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Publié le 7 Février 2024

Don Giovanni (Wolfgang Amadé Mozart –
29 octobre 1787, Prague et 7 mai 1788, Vienne)
Version de concert du 05 février 2024
Théâtre des Champs-Élysées

Don Giovanni Christian Van Horn 
Donna Anna Slávka Zámečníková 
Don Ottavio Bogdan Volkov 
Donna Elvira Federica Lombardi 
Leporello Peter Kellner 
Le Commandeur Antonio Di Matteo 
Masetto Martin Häßler 
Zerlina Alma Neuhaus 

Direction musicale Philippe Jordan
Orchestre et chœur de l’Opéra de Vienne 

                             Bogdan Volkov (Don Ottavio) 

 

Par une concordance de temps heureuse, l’Opéra de Vienne est invité au Théâtre des Champs-Élysées pour célébrer les 100 ans de sa première venue en ce théâtre, qui se déroula du 28 mai au 02 juin 1924 pour y interpréter ‘Don Giovanni’, ‘Les Noces de Figaro’ et ‘L’enlèvement au Sérail’, ainsi qu’un concert symphonique.

En effet, cette année là, Paris organisait la VIIIe olympiade de l’ère moderne (la première ayant eu lieu à Athènes en 1896), et, 100 ans plus tard, l’Opéra de Vienne revient l’année où la capitale française organise la XXXIIIe olympiade.

Slávka Zámečníková (Donna Anna) et Bogdan Volkov (Don Ottavio)

Slávka Zámečníková (Donna Anna) et Bogdan Volkov (Don Ottavio)

Toutefois, la première venue à Paris du Philharmonique de Vienne, très lié à l’orchestre de l’Opéra de Vienne, date, elle, de 1900, sous la direction de Gustav Mahler, qui interpréta cinq concerts du 18 au 22 juin au Théâtre du Châtelet puis à la Salle des Fêtes du Palais du Trocadéro, à l’occasion de l’Exposition universelle et des Jeux de la IIe olympiade. 

Vienne 1900 représentait, au tournant du XIXe siècle, une pensée avant-gardiste, et c’est à ce moment là que commencèrent à émerger des mises en scènes d’opéras à l’esthétique radicale à travers la collaboration entre Alfred Roller et Gustav Mahler (‘Tristan und Isolde’ - 1903).

Depuis, Vienne a perdu de son avance sur son temps, mais l’arrivée en 2020 de Bogdan Roščić à la direction de la première maison lyrique autrichienne vise à replacer l’institution en accord avec son époque. Il est présent, ce soir, dans la salle du Théâtre des Champs-Élysées.

Affiche du Concert de l'Opéra de Vienne au Théâtre des Champs-Elysées en 1924

Affiche du Concert de l'Opéra de Vienne au Théâtre des Champs-Elysées en 1924

C’est avec un immense plaisir que l’on retrouve Philippe Jordan à la conduite de ce ‘Don Giovanni’ qui fut joué avec la même distribution du 14 au 20 janvier 2024 dans une production de Barrie Kosky, qui n’a malheureusement pu être reprise ici.

Le directeur musical suisse, qui a signé l’été dernier au Festival de Salzbourg un ‘Macbeth’ d’une très grande intensité dramatique dans une mise en scène de Krzysztof Warlikowski, confirme qu’il a renforcé son grand sens coloriste de la ligne orchestrale avec une puissance théâtrale qu’on ne lui avait pas toujours connu auparavant. Il dispose d’un orchestre qui concentre, certes, beaucoup de matière, doté d’une batterie de cuivres massive, et qui dégage son énergie pleinement dans la salle de l’avenue Montaigne, mais ensuite, Philippe Jordan en contrôle le superbe panachage des vents et des cordes, l’intensité du courant maelstromique, la forte coloration et l’audace des jaillissements tuttistes.

Très attentif aux solistes auxquels il adjoint autant son regard qu’aux musiciens, c’est un Mozart emporté et traversé de douceur qu’il fait vivre avec une grande attention à la perfection des détails et à la netteté du dessin des moindres pulsations.

Philippe Jordan

Philippe Jordan

Les interprètes se connaissent bien, puisqu’ils ont déjà chanté ensemble, et le style le plus purement mozartien est magnifiquement maîtrisé par Slávka Zámečníková, dont les lignes vocales se marient merveilleusement aux tissures orchestrales pour dresser un très beau portrait de Donna Anna, empreint d’une séduisante finesse de caractère.

Elle forme ainsi un harmonieux duo avec Bogdan Volkov qui fait transparaître en Don Ottavio les tressaillements du cœur et accorde beaucoup de soin à la sensibilité de ses deux airs qui combinent allègement vocal et maturité du timbre, d’où émane un charme angélique. 

Le ténor ukrainien ne fait que confirmer au public parisien le premier prix qu’il remporta 9 ans plus tôt, à l’âge de 26 ans, lors de sa première venue en France au Théâtre des Champs-Élysées pour participer au concours ‘Les Mozart de l’Opéra’. Depuis, sa carrière européenne s’est envolée notamment avec son incarnation très touchante du Tsarevitch Gvidon dans Le Conte du Tsar Saltan’ mis en scène par Dmitri Tcherniakov et repris récemment à la Monnaie de Bruxelles.

Peter Kellner (Leporello)

Peter Kellner (Leporello)

En Leporello, la basse slovaque Peter Kellner est rompue au chant mozartien mais également au jeu scénique, et cet artiste enjoué induit ainsi un personnage jeune, vibrant, qui captive par sa présence sans verser dans la caricature facile. Il est drôle sans être vulgaire, et préserve de l’amour-propre au valet de Don Giovanni.

C’est d’ailleurs de cette noblesse qui manque, ce soir, à Don Giovanni, auquel Christian Van Horn prête une stature fort monolithique, puissamment sonore et hyper assurée, mais qui ne laisse rien transparaître en mouvement de l’âme, ni même aucune ambiguïté.

Christian Van Horn (Don Giovanni)

Christian Van Horn (Don Giovanni)

Donna Elvira, celle qui pourrait le ramener à la raison, est chantée par Federica Lombardi qui s’inscrit fortement dans une véhémence sauvage, mais laisse peu de place à la tendresse, comme si elle ne voulait pas que cette femme paraisse dominée par le libertin, et le couple de paysans formé par Martin Häßler et Alma Neuhaus donne une image jeunement bourgeoise de leur ménage, une vision du conformisme qui ne va pas survivre à tant de désinvolture.

Enfin, Antonio Di Matteo fait entendre une ligne grave bien chantante qui traduit l’origine nobiliaire du Commandeur.

Federica Lombardi (Donna Elvira)

Federica Lombardi (Donna Elvira)

Salle comble et grand succès au final pour cette soirée qui a permis de découvrir certains chanteurs et de confirmer que Philippe Jordan continue à prendre de l’ampleur.

Slávka Zámečníková, Philippe Jordan, Federica Lombardi, Martin Häßler et Alma Neuhaus

Slávka Zámečníková, Philippe Jordan, Federica Lombardi, Martin Häßler et Alma Neuhaus

A écouter sur France Musique, dimanche 11 février 2024 à 9h, l'émission de Christian Merlin 'Au cœur de l'orchestre', qui sera dédiée aux Viennois en voyage.

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