illustre les différents lieux et éléments de l’œuvre - le Chêne, le grand bureau aristocratique du Walhalla, les guerriers empalés sur le champs de bataille - sans surprise, mais avec une animation des caractères minutieusement fouillée.
Klaus Florian Vogt (Siegmund) et Anja Kampe (Sieglinde)
Seules deux scènes soulèvent quelques étonnements, la présence d’infirmières dans la demeure de Hunding nettoyant les corps des blessés selon la même idée que Krämer à Bastille, et les pas violents de femmes en deuil et en transe avant que les Walkyries n’entament leur chevauchée.
Mais avec des éclairages recherchés - belle ambiance nocturne de lueurs bleu-clair quand Brünnhilde vient avertir Siegmund de sa mort prochaine-, et des jeux d’ouvertures et de resserrements des grands plans verticaux, latéraux et horizontaux du théâtre, Andreas Kriegenburg crée des impressions de grands espaces et de vide, et des scènes intimes oppressées par un destin imparable.
Il suffit alors d’un jeu d’acteur significativement expressif, au plus proche des sentiments et des nombreuses situations conflictuelles, pour que le drame prenne une dimension humaine et émotionnelle captivante. La dispute de Fricka et Wotan brisant des verres de rage, la chorégraphie guerrière de Brünnhilde accueillant son père, Sieglinde prise de folie dans les bras d’un Siegmund désemparé, rappellent à quel point l’opéra est passionnant quand il est la vie.
Katarina Dalayman (Brünnhilde)
Et avec une telle énergie emportée par un orchestre pris, en course libre, dans un flot d’entrelacements de timbres grisants, et une des meilleures, sinon la meilleure, distributions wagnériennes de notre époque, il y a une émotion particulière à entendre dans de telles conditions, au cœur de sa région d‘origine et au sentiment partagé avec le public, une interprétation à marquer d’une pierre blanche.
La veille, Ain Anger était le Comte Gremin dans la reprise d’Eugène Onéguine, il devient maintenant le grand Hunding pour cette matinée, avec une excellente articulation mordante, et un tempérament plus affable, on va dire, que n’inspire le guerrier habituellement.
Après l’envolée de l’ouverture orageuse, où l’on voit Siegmund bataillant dans une sombre forêt germanique, sa rencontre avec Sieglinde est toujours le premier moment fort de la première journée du Ring.
Klaus Florian Vogt (Siegmund)
Mais peu imaginaient entendre une incarnation de leur duo d’amour aussi bouleversante. La douceur rayonnante de Klaus Florian Vogt est, dans un premier temps, trop angélique pour restituer la complexité psychologique et la hargne de lutteur du fils de Wotan. Cependant, il a une telle manière de sublimer la tendresse amoureuse de la jeunesse - quel timbre haut placé et toujours aussi puissant!-, et une telle pureté de sentiments, qu’il atteint ce point culminant de beauté indescriptible qui force à se libérer d’émotions si profondément retenues.
Anja Kampe s‘empare du rôle de Sieglinde pour en faire un personnage entier, un feu de passion exacerbé et incontrôlé qui lui donne une densité et une vitalité sensationnelles. Cette présence s’appuie tout autant sur une voix riche d’harmoniques des graves les plus noirs aux aigus superbement projetés, et une nature d’écorchée que même l’attachement de Siegmund ne peut que difficilement calmer. Et même Brünnhilde, au début IIIème acte, paraît un modèle de sagesse à côté d’elle.
Katarina Dalayman (Brünnhilde) et Thomas Johann Mayer (Wotan)
Il faut dire que si Andreas Kriegenburg présente la Walkyrie, au cours de la fantastique ouverture du second acte emportée dans un souffle de timbales galopantes et galvanisantes, comme une jeune déesse admirative des qualités guerrières de son père Wotan, elle en devient très vite l’égale en maturité.
Katarina Dalayman, plus en forme que jamais, lance ses aigus puissants et claquants, quoique mieux maîtrisés que l’année dernière à Bastille, et affiche une solidité infaillible, un éclat de bronze splendide qui impose une stature de femme consciente d‘être la seule à ne pas s’enfermer mentalement.
De toutes ses interventions, son grand dialogue avecWotan au dernier acte est un modèle d’échanges d’une profondeur due autant à son talentueux aboutissement théâtral qu’à la vision du metteur en scène.
Et il faut dire que Thomas Johann Mayer, découvert il y a deux ans dans la Walkyrie sous la direction de Philippe Jordan, est déjà un des plus impressionnants Wotan de sa génération. Son impact vocal semble s’être accru, mais surtout, il dessine comme personne un père tourmenté et d’une humanité, malgré la carrure combattante de fauve qu’il arbore, avec une vérité expressive implacable.
Katarina Dalayman (Brünnhilde) et Thomas Johann Mayer (Wotan)
Sa confrontation avec Fricka est un autre grand moment de théâtre, poussé dans ses derniers retranchements par une femme qui est la droiture même, et dont elle s’amuse. Sophie Koch est parfaite dans ce rôle, car elle a un peu de cette froideur moqueuse et distante qui installe la déesse dans une posture de juge moral dominante.
Plus encore, la couleur de ses graves mats, quand elle n’oublie pas de les soutenir intensément, se projette frontalement avec une autorité hautaine et aristocratique telle, qu’elle ne joue donc plus avec les sentiments compassés susceptibles de se créer à son égard.
Katarina Dalayman (Brünnhilde)
Et si l’on reste émerveillé par cette réunion magnifique de grands chanteurs, on en admire tout autant l’énergie inépuisable des huit Walkyries.
Après les adieux de Wotan à Brünnhilde, la scène d'immolation est rendue dans une très belle sobriété, de jeunes filles forment un cercle autour du rocher en portant un serpent sur leur dos qui s'enflamme, tandis que le feu se propage en se projetant par effet vidéographique sur le fond de scène. Il n'en faut pas plus pour illustrer la dignité surnaturelle de ce dernier instant.
Katarina Dalayman (Brünnhilde) et Thomas Johann Mayer (Wotan)
Quand il est arrivé pour saluer sur scène, Kent Nagano a été accueilli par un tonnerre extraordinaire d’applaudissements et de trépignements électriques. Comment ne pouvait-il pas en être autrement ? L’orchestre filait dans un courant animé de reliefs sonores frénétiques, une agilité fuyante et tendue en urgence, des soulèvements de textures boisées frémissantes, un tumulte de timbales endiablées, et d’amples nappes de cuivres magnifiquement patinées.
Klaus Florian Vogt (Siegmund), Anja Kampe (Sieglinde) et Ain Anger (Hunding)
On en sort abasourdi par une telle expérience intense et rare. Une référence artistique inoubliable.
Tannhäuser (Richard Wagner) Répétition générale du 03 octobre et représentations du 09, 12, 17, 23, 29 octobre 2011 Opéra Bastille
Tannhäuser Christopher Ventris Elisabeth Nina Stemme Venus Sophie Koch Wolfram Stéphane Degout Hermann Christof Fischesser Walther Stanislas de Barbeyrac Biterolf Tomasz Konieczny
Direction Musicale Sir Mark Elder Mise en scène Robert Carsen (2007)
Stéphane Degout (Wolfram)
Alors que l’Opéra de Paris vient de nous offrir un de ses fours les plus mémorables à travers la nouvelle production de Faust, la reprise de la mise en scène de Tannhäuser imaginée par Robert Carsen nous permet de retrouver un travail qui réussit à la fois à se libérer d'une interprétation textuelle et de presque tous les symboles religieux, tout en respectant le cœur du conflit entre sensualité et spiritualité, à conserver une ligne esthétique charnelle mais dénuée de toute trivialité, et à trouver une issue sublimée en tournant le final en hommage aux œuvres érotiques des grands artistes peintres.
Cette approche, réalisée avec intelligence, lisibilité et cohérence, peut néanmoins décevoir l'auditeur qui ne retrouve plus le thème de l'amour impossible inhérent à nombres d’œuvres lyriques.
On admire toujours autant l’atmosphère rougeoyante de la grande scène du Vénusberg, dans l’espace resserré de l’atelier de Tannhäuser, et les lents passages de Vénus entre ombres et lumières, harmonieusement liés à la musique.
Sophie Koch (Vénus) et Christopher Ventris (Tannhäuser)
Sophie Koch se fait entièrement déesse, tragique et sensuelle, une voix impériale aux accents sauvages mais aussi émouvante, à laquelle elle allie élégance du mouvement et vérité subtile de l’expression théâtrale.
Moins fluide dans ses déplacements, Nina Stemme est naturellement saisissante par l’ampleur de sa voix, la qualité d’une tessiture portée par un souffle long et puissant, et une noirceur qui révèle toute sa profondeur lorsque Elisabeth invoque la mort au troisième acte. La soprano suédoise possède en réalité les énormes moyens d’une Isolde ou d’une Elektra, ce qui paraît un peu surdimensionné à l’égard d’un rôle qui rayonne de jeunesse et d’idéalisme.
Lesquelques faiblesses de la répétition se sont évanouies, ce qui permet de voir à quel point Christopher Ventris incarne un Tannhäuser avec une rage de vivre que l’on ressent dans la clarté mordante de sa voix, avec cet indéfinissable sentiment de tristesse d’âme. Il s'agit ici d'un engagement scénique total et impressionnant.
Surprenant dans son apparence d’humble intellectuel, Stéphane Degout est un Wolfram d’une humaineévidence, il déroule « O du mein holder Abendstern » superbement, chanté sans affectation naïvement rêveuse, mais le plus sincèrement possible, le timbre légèrement duveteux.
Tous les autres interprètes, Christof Fischesser, Stanislas de Barbeyrac, Tomasz Konieczny sont parfaitement distribués, si bien que l’on ne peut que constater que l’ensemble de la distribution rivalise, et même surpasse, celle de 2007.
A défaut d'effets de style remarquables, la direction de Sir Mark Elder privilégie la délicatesse des moments intimes, s'imprègne même d'une énergie théâtrale enthousiasmante lors de la répétition, mais ne couvre pas les voix pour autant.
Nina Stemme (Elisabeth)
Et puis soudain, lors de la représentation du 17, l'orchestre retrouve une vigueur et un magnifique sens des ondes wagnériennes, auxquels la salle entière répondra par un salut à coeur sans retenue.
Götterdämmerung (Wagner) Répétition générale du 30 mai 2011 et
Représentations du 12 & 18 juin 2011 Opéra Bastille
Siegfried Torsten Kerl Gunther Iain Paterson Hagen Hans-Peter König Alberich Peter Sidom Gutrune, Dritte Norn Christiane Libor Waltraute Sophie Koch Brünnhilde Brigitte Pinter / Katarina Dalayman Erste Norn, Flosshilde Nicole Piccolomini Woglinde Caroline Stein Zweite Norn, Wellgunde Daniela Sindram
Direction Musicale Philippe Jordan Mise en scène Günter Krämer
Hans-Peter König (Hagen) et Peter Sidom (Alberich)
Synopsis
La prédiction Siegfried et Brunnhilde se séparent après s’être échangés l’anneau et le cheval Grane. Pendant ce temps, le destin s’assombrit pour Wotan. Il a ordonné à ses guerriers d’amonceler autour du Walhalla le bois du Frêne Universel, maintenant mort, avec lequel fut taillée sa lance. Les trois Nornes prédisent l’incendie de la résidence divine.
Le filtre d’oubli En suivant le Rhin, Siegfried arrive au palais des Gibichungen. Il est accueilli par Gunther et son demi-frère Hagen qui garde le vœux secret de recouvrir l’anneau pour son père, Alberich. Il a auparavant déjà proposé une alliance qui assurera la gloire du royaume : le mariage de Gunther avec Brünnhilde et de Gutrune, sa sœur, avec Siegfried. Il remet alors un filtre à Gutrune qui a le pouvoir de faire oublier l’amour de toute femme. Siegfried le boit, s’éprend de son hôte, et fait serment d’amitié avec Gunther en lui promettant de conquérir pour lui la vierge du roc.
La trahison Pendant ce temps, Brünnhilde voit arriver une de ses sœur, Waltraute, qui lui suggère de se débarrasser de l’anneau. Elle refuse. Siegfried survient sous les traits de Gunther (grâce au heaume magique), lui arrache l’anneau, et la garde pendant la nuit. Cette même nuit, Alberich vient exhorter son fils à rester loyal à sa mission. Au matin, le couple retourne au palais. Brünnhilde comprend la trahison, mais Siegfried jure d’être innocent et, dans un accès de désespoir, la vierge voue la lance de Hagen à la destruction du héros. Gunther se laisse convaincre de la nécessité de tuer Siegfried. Brünnhilde révèle alors que le dos est la partie vulnérable de son corps.
La mort de Siegfried Le lendemain, une partie de chasse a été arrangée. Siegfried rencontre les ondines qui le préviennent de sa mort prochaine, mais il refuse de leur remettre l’anneau. Plus tard, il est rejoint par ses hôtes. Hagen lui fait boire un breuvage qui ranime sa mémoire et son récit du réveil de la vierge exacerbe le sentiment de trahison de Gunther. Hagen plante la lance dans le dos de Siegfried.
Le sacrifice de Brunnhilde Au retour de la procession funèbre au palais, Gunther et Hagen se disputent l’anneau et ce dernier tue son frère. Au moment de s’emparer de l’anneau, Brünnhilde apparaît : les Filles du Rhin l’on instruite de toute la vérité. Elle commande aux vassaux de dresser un bûcher sur lequel elle s’immolera et annonce la fin du Walhalla. Puis elle plonge dans le bûcher avec Grane. Les flammes envahissent le palais, le consument , le Rhin déborde, éteignant le feu. Hagen se jette à l’eau pour récupérer l’anneau et se noie. Les survivants regardent avec crainte et émerveillement le Walhalla qui brûle avec les dieux.
Les trois Nornes
A la fin de la seconde journée du Ring, nous avions laissé Brünnhilde et Siegfried au pied du Walhalla, alors que Wotan, considérablement affaibli, tentait d’en gravir les marches avec l’aide des héros.
Lorsqu’il réapparaît au début de cette dernière journée, le jeune couple vient tout juste de se marier, image amusante et décalée qui s’appuie sur le stéréotype de la balade amoureuse en barque.
Günter Krämer la superpose à l’ouverture qui, d’une part, montre la transmission du désir de pouvoir d’Alberich à son jeune fils Hagen - il s’agit d’une scène mystérieuse dont le sens ne se dévoile totalement que plus loin, en parfaite symétrie de la programmation manquée de Siegfried par Mime, le frère d’Alberich -, et, d’autre part, installe une atmosphère crépusculaire et hypnotique, esthétiquement réussie, au cours de laquelle les trois Nornes, non plus de vieilles femmes sinon de troublantes prostituées tout en noir, ou bien des femmes chics et snobs, tentent de percevoir en vain l’avenir, sur fond d’horizon flou où se dessinent les ombres d’un port industriel. Le lien avec le dernier acte de Siegfried, où Wotan quittait Erda en mettant le feu à sa bibliothèque, n'est pas évident.
Le grand miroir, que le metteur en scène avait employé lors des trois premiers volets, n’est plus utilisé, mais le cadre noir d’un grand écran vidéo vertical et transparent devient la pièce maîtresse de toute la scénographie. La technologie moderne prend une part plus importante.
Brigitte Pinter (Brünnhilde) et Torsten Kerl (Siegfried)
Pendant qu’elles rappellent les faits à l’origine du déclin du monde, Christiane Libor, Nicole Piccolomini et Daniela Sindram confèrent au chant des trois filles d’Erda une invocation plaintive et forte.
Après la remontée du Rhin, et la métamorphose astucieuse des Nornes en Filles du Rhin, les choses se gâtent au palais des Gibichungen, car nous tombons chez les ploucs, dans un village de dégénérés duquel Gunther et Gutrune aspirent à s‘évader.
Le très mauvais goût visuel, bien qu’assumé, passe difficilement même s’il accentue la différence sociale entre les deux humains et les deux descendants de Wotan. La scène est en fait tirée des Damnés (Visconti), La Nuit des Longs Couteaux, ce qui revient à assimiler les aspirations des Gibichungen à celles des SA (on peut également remarquer que les corps nus et ensanglantés des héros au troisième acte de la Walkyrie sont inspirés de la même scène). Le manque d'idée se fait cependant ressentir jusqu'à l'arrivée de Siegfried.
Les filles du Rhin
Malgré quelques traits de brutalité, le serment par le sang, le personnage de Siegfried est toujours aussi inconscient et sympathique, son refus du pouvoir est clair, il aime les femmes et souhaite simplement être heureux. Torsten Kerl en est un interprète très tendre et musical, il respire l’optimisme, joue avec toujours autant de naturel, volontairement à contre-pied d’un glorieux vainqueur héroïque.
Installé dans un fauteuil roulant afin de justifier la présence pesante de la malédiction d’Alberich - Peter Sidom engage tout son être dans une incarnation noire, vulgaire et ignominieuse du nain, et manipule lui-même en permanence le siège de son fils-, Hans-Peter König, qui était il y a encore si peu Hunding dans la Walkyrie du Metropolitan Opera, fait de Hagen un personnage impressionnant, mais également digne par la belle homogénéité d’un souffle puissant, sombre et aéré.
Sophie Koch (Waltraute)
Même s’il ne cherche pas à résoudre scéniquement les détails du livret qui lui paraissent secondaires, les cordes des Nornes, le cheval Grane, Günter Krämer aboutit à une scène saisissante lorsque Siegfried, sous les traits de Gunther, vient enlever Brünnhilde, seule dans son appartement bourgeois (idée qui n'est plus nouvelle). En faisant intervenir les deux hommes, il mélange l’action du Walsung et les désirs les plus profonds du Gibichung, ce qui accentue l’empathie du spectateur pour la Walkyrie tant ce qu’elle subit est repoussant.
Auparavant, Sophie Koch est intervenue sous les traits de Waltraute. L’impact émotionnel de son affliction vibrante et l’harmonie de ses lignes percutantes font oublier le bonnet qui masque inutilement sa chevelure (référence à Sainte Jeanne des Abattoirs, milicienne et religieuse?).
Leur rôle est ingrat, certes, mais Iain Paterson et Christiane Libor - interpréte sidérante Des Fées au Châtelet- restituent fidèlement leurs traits de caractères respectifs, lui médiocre intellectuel sans charisme, elle femme étriquée par son éducation, sincèrement éprise de Siegfried.
Toute cette première partie est musicalement marquée par une épaisseur nouvelle au regard des épisodes précédents. Philippe Jordan crée un somptueux relief aux arêtes vives, et donne une ampleur inédite et théâtrale aux cuivres sans forcément affiner les couleurs des cordes.
Torsten Kerl (Siegfried)
On peut néanmoins regretter qu’il ne marque pas plus les relances, les soudaines accélérations qui entraînent vers l’avant, régénérant ainsi un courant stimulant.
Mais ces réserves disparaissent au second acte. L’ouverture est d’une mobilité et d’une limpidité fascinantes, les violons frémissent, et l’intensité atteint des sommets quand le chœur éclatant entre en scène. Par un jeu de lumière subtil, l’apparence des hommes appelés par Hagen vire de la posture militaire et dure des SA, prêts à se lancer à la conquête du monde, à celle d’anodins villageois bons vivants qui peuplent en réalité le Gibichungen. A nouveau, le pouvoir d’induction d’un leader sur la masse est stigmatisé.
Hans-Peter König (Hagen) et les vassaux
On pouvait penser que Brigitte Pinter, sollicitée au dernier moment pour remplacer Katarina Dalayman lors de la répétition, allait limiter son implication. Elle débute effectivement avec prudence, et pourtant, son incarnation se pose dans la durée.
Elle a une voix qui exprime une variété d’états d’âme, on a l’impression qu’elle est parfois à bout de souffle, puis soudainement, les aigus percent, et donc, tout ce mélange de faiblesse, de courage, d’humaine profondeur et d'endurance la rendent tragiquement émouvante.
On ne peut alors qu'être heureux de la chance qui lui a permis d'assurer le rôle de Brünnhilde à la troisième représentation. La gravité de ses expressions fut encore plus bouleversante.
Reprenant le rôle de Brünnhilde lors des représentations suivantes, Katarina Dalayman développe un personnage de femme impulsive, fière, avec une solide homogénéïté vocale et de soudains grands éclats de stupeur. La fragilité et la complexité émotionnelle intérieures ne sont pourtant pas autant extériorisées.
Brigitte Pinter (Brünnhilde) : scène finale
La réussite musicale se prolonge au troisième acte, la marche funèbre est d’une ampleur superbement dramatique - Philippe Jordan sait qu’il porte, à ce moment précis, chaque spectateur à la rencontre grandiose de la mort-, mais cette fois, les effets vidéographiques sont mis à contribution.
Les images de l'ascension de Siegfried, sous des éclairages lunaires, puis blafards, et celles de Brünnhilde sous les flammes - l’invocation de Brigitte Pinter, habillée et coiffée telle que l’était Waltraud Meier, devant le mur de feu, ne peut être un simple hasard.-, sont à rapprocher de celles plus travaillées de Bill Viola pour Tristan et Isolde, comme un clin d’œil admiratif.
L'image du jeu vidéo illustre un thème qui parcoure toute cette tétralogie : 'Malheur aux peuples qui ont besoin de héros (Brecht)'.
Nous avons pu constater qu'à chaque occasion Günter Krämer met en scène des hommes menés par des leaders. Par ailleurs, dans le premier acte de Siegfried, Mime fait l'éducation de Siegfried devant le film de Fritz Lang.
Quelque part, Siegfried est une image du citoyen lambda, manipulable, inconscient des enjeux politiques mais avançant lui même dans sa réussite sociale, et Krämer met en garde le spectateur.
Était-il nécessaire d’insister pour autant sur la marque, une croix noire, dans le dos de Siegfried, à moins qu’il ne s’agisse d' évoquer l'Ordre Teutonique, et la perversion des dérives sectaires quand Hagen exécute son geste fatal ?
Le massacre d'Alberich, par les filles du Rhin/Nornes, signe en revanche un dernier acte de libération féministe, avant que ne subsistent les derniers débris de l’Or du Rhin et sa malédiction, la grande structure noire, le pendant du Monolithe de 2001 L'Odyssée de l'Espace.
Dans la conception de Günter Krämer, les scènes du Ring sont comme une illustration de la société allemande moderne, et des leçons personnelles qu'il en tire. Il est même fort probable que l'origine de certains symboles ne se révèlera qu'avec le temps, en connaissance de la culture germanique.
Tout n'est donc pas en première lecture immédiat, mais cela est incontestablement réfléchi.
La Walkyrie (Richard Wagner) Représentation du 22 avril 2011 New York Metropolitan Opera
Wotan Bryn Terfel Fricka Stéphanie Blythe Siegmund Jonas Kaufmann Sieglinde Eva-Maria Westbroek Brünnhilde Deborah Voigt Hunding Hans-Peter König Gerhilde Kelly Cae Hogan Ortlinde Wendy Bryn Harmer Waltraude Marjorie Elinor Dix Schwertleite Mary Phillips Helmwige Molly Fillmore Siegrune Eve Gigliotti Grimgerde Mary Ann Mc Cormick Rossweisse Lindsay Ammann
Direction Musicale James Levine Mise en scène Robert Lepage
Jonas Kaufmann (Siegmund)
A la vue de la nouvelle production de la Walkyrie, et avant d’en commenter l’interprétation musicale, on ne peut reprocher à Robert Lepage de n’avoir pas compris à quel public il s’adresse. Tout son dispositif s’articule autour d’une armature hélicoïdale, dont les pales se déploient pour former l’élément de décor le plus pertinent pour la scène en cours.
Il s’agit d’une prouesse technique remarquable, on n’imagine pas tous les problèmes d’équilibres de masse, d’asservissements et de contrôles informatiques temps réel que cela représente, qui permet d’enchaîner dynamiquement les changements de lieu, d’abord la forêt, puis la maison de Hunding, puis le Walhalla.
Les Américains, habitués aux images de synthèses des derniers Star Wars, aux éclairages sous lesquels les structures deviennent vivantes, aux lents mouvements d’impressionnants vaisseaux, retrouvent à l’opéra destextures et des animations importées des effets spéciaux cinématographiques, ou bien des jeux vidéo.
Deborah Voigt (Brünnhilde) et Bryn Terfel (Wotan)
Le troisième acte tourne même au rodéo lorsque les Walkyries chevauchent héroïquement les poutres en balancement, sous couvert de sifflets et d’encouragements de la salle exaltée. Un cirque inimaginable à l’Opéra de Paris.
L’arrivée de Brünnhilde sur les ailes de Grane nous amène dans l’univers du Choc des Titans, et son immolation, spectaculaire cristallisation dans un rocher, le corps renversé, rappelle la cryogénisation de Hans Solo. Mais après tout, Georges Lucas s’est lui même inspiré du Ring dans sa Saga de science fiction.
Néanmoins, si l’on regarde au-delà de tous ces costumes aux couleurs vives et scintillantes, et de cette architecture qui est, répétons le, extraordinaire, Robert Lepage ne fait qu’assurer le service minimum enterme de profondeur de mise en scène.
La psychologie de chaque personnage reste terriblement simplifiée, il arrive que leurs gestes se figent, avec toutefois quelques images recherchées comme l’enlacement de Siegmund autour de Sieglinde, et la mort de celui-ci dans les bras de Wotan.
Mais même là, les poses se prennent de façon visiblement calculées. Tous les symboles, corne, béliers de Fricka et autres casques ailés sont par ailleurs utilisés à titre décoratifs.
Stéphanie Blythe (Fricka)
Onpeut ainsi se moquer de l’attirail artisanal, cordes, rideaux, projecteurs mal cachés, qu’utilise Günter Krämer à Paris, son Ring reste cependant d’une toute autre intelligence de vue, théâtral dans les moments clés - le récit de Wotan et l’avertissement de Brünnhilde à Siegmund à l’acte II de la Walkyrie-, et surtout d’une indéniable humanité.
Mais bien sûr, la musique prime. Lors de son arrivée pour saluer le public, James Levine a reçu une ovation de la salle d’une force telle que peu de chefs peuvent s’en prévaloir. Il est chez lui, et dès que l’ouverture démarre, il offre l’image attendrissante d’un chef qui virevolte au milieu de l’orchestre comme un enfant dans l’eau.
Sa direction est incisive, les traits violents et naturalistes, les gradations en intensité atteignent leur paroxysme plutôt dans la première partie, dans le duo de Siegmund et Sieglinde, profondément chaleureux - notamment le hautbois-, et l’apparition impérieuse de Fricka.
Dans ce rôle ci, Stéphanie Blythe laisse une impression féroce, très assurée, une voix riche et colorée sur laquelle elle assoit une autorité imparable. On croirait entendre Dolora Zajick, mais plus jeune, et sans le vibrato actuel.
Bryn Terfel (Wotan)
Bryn Terfel, un large souffle noir et névrotique, donne l’image d’un Wotan qui se débat avec ses propres contradictions. Il semble brider ses sentiments profonds que ce soit pour Brünnhilde ou Siegmund, mais beaucoup trop d’allers et venues masquent le manque de sens donné au geste. Ni lui, ni aucun autre chanteur, ne laissera une attitude théâtrale marquante. Il n’en est pas moins percutant, surtout quand il clame sa rage.
D’emblée, Deborah Voigt se présente crânement, et lâche sans complexe sa voix tout au long de cette épopée sans le moindre signe de fatigue, et sans rupture brusque. Il faut cependant accepter un timbre qui la vieillit considérablement, et une vision un peu trop survoltée de Brünnhilde.
Bien des Hunding ont des intonations rustres, suggérant une nature primitive, mais dans le cas de Hans-Peter König nous pouvons croire qu’il pourrait être un homme accueillant, sage, surtout dans son accoutrement de Père Noël, parce que ce chanteur partage des sonorités souples, amples et d‘une évidente maturité.
Eva-Maria Westbroek (Sieglinde) et Jonas Kaufmann (Siegmund)
Couple très attendu, Jonas Kaufmann et Eva-Maria Westbroek réussissent un duo d’amour passionné à donner le frisson, lui si souple corporellement, si sensible et sombrement rayonnant - mais encore prudent quand il élargit sa voix-, et elle toujours aussi tragiquement humaine et subtilement méditative, dont la méforme passagère est à peine perceptible même dans ce passage là.
Margaret Jane Wray la remplace pourtant au troisième acte, avec vaillance, et même une certaine ressemblance de timbre, sans que cela n’ôte un sentiment de déception, car il s’agit d’une prise de rôle pour la soprano allemande.
Parsifal (Richard Wagner) Version concert du 14 avril 2011 Théâtre des Champs Elysées
Parsifal Nikolai Schukoff Kundry Angela Denoke Gurnemanz Kwangchul Youn Klingsor John Wegner Amfortas Michael Volle Titurel Steven Humes
Direction Musicale Kent Nagano
Orchestre et Choeur de la Staatsoper de Munich Tölzer Knabenchor (Choeur de garçons de Bad Tölz)
Angela Denoke (Kundry)
Juste avant d'interpréter à Munich deux représentations de Parsifal, dans la mise en scène de Peter Konwitschny, l'intégralité de l'équipe artistique passe par le Théâtre des Champs Elysées, comme pour offrir à Paris une répétition générale spéciale.
On peut regretter qu'un minimum de mise en espace ne permette aux chanteurs de jouer leur rôle, et de créer de véritables moments de tension, il n'en est pas moins vrai que l'attente porte en grande partie sur Angela Denoke.
Toute l’intériorité torturée de Kundry s’exprime uniquement par les torsions du buste, les traits du visage d’une femme affligée et blessée, mais pas dangereuse.
Le pouvoir magnétique de la soprano allemande, sophistiquée et pourtant si humaine, se manifeste pendant tout le second acte, qu’elle chante ou pas d’ailleurs. Sa voix s’épanouit en s’accordant du temps, des clartés voilées, des angoisses graves et mystérieuses, et des lenteurs envoutantes.
Angela Denoke (Kundry)
En l’apparence, l’attitude si simple de Nikolai Schukoff, Parsifal plein de bonne volonté, n’a pas la présence immédiate répondant au cliché de l’Heldentenor wagnérien, et pourtant, sa technique lui permet de soigner les lignes d’un chant mordant et sombre, dirigé frontalement, d’atteindre les aigus dans un élan soudain mais sans rupture et sans altération, tout cela avec une modestie sympathique. Le timbre ne change pas, mélancolique, mais également un peu austère.
Kwangchul Youn, dont on attend le retour à l’Opéra de Paris dans la Forza del Destino, peut se prévaloir d’une sage autorité charismatique qui humanise fortement Gurnemanz. Il y a en lui un rayonnement et un style chaleureusement mozartiens qui évoquent la conscience éclairée de Sarastro.
L’âme d’Amfortas trouve, en Michael Volle, un gardien de son propre orgueil de roi et de sa dignité, John Wegner exalte sans ambages la brutalité névrosée de Klingsor, et le Titurel de Steven Humes, même disposé en arrière scène, percute très efficacement.
Angela Denoke (Kundry), Kent Nagano et Nikolai Schukoff (Parsifal)
Il y a bien des façons d’interpréter Wagner, et Kent Nagano donne l’impression, dans le premier acte, de privilégier l’avancée du discours, le choix d’une douceur qui s’obtient en étouffant les cuivres sous les cordes, et en ne les laissant jaillir que dans les moments nécessairement spectaculaires. Les frémissements des violons sont encore trop mécaniques, mais l’ensemble reste prenant.
L’ orchestre de la Staatsoper de Munich gagne en intensité au second acte, mais c’est réellement dans la dernière partie, de retour au château du Graal, qu’une magnifique nappe sonore, traversée de fin contrastes, immerge la salle avec une grâce qui évoque la légèreté d’une renaissance.
Der Ring des Nibelungen - Siegfried (Wagner) Répétition générale du 26 février 2011 et Représentation du 27 mars 2011
Opéra Bastille
Siegfried Torsten Kerl Mime Wolfgang Ablinger-Sperrhacke Der Wanderer Juha Uusitalo Alberich Peter Sidom Fafner Stephen Milling Erda Qiu Lin Zhang Waldvogel Elena Tsallagova Brünnhilde Brigitte Pinter (26/02) Katarina Dalayman (27/03)
Direction Musicale Philippe Jordan Mise en scèneGünter Krämer
Synopsis
Notung Mime élève Siegfried dans le secret espoir que le jeune homme, un jour, tuera Fafner pour lui procurer l’anneau. Wotan, sous le déguisement du Voyageur, a suivi de près les évènements, sans intervenir lui-même. Grâce à un jeu de questions et de réponses, Mime comprend que seul Siegfried reforgera Notung, l’épée capable de tuer Fafner.
Siegfried et le Dragon Au lieu de ressouder les tronçons ensemble, Siegfried les brise, les fond et les coule à nouveau, refaisant entièrement Notung. Il tue Fafner. Pénétrant les pensées homicides de Mime, il le tue à son tour. Il prend possession de l’anneau et du heaume magique, ainsi que de tout le trésor de Fafner. Ayant accidentellement goûté le sang du dragon, Siegfried comprend le chant d’un oiseau qui lui révèle l’existence de la vierge du roc, Brünnhilde, plongée dans son sommeil et entourée de flammes. Siegfried décide d’éveiller la Walkyrie endormie et de la prendre pour épouse.
La lance brisée De son côté, Wotan tire Erda du sommeil tellurique qu’elle a poursuivi depuis la naissance de Brünnhilde, afin de découvrir s’il existe un moyen d’éviter la fin imminente de son règne. Mais même Erda ne peut l’aider et Wotan s’apprête sans rancœur à céder son pouvoir à son petit-fils qu’il voit approcher. Mais l’attitude de Siegfried est si offensante que Wotan, dans un dernier sursaut de révolte, lui barre le chemin de sa lance. L’épée Notung brise la lance, symbole du pouvoir du dieu.
Le réveil de Brünnhilde Siegfried, traversant le cercle de feu, gravit le rocher de la Walkyrie où il éveille la vierge guerrière. La joie de Brünnhilde à sa vue est suivie de l’amer regret de n’être plus une inviolable déité, mais une simple mortelle. Elle va toutefois trouver dans les bras de Siegfried de nouvelles et humaines passions.
Comme l’on pouvait s’y attendre, les choix esthétiques de Günter Krämer pour ce troisième volet du Ring s’inscrivent dans la continuité de l’Or du Rhin et de la Walkyrie. Si certaines images sont fortes, il arrive qu’elles soient entrecoupées de passages à vide devant un simple tableau noir - signe de capitulation ? -, et que nombre d’objets renvoient sciemment à la laideur des artifices, signes d'humour. Il apparaît également plus clairement que le metteur en scène dénonce dans le cycle complet, à partir d’un ensemble de tableaux, la responsabilité de l’homme dans la destruction de son propre monde, qu‘elle soit active ou bien passive.
Le premier acte de Siegfried s’ouvre sur l’univers de Mime, le frère d’Alberich, nain représenté en ménagère évoluant en sous-sol dans un lieu de vie grossier et aménagé de quelques éléments de simili-verdure.
Wolfgang Ablinger-Sperrhacke se glisse dans ce personnage vulgaire avec une aisance vocale et corporelle irrésistible au plus haut point.
Son chant répercute brillamment chaque phonème avec un sens du discours théâtral tranchant, agilité qui va de pair avec la souplesse dont il fait preuve pour contrôler son propre corps.
Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Mime)
Il n’est pas le seul à se lâcher sur scène, Günter Krämer tourne en dérision tout ce passage.
Le premier tableau plante en effet un décor d’enfance, sapin de noël, nounours et autres nains de jardin, dans lequel a été élevé le fils de Siegmund. En salopette pendant tout son parcours, Torsten Kerl n’a sans doute pas les talents comiques de son partenaire, ni la même projection, mais le timbre est attachant et son rôle gauche reste plutôt distrayant.
Torsten Kerl (Siegfried) et Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Mime)
Il est présenté comme l’homme sur lequel compte Mime pour le sortir de sa médiocre condition, et c’est en regardant sur un écran de télévision le film de Fritz Lang, Siegfried, qu’il trouve un exemple à suivre.
La rencontre entre Mime et le Voyageur est présentée de façon amusante, une leçon d'école, d'où un seul mot est à retenir : Furcht, la peur dont Wotan est devenu le vecteur, la peur qui asservit les hommes à des leaders, la peur que Siegfried ne connaît pas.
Juha Uusitalo (Der Wanderer - Wotan)
Après la remarquable interprétation humaine de Thomas Johannes Mayer lors de l'épisode précédent, Juha Uusitalo reprend le rôle de Wotan avec une conception plus brute, une présence physique forte mais vocalement plus uniforme.
La transition vers la scène de la forge se fait naturellement en utilisant la machinerie hydraulique de Bastille, prétexte assez simpliste pour montrer progressivement l’effacement de la symbolique verte, naturelle, devant le feu destructeur et rougeoyant du à la fabrication de l‘arme ultime : Notung.
Mais contrairement à l’ouverture sur la maison de Hunding dansDie Walküre, l’exécution musicale de Philippe Jordan et de l’Orchestre de l’Opéra de Paris prend dès le départ un élan nerveux, lumineux, avec un soucis de révéler nettement tous les thèmes de la musique de Wagner, et de rechercher une perfection des formes qui se fond dans la fluidité d‘ensemble.
Stephen Milling (Fafner)
Cette élégance quasi féminine, et finement sculptée, est peut être à l’origine des critiques de ceux qui préfèrent un Wagner plus noir, lourd et violent. Même les timbales sonnent à la fois puissamment et vivement, et les motifs des solistes s’élèvent et s’évanouissent dans une continuité harmonieuse toujours aussi poétique.
Ces qualités sont une constante de toute la représentation.
Acte II : la grotte de Fafner
Nous nous retrouvons au second acte dans des profondeurs où aboutit un rail menant à la grotte de Fafner, profondeurs dominées par la toile d’une forêt respirant au rythme des pulsations de la musique, dans une lumière sombre mixant or et verdure. Wotan et Alberich, tels des hommes d'affaires reflets l’un de l’autre, en surveillent l’entrée. Peter Sidom est aussi percutant que brillant acteur.
Krämer substitue par la suite le dragon à un chef mafieux, impressionnant Stephen Milling, qui dispose d’une bande d’hommes armés et chargés d’amasser les richesses, le rêve de pouvoir tel que Mime l’envisage pour lui-même. La nudité des figurants ne se justifie que lorsque leurs corps, terrassés après le meurtre de Fafner et de Mime, se mêlent aux feuilles mortes, à la délicatesse des rideaux peints, et que la nature reprend le dessus.
Qiu Lin Zhang (Erda)
A nouveau il s’agit d’insérer, comme les ouvriers des géants, les mineurs d'Alberich, les héros du Walhalla, la tribu de Hunding, une forme d’aliénation de masse autour d’un leader.
Le monde est toujours en flamme, depuis l’immolation de Brünnhilde, mais faut-il comprendre que l’écran plasma - procédé décalé et peu spectaculaire - situé dans la bibliothèque d’Erda souligne son inaction et sa contemplation devant le désastre en cours?
Le timbre d’ébène de Qiu Lin Zhang, profondément pathétique, fait à nouveau forte impression.
Torsten Kerl (Siegfried)
Nous ne verrons pas comment Siegfried traverse les flammes pour atteindre la Walkyrie, et nous nous contenterons d’un large tableau gris à l’avant scène lors de la lutte entre Siegfried le Comique et Wotan la Star.
La dernière scène, sur laquelle monte un long accord sidéral, s’ouvre sur le grand escalier du Walhalla, sous une lueur crépusculaire qui crée des effets de crénelages fascinants.
Les restes de la colère de Wotan - deuxième acte de la Walkyrie - s’éparpillent sur les marches, et les gardiens du palais, image magnifique de ces casques ailés bienveillants, veillent sur le corps de Brünnhilde.
Par peur, elle s'était réfugiée sous la table au moment où Loge allumait un feu ravageur.
On peut supposer qu'une fois endormie, les gardiens l'ont déposée au milieu du grand escalier pour préparer sa transition d'une vie éternelle vers la vie humaine, à la surface de la Terre.
Brigitte Pinter (Brünnhilde)
Son réveil par Siegfried est celui d’un enfant maladroit retrouvant sa mère, et Brigitte Pinter, lors de la répétition, impose petit à petit sa noble allure, femme désabusée mais encore vaillante lors de son ultime cri d’amour.
Les autres soirs, Katarina Dalayman apparaît plus sauvage, voix de métal avec une tendance à précipiter de brusques éclats, regard lumineux, et quelques limites compensées par un enthousiasme communicatif.
Katarina Dalayman (Brünnhilde).
La dernière minute de l’opéra se déroule sur un soleil grandissant, à la fois étoile Siegfried et étoile de Brünnhilde, alors que Wotan s’écroule.
Il y a quelque chose de frustrant et d' attachant dans l’approche de Günter Krämer. Son travail du mouvement d'acteur en reste au premier degré, il utilise des procédés datés, mais en même temps il peut créer des tableaux singulièrement poétiques car il ne perd pas de vue la dimension humaine.