Publié le 23 Mai 2013
Der Ring des Nibelungen - Götterdämmerung (Richard Wagner)
Répétition générale du 18 mai 2013
Opéra Bastille
Siegfried Torsten Kerl
Gunther Evgeny Nikitin
Hagen Hans-Peter König
Alberich Peter Sidom
Gutrune, Dritte Norn Edith Haller
Zweite Norn, Waltraute Sophie Koch
Brünnhilde Petra Lang
Erste Norn, Flosshilde Wiebke Lehmkuhl
Woglinde Caroline Stein
Wellgunde Louise Callinan
Direction Musicale Philippe Jordan
Mise en scène Günter Krämer (2011)
Petra Lang (Brünnhilde)
La mise en scène du Ring par Günter Krämer n’a eu aucun soutien de la critique française, à cause, principalement, de son esthétisme d’ensemble qui séduit rarement l’œil, alors qu’à New York et Milan, Robert Le Page et Guy Cassiers ont tout misé sur la vidéo et la machinerie en privilégiant le grand spectacle pour grands enfants.
Pourtant, ces deux dernières réalisations ne comportent qu’un traitement de surface raffiné, clinquant, alors que le concept du régisseur allemand cherche à raccrocher le sens de l’œuvre et la psychologie des personnages à l’évolution de la société germanique du XXième siècle.
Cette réflexion sur le fond semble n’avoir intéressé personne, alors que toutes les villes d’Allemagne relevées depuis la seconde guerre mondiale en portent toujours les traces des pertes et des destructions, et des vides qu’elles ont conservés.
Dans le Crépuscule des Dieux, Günter Krämer, avec un sens de la dérision bienveillant, décrit comment l’humanité que recherchait Brünnhilde s’est incarnée dans un bonheur bourgeois et innocent, avec Siegfried, à l’ère industrielle. Tous deux font de la barque le long du Rhin, sur fond d’un paysage portuaire noyé dans les lueurs du crépuscule, alors que les trois nornes, trois femmes séductrices, annoncent une fin proche. Siegfried apparaît déjà, et ce sera une constante tout le long du drame, comme quelqu’un d’influençable, l’image d’une faiblesse qu’il payera de sa vie.
En remontant le Rhin, le héros arrive dans le sud de l’Allemagne, à Munich, capitale de la Bavière, là où, dans une brasserie, Adolf Hitler réalisa un premier coup d’état. Le palais des Gibichungen est donc cet univers faussement festif où germent les intrigues de prises de pouvoir.
Gunther et Gutrune s’apparentent à un médiocre couple bourgeois de province arriviste, en quête de renommée, et Hagen, dans son fauteuil roulant, assoie sa stature d’homme froidement calculateur qui prépare la guerre.
Siegfried se laisse abuser par l’alcool, Torsten Kerl génialement drôle, et oublie Brünnhilde.
Elle est rejointe, plus tard, dans ses appartements, par sa sœur Waltraute, vêtue telle Sainte Jeanne des Abattoirs, militante qui croit encore possible de sauver l’homme d’une société qui va à sa perte. Elle représente un des derniers sursauts d’idéal, les marches du Walhalla se perçoivent encore un peu dans l’ombre du fond de scène, avant la catastrophe du second acte.
Cette référence à Brecht est également appuyée par le feu, projeté sur une grande structure en forme de porte métallique, qui peut évoquer celui dans lequel disparurent les ouvrages rebelles.
La seconde partie est une référence évidente à l’embrigadement nazi et à une scène présente dans le film Le tambour (Volker Schlöndorff – 1979), qui montre un rassemblement en musique et la ferveur national-socialiste qui agite des petits drapeaux en croix gammées.
Le décor, avec guirlandes et cocardes multicolores en avant-scène, découvre par la suite une estrade avec les guerriers, aux couleurs des SA, qui chantent sur une marche militaire, et qui se transforment, par une astucieuse variation d’éclairage, en de simples villageois aimant les chansons à boire. Cette manière de montrer les deux visages de ces gens, en suivant le changement de tonalité de la musique, est une idée saisissante par l’effet de surprise qu’elle crée. Les petits drapeaux agités ne portent pas de symboles nazis, mais des grappes de raisins.
Par rapport à la création, il y a deux ans, cet acte est aussi d’une plus grande intensité théâtrale, avec un renforcement de la tension entre les chanteurs amenés à jouer à fond le drame.
Le dernier acte ouvre avec Siegfried vu de dos, marqué par une croix noire à double signification. Elle désigne évidemment son point faible, mais, en exécutant un geste d’allégeance, celui-ci symbolise aussi le ralliement des sectes religieuses, voire de la Franc-maçonnerie, à la politique d’Hitler dans les années 30. Fin d’un autre idéal spirituel.
Le meurtre de Siegfried par Hagen apparaît comme celui d’un homme instrumentalisé et qui n’aura rien compris de sa vie aux enjeux politiques.
La structure métallique, omniprésente, est ensuite utilisée pour montrer la montée impressionnante de Siegfried au Walhalla, impressionnante avant tout par la force de la direction musicale, et la mort de Brünnhilde, pour laquelle le metteur en scène n’a pas la meilleure idée en plaquant son ombre sur ce grand écran, ni en représentant les héros éliminés comme dans un jeu vidéo.
Quant au final, au lieu que ne se sublime l’amour entre Siegfried et Brünnhilde, ne reste, en avant plan, que l’Or du Rhin, la richesse matérielle.
Dans cette mise en scène qui raconte ainsi l’évolution de la société allemande, le symbolisme un peu rustre des décors est compensé par un excellent travail du jeu d’acteur, plus resserré qu’à la création.
Tous les artistes sont fortement liés dramatiquement. Torsten Kerl n’est pas un Siegfried assez rayonnant pour la salle de l’Opéra Bastille, cela a été suffisamment dit, mais son personnage absurde est d’une crédibilité très attachante. Vocalement, c’est la souplesse des variations entre sa tessiture aigue et la noirceur de ses intonations graves que l’on retient le mieux.
Après avoir entendu son interprétation de Brünnhilde, peut-on croire que Petra Lang soit mezzo-soprano? Son aisance à s’incarner dans les aigus lancés à cœur ouvert, vibrant, alors que l’on ne l’entend plus quand elle se replie sur des graves imaginaires, donne l’impression qu’un fragment de caractère ne s’exprime pas. L’actrice est rebelle, superbement impulsive, ne manque donc qu’une richesse de couleurs qui pourrait rendre son air final plus noir et pathétique.
Magnifique Hagen, il faut entendre au moins une fois son appel tétanisant au deuxième acte pour rester impressionné à vie par Hans-Peter König. Il est l’image même de l’autorité qui n’existe que par une énergie interne phénoménale.
Peter Sidom est toujours un génial Alberich, tortueux et torturé, Sophie Koch, regards désespérés et abattus, impose une présence scénique en laquelle s’exprime un art de la déclamation morbide fascinant, et Evgeny Nikitin transforme presque le médiocre Gunther en un double de Wotan, redoutable et sans scrupule.
Elle a un rôle plus secondaire, mais Edith Haller fait don à Gutrune d’une belle voix dorée et d’un tempérament déchiré.
Par ailleurs, elle est accompagnée par Sophie Koch et Wiebke Lehmkuhl dans le trio d’ouverture des trois nornes, chacune faisant entendre un chant bien timbré, sensuel et enveloppant quand Philippe Jordan réussit aussi bien à lever les magnifiques tissures évanescentes de la musique.
Tout l’art du directeur musical est de savoir créer une atmosphère irréelle et fragile d’une extrême finesse, et de modeler la chaleur sensuelle du corps des instruments à vents, qu’ils soient de cuivre ou de bois. Les leçons de Bayreuth sont apprises, alors le volume de l’orchestre prend de l’ampleur, les cors deviennent plus agressifs, mais pas toujours, et quelques passages, l’ouverture du second acte, se complaisent dans des effets inconsistants, là où la noirceur de la musique devraient être plus appuyée. Mais le voyage n’en est pas moins extraordinaire.