Publié le 24 Décembre 2017
Lohengrin (Richard Wagner)
Représentation du 17 décembre 2017
Deutsche Oper - Berlin
Heinrich der Vogler Ain Anger
Lohengrin Klaus Florian Vogt
Elsa von Brabant Anja Harteros
Friedrich von Telramund Simon Neal
Ortrud Petra Lang
Der Heerrufer des Königs Thomas Lehman
Mise en scène Kasper Holten (2012)
Direction musicale Axel Kober
Ain Anger (Heinrich der Vogler)
Porté sur la scène du Deutsche Oper la même année que la production de Claus Guth pour la Scala de Milan, le regard de Kasper Holten sur Lohengrin n’en renouvelle pas la lecture et le dépouille non seulement de tout espoir mais de tout sentiment véritable.
Un rideau noir sur lequel le nom de Lohengrin est griffonné en blanc avec une larme de peinture mal contenue, une météorite qui s’écrase à l’horizon, le premier acte se révèle misérabiliste et primitif. Des corps jonchent le sol, bien que neuf ans de paix avec les Hongrois se soient écoulés, Elsa apparaît enchainée, et l’arrivée de Lohengrin dans une brume lumineuse spectaculaire, au moment où il revêt ses deux ailes de cygne blanc, joue le jeu du symbole emphatique naïvement attendu par la jeune fille.
Le combat avec Telramund est également masqué par ce même brouillard.
En seconde partie, une croix noire pointée vers la salle surplombe, à l’image de l’envol d’un cygne noir, le couple païen d’Ortrud et Telramund pris au piège d’une foi chrétienne naissante mais incertaine, et le mariage d’Elsa et Lohengrin au pied de la cathédrale est représenté comme une mise en scène de théâtre devant l’image d’un édifice en perspective se dressant vers un ciel uniformément bleu. Tout sonne faux et arrangé, mais le public peut tout à fait prendre ce tableau au premier degré et le trouver beau, alors qu'il s'agit d'une vision bourgeoise du mariage figurée comme une voie possible vers Dieu.
Le dernier acte commence par un pressage funèbre, le lit d’Elsa étant une tombe blanche qui fera écho, après l’échec de l’attentat de Telramund sur Lohengrin, au spectre d’un champ de tombes noires évoquant le Mémorial de l’holocauste de Berlin, sauf que la croix gravée sur chaque stèle met en garde les chrétiens et non les juifs. Au récit du Graal, le peuple se prosterne et supplie le messager divin de ne pas partir, mais celui-ci, voyant Elsa revenir avec dans ses bras le corps inanimé de son petit frère, désigne ce dernier comme leur nouveau chef, une véritable punition qui annonce la fin du Brabant.
Et même si la direction d’acteur de Kasper Holten reste finalement peu travaillée, elle comprend au moins l’originalité de rendre le personnage de Lohengrin particulièrement antipathique, puisqu’on le voit à chaque acte avoir un geste violent soit envers Elsa, soit envers Ortrud. Il s’agit d’un être en mission commandée qui, si on considère qu’il éprouve de l’amour pour ce peuple, l’exprime en tout cas avec la volonté de le secouer sans ménagement.
Car ce Lohengrin n’est pas venu pour sauver les Allemands, sinon pour les mettre en garde de la fin prévisible du monde chrétien.
Quoi qu’il en soit, l’intérêt de cette reprise est de retrouver Klaus Florian Vogt et Anja Harteros qui formaient un couple magnifique dans la nouvelle production de Tannhäuser à l’opéra de Bavière au printemps dernier.
La soprano munichoise est une actrice née, son visage un reflet des tortures de l’âme beau à pleurer, majestueuse femme fragile, des mimiques enfantines, et en même temps il y a cette voix tragique et projetée comme un cri du cœur pudique mais tendu, une lumière jaillie d’une noirceur sensiblement affectée.
Absolument immense et déjà légendaire, le Lohengrin de Klaus Florian Vogt commence par dominer la scène de sa voix magnifiquement puissante et éthérée, mais, par la suite, les attaques deviennent fortement marquées et même colériques, ce qui accroît encore plus le caractère ancré dans la réalité de son personnage. Ce portrait, le plus convaincant entendu de sa part à ce jour, est toujours un émerveillement de chaque instant, et cette clarté de timbre phénoménale est véritablement un don exceptionnel pour l’art lyrique.
Petra Lang, Ortrud sauvage et aguerrie aux accents les plus menaçants, use de son magnétisme maléfique et de son impressionnante longueur de souffle pour peindre une figure du mal calculateur saisissante, mais, moins bien dirigée que dans la production de Hans Neuenfels à Bayreuth, elle ne retrouve pas pleinement le même impact spectaculaire.
Roi Henri solide, Ain Anger endosse d’une humaine prestance le rôle du monarque, alors que Simon Neal ne réussit pas suffisamment à faire vivre les contrastes violents de Friedrich von Telramund.
Et doté de la musicalité naturelle de l’orchestre et du chœur du Deutsche Oper, Axel Kober restitue un Lohengrin d’une sensualité fusionnelle irrésistible mais dont le peu de relief théâtral ne permet pas une immersion totale et ininterrompue, ce qui peut aussi expliquer un manque d’énergie galvanisatrice sur scène.