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Publié le 23 Juin 2019

Le conte du Tsar Saltan (Nikolaï Andreïevitch Rimski-Korsakov)
Représentation du 16 juin 2019
Théâtre Royal de La Monnaie, Bruxelles

Tsar Saltan Ante Jerkunica
Tsaritsa Militrisa Svetlana Aksenova
Tkatchikha Stine Marie Fischer
Povarikha Bernarda Bobro
Babarikha Carole Wilson
Tsarevitch Gvidon Bogdan Volkov
Tsarevna Swan-Bird / Lyebyed Olga Kuchynska
Old man Vasily Gorshkov
Skomorokh / Shipman Alexander Vassiliev
Messenger / Shipman Nicky Spence
Shipman Alexander Kravets

Direction musicale Alain Altinoglu
Mise en scène Dmitri Tcherniakov (2019)

Art vidéo Gleb Filshtinsky
Coproduction Teatro Real de Madrid          Svetlana Aksenova (Militrisa) et Bogdan Volkov (Gvidon)

Après Le Coq d'Or en 2016, Le Conte du Tsar Saltan est le second opéra de Nikolaï Rimski Korsakov que dirige Alain Altinoglu à La Monnaie de Bruxelles. Et parmi les 15 opéras du compositeur russe, ces deux ouvrages bénéficient, de surcroît, d'un livret de Vladimir Belsky inspiré d'un poème d'Alexandre Pouchkine.

Bogdan Volkov (Gvidon)

Bogdan Volkov (Gvidon)

C'est dire les affinités d'Alain Altinoglu pour les talents de ce grand orchestrateur dévolu à peindre un style populaire national orné de couleurs chatoyantes, et il n'y a plus belle image de l'influence de Richard Wagner que de voir et entendre le directeur musical du Théâtre Royal jouer cette musique avec un délice onctueux, dans la continuité du Tristan und Isolde interprété en ce même lieu un mois plus tôt.

Car c'est à un véritable épanouissement musical que sont invités les auditeurs au cours de ces représentations. Ampleur, finesse des détails, souplesse du tissu orchestral qui vibre de mille reflets scintillants, de mille touches de bois poétique - le tout allié à un sens de l'action théâtrale qui intègre intelligemment l'ensemble des artistes, y compris le chœur en grande forme que l'on retrouve temporairement disposé en haut des galeries de la salle pour pleurer le sort réservé à la Tsarine et son fils -, tout incline à un splendide enchantement sonore.

Bernarda Bobro (Povarikha), Carole Wilson (Babarikha), Stine Marie Fischer (Tkatchikha), Svetlana Aksenova (Militrisa), Ante Jerkunica (Tsar Saltan) et Bogdan Volkov (Gvidon)

Bernarda Bobro (Povarikha), Carole Wilson (Babarikha), Stine Marie Fischer (Tkatchikha), Svetlana Aksenova (Militrisa), Ante Jerkunica (Tsar Saltan) et Bogdan Volkov (Gvidon)

Et comme les solistes sont parfaitement rodés au répertoire slave, l'esprit identitaire musical de l’œuvre - au sens esthétique du terme - se ressent profondément.

Svetlana Aksenova, qui avait été une innocente et angélique Fevroniya dans La légende de la ville invisible de Kitège mis en scène par Dmitri Tcherniakov à Amsterdam, incarne cette fois un personnage beaucoup plus mûr où l'expressivité réaliste compte beaucoup plus. Car dans ce spectacle, la Tsarine Militrisa est une femme moderne, une mère qui se bat pour élever son enfant autiste et lui rendre l’espoir.

L'identification de la 'petite créature insolite' du livret avec un tel handicap mental est en effet l'élément clé qui permet de transposer ce conte légendaire en un drame social d'aujourd'hui.

Bogdan Volkov (Gvidon)

Bogdan Volkov (Gvidon)

Bogdan Volkov joue ainsi sans lassitude le comportement pathologique du jeune homme, avec ses tics et secousses imprévisibles, et est parfaitement crédible avec sa coupe lisse et juvénile, et son pull flottant. Ses intonations ombrées et plaintives expriment constamment la mélancolie que l'on associe naturellement à la langue slave.

La mère, Carole Wilson, et les deux sœurs, Bernarda Bobro et Stine Marie Fischer - l'inoubliable Pauline auprès de Lise Davidsen dans La Dame de Pique à l'opéra de Stuttgart -, qui semblent provenir du conte de Cendrillon, forment un trio pervers aux couleurs vocales vives et séduisantes, et c'est avec un immense plaisir que l’on retrouve l'excellent sens de la comédie d'Ante Jerkunica, ainsi que son impressionnante élocution sonore douée d'une noirceur coupante comme l’obsidienne. 

Olga Kuchynska (Tsarevna Swan-Bird) sur l'Ile de Bouïane

Olga Kuchynska (Tsarevna Swan-Bird) sur l'Ile de Bouïane

Et il y a également la découverte merveilleuse du Cygne d’Olga Kulchynska, recouverte d’une traîne de plumes blanches, qui offre un chant clair citron et de longues lignes vocales pour enchanter sa splendide mélodie 'Tsarévitch mon sauveur'.

Dmitri Tcherniakov lui a confectionné un magnifique écrin, l'intérieur d'une perle géante où se projettent sous des lumières blanches irréelles de magnifiques animations pour contes d'enfants, toutes les couleurs de l'arc-en-ciel fleurissent, et c'est dans cette bulle magique que les chanteurs et les dessins des différentes scènes vont se mêler pour le bonheur visuel des spectateurs.

Dans son idée, le conte n'est en fait qu'un prétexte, pour une mère et ses proches, afin de provoquer chez l'enfant une réaction qui le libérerait de son anomalie mentale, mais cette histoire de famille échoue au grand désespoir de tous.

La ville de Tmoutarakane

La ville de Tmoutarakane

Le metteur en scène montre à nouveau, à travers des costumes qui imitent une tradition russe bariolée et fantasmée, avec quel cœur il arrive à relier les apparences et les couleurs de son monde natal à des situations sociétales d'aujourd'hui. Et pour ne pas avoir à recourir à des danses stéréotypées, il substitue à ces scènes folkloriques, de grandes scènes d’animations populaires.

Mais il s’appuie également sur les qualités artistiques de Gleb Filshtinsky pour reconstituer des images oniriques sur les plus beaux passages orchestraux, tel le dramatique souffle marin qui emporte la Tsarine et son fils à travers les mers, où les images ressemblent à ce que l'on pouvait voir dans les productions traditionnelles russes, mais avec un sens du dessin qui évite tout kitsch. Et Alain Altinoglu, sur les plus belles pages orchestrales de la partition, se régale à en exalter les vortex et les méandres sombres, comme pour concourir avec l'art vidéographique.

Ante Jerkunica (Tsar Saltan) et Bogdan Volkov (Gvidon)

Ante Jerkunica (Tsar Saltan) et Bogdan Volkov (Gvidon)

Ce spectacle intelligent, qui ramène chacun aux rêves de l'enfance, mais qui devient pessimiste quand il se raccroche au monde adulte, est un extraordinaire travail de cohésion pour toutes les forces du théâtre, et un excellent catalyseur qui donne envie de parcourir les mers, car c’est la rencontre avec des esprits aussi ingénieux qui peut stimuler la créativité de chacun.

Svetlana Aksenova, Alain Altinoglu et Bogdan Volkov

Svetlana Aksenova, Alain Altinoglu et Bogdan Volkov

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Publié le 3 Avril 2018

Actus Tragicus (Johann Sebastian Bach)
Six Church cantatas BWV 178, 27, 25, 26, 179, 106
Représentation du 01 avril 2018

Opéra de Stuttgart

The woman with the red shoes Josefin Feiler
The good Samaritan Laura Corrales
The boy with the ball Paula Stemkens
The washerwoman Kai Wessel
The woman with the books Barbara Kosviner
The room surveyor Martin Petzold
The man with the clock Michael Nowak
The sick man Shigeo Ishino
The blind man Daniel Henriks

Direction musicale Ilan Volkov
Mise en scène Herbert Wernicke (Bâle, 2000)         
Josefin Feiler (woman with the red shoes)
Staatsopernchor Stuttgart, Staatsorchester Stuttgart

En alternance avec le Parsifal impitoyable de Calixto Bieito, l’opéra de Stuttgart fait revivre en ce temps de Pâques le spectacle à la fois humoristique et liturgique qu’Herbert Wernicke présenta à Bâle en décembre 2000, un an et demi avant sa disparition.

Il est dorénavant régulièrement repris depuis 2006 au cœur du magnifique et bucolique temple théâtral de la capitale du Bade-Wurtemberg, et, en filigrane de la représentation, nous pouvons dédier  une pensée recueillie à ce metteur en scène auquel Gerard Mortier confia le Ring de Wagner pour sa première saison à la Monnaie de Bruxelles, sous la direction de Sylvain Cambreling que nous entendions ici même dans Parsifal il y a deux jours.

Et c’est en son hommage que nous découvrîmes également sa vision des Troyens de Berlioz à l’opéra Bastille, en 2006, toujours sous la direction de Sylvain Cambreling.

Paula Stemkens (The boy with the ball) - Photo A.T Schaefer

Paula Stemkens (The boy with the ball) - Photo A.T Schaefer

Actus Tragicus est un magnifique et ironique regard porté sur la vie dans un décor unique qui représente en coupe verticale un enchevêtrement de pièces d’un immeuble où vivent des personnes très différentes, vacant indéfiniment à leurs occupations journalières ou rituelles comme des automates.

Herbert Wernicke propose cependant d’éprouver ce regard à l’écoute de la musique de 6 cantates de Jean Sébastien Bach, toutes composées à Leipzig entre 1723 et 1726 après sa nomination comme cantor de l’église Saint-Thomas, hormis la toute dernière, Actus Tragicus, composée à Mühlhausen en 1707.

Un sportif revient chez lui pour achever quelques exercices physiques, un contre-ténor travesti repasse méticuleusement son linge, une famille célèbre immuablement Noël au déclic d’un flash photographique, une jeune femme cherche la robe qui lui permettra de mieux briller en société, un couple s’isole dans une chambre pour faire l’amour, là où, une fois absent, un homme vieillissant et malade viendra y chercher le repos.

Staatsopernchor, Stuttgart - Photo A.T Schaefer

Staatsopernchor, Stuttgart - Photo A.T Schaefer

Et toutes ces boites méticuleusement agencées, comme un ensemble de tableaux vivants, reposent sur une cellule qui abrite une reproduction du Corps du Christ mort dans sa tombe peinte par Hans Holbein le Jeune et conservée au Kunstmuseum de Bâle.

Les cantates évoquent, tout le long de la pièce, le besoin d’une aide spirituelle pour affronter le monde, la finitude de la vie, la corruption et la décomposition de la chair, la futilité de la vie et des biens sur Terre, l’hypocrisie dissimulée sous la crainte de Dieu, et Actus Tragicus (BWV 106) célèbre finalement le temps de Dieu comme le meilleur des temps.

Face à ces instants de vie qui se répètent, ce sont petit à petit les similitudes entre les mouvements oscillants et infinis que nous connaissons de notre univers, depuis les interactions gravitationnelles de la matière jusqu’aux révolutions des planètes, et le réconfort de nos petites habitudes routinières qui se répondent, alors que la musique porte en elle-même les ondes qui résonnent avec le monde. Une horloge dominant une des chambres rappelle que le temps s'écoule inexorablement.

Staatsopernchor, Stuttgart - Photo A.T Schaefer

Staatsopernchor, Stuttgart - Photo A.T Schaefer

Ce chœur éparpillé dans des alcôves exiguës, qui croit que Dieu assurera sa protection pour la vie, ne se pose plus de questions, mais l’on remarque à la toute fin un personnage masqué, avec lequel tous cohabitaient sans y faire attention, qui se rapproche de la chambre du malade avant qu’il n’expire définitivement. La Mort attendait son moment, et rien ne l’en a empêché.

Et nous n’avons rien vu venir, sauf dans les derniers instants, ce qui rend encore plus poignante cette prise de conscience. Et l’on ne pouvait pas mieux représenter le caractère cyclique de la vie par les récurrences de l’apparition du couple amoureux et du vieillard souffrant dans la même pièce.

Tous ces artistes chantant en phase, souvent sans se voir alors que chacun joue une ligne de vie singulière, donnent brillamment une unicité à chacun de leur personnage, et l’on peut distinguer Shigeo Ishino, vieil homme au timbre dramatique fort émouvant, le contre-ténor Kai Wessel, troublant en femme de ménage, Michael Nowak, saisissant homme à l’horloge, et le glamour de Josefin Feiler.

Michael Nowak (The man with the clock), Shigeo Ishino (The sick man) - Photo A.T Schaefer

Michael Nowak (The man with the clock), Shigeo Ishino (The sick man) - Photo A.T Schaefer

Les cantates de Bach ne sont jamais aussi poignantes que lorsqu’on les écoute dans une solitude absolue. Dans la salle du théâtre de Stuttgart, Ilan Volkov réussit pourtant à donner de la cohésion à la musique et à la verticalité de la scène, tout en diffusant un sentiment de joie et de clarté qui inspire de l’optimisme. Car penser avec autant de subtilité à la Mort c'est se donner envie de repenser la Vie.

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Publié le 23 Novembre 2010

Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny (Kurt Weill)
Livret de Bertolt Brecht
Représentation du 21 novembre 2010
Théâtre du Capitole de Toulouse

Leocadia Begbick Marjana Lipovsek
Fatty « Le Fondé de pouvoir » Chris Merritt
Moïse la Trinité Gregg Baker
Jenny Hill Valentina Farcas
Jim Mahonney Nikolai Schukoff
Jack 0’ Brien / Toby Higgins Roger Padullés
Billy Tiroir-Caisse Tommi Hakala
Joe Loup d’Alaska Harry Peeters

Direction Musicale Ilan Volkov
Mise en scène Laurent Pelly

                                                                                                                Nikolai Schukoff (Jim)

La création de deux nouvelles productions de Mahagonny à un mois d’intervalle et à quelques centaines de kilomètres de distance, à Madrid en ouverture du mandat de Gerard Mortier et à Toulouse sous la direction de Frédéric Chambert, est un signe fort de l’emprise d’une situation sociale sur la vie artistique.

La capitale occitane doit cependant composer avec un budget et un espace scénique bien différents des moyens dont dispose la capitale castillane, à charge de Laurent Pelly d’animer par sa verve le petit monde de la capitale du plaisir.

Chris Merritt (Fatty) et Marjana Lipovsek (Leocadia Begbick)

Chris Merritt (Fatty) et Marjana Lipovsek (Leocadia Begbick)

Au bord d’une autoroute surgissant de l’arrière scène vers la salle, et dans une immuable atmosphère nocturne, les structures à base de néons colorés sertissent chaises, comptoirs, soleil artificiel, compteur boursier qui dégringole, et offrent une petite scène d’une poésie magnifique lorsque Jenny et Jim chantent seuls au premier acte, sous deux flèches, l’une rouge et l’autre bleue, clignotant selon l’interprète, comme un cœur battant.

Dans l’ensemble, la scénographie illustre simplement la séquence des tableaux, ponctuée de gags furtifs (les marqueurs « No » « Sex » des arbitres de tennis par exemple), et ose les images répulsives de la cité permissive (les empilements de hamburgers, de kleenex au sortir des peep show) comme la chaise électrique finale façon « Grand Guignol ».

Très à l’aise dans les mouvements de foule de caractères caricaturés, Laurent Pelly permet au chœur de jouer un rôle très vivant, d’autant plus que ce dernier alterne fortes mises en avant et jolies nuances.

Chris Merrit (Fatty) et Gregg Baker (Moïse)

Chris Merrit (Fatty) et Gregg Baker (Moïse)

L’humble participation de Chris Merritt, avec un regard si attentionné vis-à-vis de ses partenaires, l’art déclamatoire de Marjana Lipovsek, qui puise dans les richesses d’un médium clair et encore tendre, la haute allure de Gregg Baker, le mordant et la proximité de Nikolai Schukoff, que quelques aigus durcissent un peu plus, et la souplesse du corps de Valentina Farcas, musicale et très légère, sont soutenus par la direction alerte et souvent avantageusement lyrique de Ilan Volkov, variant les volumes mais encline à retenir les effets tranchants et à lisser l’ironie de la langue allemande.

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