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Publié le 26 Juin 2017

Sadko (Nikolaï Rimski-Korsakov)
Représentation du 24 juin 2017
Vlaanderen Opera – Gand

Sadko Zurab Zurabishvili
Volkhova Betsy Horne
Lyubava Buslayevna Victoria Yarovaya
Nezhata Raehann Bryce-Davis
Océan, le roi des mers Anatoli Kotcherga
Le marchand varègue Tijl Faveyts
Le marchand hindou Adam Smith
Le marchand vénitien Pavel Yankovski
Duda Evgeny Solodovnikov
Foma Sopel Michael J. Scott
Nazaritch Stephan Adriaens
Luka Zinovich Patrick Cromheeke

Direction musicale Dmitri Jurowski
Mise en scène Daniel Kramer (2017)

                                                                               Pavel Yankovski (Le marchand vénitien)

Rarement l’Europe de l’Ouest aura représenté autant d’opéras de compositeurs russes, autres que les habituels Tchaïkovski, Moussorgski, Chostakovitch et Prokofiev, qu’au cours de la saison lyrique 2016/2017. 

L’œuvre la plus célèbre d’Alexandre Borodine, Le Prince Igor, présentée à Amsterdam l’hiver dernier, et les opéras de Nikolaï Rimski-Korsakov, Le Coq d’Or, La Légende de la ville invisible de Kitesh et Snegourotchka, respectivement joués à Bruxelles, Bergen et Paris, ont ouvert de nouveaux horizons musicaux aux amateurs de lyrique occidentaux, mouvement que l’opéra des Flandres conclut avec une nouvelle production de Sadko innervée d’un volcanisme sonore impressionnant, mais un peu vain.

Raehann Bryce-Davis (Nezhata)

Raehann Bryce-Davis (Nezhata)

En effet, la symbolique de cet opéra qui ne comporte qu’un seul personnage réellement consistant, le rôle-titre, n’est pas facilement transposable à notre époque, et ce qu’en fait Daniel Kramer, le nouveau directeur artistique de l’English National Opera de Londres, ressemble à un règlement de compte entre lui et la société de consommation contemporaine dont il méprise la médiocrité d’esprit.

Les marchands de Novgorod, ville historique traversée par la rivière Volkhov qui relie le lac Ilmen au lac Ladoga, sont joués par un chœur brillamment en verve et habillé de costumes tristes et peu colorés, et dirigés avec une vitalité décuplée, dès l’ouverture, par l’énergie de la musique.

Les marchands de Novgorod

Les marchands de Novgorod

Sadko, sous les traits de Zurab Zurabishvili qui lui dédie, tout au long de la soirée, un chant de caractère au relief acéré et d’une incisive clarté d’âme, apparaît comme un chanteur de télé-crochet, auquel se joint Raehann Bryce-Davis dans le rôle enthousiaste et provocateur de Nezhata. Cette jeune chanteuse américaine, qui fait partie depuis cette saison de la troupe de l’Opéra des Flandres, dégage une joie naturelle rayonnante que la noirceur expressive de son timbre colore d’une présence qui tranche avec la tonalité mélancolique du chant slave.

Ce premier tableau démontre déjà que l’œuvre de Rimski-Korsakov est un opéra à airs qui pourrait se présenter, à lui seul, comme le support d’un concours de chant de haut vol. Ses airs sont le plus souvent déliés et mélodiques comme si le compositeur avait transposé l’art du beau chant bellinien à l’univers russe.

 Betsy Horne (Volkhova) et Zurab Zurabishvili (Sadko)

Betsy Horne (Volkhova) et Zurab Zurabishvili (Sadko)

Par la suite, les tableaux du monde imaginaire prennent une incompréhensible tonalité lunaire sous un ciel d’éclipse et un sol de poussière météoritique. Daniel Kramer représente les cygnes sous des déguisements ironiques qui rappellent les anciennes mises en scène jouées au premier degré, mais sans donner le moindre sens lisible à son propos. Sa direction scénique est également plus pauvre dans cette partie.

Puis, Betsy Horne apparaît en une pure Volkhova au chant plus neutre que sa consœur américaine, la véritable sensualité slave étant incarnée par la seule chanteuse russe de la distribution, la mezzo-soprano Victoria Yarovaya. Le galbe sombre qui hante l’intériorité de l’auditeur, elle incarne la jeune femme de Sadko avec l’humilité d’une Micaela et une personnalité vocale qui s’adresse à l’inconscient de chacun.

Sadko (Zurabishvili-Horne-Yarovaya-Bryce-Davis-Jurowski-Kramer) Gand

La scène des trois marchands qui chantent la nostalgie de leurs propres origines est alors l’occasion d’entendre le superbe Pavel Yankovski, ténor charmeur et langoureux qui fixe comme une évidence le choix de Sadko pour voguer vers son monde vénitien.

Et, alors que Daniel Kramer représentait, au premier tableau, la nature mentale des marchands par des projections vidéos d’un univers médiatique télévisuel courant – avec ses matchs de foot et ses actualités violentes -, la vidéo est cette fois utilisée pour railler la culture du voyage de masse, et l’on voit ainsi le héros être séparé des femmes qui l’ont inspiré, par une faille jaillie du sol. Il choisit d’aider son peuple à accéder au bonheur collectif fait de rêves vulgaires de bord de plage.

Victoria Yarovaya (Lyubava Buslayevna)

Victoria Yarovaya (Lyubava Buslayevna)

Si ce parti pris scénique donne le sentiment de nuire à la valeur musicale de l’œuvre, c’est qu’il jure avec l’homogénéité vocale de la distribution et, surtout, avec les merveilles de puissance, d’explosion sonore et de mouvements chatoyants que l’orchestre symphonique de l’opéra des Flandres déploie sous la direction enflammée et mystérieuse de Dmitri Jurowski

La partition de Rimski-Korsakov est encore plus belle que celle qu'il écrivit pour Snegourotchka, et ne comprend aucune faiblesse. L’allant inspiré des airs, la noirceur des univers fantastiques, le détachement des sonorités des instruments solistes, tout relève ici d’une splendeur envers laquelle le visuel, même sous une forme décalée, ne devrait pas totalement déroger.

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Publié le 23 Mai 2013

Der Ring des Nibelungen - Götterdämmerung (Richard Wagner)
Répétition générale du 18 mai 2013
Opéra Bastille

Siegfried Torsten Kerl
Gunther Evgeny Nikitin
Hagen Hans-Peter König
Alberich Peter Sidom
Gutrune, Dritte Norn Edith Haller
Zweite Norn, Waltraute Sophie Koch
Brünnhilde Petra Lang
Erste Norn, Flosshilde Wiebke Lehmkuhl
Woglinde Caroline Stein
Wellgunde Louise Callinan

Direction Musicale Philippe Jordan
Mise en scène Günter Krämer (2011)

                                                                                                        Petra Lang (Brünnhilde)


La mise en scène du Ring par Günter Krämer n’a eu aucun soutien de la critique française, à cause, principalement, de son esthétisme d’ensemble qui séduit rarement l’œil, alors qu’à New York et Milan, Robert Le Page et Guy Cassiers ont tout misé sur la vidéo et la machinerie en privilégiant le grand spectacle pour grands enfants.

Pourtant, ces deux dernières réalisations ne comportent qu’un traitement de surface raffiné, clinquant, alors que le concept du régisseur allemand cherche à raccrocher le sens de l’œuvre et la psychologie des personnages à l’évolution de la société germanique du XXième siècle.

Peter Sidom (Alberich) et le jeune Hagen

Peter Sidom (Alberich) et le jeune Hagen

Cette réflexion sur le fond semble n’avoir intéressé personne, alors que toutes les villes d’Allemagne relevées depuis la seconde guerre mondiale en portent toujours les traces des pertes et des destructions, et des vides qu’elles ont conservés.

Dans le Crépuscule des Dieux, Günter Krämer, avec un sens de la dérision bienveillant, décrit comment l’humanité que recherchait Brünnhilde s’est incarnée dans un bonheur bourgeois et innocent, avec Siegfried, à l’ère industrielle. Tous deux font de la barque le long du Rhin, sur fond d’un paysage portuaire noyé dans les lueurs du crépuscule, alors que les trois nornes, trois femmes séductrices, annoncent une fin proche. Siegfried apparaît déjà, et ce sera une constante tout le long du drame, comme quelqu’un d’influençable, l’image d’une faiblesse qu’il payera de sa vie.

Wiebke Lehmkuhl, Sophie Koch, Edith Haller (les trois nornes)

Wiebke Lehmkuhl, Sophie Koch, Edith Haller (les trois nornes)

En remontant le Rhin, le héros arrive dans le sud de l’Allemagne, à Munich, capitale de la Bavière, là où, dans une brasserie, Adolf Hitler réalisa un premier coup d’état. Le palais des Gibichungen est donc cet univers faussement festif où germent les intrigues de prises de pouvoir.

Gunther et Gutrune s’apparentent à un médiocre couple bourgeois de province arriviste, en quête de renommée, et Hagen, dans son fauteuil roulant, assoie sa stature d’homme froidement calculateur qui prépare la guerre.
Siegfried se laisse abuser par l’alcool, Torsten Kerl génialement drôle, et oublie Brünnhilde.

Petra Lang (Brünnhilde) et Torsten Kerl (Siegfried)

Petra Lang (Brünnhilde) et Torsten Kerl (Siegfried)

Elle est rejointe, plus tard, dans ses appartements, par sa sœur Waltraute, vêtue telle Sainte Jeanne des Abattoirs, militante qui croit encore possible de sauver l’homme d’une société qui va à sa perte. Elle représente un des derniers sursauts d’idéal, les marches du Walhalla se perçoivent encore un peu dans l’ombre du fond de scène, avant la catastrophe du second acte.
Cette référence à Brecht est également appuyée par le feu, projeté sur une grande structure en forme de porte métallique, qui peut évoquer celui dans lequel disparurent les ouvrages rebelles.

La seconde partie est une référence évidente à l’embrigadement nazi et à une scène présente dans le film Le tambour (Volker Schlöndorff – 1979), qui montre un rassemblement en musique et la ferveur national-socialiste qui agite des petits drapeaux en croix gammées.

Hans Peter König (Hagen) et Edith Haller (Gutrune)

Hans Peter König (Hagen) et Edith Haller (Gutrune)

Le décor, avec guirlandes et cocardes multicolores en avant-scène, découvre par la suite une estrade avec les guerriers, aux couleurs des SA,  qui chantent sur une marche militaire, et qui se transforment, par une astucieuse variation d’éclairage, en de simples villageois aimant les chansons à boire. Cette manière de montrer les deux visages de ces gens, en suivant le changement de tonalité de la musique, est une idée saisissante par l’effet de surprise qu’elle crée. Les petits drapeaux agités ne portent pas de symboles nazis, mais des grappes de raisins.

Par rapport à la création, il y a deux ans, cet acte est aussi d’une plus grande intensité théâtrale, avec un renforcement de la tension entre les chanteurs amenés à jouer à fond le drame.

Sophie Koch (Waltraute)

Sophie Koch (Waltraute)

Le dernier acte ouvre avec Siegfried vu de dos, marqué par une croix noire à double signification. Elle désigne évidemment son point faible, mais, en exécutant un geste d’allégeance, celui-ci symbolise aussi le ralliement des sectes religieuses, voire de la Franc-maçonnerie, à la politique d’Hitler dans les années 30. Fin d’un autre idéal spirituel.

Le meurtre de Siegfried par Hagen apparaît comme celui d’un homme instrumentalisé et qui n’aura rien compris de sa vie aux enjeux politiques.

La structure métallique, omniprésente, est ensuite utilisée pour montrer la montée impressionnante de Siegfried au Walhalla, impressionnante avant tout par la force de la direction musicale, et la mort de Brünnhilde, pour laquelle le metteur en scène n’a pas la meilleure idée en plaquant son ombre sur ce grand écran, ni en représentant les héros éliminés comme dans un jeu vidéo.
Quant au final, au lieu que ne se sublime l’amour entre Siegfried et Brünnhilde, ne reste, en avant plan, que l’Or du Rhin, la richesse matérielle.

Petra Lang (Brünnhilde) et Torsten Kerl (Siegfried)

Petra Lang (Brünnhilde) et Torsten Kerl (Siegfried)

Dans cette mise en scène qui raconte ainsi l’évolution de la société allemande, le symbolisme un peu rustre des décors est compensé par un excellent travail du jeu d’acteur, plus resserré qu’à la création.

Tous les artistes sont fortement liés dramatiquement. Torsten Kerl n’est pas un Siegfried assez rayonnant pour la salle de l’Opéra Bastille, cela a été suffisamment dit, mais son personnage absurde est d’une crédibilité très attachante. Vocalement, c’est la souplesse des variations entre sa tessiture aigue et la noirceur de ses intonations graves que l’on retient le mieux.

Après avoir entendu son interprétation de Brünnhilde, peut-on croire que Petra Lang soit mezzo-soprano? Son aisance à s’incarner dans les aigus lancés à cœur ouvert, vibrant, alors que l’on ne l’entend plus quand elle se replie sur des graves imaginaires, donne l’impression qu’un fragment de caractère ne s’exprime pas. L’actrice est rebelle, superbement impulsive, ne manque donc qu’une richesse de couleurs qui pourrait rendre son air final plus noir et pathétique.

Torsten Kerl (Siegfried)

Torsten Kerl (Siegfried)

Magnifique Hagen, il faut entendre au moins une fois son appel tétanisant au deuxième acte pour rester impressionné à vie par Hans-Peter König. Il est l’image même de l’autorité qui n’existe que par une énergie interne phénoménale.
Peter Sidom est toujours un génial Alberich, tortueux et torturé, Sophie Koch, regards désespérés et abattus, impose une présence scénique en laquelle s’exprime un art de la déclamation morbide fascinant, et Evgeny Nikitin transforme presque le médiocre Gunther en un double de Wotan, redoutable et sans scrupule.

Elle a un rôle plus secondaire, mais Edith Haller fait don à Gutrune d’une belle voix dorée et d’un tempérament déchiré.
Par ailleurs, elle est accompagnée par Sophie Koch et Wiebke Lehmkuhl dans le trio d’ouverture des trois nornes, chacune faisant entendre un chant bien timbré, sensuel et enveloppant quand Philippe Jordan réussit aussi bien à lever les magnifiques tissures évanescentes de la musique.

Petra Lang (Brünnhilde)

Petra Lang (Brünnhilde)

Tout l’art du directeur musical est de savoir créer une atmosphère irréelle et fragile d’une extrême finesse, et de modeler la chaleur sensuelle du corps des instruments à vents, qu’ils soient de cuivre ou de bois. Les leçons de Bayreuth sont apprises, alors le volume de l’orchestre prend de l’ampleur, les cors deviennent plus agressifs, mais pas toujours, et quelques passages, l’ouverture du second acte, se complaisent dans des effets inconsistants, là où la noirceur de la musique devraient être plus appuyée. Mais le voyage n’en est pas moins extraordinaire.

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Publié le 10 Avril 2013

Der Ring des Nibelungen - Siegfried (Wagner)
Représentation du 07 avril 2013
Opéra Bastille

Siegfried Torsten Kerl
Mime Wolfgang Ablinger-Sperrhacke
Der Wanderer Egils Silin
Alberich Peter Sidom
Fafner Peter Lobert
Erda Qiu Lin Zhang
Waldvogel Elena Tsallagova
Brünnhilde Alwyn Mellor

Direction Musicale Philippe Jordan
Mise en scène Günter Krämer (2011)

                                                                                                         Torsten Kerl (Siegfried)

 

Elle déroute bien des spectateurs cette mise en scène qui ne se prend pas au sérieux quand Mime et Siegfried reproduisent les relations éducatives et conflictuelles entre un parent fumeur de marijuana et un adolescent en rébellion, et qui croit encore en la poésie pastel d’une forêt imprimée sur un fin tissu flottant au dessus de feuillages fluorescents piétinés par quelques hommes nus, raillant tous les symboles mythologiques germaniques pour les confronter à une époque désillusionnée et inesthétique.

Le décalage avec ce que l’on entend est d’autant plus saisissant que Philippe Jordan est passé maître d’une limpidité orchestrale resplendissante, un hédonisme sonore qui évite la crudité des coups de traits traitres et les explosions de cuivres déchainées. Le plaisir à suivre mille et un détails furtifs, d’où surgissent des accords menaçants très fortement contrastés, se substitue facilement aux passages à vide de la mise en scène - les longues explications devant un simple tableau noir. L’Or du Rhin est bien dans la fosse, et pas ailleurs, car tout est beau et lumineux, du tuba contrebasse qui serpente devant la grotte de Fafner aux frémissements enchanteurs du chant de l’oiseau.

Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Mime)

Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Mime)

Sur scène, pendant les deux premiers actes, Wolfgang Ablinger-Sperrhacke s’amuse de la drôlerie vulgaire de Mime, tant percutant qu’il paraît en échange permanent avec le public, selon un one man show unique en soi.
Torsten Kerl, chahuteur, déboulant comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, et cassant ses jouets comme un enfant qui voudrait grandir, s’amuse de la même manière avec ce Siegfried nullement héroïque et formidablement sympathique.
Mais le dimensionnement de l’Opéra Bastille, plus grande scène d’Europe, empêche le spectateur d’entendre toute la chaleur de son timbre, les aigus se noient dans la musique, ce qui crée un manque, pour ne par dire une absence, surtout au premier acte. C’est vraiment dommage, car l’incarnation est naturelle et très bien jouée.

Dommage également qu’Egils Silin n’impose pas plus de présence et ne recherche plus d’effets pour traduire les états d’âme déliquescents de Wotan, ce que Peter Sidom, à nouveau, réussit parfaitement en brossant un portrait fort d’Alberich, un caractère de fer bardé de noirceurs vindicatives qui concentre en lui tout ce qu’il peut y avoir de mauvais en l’homme.

Alwyn Mellor (Brünnhilde)

Alwyn Mellor (Brünnhilde)

Et, après le gigantesque et humoristique Fafner de Stephen Milling, il y a deux ans, la voix de Peter Lobert est de la même ampleur caverneuse, mais son meurtre toujours aussi mal mis en scène.

 Le dernier acte de ce Siegfried mérite un traitement bien à part. C’est, tout d’abord, le retour à un lyrisme commun à la Walkyrie et au Crépuscule des Dieux qui va suivre.
Dans sa grande bibliothèque, l’Erda de Qiu Lin Zhang est magnifique d’humanité, une tristesse et une fragilité attachantes.
Ensuite, la cohérence avec le dernier acte de la première journée du Ring est maintenant naturelle, et l’on retrouve Brünnhilde endormie sur les marches de l’escalier monumental du Walhalla, dans l'atmosphère lumineuse d’un monde à son couchant, le plus beau tableau que Günter Krämer a bien voulu céder à cette tétralogie.

Philippe Jordan maintient une dynamique souple avec un renouvellement permanent des beautés sonores, et la musique engendre des motifs majestueux qui viennent enlacer nos émotions, puis s’évanouir, laissant un mystère idyllique sidérant.

Scène finale, montée de Wotan au Walhalla

Scène finale, montée de Wotan au Walhalla

L’ensemble visuel et musical de toute la grande scène d’éveil est envoutant, et, au centre de ce tableau magnifique, Alwyn Mellor découvre une Brünnhilde qu’elle interprète avec une sensibilité et une maîtrise vocale incroyablement rayonnante, lorsque l’on sait la difficulté qu’il y a à s’emparer directement de ce final, sans échauffement préalable.
Les couleurs de son timbre semblent un peu usées, mais il y a une énergie, un élan qui n’introduit aucune brisure trop saillante, et, surtout, une jeunesse d’esprit qui s’accorde avec l’authenticité de Torsten Kerl.

Alors que s'achève cette seconde journée sur une exaltation extraordinaire, comment ne pas trouver que le public parisien a un rapport quelque peu superficiel à l’art lyrique, quand il ne rappelle-même pas les artistes, plus que de convention, après une telle réussite?

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Publié le 18 Février 2013

Der Ring des Nibelungen

Die Walküre (Richard Wagner)
Représentation du 17 février 2013
Opéra Bastille

Siegmund Stuart Skelton
Sieglinde Martina Serafin
Hunding Günther Groissböck
Brünnhilde Alwyn Mellor
Wotan Egils Silins
Fricka Sophie Koch

Direction musicale Philippe Jordan
Mise en scène Günter Krämer

 

 

                                                                                                     Martina Serafin (Sieglinde)

Depuis deux semaines, le Ring fait son retour sur la scène de l’opéra Bastille pour une série de représentations qui s’étireront tout le long de la saison restante, avant une reprise du cycle complet sur dix jours au début de l’été prochain.

A l’écoute et au regard de l’Or du Rhin, Philippe Jordan et l’orchestre ont manifestement déployé une beauté de son fluide, fine et rutilante, sans clinquant, avec néanmoins un excès de souplesse qui atténue la dynamique théâtrale de la musique. Par ailleurs, Günter Krämer a sérieusement repris et approfondi le jeu d’acteur, afin de créer un ensemble d’interactions humaines plus vivantes.

Scène d'ouverture

Scène d'ouverture

La première représentation de La Walkyrie confirme que l’orientation du travail musical fait la part belle à la métaphysique de la partition, et l'on sent que Philippe Jordan est en quête d'une ineffable forme de stylisation qui étire à l'extrême des sons évoquant les lueurs immatérielles de l'Orient, s'éloignant de plus en plus des interprétations vigoureuses et tranchantes que privilégient de nombreux chefs plus spectaculaires, et les plus fanatiques des Wagnériens.

Tout le premier acte est ainsi conçu sur une très fine toile tissée d’ondulations, comme si les murmures des cordes venaient s’infiltrer à travers les interstices du cœur. Dès l’ouverture, on entend même des irisations parcourir en surface ce flux évanescent qui nous plonge progressivement dans l’univers lent et impalpable de Tristan et Isolde.


Stuart Skelton et Martina Serafin forment un couple d’une beauté expressive dont on ne sait que dire tant ils sont si magnifiquement accordés. Siegmund sombre et tourmenté, le ténor australien évoque surtout Tristan, un homme sauvage et impulsif au cœur infiniment tendre.

Son chant surprend par sa profondeur de souffle, ses accents brisés qui font tout ce que l’on peut aimer chez un héros qui ne manifeste aucune vaillance déplacée, alors que Günter Krämer l'amène à se blottir au creux de Sieglinde, pour mieux montrer la détresse infligée par son passé.

 

                                                                                     Günther Groissböck (Hunding)

Et Martina Sérafin, belle et fascinante par sa manière de suivre en frayeur la souplesse de la musique, et de jouer des mouvements et des reflets mystérieux de sa longue chevelure brune, est encore plus féminine par son art du chant déclamé et son timbre affirmé mais touchant de fragilité et d’incertitude. Elle a une légère faiblesse sur la tessiture aigue, animale quand elle doit exprimer la force de ses sentiments les plus violents, sans que cela n’ôte quoi que ce soit au charme de son caractère bouleversant.

Entouré par ces deux êtres de légende, Günther Groissböck accentue les expressions monstrueuses de Hunding, poussé par une scénographie qui le transforme en un misérable chef de Gestapo rêvant de bouleverser l’ordre des choses.

Stuart Skelton (Siegmund) et Martina Serafin (Sieglinde)

Stuart Skelton (Siegmund) et Martina Serafin (Sieglinde)

Günter Krämer offre d’ailleurs un beau tableau d’ouverture en montrant dans un premier temps ces hommes montant les marches du Walhalla pour assassiner, certes, les héros nus, mais qui laissent ensuite les corps abattus sans vie se renverser et se magnifier sous les éclairages en clair-obscur, et prendre le caractère homoérotique envoûtant des peintures du Caravage.

Le metteur en scène allemand a aussi totalement repenser la première journée du Ring en la débarrassant de ses matériaux superflus, de manière à assurer une meilleure cohérence visuelle en explicitant plus clairement, par exemple, l'origine des corps que lavent les Walkyries au dernier acte, ou, en repensant le final pour qu’il y ait une continuité naturelle avec le second volet, Siegfried.

La tonalité d’ensemble devient plus nocturne, et grâce à quelques éclairages bien disposés et une réflexion plus fouillée sur les gestes des chanteurs, qu'ils soient aussi violents que réconfortants, on devient plus sensible à ce qu’il se joue sur scène. Néanmoins, on ne peut s’empêcher de penser que d’autres régisseurs auraient fait aussi bien sans que cela ne coûte autant à la direction artistique de l'Opéra de Paris.

 Sophie Koch (Fricka) et Egils Silins (Wotan)

Sophie Koch (Fricka) et Egils Silins (Wotan)

Dans le second acte, on découvre un Philippe Jordan encore plus surprenant, car ses choix d’accentuations se portent maintenant sur la noirceur du discours, et sur l’extériorisation d’accords menaçants qui prennent au cœur quand Wotan livre son récit à Brünnhilde. On n’écoute pas seulement ce que chante magnifiquement Egils Silins, avec un timbre granuleux et homogène qui brosse un portrait solide de ce dieu inflexible, mais surtout ce que l’orchestre révèle de ses ombres, du magma névrotique dont il n’arrive pas à s’extraire. Toute sa personnalité est racontée par des musiciens qui ne doivent même pas se rendre compte du formidable gouffre qu’ils nous décrivent prodigieusement.

Alwyn Mellor (Brünnhilde)

Alwyn Mellor (Brünnhilde)

Toujours aussi noble d’allure, droite et fière, et plus approximative quand elle déclame ses intonations graves, Sophie Koch tient tête à Egils Silins en évitant tout mélodramatisme, quitte à se réfugier dans une froideur qui rend Fricka moins authentique, mais d‘une tenue sans faille.

On retrouve alors cette lenteur excessivement sensuelle et étrange au retour de Stuart Skelton et Martina Serafin, tous les deux formant ce cœur humain éternellement magnifique à revoir pour ses interactions fluides et naturelles, et à réentendre pour son chant si prenant.

Et, même à la mort de Siegmund, la musique fait entendre les plus tendres sentiments paternels de Wotan, quand il se penche sur le corps de son fils, alors que Fricka le rejoint pour vérifier la réalisation de l’acte qu’elle a si ardemment exigé.

Egils Silins (Wotan) et Sophie Koch (Fricka)

Egils Silins (Wotan) et Sophie Koch (Fricka)

Criant un peu fort lors de son arrivée, Alwyn Mellor se joue d'un timbre complexe à maitriser, celui ci pouvant très vite prendre des couleurs prématurément usées. C’est son expressivité et sa présence qui lui permettent de jouer de tant d’irrégularités et de libérer une énergie maternelle, à contre pied de l’image monumentale que l’on peut avoir de Brünnhilde.

Après un bref tableau du verger d’amour dépourvu de toutes ses feuilles, conséquence de la mort de Siegmund, la Chevauchée des Walkyries nettoyant les corps nus des héros morts au combat prend un aspect plus macabre qu’il y a deux ans. On distingue toutefois que toutes les voix ne forment pas un ensemble homogène.

Martina Serafin (Sieglinde) et  Stuart Skelton (Siegmund)

Martina Serafin (Sieglinde) et Stuart Skelton (Siegmund)

Philippe Jordan tire un grand éclat de l’orchestre, sans démesure, mais se concentre surtout sur l’intimité du discours pendant le long échange entre Wotan et sa fille, avec toujours ce sens de la lenteur merveilleuse sous laquelle finit par se noyer la salle entière, envahie intégralement par les fumées et les lueurs rougeoyantes du brasier final.

Loin de la dimension épique et nerveuse que l’on pourrait aimer retrouver, il s’agit cette fois d’une des plus sombres interprétations de l’ouvrage qui laisse augurer d'un futur Tristan et Isolde irréel, lors de la saison prochaine vraisemblablement.

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Publié le 3 Juin 2011

Der Ring des Nibelungen -

Götterdämmerung (Wagner)
Répétition générale du 30 mai 2011 et

Représentations du 12 & 18 juin 2011 Opéra Bastille

Siegfried Torsten Kerl
Gunther Iain Paterson
Hagen Hans-Peter König
Alberich Peter Sidom
Gutrune, Dritte Norn Christiane Libor
Waltraute Sophie Koch
Brünnhilde Brigitte Pinter / Katarina Dalayman
Erste Norn, Flosshilde Nicole Piccolomini
Woglinde Caroline Stein
Zweite Norn, Wellgunde Daniela Sindram

Direction Musicale Philippe Jordan
Mise en scène Günter Krämer

 

                                                                  Hans-Peter König (Hagen) et Peter Sidom (Alberich)

Synopsis

La prédiction
Siegfried et Brunnhilde se séparent après s’être échangés l’anneau et le cheval Grane.
Pendant ce temps, le destin s’assombrit pour Wotan. Il a ordonné à ses guerriers d’amonceler autour du Walhalla le bois du Frêne Universel, maintenant mort, avec lequel fut taillée sa lance. Les trois Nornes prédisent l’incendie de la résidence divine.

Le filtre d’oubli
En suivant le Rhin, Siegfried arrive au palais des Gibichungen. Il est accueilli par Gunther et son demi-frère Hagen qui garde le vœux secret de recouvrir l’anneau pour son père, Alberich. Il a auparavant déjà proposé une alliance qui assurera la gloire du royaume : le mariage de Gunther avec Brünnhilde et de Gutrune, sa sœur, avec Siegfried. Il remet alors un filtre à Gutrune qui a le pouvoir de faire oublier l’amour de toute femme. Siegfried le boit, s’éprend de son hôte, et fait serment d’amitié avec Gunther en lui promettant de conquérir pour lui la vierge du roc.

La trahison
Pendant ce temps, Brünnhilde voit arriver une de ses sœur, Waltraute, qui lui suggère de se débarrasser de l’anneau. Elle refuse. Siegfried survient sous les traits de Gunther (grâce au heaume magique), lui arrache l’anneau, et la garde pendant la nuit.
Cette même nuit, Alberich vient exhorter son fils à rester loyal à sa mission.
Au matin, le couple retourne au palais.  Brünnhilde comprend la trahison, mais Siegfried jure d’être innocent et, dans un accès de désespoir, la vierge voue la lance de Hagen à la destruction du héros. Gunther se laisse convaincre de la nécessité de tuer Siegfried. Brünnhilde révèle alors que le dos est la partie vulnérable de son corps.

La mort de Siegfried
Le lendemain, une partie de chasse a été arrangée. Siegfried rencontre les ondines qui le préviennent de sa mort prochaine, mais il refuse de leur remettre l’anneau. Plus tard, il est rejoint par ses hôtes. Hagen lui fait boire un breuvage qui ranime sa mémoire et son récit du réveil de la vierge exacerbe le sentiment de trahison de Gunther. Hagen plante la lance dans le dos de Siegfried.

Le sacrifice de Brunnhilde
Au retour de la procession funèbre au palais, Gunther et Hagen se disputent l’anneau et ce dernier tue son frère. Au moment de s’emparer de l’anneau, Brünnhilde apparaît : les Filles du Rhin l’on instruite de toute la vérité. Elle commande aux vassaux de dresser un bûcher sur lequel elle s’immolera et annonce la fin du Walhalla. Puis elle plonge dans le bûcher avec Grane. Les flammes envahissent le palais, le consument , le Rhin déborde, éteignant le feu. Hagen se jette à l’eau pour récupérer l’anneau et se noie. Les survivants regardent avec crainte et émerveillement le Walhalla qui brûle avec les dieux.

Les trois Nornes

Les trois Nornes

A la fin de la seconde journée du Ring, nous avions laissé Brünnhilde et Siegfried au pied du Walhalla, alors que Wotan, considérablement affaibli, tentait d’en gravir les marches avec l’aide des héros.

Lorsqu’il réapparaît au début de cette dernière journée, le jeune couple vient tout juste de se marier, image amusante et décalée qui s’appuie sur le stéréotype de la balade amoureuse en barque.

Günter Krämer la superpose à l’ouverture qui, d’une part, montre la transmission du désir de pouvoir d’Alberich à son jeune fils Hagen - il s’agit d’une scène mystérieuse dont le sens ne se dévoile totalement que plus loin, en parfaite symétrie de la programmation manquée de Siegfried par Mime, le frère d’Alberich -, et, d’autre part, installe une atmosphère crépusculaire et hypnotique, esthétiquement réussie, au cours de laquelle les trois Nornes, non plus de vieilles femmes sinon de troublantes prostituées tout en noir, ou bien des femmes chics et snobs, tentent de percevoir en vain l’avenir, sur fond d’horizon flou où se dessinent les ombres d’un port industriel. Le lien avec le dernier acte de Siegfried, où Wotan quittait Erda en mettant le feu à sa bibliothèque, n'est pas évident.

Le grand miroir, que le metteur en scène avait employé lors des trois premiers volets, n’est plus utilisé, mais le cadre noir d’un grand écran vidéo vertical et transparent devient la pièce maîtresse de toute la scénographie. La technologie moderne prend une part plus importante.

Brigitte Pinter (Brünnhilde) et Torsten Kerl (Siegfried)

Brigitte Pinter (Brünnhilde) et Torsten Kerl (Siegfried)

Pendant qu’elles rappellent les faits à l’origine du déclin du monde, Christiane Libor, Nicole Piccolomini et Daniela Sindram confèrent au chant des trois filles d’Erda une invocation plaintive et forte.

Après la remontée du Rhin, et la métamorphose astucieuse des Nornes en Filles du Rhin, les choses se gâtent au palais des Gibichungen, car nous tombons chez les ploucs, dans un village de dégénérés duquel Gunther et Gutrune aspirent à s‘évader.

Le très mauvais goût visuel, bien qu’assumé, passe difficilement même s’il accentue la différence sociale entre les deux humains et les deux descendants de Wotan. La scène est en fait tirée des Damnés (Visconti), La Nuit des Longs Couteaux, ce qui revient à assimiler les aspirations des Gibichungen à celles des SA (on peut également remarquer que les corps nus et ensanglantés des héros au troisième acte de la Walkyrie sont inspirés de la même scène). Le manque d'idée se fait cependant ressentir jusqu'à l'arrivée de Siegfried.

Les filles du Rhin

Les filles du Rhin

Malgré quelques traits de brutalité, le serment par le sang, le personnage de Siegfried est toujours aussi inconscient et sympathique, son refus du pouvoir est clair, il aime les femmes et souhaite simplement être heureux. Torsten Kerl en est un interprète très tendre et musical, il respire l’optimisme, joue avec toujours autant de naturel, volontairement à contre-pied d’un glorieux vainqueur héroïque.

Installé dans un fauteuil roulant afin de justifier la présence pesante de la malédiction d’Alberich - Peter Sidom engage tout son être dans une incarnation noire, vulgaire et ignominieuse du nain, et manipule lui-même en permanence le siège de son fils-,  Hans-Peter König, qui était il y a encore si peu Hunding dans la Walkyrie du Metropolitan Opera, fait de Hagen un personnage impressionnant, mais également digne par la belle homogénéité d’un souffle puissant, sombre et aéré.

Sophie Koch (Waltraute)

Sophie Koch (Waltraute)

Même s’il ne cherche pas à résoudre scéniquement les détails du livret qui lui paraissent secondaires, les cordes des Nornes, le cheval Grane, Günter Krämer aboutit à une scène saisissante lorsque Siegfried, sous les traits de Gunther, vient enlever Brünnhilde, seule dans son appartement bourgeois (idée qui n'est plus nouvelle).
En faisant intervenir les deux hommes, il mélange l’action du Walsung et les désirs les plus profonds du Gibichung, ce qui accentue l’empathie du spectateur pour la Walkyrie tant ce qu’elle subit est repoussant.

Auparavant, Sophie Koch est intervenue sous les traits de Waltraute. L’impact émotionnel de son affliction vibrante et l’harmonie de ses lignes percutantes font oublier le bonnet qui masque inutilement sa chevelure (référence à Sainte Jeanne des Abattoirs, milicienne et religieuse?).

Leur rôle est ingrat, certes, mais Iain Paterson et Christiane Libor - interpréte sidérante Des Fées au Châtelet- restituent fidèlement leurs traits de caractères respectifs, lui médiocre intellectuel sans charisme, elle femme étriquée par son éducation, sincèrement éprise de Siegfried.

Toute cette première partie est musicalement marquée par une épaisseur nouvelle au regard des épisodes précédents. Philippe Jordan crée un somptueux relief aux arêtes vives, et donne une ampleur inédite et théâtrale aux cuivres sans forcément affiner les couleurs des cordes.

Torsten Kerl (Siegfried)

 

On peut néanmoins regretter qu’il ne marque pas plus les relances, les soudaines accélérations qui entraînent vers l’avant, régénérant ainsi un courant stimulant.

Mais ces réserves disparaissent au second acte. L’ouverture est d’une mobilité et d’une limpidité fascinantes, les violons frémissent, et l’intensité atteint des sommets quand le chœur éclatant entre en scène. Par un jeu de lumière subtil, l’apparence des hommes appelés par Hagen vire de la posture militaire et dure des SA, prêts à se lancer à la conquête du monde, à celle d’anodins villageois bons vivants qui peuplent en réalité le Gibichungen. A nouveau, le pouvoir d’induction d’un leader sur la masse est stigmatisé.

Hans-Peter König (Hagen) et les vassaux

Hans-Peter König (Hagen) et les vassaux

On pouvait penser que Brigitte Pinter, sollicitée au dernier moment pour remplacer Katarina Dalayman lors de la répétition, allait limiter son implication. Elle débute effectivement avec prudence, et pourtant, son incarnation se pose dans la durée.

Elle a une voix qui exprime une variété d’états d’âme, on a l’impression qu’elle est parfois à bout de souffle, puis soudainement, les aigus percent, et donc, tout ce mélange de faiblesse, de courage, d’humaine profondeur et d'endurance la rendent tragiquement émouvante.

On ne peut alors qu'être heureux de la chance qui lui a permis d'assurer le rôle de Brünnhilde à la troisième représentation. La gravité de ses expressions fut encore plus bouleversante.

Reprenant le rôle de Brünnhilde lors des représentations suivantes, Katarina Dalayman développe un personnage de femme impulsive, fière, avec une solide homogénéïté vocale et de soudains grands éclats de stupeur. La fragilité et la complexité émotionnelle intérieures ne sont pourtant pas autant extériorisées.

 Brigitte Pinter (Brünnhilde) : scène finale

Brigitte Pinter (Brünnhilde) : scène finale

La réussite musicale se prolonge au troisième acte, la marche funèbre est d’une ampleur superbement dramatique - Philippe Jordan sait qu’il porte, à ce moment précis, chaque spectateur à la rencontre grandiose de la mort-, mais cette fois, les effets vidéographiques sont mis à contribution.

 

Les images de l'ascension de Siegfried, sous des éclairages lunaires, puis blafards, et celles de Brünnhilde sous les flammes - l’invocation de Brigitte Pinter, habillée et coiffée telle que l’était Waltraud Meier, devant le mur de feu, ne peut être un simple hasard.-, sont à rapprocher de celles plus travaillées de Bill Viola pour Tristan et Isolde, comme un clin d’œil admiratif.

L'image du jeu vidéo illustre un thème qui parcoure toute cette tétralogie : 'Malheur aux peuples qui ont besoin de héros (Brecht)'.
Nous avons pu constater qu'à chaque occasion Günter Krämer met en scène des hommes menés par des leaders. Par ailleurs, dans le premier acte de  Siegfried, Mime fait l'éducation de Siegfried devant le film de Fritz Lang.

Quelque part, Siegfried est une image du citoyen lambda, manipulable, inconscient des enjeux politiques mais avançant lui même dans sa réussite sociale, et Krämer met en garde le spectateur.

Était-il nécessaire d’insister pour autant sur la marque, une croix noire, dans le dos de Siegfried, à moins qu’il ne s’agisse d' évoquer l'Ordre Teutonique, et la perversion des dérives sectaires quand Hagen exécute son geste fatal ?

Le massacre d'Alberich, par les filles du Rhin/Nornes, signe en revanche un dernier acte de libération féministe, avant que ne subsistent les derniers débris de l’Or du Rhin et sa malédiction, la grande structure noire, le pendant du Monolithe de 2001 L'Odyssée de l'Espace.

Le Crépuscule des Dieux (Jordan - Krämer) à l'Opéra Bastille

Dans la conception de Günter Krämer, les scènes du Ring sont comme une illustration de la société allemande moderne, et des leçons personnelles qu'il en tire. Il est même fort probable que l'origine de certains symboles ne se révèlera qu'avec le temps, en connaissance de la culture germanique.

Tout n'est donc pas en première lecture immédiat, mais cela est incontestablement réfléchi.

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Publié le 1 Mars 2011

Der Ring des Nibelungen - Siegfried (Wagner)
Répétition générale du 26 février 2011 et
Représentation du 27 mars 2011

Opéra Bastille

Siegfried Torsten Kerl
Mime Wolfgang Ablinger-Sperrhacke
Der Wanderer Juha Uusitalo
Alberich Peter Sidom
Fafner Stephen Milling
Erda Qiu Lin Zhang
Waldvogel Elena Tsallagova
Brünnhilde  Brigitte Pinter (26/02)
                  Katarina Dalayman (27/03)

Direction Musicale Philippe Jordan
Mise en scène Günter Krämer

 

Synopsis

Notung
Mime élève Siegfried dans le secret espoir que le jeune homme, un jour, tuera Fafner pour lui procurer l’anneau. Wotan, sous le déguisement du Voyageur, a suivi de près les évènements, sans intervenir lui-même. Grâce à un jeu de questions et de réponses, Mime comprend que seul Siegfried reforgera Notung, l’épée capable de tuer Fafner.

Siegfried et le Dragon
Au lieu de ressouder les tronçons ensemble, Siegfried les brise, les fond et les coule à nouveau, refaisant entièrement Notung. Il tue Fafner. Pénétrant les pensées homicides de Mime, il le tue à son tour. Il prend possession de l’anneau et du heaume magique, ainsi que de tout le trésor de Fafner.
Ayant accidentellement goûté le sang du dragon, Siegfried comprend le chant d’un oiseau qui lui révèle l’existence de la vierge du roc, Brünnhilde, plongée dans son sommeil et entourée de flammes. Siegfried décide d’éveiller la Walkyrie endormie et de la prendre pour épouse.

La lance brisée
De son côté, Wotan tire Erda du sommeil tellurique qu’elle a poursuivi depuis la naissance de Brünnhilde, afin de découvrir s’il existe un moyen d’éviter la fin imminente de son règne. Mais même Erda ne peut l’aider et Wotan s’apprête sans rancœur à céder son pouvoir à son petit-fils qu’il voit approcher. Mais l’attitude de Siegfried est si offensante que Wotan, dans un dernier sursaut de révolte, lui barre le chemin de sa lance. L’épée Notung brise la lance, symbole du pouvoir du dieu.

Le réveil de Brünnhilde
Siegfried, traversant le cercle de feu, gravit le rocher de la Walkyrie où il éveille la vierge guerrière. La joie de Brünnhilde à sa vue est suivie de l’amer regret de n’être plus une inviolable déité, mais une simple mortelle. Elle va toutefois trouver dans les bras de Siegfried de nouvelles et humaines passions. 

Siegfried (Philippe Jordan-Günter Krämer) à l'Opéra Bastille

Comme l’on pouvait s’y attendre, les choix esthétiques de Günter Krämer pour ce troisième volet du Ring s’inscrivent dans la continuité de l’Or du Rhin et de la Walkyrie.
Si certaines images sont fortes, il arrive qu’elles soient entrecoupées de passages à vide devant un simple tableau noir - signe de capitulation ? -, et que nombre d’objets renvoient sciemment à la laideur des artifices, signes d'humour.
Il apparaît également plus clairement que le metteur en scène dénonce dans le cycle complet, à partir d’un ensemble de tableaux, la responsabilité de l’homme dans la destruction de son propre monde, qu‘elle soit active ou bien passive.
 

Le premier acte de Siegfried s’ouvre sur l’univers de Mime, le frère d’Alberich, nain représenté en ménagère évoluant en sous-sol dans un lieu de vie grossier et aménagé de quelques éléments de simili-verdure.

Wolfgang Ablinger-Sperrhacke se glisse dans ce personnage vulgaire avec une aisance vocale et corporelle irrésistible au plus haut point.

Son chant répercute brillamment chaque phonème avec un sens du discours théâtral tranchant, agilité qui va de pair avec la souplesse dont il fait preuve pour contrôler son propre corps.

 

Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Mime)

Il n’est pas le seul à se lâcher sur scène, Günter Krämer tourne en dérision tout ce passage.

Le premier tableau plante en effet un décor d’enfance, sapin de noël, nounours et autres nains de jardin, dans lequel a été élevé le fils de Siegmund.
En salopette pendant tout son parcours, Torsten Kerl n’a sans doute pas les talents comiques de son partenaire, ni la même projection, mais le timbre est attachant et son rôle gauche reste plutôt distrayant.

Torsten Kerl (Siegfried) et Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Mime)

Torsten Kerl (Siegfried) et Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Mime)

Il est présenté comme l’homme sur lequel compte Mime pour le sortir de sa médiocre condition, et c’est en regardant sur un écran de télévision le film de Fritz Lang, Siegfried, qu’il trouve un exemple à suivre.

La rencontre entre Mime et le Voyageur est présentée de façon amusante, une leçon d'école, d'où un seul mot est à retenir : Furcht,  la peur dont Wotan est devenu le vecteur, la peur qui asservit les hommes à des leaders, la peur que Siegfried ne connaît pas.

 Juha Uusitalo (Der Wanderer - Wotan)

Juha Uusitalo (Der Wanderer - Wotan)

Après la remarquable interprétation humaine de Thomas Johannes Mayer lors de l'épisode précédent, Juha Uusitalo reprend le rôle de Wotan avec une conception plus brute, une présence physique forte mais vocalement plus uniforme.

 

La transition vers la scène de la forge se fait naturellement en utilisant la machinerie hydraulique de Bastille, prétexte assez simpliste pour montrer progressivement l’effacement de la symbolique verte, naturelle, devant le feu destructeur et rougeoyant du à la fabrication de l‘arme ultime : Notung.

Mais contrairement à l’ouverture sur la maison de Hunding dans  Die Walküre, l’exécution musicale de Philippe Jordan et de l’Orchestre de l’Opéra de Paris prend dès le départ un élan nerveux, lumineux, avec un soucis de révéler nettement tous les thèmes de la musique de Wagner, et de rechercher une perfection des formes qui se fond dans la fluidité d‘ensemble.

 

 

Stephen Milling (Fafner)

Cette élégance quasi féminine, et finement sculptée, est peut être à l’origine des critiques de ceux qui préfèrent un Wagner plus noir, lourd et violent.
Même les timbales sonnent à la fois puissamment et vivement, et les motifs des solistes s’élèvent et s’évanouissent dans une continuité harmonieuse toujours aussi poétique.

Ces qualités sont une constante de toute la représentation.

Acte II : la grotte de Fafner

Acte II : la grotte de Fafner

Nous nous retrouvons au second acte dans des profondeurs où aboutit un rail menant à la grotte de Fafner, profondeurs dominées par la toile d’une forêt respirant au rythme des pulsations de la musique, dans une lumière sombre mixant or et verdure.
Wotan et Alberich, tels des hommes d'affaires reflets l’un de l’autre, en surveillent l’entrée. Peter Sidom est aussi percutant que brillant acteur.

Krämer substitue par la suite le dragon à un chef mafieux, impressionnant Stephen Milling, qui dispose d’une bande d’hommes armés et chargés d’amasser les richesses, le rêve de pouvoir tel que Mime l’envisage pour lui-même. 
La nudité des figurants ne se justifie que lorsque leurs corps, terrassés après le meurtre de Fafner et de Mime, se mêlent aux feuilles mortes, à la délicatesse des rideaux peints, et que la nature reprend le dessus.

Qiu Lin Zhang (Erda)

Qiu Lin Zhang (Erda)

A nouveau il s’agit d’insérer, comme les ouvriers des géants, les mineurs d'Alberich, les héros du Walhalla, la tribu de Hunding, une forme d’aliénation de masse autour d’un leader.

Le monde est toujours en flamme, depuis l’immolation de Brünnhilde, mais faut-il comprendre que l’écran plasma - procédé décalé et peu spectaculaire - situé dans la bibliothèque d’Erda souligne son inaction et sa contemplation devant le désastre en cours?

Le timbre d’ébène de Qiu Lin Zhang, profondément pathétique, fait à nouveau forte impression. 

Torsten Kerl (Siegfried)

Torsten Kerl (Siegfried)

Nous ne verrons pas comment Siegfried traverse les flammes pour atteindre la Walkyrie, et nous nous contenterons d’un large tableau gris à l’avant scène lors de la lutte entre Siegfried le Comique et Wotan la Star.

La dernière scène, sur laquelle monte un long accord sidéral, s’ouvre sur le grand escalier du Walhalla, sous une lueur crépusculaire qui crée des effets de crénelages fascinants.

Les restes de la colère de Wotan - deuxième acte de la Walkyrie - s’éparpillent sur les marches, et les gardiens du palais, image magnifique de ces casques ailés bienveillants,  veillent sur le corps de Brünnhilde.

Par peur, elle s'était réfugiée sous la table au moment où Loge allumait un feu ravageur.

On peut supposer qu'une fois endormie, les gardiens l'ont déposée au milieu du grand escalier pour préparer sa transition d'une vie éternelle vers la vie humaine, à la surface de la Terre.

Brigitte Pinter (Brünnhilde)

Brigitte Pinter (Brünnhilde)

Son réveil par Siegfried est celui d’un enfant maladroit retrouvant sa mère, et Brigitte Pinter, lors de la répétition, impose petit à petit sa noble allure, femme désabusée mais encore vaillante lors de son ultime cri d’amour.

Les autres soirs, Katarina Dalayman apparaît plus sauvage, voix de métal avec une tendance à précipiter de brusques éclats, regard lumineux, et quelques limites compensées par un enthousiasme communicatif.

Katarina Dalayman (Brünnhilde).

Katarina Dalayman (Brünnhilde).

La dernière minute de l’opéra se déroule sur un soleil grandissant, à la fois étoile Siegfried et étoile de Brünnhilde, alors que Wotan s’écroule.

Siegfried (Philippe Jordan-Günter Krämer) à l'Opéra Bastille

Il y a quelque chose de frustrant et d' attachant dans l’approche de Günter Krämer. Son travail du mouvement d'acteur en reste au premier degré, il utilise des procédés datés, mais en même temps il peut créer des tableaux singulièrement poétiques car il ne perd pas de vue la dimension humaine.

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Publié le 1 Juin 2010

Der Ring des Nibelungen - Die Walküre (Wagner)
Répétition générale du 28 mai et représentation du 31 mai 2010
Opéra Bastille


 

Wotan Falk Struckmann (28 mai)
            Thomas Johannes Mayer (31 mai)
Fricka Yvonne Naef
Siegmund Robert Dean Smith
Sieglinde Ricarda Merbeth
Brünnhilde Katarina Dalayman
Hunding Günther Groissböck
Gerhilde Marjorie Owens
Ortlinde Gertrud Wittinger
Waltraude Silvia Hablowetz
Schwertleite Wiebke Lehmkuhl
Helmwige Barbara Morihien
Siegrune Helene Ranada
Grimgerde Nicole Piccolomini
Rossweisse Atala Schöck

Direction Musicale Philippe Jordan

Mise en scène Günter Krämer 

 Thomas Johannes Mayer (Wotan) et Katarina Dalayman (Brünnhilde)

Synopsis

Siegmund
Pour se protéger du pouvoir de l’anneau qui lui échappe dorénavant, Wotan prend deux mesures : avec l’aide des neufs Walkyries – la plus aimée est Brunnhilde qu’il eut d’Erda – il réunit dans le Walhalla une armée de guerriers pour le défendre ; en même temps, il se met en quête d’un héros libre de toute dépendance envers lui et son engagement rompu. Il croit l’avoir trouvé en Siegmund, le fils que, sous le nom de Wälse, il eut d’une simple mortelle et auquel il donna l’épée magique Notung.

Fricka, gardienne de la morale
Mais Siegmund et Sieglinde, sa sœur jumelle, s’aiment d’un amour incestueux. Fricka, femme de Wotan et gardienne de la sainteté du mariage, demande la mort de Siegmund, ajoutant qu’il ne saurait être le héros désiré par Wotan puisque le dieu le protège. Wotan, faisant taire ses sentiments, décide la mort de Siegmund.

La désobéissance de Brunnhilde
Brunnhilde, prise de compassion pour les jumeaux amants, cherche vainement à sauver Siegmund. Pour la punir de sa désobéissance, Wotan la condamne à être enchaînée en haut du roc des Walkyries, entourée de flammes par le dieu Loge et plongée dans un profond sommeil dont seul un héros, sur lequel Wotan n’a aucun pouvoir, saura l’éveiller.

La naissance de Siegfried
Mais Brunnhilde a pu du moins protéger Sieglinde. Elle lui remet les tronçons de l’épée Notung brisée par la lance de Wotan et prédit que Sieglinde donnera naissance « au plus noble héros du monde ». Sieglinde, errant dans la forêt, se réfugie dans la cave de Mime, le forgeron, et là donne le jour à un fils, qu’elle nomme Siegfried ; avant de mourir, elle le confie à Mime avec les fragments de Notung.

Ricarda Merbeth (Sieglinde)

Ricarda Merbeth (Sieglinde)

La volonté de Gunter Krämer, telle qu’elle se dessine dans le prolongement de son travail sur l’Or du Rhin, est de présenter une vision assez littérale de La Walkyrie, proche des recommandations scéniques de Wagner, mais en adoptant un langage visuel prosaïque plus moderne, où s’insinuent quelques symboles inhérents à la République de Weimar.

La Walkyrie (Philippe Jordan-Günter Krämer) à Bastille

L’exemple le plus frappant est la reconstitution de l’intérieur du Walhalla, au début du deuxième acte.

Le col de la scène originale avec, en arrière plan, les gorges montagneuses plongeantes, est transfiguré en une grande salle à manger sur laquelle débouche le grand escalier que gravissaient les Dieux dans le Prologue.

L’escalier s’enfonce dans les sous-sols de Bastille, et les créneaux du Palais apparaissent sous forme des lettres gothiques « GERMANIA », la force du relief, qu’achèvent d’installer les jeunes hommes enrôlés dans l’armée de Wotan.

Le grand miroir en suspend, pièce déjà utilisée dans la première partie du Ring, permet de voir les intervenants gravir les marches.

On comprend qu’il sera un élément commun à tous les volets du drame.
La jonction avec la fin de l’Or du Rhin est donc faite.

Il ne s’agit pas d’une vision personnelle renouvelée, elle n‘apprendra rien à ceux qui ont entendu plusieurs versions en salle, mais elle a l‘avantage d‘être très accessible.

Pas de forêt pour la rencontre de Siegmund et Sieglinde, uniquement une maison stylisée avec des vitres sur lesquelles le mouvement continuel de l’eau de pluie s’écoule, un frêne qui est en fait un tableau (Krämer ne sait quoi faire de cet élément), et un Hunding (Günther Groissböck impitoyable) servi par ses hommes de mains en treillis.

La tessiture médiane de Robert Dean Smith fait de lui un chanteur doué d’un phrasé sensible et tendre, alors que l’assise grave, restreinte, et les décolorations dans les forte privent Siegmund de solidité et d’héroïsme.          Robert Dean Smith (Siegmund)

S’ajoutent quelques maladresses gestuelles.

Aucune réserve pour Ricarda Merbeth, Sieglinde Colombine, le charme d’un timbre subtilement flouté, le regard vif, l’infaillibilité des exclamations révélatrices d’un besoin viscéral d’humanité, des qualités qui lui donnent un mystérieux ascendant et une intensité bouleversante au troisième acte.

Malgré cela, pendant tout le premier acte, l’orchestre manque de relief musical, la texture des cordes contient comme une sorte d’épaisseur qui ne crée pas suffisamment un univers immatériel, la retenue y règne, peut être pour ne pas couvrir Dean Smith.

Dans ces conditions, le retentissement final sonne décalé. On en retient le mieux les splendeurs des solistes instrumentaux .

Le verger éclairé par une lune de printemps, dans un onirisme musical à l’origine du duo d’amour de Tristan et Isolde, répond aux nectars des arbres lilas du Walhalla lorsque Brünnhilde vient chercher Siegmund (cet aspect un peu kitsch se dissout cependant dans une atmosphère nocturne d‘où émergent les ruines de la résidence), et à la forêt ravagée par Loge à la scène finale.

Yvonne Naef (Fricka)

Yvonne Naef (Fricka)

L’entrée cérémonieuse de Fricka, par la gauche, en large robe rouge, le feu, la force, le sang, permet à Yvonne Naef de rejouer son rôle de femme victime d’un mélodrame - mêmes attitudes que son Eboli en 2008. Grand aplomb et quelques imperfections vocales laissent entendre des inflexions propres à Waltraud Meier. Elle reviendra s'assurer que Wotan lui a obéi en faisant périr Siegmund.

Dans ce second acte, la rencontre entre Brünnhilde et ce dernier tend le regard du spectateur. Les pommes, au milieu desquelles Sieglinde est en prise obsessionnelle avec ses remords, soulignent la fraîcheur de l’amour des jumeaux.

La Walkyrie les réordonne alors, l’ordre détruit la vie, reconstituant ainsi le cercle céleste, œuvre à laquelle participe Siegmund le temps qu’il ne réalise que sa sœur ne le suivra pas dans la mort.

Katarina Dalayman (Brünnhilde)

Katarina Dalayman (Brünnhilde)

En constante progression, la direction musicale prend enfin son envol dans la troisième partie. Les fortissimo se libèrent, Philippe Jordan lâche la bride dans une chevauchée spectaculaire au macabre cru. Les Walkyries, des assistantes qui font un sale boulot, récupèrent les cadavres ensanglantés des héros pour les transformer en sortes d’ectoplasmes.

C’est l’esprit même de l’œuvre, mais Gunter Krämer ne peut ignorer qu’une partie du public a un problème avec la nudité - la honte du corps que son éducation lui a inculqué - et ces femmes qui nettoient des chairs bien fermes donnent une dimension humaine et sensuelle à leurs gestes qui dépasse la situation. Une prise de risque qu’il fallait tenter.

Ricarda Merbeth (Sieglinde) et Robert Dean Smith (Siegmund)

Ricarda Merbeth (Sieglinde) et Robert Dean Smith (Siegmund)

Les filles de Wotan forment un ensemble violent et énergique, et Gerhilde, interprétée par Marjorie Owens, transperce l’air d’exclamations infernales sans ménagement.
La grande scène d’explication, resserrement et simplicité scéniques sur fond noir, ne laisse plus que Brünnhilde et son père face à face.

Avec ses regards de petite fille, Katarina Dalayman lançait des Hoiotoho! Hoitoho! en veux-tu en voilà quand elle rejoignait son père dans la grande salle du Walhalla. Maintenant, son timbre voluptueusement charnel se confronte, selon les représentations, à deux Wotan bien distincts.

Toute la stature de Falk Struckmann repose sur une voix puissante, assez claire, comme une carrure forte. Mais qu’il suive des consignes scéniques se voit bien trop.

Ceux qui auront la chance d’entendre Thomas Johannes Mayer vont découvrir en revanche une interprétation plus expressive dans la déclamation, une noirceur plus douce bien que le volume soit moindre, s’effaçant parfois, il est vrai, derrière l’orchestre.
Cependant tout son être est juste. Les tourments que lui crée sa fille se lisent dans les gestes de la main, les mouvements lents de la tête, et Wotan s’humanise.

La Walkyrie (Philippe Jordan-Günter Krämer) à Bastille

Le mystère de cet art théâtral, un modèle du genre, peut provenir d’un don naturel ou bien d’une proximité avec des metteurs en scènes dramatiques, mais en tout cas on a envie de dire avec beaucoup d‘émotion : c’est cela, c’est vraiment cela!

L’immolation de Brünnhilde s’achève sur le motif du destin, Erda réapparaît, et plongée dans son sommeil, la jeune Walkyrie voit en rêve prémonitoire tous les êtres de son univers disparaître dans un monde incendié.

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Publié le 14 Mars 2010

Der Ring des Nibelungen - Das Rheingold (Wagner)

Représentation du 13 mars 2010
Opéra Bastille

Wotan Falk Struckmann
Fricka Sopkie Koch
Loge Kim Begley
Alberich Peter Sidhom
Mime Wolfgang Ablinger-Sperrhacke
Fasolt Iain Paterson
Fafner Günther Groissböck
Freia Ann Petersen
Erda Qiu Lin Zhang
Donner Samuel Youn
Froh Marcel Reijans
Woglinde Caroline Stein
Wellgunde Daniela Sindram
Flosshilde Nicole Piccolomini

Direction Musicale Philippe Jordan
Mise en scène Günter Krämer

 

Synopsis

Le pacte des géants
Wotan, souverain des dieux, règne sur les géants, les hommes et les nains Nibelungen. Gardien des pactes gravés sur la hampe de sa lance, il a violé un contrat : pour rétribuer les géants Fafner et Fasolt qui lui ont construit le Walhalla, résidence des dieux, il leur a promis la déesse Freia. Mais une fois le Walhalla bâti, désireux de garder Freia dispensatrice aux dieux des pommes de l’éternelle jeunesse, il revient sur sa parole et offre un autre paiement. Les géants acceptent de recevoir le trésor d’Alberich le Nibelung.

Le pouvoir de l’anneau
Alberich a volé l’or gardé par les trois ondines du Rhin ; il en a forgé un anneau qui donne à celui qui le porte, à condition de renoncer à l’amour, la maîtrise du monde. Wotan n’a nulle intention de renoncer à l’amour, mais il veut l’anneau (outre le trésor) et le prend de force à Alberich avec la complicité de Loge, le dieu du Feu.
Le nain lance sur l’anneau une malédiction redoutable.

La malédiction de l’anneau
Wotan remet le trésor aux géants, mais garderait l’anneau si la sage déesse Erda , mère des trois Nornes fileuses du destin, ne l’avertissait du danger que constitue l’anneau, ainsi que de la fin approchante des dieux. Il remet l’anneau aux géants, et la malédiction d’Alberich fait aussitôt son effet : pour avoir la plus grande partie du trésor, Fafner tue son frère Fasolt et s’approprie la totalité. Puis il va entasser le trésor dans une grotte des profondeurs de la forêt et pour le garder se transforme en un monstrueux dragon, grâce au heaume magique forgé par Mime, le frère d’Alberich.
Alors que les dieux entrent dans leur nouvelle demeure, Wotan  songe à la race de demi-dieux qu’il prépare pour vaincre le Nibelung.

L’Or du Rhin (Philippe Jordan-Günter Krämer) à Bastille

Le premier volet du Ring, dans la vision de Günter Krämer, se regarde comme une bande dessinée au gros trait, dont les ambiances lumineuses constituent l’élément le plus impressionnant.

Le metteur en scène ne cherche pas à révolutionner la lecture philosophique du livret, mais à en proposer une vision très claire, exempte de symboles mythologiques et magiques, et décomplexée dans la représentation factice des dieux (on finit par s’habituer à leurs bustes fabriqués).

La première scène d’Alberich et les filles du Rhin, dont les robes évoquent autant le corps écaillé des sirènes que l’éclat des prostituées de luxe, semble comme un prolongement de celle des filles fleurs telles que Warlikowski les avait représentées dans Parsifal en 2008.

Ce premier tableau, avec ces bras rouges et ondoyants, est une bonne illustration du travail de Krämer pour restituer le désir sexuel en jeu, tout en s’appuyant sur la dynamique des éléments musicaux.

Sophie Koch (Fricka)

Sophie Koch (Fricka)

Tout au long de l’ouvrage, l’on est assez admiratif devant son pragmatisme dans la gestion des enchaînements visuels (les cordes qui retiennent Alberich sont également celles qui retiennent plus loin en otage Freia, la Terre fertile dont l‘avenir est en jeu, et celles qui tirent l’arc-en-ciel du Walhalla), l’utilisation des éléments fantastiques pour appuyer sa vision (la transformation d’Alberich, en serpent et en crapaud, souligne le niveau d’aliénation du peuple Nibelung), quitte à assumer les lourdeurs de la représentation des luttes de classes (les géants devenant des travailleurs en guérilla contre leur patron).

Avec ce même sens de la continuité, l’arrivée d’Erda est pressentie dès la transition vers la quatrième scène, mais son impact théâtral est moindre que l’arrivée des géants à la seconde scène, alors que son enjeu est plus fort.

Le thème de la malédiction d’Albérich est également moins marquant.

En revanche, la transformation finale du Walhalla en monumental escalier, d’où surgit la jeune hitlérienne que Wotan prépare à lancer contre le Nibelung, se réalise dans une illusion visuelle inoubliable.

Enfin, le travail théâtral, dont bénéficient le plus Alberich et Loge, cherche à rendre visible les forces qui animent les protagonistes (la haine de Mime qui le pousse à révéler à Loge où se cache Albérich transformé en crapaud).
Certains auront même remarqué comment Krämer résout une faiblesse du livret de Wagner, en laissant Wotan s’emparer d’une dernière pomme avant de suivre Loge.
Comment expliquer sinon qu’il ne soit pas plus affaibli lorsque qu‘il entame sa descente dans les mines?

Kim Begley (Loge)

Kim Begley (Loge)

Sous la direction de Philippe Jordan, l’orchestre de l’Opéra National de Paris porte une merveilleuse vision musicale fine et agile (il faut entendre la grâce du motif de l‘amour lorsque Fasolt rêve de la beauté de la femme), plus évocatrice des nébulosités célestes que des remous pervers et agressifs du Nibelung. Cette atténuation dramatique est relative, surtout que la théâtralité est visuelle.

Sur scène, l’implication de l’ensemble des chanteurs est captivante, clownesque et manipulateur Loge de Kim Begley, acéré Alberich de Peter Sidhom sans état d’âme quand il s’agit de se plier à la vulgarité de son personnage, et émouvante noirceur de Qiu Lin Zhang à l'apparition d'Erda.

A l’autorité un peu brute de Falk Struckmann répond la voix la plus noble du plateau en Sophie Koch, et les deux géants, Iain Paterson et Günther Groissböck, se distinguent plus visuellement que vocalement.

Wolfgang Ablinger-Sperrhacke laisse présager, dans Siegfried, un Mime très revanchard.

Rien de vocalement monstrueux dans ces personnages, tous très humains.

Reste à savoir, après le plaisir quasi enfantin que suscite ce prologue, dans quel univers va nous entraîner la Walkyrie, et quelle suite Günter Krämer va t-il donner à ses idées (Erda, avec qui Wotan eut les Walkyries, apparait en voiles noirs, alors que Freia, en voiles blancs, suit de force Wotan sur les marches du Walhalla)?

L'entrée au Walhalla

L'entrée au Walhalla

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