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Publié le 19 Janvier 2017

Lohengrin (Richard Wagner)
Répétition du 14 janvier et représentations du 18, 21, 27 janvier et 11 et 18 février 2017
Opéra Bastille

Heinrich der Vogler         René Pape
                                         Rafal Siwek
(fev)
Lohengrin                        Jonas Kaufmann
                                         Stuart Skelton
(fev)
Elsa von Brabant              Martina Serafin
                                         Edith Haller
(fev)
Friedrich von Telramund Wolfgang Koch
                                         Tomasz Konieczny
(fev)
Ortrud                              Evelyn Herlitzius
                                         Michaela Schuster
(fev)
Der Heerrufer des Königs Egils Silins

Mise en scène Claus Guth (2012)
Direction musicale Philippe Jordan
Coproduction Scala de Milan

                                        Evelyn Herlitzius (Ortrud)

Probablement sans le savoir, Stéphane Lissner vient d’offrir, en moins d’un an, une nouvelle production pour chacun des trois opéras qui étaient les plus joués, après le Faust de Charles Gounod, de l’ouverture du Palais Garnier jusqu’à la rupture de la Seconde Guerre Mondiale.

En effet, après Samson et Dalila et Rigoletto, Lohengrin était le quatrième opéra le plus représenté à l’Opéra au début du XXe siècle – Les Huguenots, n°5 sur la liste, auront quant à eux leur nouvelle production en 2018.

 Evelyn Herlitzius (Ortrud)

Evelyn Herlitzius (Ortrud)

Mais depuis l’après-guerre, cette œuvre qui représente un sommet culminant de l’opéra romantique se situe à peine parmi les 50 œuvres phares du répertoire, et sa dernière reprise, dans la mise en scène de Robert Carsen, remonte à dix ans déjà, sous le mandat de Gerard Mortier.

Réalisée à la Scala de Milan en 2012, quand Stéphane Lissner en était le directeur, la production de Lohengrin par Claus Guth est aujourd’hui montée sur la scène de l’opéra Bastille.

Martina Serafin (Elsa)

Martina Serafin (Elsa)

Celle-ci se démarque immédiatement de l’univers originel de légende médiévale par la recréation d’un monde de fin XIXe siècle, coloré par le bleu-doré des costumes militaires, où la société masculine parade en hauts-de-forme noirs, et où les femmes doivent se plier aux us qui leurs sont dévolus.

Dans une cour carrée entourée d’un mur de portes stratifié sur plusieurs étages, une jeune femme, Elsa, trouve dans le rêve une échappatoire aux tensions engendrées par les désirs de représentations sociales et de pouvoir de son entourage.

 Jonas Kaufmann (Lohengrin) - Evelyn Herlitzius (Ortrud) - René Pape (Le Roi) - Tomasz Konieczny (Telramund)

Jonas Kaufmann (Lohengrin) - Evelyn Herlitzius (Ortrud) - René Pape (Le Roi) - Tomasz Konieczny (Telramund)

Ainsi, plutôt que de centrer la représentation sur l’incompatibilité entre les aspirations d’un surhomme, Lohengrin, et la société humaine telle qu’elle est, Claus Guth fait d’Elsa le véritable personnage principal, et de Lohengrin son pendant maladif tout aussi inadapté.

Lohengrin - inspiré, dans cette production, de la vie du personnage de Gaspar Hauser - semble une vision fantasmée de Gottfried, le frère disparu d’Elsa, et la mise en scène – qui laisse planer un doute sur la responsabilité d’Ortrud dans cette disparition - superpose au monde réel les souvenirs d’enfance de l’héroïne par l’incarnation d’une jeune fille accompagnée d'un autre rôle muet, celui du frère, mi- enfant, mi- cygne.

Martina Serafin (Elsa)

Martina Serafin (Elsa)

Et ces visions, isolées par des éclairages intimistes, réapparaissent à chaque angoisse.

De plus, le metteur en scène tisse des liens imaginaires entre Ortrud et Elsa, en montrant le pouvoir d’influence de la première sur l’adolescente, et sa haine inaltérable.

Un piano, situé en bord de scène – et basculé au sol au troisième acte -, renvoie à des désirs poétiques de rêves et de réconfort.

Nombre d’images et d’atmosphères révèlent leurs forces, le début du second acte, où l’on découvre Ortrud et Telramund s’apitoyant sur leur sort sous les ombres lugubres des murs de la ville qui sculptent les lignes mortifères de leurs visages, ou bien la grande scène de mariage flamboyante, et le regard illuminé et inconscient d’Elsa qui sourit à son bonheur sous les pluies de pétales filées par le chœur. 

Martina Serafin (Elsa)

Martina Serafin (Elsa)

Mais il y a aussi la violence scarificatrice d’Ortrud envers elle-même, l’étreinte entre Lohengrin et Elsa au milieu des roseaux sauvages du marais, lieu de refuge et du drame initial, et ces personnages tapis dans l’ombre et prêts à surgir à tout moment pour imposer leur regard oppressant.

Une dramaturgie qui, certes, ne parle pas du risque à s’élever au-delà de la nature humaine, mais qui raconte un drame lisible sur l’impossibilité à s’échapper d’un monde mentalement fermé.

Jonas Kaufmann (Lohengrin) et Martina Serafin (Elsa)

Jonas Kaufmann (Lohengrin) et Martina Serafin (Elsa)

L’interprétation musicale, impressionnante par ses accents perçants, son rythme acéré et son grand impact vocal, renforce la puissance théâtrale de la mise en scène.

La première distribution réunie au cours du mois de janvier reprend ainsi une partie de celle qui avait participé à la création de cette production à Milan en décembre 2012, avec Jonas Kaufmann, René Pape et Evelyn Herlitzius.

René Pape, la stature naturellement impérieuse et le regard clair de glace, la voix expressive d’une texture agréablement fumée, dépeint un roi inflexible mais non dénué de tendresse, toujours fascinant de prestance.

René Pape (Le Roi)

René Pape (Le Roi)

Tant attendu, Jonas Kaufmann est un émerveillement de douceur et de sensibilité.

Acteur total, adorable dans ce rôle de héros un peu perdu, il a retrouvé ce chant si fin et diffus qui porte en lui-même un cri de souffrance camouflé sous une sombre suavité, et qu’il sait libérer progressivement mieux que personne.

Ampleur mesurée, mais projection frontale d’une homogénéité parfaite, le balancement entre sentiment d’humilité et humanité profonde qui s’abandonne, dans la confrontation finale avec Elsa, décrit ainsi un Lohengrin assommé par le poids d’une société qu’il ne peut soutenir.

Quel spectacle que de regarder ainsi une salle comble, rivée à son fauteuil et recevant, comme d’un seul souffle, In fernem Land, chanté avec une telle délicatesse sous un faisceau lumineux qui efface tout ce qui entoure le chanteur!

Jonas Kaufmann (Lohengrin)

Jonas Kaufmann (Lohengrin)

En contraste total avec cette sensibilité recueillie, Evelyn Herlitzius, pour ses débuts sur la scène parisienne, est un constant vecteur de frissons d’effroi, invraisemblable hystérie arrogante.

Déclamation extraordinairement franche aux couleurs noires, clivées de furtives exclamations éclatantes, incarnation nerveuse, dominatrice, voix fabuleuse avec, parfois, d’étonnants graves couverts que l’on semble entendre rien qu’en lisant le visage de cette artiste hors-norme, on ne peut s’empêcher d’admirer cette énergie inimitable qui tend entièrement à une consumation autodestructrice.

 Evelyn Herlitzius (Ortrud)

Evelyn Herlitzius (Ortrud)

Voir ainsi une personnalité telle Evelyn Herlitzius se donner totalement à son Art, sans paraître affectée par tous ces rôles aussi incroyables qu’Elektra, Katerina Ismaïlova, Isolde ou Kundry, qu’elle interprète à travers le monde, c’est frapper à vie sa propre mémoire émotionnelle.

Son partenaire, Tomasz Konieczny, qui remplace pour la première représentation Wolfgang Koch dans le rôle de Telramund, est également un fauve scénique impressionnant. Baryton au mordant de bronze, menaçant, ce chanteur de caractère dégage une animalité stupéfiante, un brin caverneuse, le refus de la faiblesse malgré le rejet social de Telramund.

Tomasz Konieczny (Telramund)

Tomasz Konieczny (Telramund)

Dans une vocalité plus humaine mais très mature, Martina Serafin rayonne de toute la féminité idéaliste inhérente à la personnalité d’Elsa. Présence physique forte, texture du timbre dense et riche d’aigus acérés, elle n’exprime pas tout à fait une innocence lisse, mais plutôt une personnalité sanguine qui dépasse un peu Lohengrin.

Quant à Egils Silins, voix mâte et bien projetée, son assurance appuyée donne au Héraut d’armes une fermeté encore plus intransigeante que celle du Roi.

Martina Serafin (Elsa)

Martina Serafin (Elsa)

L’interprétation orchestrale de Philippe Jordan, patient travail sur les textures et les ornementations, s’accompagne d’une parfaite maîtrise de la théâtralité, y compris dans la marque des silences.

Moins centré sur la recherche du pur hédonisme sonore qu'il développe régulièrement, il s’empare de toute la violence contenue dans la musique pour l’exacerber en faisant résonner les percussions, avec une constante volonté d’insuffler au drame un élan porteur pour les chanteurs.

Il les tient du regard et canalise l’énergie des musiciens pour permettre à l’expression des artistes qui évoluent sur scène de briller avec le plus d’éclat possible. 

Philippe Jordan - final de la répétition générale du 14 janvier

Philippe Jordan - final de la répétition générale du 14 janvier

Ainsi, les cuivres claquent avec un tranchant extrêmement incisif, décrivent parfois de grands arcs lumineux étincelants, les violons strient en petites touches des ambiances glacées, et la pureté des lignes suffit à faire ressortir les instants les plus poétiques.

C’est cependant au troisième acte que le chef d’orchestre déploie le plus sa capacité à créer des espaces intemporels et immatériels fascinants.

Enfin, belle osmose avec le chœur, qui se traduit aussi bien par des passages chantés avec une présence qui permettrait presque de dissocier chaque choriste, que par de larges envolées lyriques où voix et musique se fondent en une élégie sonore grandiose. 

Tomasz Konieczny (Telramund) et Michaela Schuster (Ortrud) - le 11 février 2017

Tomasz Konieczny (Telramund) et Michaela Schuster (Ortrud) - le 11 février 2017

On aurait pu penser que l’aura dominante de Jonas Kaufmann sur cette première série de représentations aller faire de l’ombre à la seconde distribution réunie au cours du mois de février, pourtant, c’est une envolée galvanisante que celle-ci a réservé à ses auditeurs.

En effet, dans un total élan de libération, Philippe Jordan transforme littéralement l’orchestre en une machinerie dantesque mêlant sublime et énergie agressive pour repousser les limites de l’expressivité dramatique. Cordes amples aux couleurs profondes, cuivres fulgurants et explosifs, pléthore d’effets sonores inhabituels, une tempête souffle, une clameur lyrique envahit le théâtre, l’intimité se resserre, aucun répit n’est laissé à l’auditeur pris par une tension permanente.

Edith Haller (Elsa) et Stuart Skelton (Lohengrin) - le 11 février 2017

Edith Haller (Elsa) et Stuart Skelton (Lohengrin) - le 11 février 2017

Ce tournoiement orchestral pourrait mettre à dure épreuve les chanteurs, il semble en fait les enflammer. Tomasz Konieczny est toujours aussi colossal et grandiose, et Michaela Schuster révise le jeu théâtral d’Ortrud : par exemple, les incantations à Wotan, chantées debout de façon glorieuse, alors qu’Evelyn Herlitzius restait prostrée sur sa table. Ou bien, remarque t'on un peu moins de gestes sadiques totalement visibles - pas de rabattement violent du couvre clavier du piano sur les doigts d'Elsa -, mais des gestes mesquins plus dissimulés - elle s'assoie discrètement sur la robe d'Elsa pour l'empêcher de bouger. Il y a chez elle une manière de rendre Ortrud encore plus dissimulatrice de sa nature hypocrite et calculatrice.

Un grand travail de psychologie servie par une voix noire dont elle semble s’amuser de ses étranges modulations.

Edith Haller (Elsa) - le 11 février 2017

Edith Haller (Elsa) - le 11 février 2017

Et avec Edith Haller, on retrouve une Elsa radiante et rêveuse, une pureté de ligne mais aussi des inflexions plus en chair dans les rapports de confrontations où elle garde toujours une certaine mesure.

Inscrit dans la même tonalité fumée et douce de Jonas Kaufmann, Stuart Skelton dessine un Lohengrin merveilleux de poésie et de profondeur qui lui permettent de dépasser les limites de son jeu scénique, et qui contrastent fortement avec son allure de solide montagnard. Le timbre dense et riche, viril, les nuances filées, un liant superbe, il est véritablement un très bel interprète du rôle.

Quant à Rafal Siwek, il représente un roi sombre et bien incarné.

Philippe Jordan - le 11 février 2017

Philippe Jordan - le 11 février 2017

Chœur à son summum, mais comment pouvait-il en être autrement avec une équipe artistique d’un tel niveau ?

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Publié le 4 Août 2014

Lohengrin (Richard Wagner)
Représentation du 31 juillet 2014
Bayreuther Festspiele

 
König Heinrich Wilhelm Schwinghammer
Lohengrin Klaus Florian Vogt
Elsa von Brabant Edith Haller
Friedrich von Telramund Thomas Johannes Mayer
Ortrud Petra Lang
Der Heerufer des Königs Samuel Youn


Mise en scène Hans Neuenfels (2010)
Direction musicale Andris Nelsons

 

 

                                                                                                            Klaus Florian Vogt (Lohengrin)

Un an après sa création en 2010 au Festival de Bayreuth, la vision de Lohengrin par Hans Neuenfels fut diffusée en direct sur Arte, et il est même possible, à présent, de la revoir sur la plateforme Youtube, avec une distribution que l’on retrouve partiellement en 2014 - Klaus Florian Vogt, Petra Lang et Samuel Youn - avec le même charisme et la même présence vocale.

Malgré son esthétique qui rend peu flatteuse l'image de la société humaine du Brabant, la mise en scène est très lisible, proche du didactisme même.
Le régisseur allemand représente un monde où tous les êtres sont régis par des instincts suivistes et destructeurs. Leur identité est indifférenciée, et l'image d'un groupe de rats numérotés est radicalement explicite.

Edith Haller (Elsa)

Edith Haller (Elsa)

La vidéographie est explicative, et même plus qu'il n'est nécessaire, puisque le meurtre de Gottfried, un rat rouge lui aussi, est montré sous l'angle des apparences, c'est à dire par Elsa, puis par un autre être – le réel meurtrier - au moment du combat entre Lohengrin et Telramund.

Quand Elsa survient, une salve de flèches plantée dans le dos, supportant le même supplice que celui d'un Saint Sébastien, la violence accusatrice et facile de ce monde de rats achève de le rendre encore plus répugnant.

L'apparition de Lohengrin, sous les traits magnifiques de Klaus Florian Vogt, oppose donc une individualité forte qui est en clivage total avec cette société contaminée par sa psychose collective, et limitée par ses gardiens - des hommes en tenues antivirales - qui dégagent tout ce qui pourrait déranger l'ordre de ce petit monde, un rat qui se rebelle, Ortrud elle-même qui est sur le point d'être internée, et la croix que désigne le chevalier à la fin du second acte.

Samuel Youn (Le Heraut)

Samuel Youn (Le Heraut)

Par cette image, Hans Neuenfels non seulement souligne le vide spirituel de cet univers, mais il réhabilite immédiatement la foi de Lohengrin qui reconstruit la croix en la brandissant. En cela il ne déconstruit pas ce personnage, mais il le renforce.

Au dernier acte, devant un lit nuptial d'un blanc immaculé, la perte de confiance d'Elsa est signifiée par l'apparition d'une barque-cercueil ne contenant plus que les plumes du cygne. Puis, le meurtre défensif de Telramund par Lohengrin devient le paroxysme inévitable d'une tension accumulée entre une individualité et un groupe social pétri de codes, de peurs et de conformisme.

Lohengrin se retrouve seul, vêtu de noir, et surmonté en arrière-plan d'un immense point d'interrogation. Il a fallu un drame pour qu'enfin se pose la question de qui est ce personnage qui ne se comporte pas comme les autres, et qui en apparaît étrange. C’est comme si le fait de n’avoir ni l’hypocrisie, ni la mesquinerie, ni les faux-semblants et l’esprit de lucre de son monde le rendait suspicieux et remettait en cause son humanité.

Petra Lang (Ortrud) et Thomas Johannes Mayer (Telramund)

Petra Lang (Ortrud) et Thomas Johannes Mayer (Telramund)

Hans Neuenfels n’en fait cependant pas un ange mélancolique non plus, et son rapport à Elsa est montré avec un mélange de tendresse et de violence, manière de révéler que la tension qu’il entretient avec son milieu social affecte la relation avec l’héritière du Brabant qui, elle, n’est pas indépendante de celui-ci.

La violence entre Ortrud et Telramund, attaqués et dévalisés par une bande de rats lors de leur fuite de la cité, est également saisie avec un fascinant diabolisme morbide et torturé.

C’est la force de cette mise en scène que d’exacerber ces tensions entre des êtres que tout semble opposer, mais qui sont pourtant posés sur le même plan humain. Et l’on peut se remémorer Ortrud et Elsa s’affrontant avec la même robe, l’une noire, l’autre blanche, au cours d’une joute verbale tournoyante qui montre, quelque part, qu’une même ambition anime ces deux femmes. Elsa n’est pas totalement blanche, elle est influençable, et c’est pour cela qu’elle est sensible au propos d’Ortrud, et qu’elle a besoin d’en savoir plus sur Lohengrin, afin de vérifier que son ambition sociale ne sera pas remise en cause.

Petra Lang (Ortrud)

Petra Lang (Ortrud)

Lors de la scène finale, l’opposition blanc-noir s’inverse, et c’est Elsa qui apparaît en deuil, et Ortrud en sorte de colombine ambitieuse devenue folle.

L’échec de Lohengrin à n’avoir pu susciter un amour basé uniquement sur le sentiment – belle scène d’Elsa en admiration devant un cygne idéalisé au deuxième acte – est la conséquence de son niveau d'exigence à l’égard de la nature humaine. La dernière image d’un nouveau-né, laid et se tenant debout, peut faire sourire, mais elle est une façon de renvoyer au monde l’image de ce qu’il est réellement, dans son humanité la plus charnelle.

Klaus Florian Vogt (Lohengrin) et Edith Haller (Elsa)

Klaus Florian Vogt (Lohengrin) et Edith Haller (Elsa)

Cette reprise de Lohengrin - peut-être la dernière dans cette mise en scène – est jouée entre les deux derniers volets du Ring dirigé par Kirill Petrenko, ce qui n’est pas sans incidence sur notre ressenti à la direction musicale.

L’ouverture est certes lente, majestueuse et spirituelle, mais Andris Nelsons ne réussit pas toujours au premier acte à emplir la scène d’une générosité orchestrale qui, parfois, tombe dans une forme de platitude où disparaissent des pans sonores entiers, et où se noient les motifs les plus subtils.

Petra Lang (Ortrud)

Petra Lang (Ortrud)

Il faut en fait attendre le milieu du second acte pour que le spectacle soit totalement intégré dans ses dimensions tant musicales que théâtrales. Petra Lang, au regard d’acier, est toujours aussi impressionnante, à la fois lumineuse et puissante, mais l’on ne ressent pas l’extrême tension nerveuse qu’elle est capable d’imprimer à son rôle, et quelques décalages gestuels sont perceptibles.

Edith Haller semble, elle, mal à l’aise avec la mise en scène, ou du moins vaguement impliquée, et n’a sans doute pas toute la confiance qui lui permettrait de chanter avec le legato le plus soigné et le plus allégé. Au troisième acte, les emportements d’Elsa lui conviennent bien mieux, et c’est à cette caractérisation forte que Klaus Florian Vogt rendra hommage avec déférence au salut final.

Quant au ténor allemand, il est au meilleur de sa forme, tendre et rayonnant avec ce timbre magnifiquement pur et clair, tout en étant théâtral dans ses expressions vocales, selon une candeur naturelle qui rend le personnage de Lohengrin si crédible sous ses traits.

Klaus Florian Vogt (Lohengrin) et Edith Haller (Elsa)

Klaus Florian Vogt (Lohengrin) et Edith Haller (Elsa)

Thomas Johannes Mayer, le meilleur Telramund du festival dans cette mise en scène, est fidèle à toutes les incarnations qu’il a donné ces dernières années, excellent acteur, expressif et charismatique, une ligne vocale qui ne se départit pas d’une certaine douceur même dans la véhémence la plus brutale. C’est véritablement quelqu’un d’aussi captivant que ses grands partenaires que sont Klaus Florian Vogt et Petra Lang.

Wilhelm Schwinghammer est lui aussi un roi d’une belle couleur vocale, et Samuel Youn chante toujours le rôle du héraut avec la même noblesse sûre et posée.

Le chœur, un peu trop couvert par les masques de rats au premier acte, est par la suite à la fois ample et nuancé, au point de permettre d’entendre précisément les différentes composantes basses ou claires des voix.

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Publié le 23 Mai 2013

Der Ring des Nibelungen - Götterdämmerung (Richard Wagner)
Répétition générale du 18 mai 2013
Opéra Bastille

Siegfried Torsten Kerl
Gunther Evgeny Nikitin
Hagen Hans-Peter König
Alberich Peter Sidom
Gutrune, Dritte Norn Edith Haller
Zweite Norn, Waltraute Sophie Koch
Brünnhilde Petra Lang
Erste Norn, Flosshilde Wiebke Lehmkuhl
Woglinde Caroline Stein
Wellgunde Louise Callinan

Direction Musicale Philippe Jordan
Mise en scène Günter Krämer (2011)

                                                                                                        Petra Lang (Brünnhilde)


La mise en scène du Ring par Günter Krämer n’a eu aucun soutien de la critique française, à cause, principalement, de son esthétisme d’ensemble qui séduit rarement l’œil, alors qu’à New York et Milan, Robert Le Page et Guy Cassiers ont tout misé sur la vidéo et la machinerie en privilégiant le grand spectacle pour grands enfants.

Pourtant, ces deux dernières réalisations ne comportent qu’un traitement de surface raffiné, clinquant, alors que le concept du régisseur allemand cherche à raccrocher le sens de l’œuvre et la psychologie des personnages à l’évolution de la société germanique du XXième siècle.

Peter Sidom (Alberich) et le jeune Hagen

Peter Sidom (Alberich) et le jeune Hagen

Cette réflexion sur le fond semble n’avoir intéressé personne, alors que toutes les villes d’Allemagne relevées depuis la seconde guerre mondiale en portent toujours les traces des pertes et des destructions, et des vides qu’elles ont conservés.

Dans le Crépuscule des Dieux, Günter Krämer, avec un sens de la dérision bienveillant, décrit comment l’humanité que recherchait Brünnhilde s’est incarnée dans un bonheur bourgeois et innocent, avec Siegfried, à l’ère industrielle. Tous deux font de la barque le long du Rhin, sur fond d’un paysage portuaire noyé dans les lueurs du crépuscule, alors que les trois nornes, trois femmes séductrices, annoncent une fin proche. Siegfried apparaît déjà, et ce sera une constante tout le long du drame, comme quelqu’un d’influençable, l’image d’une faiblesse qu’il payera de sa vie.

Wiebke Lehmkuhl, Sophie Koch, Edith Haller (les trois nornes)

Wiebke Lehmkuhl, Sophie Koch, Edith Haller (les trois nornes)

En remontant le Rhin, le héros arrive dans le sud de l’Allemagne, à Munich, capitale de la Bavière, là où, dans une brasserie, Adolf Hitler réalisa un premier coup d’état. Le palais des Gibichungen est donc cet univers faussement festif où germent les intrigues de prises de pouvoir.

Gunther et Gutrune s’apparentent à un médiocre couple bourgeois de province arriviste, en quête de renommée, et Hagen, dans son fauteuil roulant, assoie sa stature d’homme froidement calculateur qui prépare la guerre.
Siegfried se laisse abuser par l’alcool, Torsten Kerl génialement drôle, et oublie Brünnhilde.

Petra Lang (Brünnhilde) et Torsten Kerl (Siegfried)

Petra Lang (Brünnhilde) et Torsten Kerl (Siegfried)

Elle est rejointe, plus tard, dans ses appartements, par sa sœur Waltraute, vêtue telle Sainte Jeanne des Abattoirs, militante qui croit encore possible de sauver l’homme d’une société qui va à sa perte. Elle représente un des derniers sursauts d’idéal, les marches du Walhalla se perçoivent encore un peu dans l’ombre du fond de scène, avant la catastrophe du second acte.
Cette référence à Brecht est également appuyée par le feu, projeté sur une grande structure en forme de porte métallique, qui peut évoquer celui dans lequel disparurent les ouvrages rebelles.

La seconde partie est une référence évidente à l’embrigadement nazi et à une scène présente dans le film Le tambour (Volker Schlöndorff – 1979), qui montre un rassemblement en musique et la ferveur national-socialiste qui agite des petits drapeaux en croix gammées.

Hans Peter König (Hagen) et Edith Haller (Gutrune)

Hans Peter König (Hagen) et Edith Haller (Gutrune)

Le décor, avec guirlandes et cocardes multicolores en avant-scène, découvre par la suite une estrade avec les guerriers, aux couleurs des SA,  qui chantent sur une marche militaire, et qui se transforment, par une astucieuse variation d’éclairage, en de simples villageois aimant les chansons à boire. Cette manière de montrer les deux visages de ces gens, en suivant le changement de tonalité de la musique, est une idée saisissante par l’effet de surprise qu’elle crée. Les petits drapeaux agités ne portent pas de symboles nazis, mais des grappes de raisins.

Par rapport à la création, il y a deux ans, cet acte est aussi d’une plus grande intensité théâtrale, avec un renforcement de la tension entre les chanteurs amenés à jouer à fond le drame.

Sophie Koch (Waltraute)

Sophie Koch (Waltraute)

Le dernier acte ouvre avec Siegfried vu de dos, marqué par une croix noire à double signification. Elle désigne évidemment son point faible, mais, en exécutant un geste d’allégeance, celui-ci symbolise aussi le ralliement des sectes religieuses, voire de la Franc-maçonnerie, à la politique d’Hitler dans les années 30. Fin d’un autre idéal spirituel.

Le meurtre de Siegfried par Hagen apparaît comme celui d’un homme instrumentalisé et qui n’aura rien compris de sa vie aux enjeux politiques.

La structure métallique, omniprésente, est ensuite utilisée pour montrer la montée impressionnante de Siegfried au Walhalla, impressionnante avant tout par la force de la direction musicale, et la mort de Brünnhilde, pour laquelle le metteur en scène n’a pas la meilleure idée en plaquant son ombre sur ce grand écran, ni en représentant les héros éliminés comme dans un jeu vidéo.
Quant au final, au lieu que ne se sublime l’amour entre Siegfried et Brünnhilde, ne reste, en avant plan, que l’Or du Rhin, la richesse matérielle.

Petra Lang (Brünnhilde) et Torsten Kerl (Siegfried)

Petra Lang (Brünnhilde) et Torsten Kerl (Siegfried)

Dans cette mise en scène qui raconte ainsi l’évolution de la société allemande, le symbolisme un peu rustre des décors est compensé par un excellent travail du jeu d’acteur, plus resserré qu’à la création.

Tous les artistes sont fortement liés dramatiquement. Torsten Kerl n’est pas un Siegfried assez rayonnant pour la salle de l’Opéra Bastille, cela a été suffisamment dit, mais son personnage absurde est d’une crédibilité très attachante. Vocalement, c’est la souplesse des variations entre sa tessiture aigue et la noirceur de ses intonations graves que l’on retient le mieux.

Après avoir entendu son interprétation de Brünnhilde, peut-on croire que Petra Lang soit mezzo-soprano? Son aisance à s’incarner dans les aigus lancés à cœur ouvert, vibrant, alors que l’on ne l’entend plus quand elle se replie sur des graves imaginaires, donne l’impression qu’un fragment de caractère ne s’exprime pas. L’actrice est rebelle, superbement impulsive, ne manque donc qu’une richesse de couleurs qui pourrait rendre son air final plus noir et pathétique.

Torsten Kerl (Siegfried)

Torsten Kerl (Siegfried)

Magnifique Hagen, il faut entendre au moins une fois son appel tétanisant au deuxième acte pour rester impressionné à vie par Hans-Peter König. Il est l’image même de l’autorité qui n’existe que par une énergie interne phénoménale.
Peter Sidom est toujours un génial Alberich, tortueux et torturé, Sophie Koch, regards désespérés et abattus, impose une présence scénique en laquelle s’exprime un art de la déclamation morbide fascinant, et Evgeny Nikitin transforme presque le médiocre Gunther en un double de Wotan, redoutable et sans scrupule.

Elle a un rôle plus secondaire, mais Edith Haller fait don à Gutrune d’une belle voix dorée et d’un tempérament déchiré.
Par ailleurs, elle est accompagnée par Sophie Koch et Wiebke Lehmkuhl dans le trio d’ouverture des trois nornes, chacune faisant entendre un chant bien timbré, sensuel et enveloppant quand Philippe Jordan réussit aussi bien à lever les magnifiques tissures évanescentes de la musique.

Petra Lang (Brünnhilde)

Petra Lang (Brünnhilde)

Tout l’art du directeur musical est de savoir créer une atmosphère irréelle et fragile d’une extrême finesse, et de modeler la chaleur sensuelle du corps des instruments à vents, qu’ils soient de cuivre ou de bois. Les leçons de Bayreuth sont apprises, alors le volume de l’orchestre prend de l’ampleur, les cors deviennent plus agressifs, mais pas toujours, et quelques passages, l’ouverture du second acte, se complaisent dans des effets inconsistants, là où la noirceur de la musique devraient être plus appuyée. Mais le voyage n’en est pas moins extraordinaire.

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