Siegfried (Kerl- Ablinger-Sperrhacke -Mellor-Jordan) Bastille

Publié le 10 Avril 2013

Der Ring des Nibelungen - Siegfried (Wagner)
Représentation du 07 avril 2013
Opéra Bastille

Siegfried Torsten Kerl
Mime Wolfgang Ablinger-Sperrhacke
Der Wanderer Egils Silin
Alberich Peter Sidom
Fafner Peter Lobert
Erda Qiu Lin Zhang
Waldvogel Elena Tsallagova
Brünnhilde Alwyn Mellor

Direction Musicale Philippe Jordan
Mise en scène Günter Krämer (2011)

                                                                                                         Torsten Kerl (Siegfried)

 

Elle déroute bien des spectateurs cette mise en scène qui ne se prend pas au sérieux quand Mime et Siegfried reproduisent les relations éducatives et conflictuelles entre un parent fumeur de marijuana et un adolescent en rébellion, et qui croit encore en la poésie pastel d’une forêt imprimée sur un fin tissu flottant au dessus de feuillages fluorescents piétinés par quelques hommes nus, raillant tous les symboles mythologiques germaniques pour les confronter à une époque désillusionnée et inesthétique.

Le décalage avec ce que l’on entend est d’autant plus saisissant que Philippe Jordan est passé maître d’une limpidité orchestrale resplendissante, un hédonisme sonore qui évite la crudité des coups de traits traitres et les explosions de cuivres déchainées. Le plaisir à suivre mille et un détails furtifs, d’où surgissent des accords menaçants très fortement contrastés, se substitue facilement aux passages à vide de la mise en scène - les longues explications devant un simple tableau noir. L’Or du Rhin est bien dans la fosse, et pas ailleurs, car tout est beau et lumineux, du tuba contrebasse qui serpente devant la grotte de Fafner aux frémissements enchanteurs du chant de l’oiseau.

Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Mime)

Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Mime)

Sur scène, pendant les deux premiers actes, Wolfgang Ablinger-Sperrhacke s’amuse de la drôlerie vulgaire de Mime, tant percutant qu’il paraît en échange permanent avec le public, selon un one man show unique en soi.
Torsten Kerl, chahuteur, déboulant comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, et cassant ses jouets comme un enfant qui voudrait grandir, s’amuse de la même manière avec ce Siegfried nullement héroïque et formidablement sympathique.
Mais le dimensionnement de l’Opéra Bastille, plus grande scène d’Europe, empêche le spectateur d’entendre toute la chaleur de son timbre, les aigus se noient dans la musique, ce qui crée un manque, pour ne par dire une absence, surtout au premier acte. C’est vraiment dommage, car l’incarnation est naturelle et très bien jouée.

Dommage également qu’Egils Silin n’impose pas plus de présence et ne recherche plus d’effets pour traduire les états d’âme déliquescents de Wotan, ce que Peter Sidom, à nouveau, réussit parfaitement en brossant un portrait fort d’Alberich, un caractère de fer bardé de noirceurs vindicatives qui concentre en lui tout ce qu’il peut y avoir de mauvais en l’homme.

Alwyn Mellor (Brünnhilde)

Alwyn Mellor (Brünnhilde)

Et, après le gigantesque et humoristique Fafner de Stephen Milling, il y a deux ans, la voix de Peter Lobert est de la même ampleur caverneuse, mais son meurtre toujours aussi mal mis en scène.

 Le dernier acte de ce Siegfried mérite un traitement bien à part. C’est, tout d’abord, le retour à un lyrisme commun à la Walkyrie et au Crépuscule des Dieux qui va suivre.
Dans sa grande bibliothèque, l’Erda de Qiu Lin Zhang est magnifique d’humanité, une tristesse et une fragilité attachantes.
Ensuite, la cohérence avec le dernier acte de la première journée du Ring est maintenant naturelle, et l’on retrouve Brünnhilde endormie sur les marches de l’escalier monumental du Walhalla, dans l'atmosphère lumineuse d’un monde à son couchant, le plus beau tableau que Günter Krämer a bien voulu céder à cette tétralogie.

Philippe Jordan maintient une dynamique souple avec un renouvellement permanent des beautés sonores, et la musique engendre des motifs majestueux qui viennent enlacer nos émotions, puis s’évanouir, laissant un mystère idyllique sidérant.

Scène finale, montée de Wotan au Walhalla

Scène finale, montée de Wotan au Walhalla

L’ensemble visuel et musical de toute la grande scène d’éveil est envoutant, et, au centre de ce tableau magnifique, Alwyn Mellor découvre une Brünnhilde qu’elle interprète avec une sensibilité et une maîtrise vocale incroyablement rayonnante, lorsque l’on sait la difficulté qu’il y a à s’emparer directement de ce final, sans échauffement préalable.
Les couleurs de son timbre semblent un peu usées, mais il y a une énergie, un élan qui n’introduit aucune brisure trop saillante, et, surtout, une jeunesse d’esprit qui s’accorde avec l’authenticité de Torsten Kerl.

Alors que s'achève cette seconde journée sur une exaltation extraordinaire, comment ne pas trouver que le public parisien a un rapport quelque peu superficiel à l’art lyrique, quand il ne rappelle-même pas les artistes, plus que de convention, après une telle réussite?

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F
Quitte à m'être emmêlé précédemment les pinceaux entre Parsifal et Siegfried... autant dire deux mots aussi de ce Siegfried parisien.<br /> Je n'avais pas vu ce Siegfried lors de sa création et en avait entendu pis que pendre. Clairement le travail de Krämer n'est pas impérissable, il a ses vides, mais aussi ses quelques idées<br /> originales, et je le trouve globalement appréciable, de ceux qui font passer une agréable soirée à l'Opéra. Et puisqu'on parle de Vienne, autrement préférable à la production très vide et plate du<br /> Staatsoper pour le même opéra.<br /> Vocalement, c'est appréciable également, sans enthousiasme franc non plus. J'ai aimé la fraîcheur de Mellor dans la Walkyrie, mais le cantabile est bien déficient pour le III de Siegfried - ou<br /> était-ce la fatigue ? Et ce magnifique ténor qu'est Kerl est méconnaissable dans les largeurs de Bastille - et on devine plus qu'on savoure ces belles manières.<br /> Jordan, je n'adhère pas. Primo, à l'entendre ses tempi me semblent étirés là où pourtant la montre indique qu'objectivement il ne s'alanguit pas tant que ça. Et, secondo, si le son se veut élégant,<br /> la pâte ne suit pas toujours vraiment en beauté réelle le désir du geste. Bref, à mon oreille, cela sonne plus terne qu'élégant, sans jamais oser verser dans le théâtre à laquelle cette musique<br /> appelle sans cesse.<br /> Et que dire de la comparaison avec le Wagner de Welser-Möst et les pupitres viennois à quelques jours d'intervalle ?
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F
J'y étais trois jours auparavant pour ce qui devait être le premier Parsifal viennois de Jonas Kaufmann. Déception face à l'annulation évidemment, quoique Ventris y fut comme toujours très<br /> appréciable. Je suis plus circonspect en ce qui concerne Herlitzius : tout cela bouge désormais énormément en dessous du forte, est devenu aigre avec le temps, l'aigu s'écorche dès qu'il n'est plus<br /> en force... mais que l'interprète convainc et enflamme malgré ses limitations! Youn parfait certes, mais aussi bien sage.<br /> Surtout Welser-Möst au pupitre, superbe de bout en bout (et le 28 pour les trois actes), admirable de clarté et de lyrisme, d'éloquence jamais forcée, dans la noble lignée d'un Kempe.<br /> Drôle de mise en scène tout de même avec ces sacrifices rituels d'enfants arrachés à leurs mères au I, et ce graal révélé à la foule comme pure pacotille au III par un Parsifal qui n'entend pas<br /> reprendre le pouvoir d'Amfortas. La routine viennoise des reprises qui laissent les chanteurs à eux-mêmes n'aident certainement pas.<br /> Regret pour Kaufmann qui aurait sans doute transformé ce Parsifal de bon en inoubliable. Restera toutefois la direction de Welser-Möst pour le souvenir mémorable.
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N
O combien d'accord sur l'attitude ingrate du public après ces 4h de musique. Certes Torsten Kerl avait craqué deux aigus dans le dernier acte de ma représentation, mais s'il y a bien un rôle qui<br /> mérite un peu de mansuétude, c'est bien Siegfried.
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