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Publié le 31 Octobre 2024

The Time of our singing (Kris Defoort –
14 septembre 2021, La Monnaie)
Représentation du 27 octobre 2024
La Monnaie de Bruxelles

Delia Daley Claron McFadden
William Daley Mark S. Doss
David Strom Simon Bailey
Jonah Levy Sekgapane
Joey Peter Brathwaite
Ruth Abigail Abraham
Lisette Soer Lilly Jørstad
Robert Rider Hervé Loka Sombo (rôle muet)

Direction musicale Kwamé Ryan
Mise en scène Ted Huffman (2021)

Orchestre de chambre de la Monnaie
Ensemble de jazz (Robin Verheyen, Lander Gyselinck, Nicolas Thys, Hendrik Lasure)
Chœur d’enfants Equinox

Coproduction LOD Muziektheater (Gand), Theater St Gallen

Ouvrage récompensé par l’International Opera Awards comme la ‘Meilleure Création Mondiale’ de la saison 2021 / 2022', ‘The Time of our singing’ est repris trois ans plus tard à la Monnaie de Bruxelles, et c’est à une œuvre très touchante et chaleureuse qu’il est possible d’assister en ce début d’automne, de par la manière dont l’histoire d’amour entre une jeune musicienne noire originaire de Philadelphie et un physicien juif allemand est racontée en nous faisant traverser l’Histoire américaine et ses injustices vis à vis de la communauté noire au XXe siècle.

Simon Bailey (David Strom) et Levy Sekgapane (Jonah)

Simon Bailey (David Strom) et Levy Sekgapane (Jonah)

Décor dépouillé, la scène est simplement entourée de tables de classe sur tout son pourtour, et un tableau étendu en arrière plan remémore les noms de civils noirs ayant été victimes de meurtres depuis la guerre civile à aujourd’hui. Parmi ces noms se discerne celui de Delia Daley qui disparaîtra dans un incendie que sa fille, Ruth, estimera être intentionnel.

Et au dessus de ce tableau mémoriel, des vidéos noir et blanc évoquent le contexte historique en commençant par le récital de Marian Anderson interprété au Lincoln Memorial de Washington le 09 avril 1939 devant plus de 75 000 spectateurs, la contralto afro-américaine s’étant vu refuser l’accès au Constitution Hall par les ‘Filles de la Révolution américaine’.

Elle sera plus tard la première cantatrice noire à apparaitre sur la scène du MET, le 07 janvier 1955, pour chanter le rôle d'Ulrica dans 'Un Ballo in maschera' de Giuseppe Verdi.

Au cours de cette histoire basée sur le roman éponyme de Richard Powers, la question raciale est abordée par le biais de la famille Daley. 

Claron McFadden, soprano New-yorkaise installée dorénavant aux Pays-Bas qui célébrera ses 40 ans de carrière l’année prochaine, joue avec beaucoup de finesse et de profondeur le personnage de Delia Daley en montrant par ses sourires naturels comment elle entend dépasser les préjugés raciaux qui existent même au sein de sa propre famille. 

Car son père, William (incarné par la présence autoritaire de Mark S. Doss), considère que les noirs ne peuvent se défaire de leur groupe d’origine. Il y a donc ici un conflit d’appartenance entre un communautarisme qui souhaite s’imposer à l’individu, d'une part, et l'envie de faire partie d'une société unifiée, d'autre part.

Levy Sekgapane (Jonah) et Claron McFadden (Delia)

Levy Sekgapane (Jonah) et Claron McFadden (Delia)

L’idéal de Delia et de son fils, Jonah, chanté avec un timbre tendre et poétique par Levy Sekgapane, ténor sud-africain qui mûrit actuellement un parcours très assuré dans les interprétations belcantistes, se sublime par la manière dont tous deux voient dans leur parcours lyrique l’aboutissement d’un universalisme humaniste, alors que Ruth, la sœur de Jonah, mue par une volonté revendicative qui se traduit dans la gestuelle scénique vive d' Abigail Abraham, préférera développer un art du chant plus proche de ses racines à travers une école qu’elle va dédier aux jeunes avec l’aide de son autre frère, Joey (Peter Brathwaite).

Cela permettra en dernière partie d’entendre le chœur d’enfants Equinox entraîner le public sur un air entêtant qui sera repris en bis au rideau final face à une salle acquise et debout.

Abigail Abraham (Ruth), Levy Sekgapane (Jonah) et Peter Brathwaite (Joey)

Abigail Abraham (Ruth), Levy Sekgapane (Jonah) et Peter Brathwaite (Joey)

Quand Jonah les rejoint, il comprend tout l’intérêt de la démarche qui devient un moyen de concilier le besoin d’émancipation par l’art tout en restant connecté à la vie d’aujourd’hui et de ses difficultés. Et ce d’autant plus que les violences policières vis-à-vis des populations noires se poursuivent.

Et brutalement, le chœur d’enfants met sans dessus-dessous la scène au moment des émeutes survenues à Los Angeles en 1992 lors de l’acquittement des agresseurs de l’activiste Rodney King.

Chœur d’enfants Equinox

Chœur d’enfants Equinox

La musique qu’a composé Kris Defoort, qui en est à son quatrième ouvrage à la Monnaie après ‘The Woman who walked into doors’ (2001), ‘House of the sleeping beauties’ (2009) et ‘Daral Shaga’ (2014), inclut des parties jazzy et feutrées jouées à la batterie, un accompagnement délicat au piano qui accroît le sentiment d’intimité des relations humaines, un saxophone qui induit une narration sentimentale et rêveuse, alors que l’écriture des cordes tend à diffracter leurs sonorités en mille discrets chatoiements, ce qui crée du relief et des aspérités qui évitent d’entendre un flot trop coulant et uniforme. 

 Lilly Jørstad (Lisette Soer) et Levy Sekgapane (Jonah)

Lilly Jørstad (Lisette Soer) et Levy Sekgapane (Jonah)

Kwamé Ryan - les parisiens se souviennent peut-être qu'il interprétait en 2004 'L'Espace dernier' de Matthias Pintscher à l'Opéra Bastille - dirige l’Orchestre de chambre de la Monnaie dans un esprit d’osmose avec les musiciens et la scène qui se retrouve dans sa souplesse de lecture et sa maîtrise sonore qui invitent à un climat convivial et généreux.

Et c'est autant plus sensible que la direction d’acteurs de Ted Huffman s’inscrit continuellement dans la sobriété et la justesse.

Claron McFadden, Kwamé Ryan, Levy Sekgapane, Peter Brathwaite et Abigail Abraham

Claron McFadden, Kwamé Ryan, Levy Sekgapane, Peter Brathwaite et Abigail Abraham

Et voir à quel point cet ouvrage contemporain peut réunir des publics très différents laisse penser que Peter Gelb pourrait-être intéresser pour le porter sur la scène du New-York Metropolitan Opera afin de lui donner un impact encore plus grand.

The Time of our singing (McFadden Sekgapane Ryan Huffman) La Monnaie

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Publié le 23 Avril 2024

Street Scene (Kurt Weill – Philadelphie, Schubert Theater, 16 décembre 1946,  New York, Adelphi Theatre, 9 janvier 1947 – version révisée)
Fragments de l’opéra de Broadway de 1948 Street Scene
Représentation du 19 avril 2024
MC93, Maison de la culture de Seine-Saint-Denis, Bobigny

Artistes en résidence à l’Académie de l'Opéra de Paris

Greta Fiorentino Sima Ouahman
Emma Jones Seray Pinar
George Jones Luis Felipe Sousa
Carl Olsen Adrien Mathonat
Anna Maurrant Margarita Polonskaya
Frank Maurrant Ihor Mostovoi
Rose Maurrant Teona Todua
Sam Kaplan Kevin Punnackal
Shirley Kaplan Lisa Chaïb-Auriol
Mrs Hildebrand Sofia Anisimova

Artistes de la Maîtrise des Hauts-de-Seine
Charlie Hildebrand Noah Diabate
Willie Maurrant Nicolas Brière

Artistes invités
Mae Jones Lindsay Atherton
Dick McGann Robson Broad
Mr Sankey Teddy Chawa
Mr Fiorentino Francesco Lucii
Olga Olsen Cornelia Oncioiu
Harry Easter Jeremy Weiss

Direction musicale Yshani Perinpanayagam
Mise en scène Ted Huffman (2024)

Avec les musiciens de l’Académie de l’Opéra national de Paris et les musiciens de l'Orchestre atelier Ostinato
Coproduction avec la MC93 Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis

Après ‘Don Giovanni’ en 2014, chanté par l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris, puis ‘La Chauve Souris’ en 2019, l’Académie de l’Opéra de Paris est de retour au MC93 de Bobigny pour y présenter des fragments de ‘Street Scene’, un des opéras de Kurt Weill qui inspirera plus tard Leonardo Bernstein par l’art avec lequel plusieurs influences musicales sont unifiées en une même composition orchestrale afin de conduire à un drame poignant.

Margarita Polonskaya (Anna Maurrant)

Margarita Polonskaya (Anna Maurrant)

Dans cette œuvre, le compositeur allemand, naturalisé ‘Américain’ en 1943, se base sur une nouvelle d’Emler Rice (1929) pour décrire la vie fourmillante d’un quartier de l’est de Manhattan où les habitants vivent en songeant à un avenir meilleur.

Plusieurs familles cohabitent plus ou moins difficilement, la famille Jones, menée par Emma, véritable commère mariée à un homme alcoolique, le couple suédois Olsen, le couple italo-allemand Fiorentino, la mère célibataire Hildebrand et son petit garçon, la famille érudite Kaplan dont le fils, Sam, est amoureux de Rose Maurrant autour de laquelle la tragédie va se cristalliser.

Et pour cette version réduite à une heure quarante, seuls dix-huit de la trentaine de personnages sont incarnés, dix par les artistes de l’Académie, deux enfants par les artistes de la Maîtrise des Hauts-de-Seine, auxquels se joignent six autres artistes invités.

Cornelia Oncioiu (Olga Olsen) et Adrien Mathonat (Carl Olsen)

Cornelia Oncioiu (Olga Olsen) et Adrien Mathonat (Carl Olsen)

Le dispositif scénique est constitué de la fosse d’orchestre entourée de balustrades autour desquelles les chanteurs jouent des scènes vivantes et sensibles au milieu des spectateurs répartis de part et d’autre sur les gradins de l’amphithéâtre principal, ainsi que sur une estrade plus réduite placée en face à face.

Tout au long de la représentation, le son laqué de l’orchestre constitué de musiciens de l’Académie et de musiciens de l’Orchestre Atelier Ostinato, une formation de jeunes artistes de 18 à 25 ans, est très bien unifié, débordant d’un vrai lyrisme puccinien et d’un doux entrain dans les passages jazzy en apparence nonchalants. Pianiste, compositrice et directrice musicale, Yshani Perinpanayagam insuffle une énergie profonde, et même un dramatisme romantique dès l’ouverture, qui s’équilibre très bien avec la partie chantée, rehaussée par des micros pour assurer une proximité quel que soit le placement de l’auditeur.

Lindsay Atherton (Mae Jones) et Ted Huffman

Lindsay Atherton (Mae Jones) et Ted Huffman

Ted Huffman, jeune metteur en scène new-yorkais que beaucoup de théâtres internationaux, mais aussi français, connaissent depuis une douzaine d’années, travaille le rendu psychologique des personnages afin de faire ressortir leur état d’esprit et leur condition sociale par leurs tenues contemporaines et ordinaires, mais aussi par leurs manières d’être.

Il évite de faire prendre aux chanteurs une tonalité trop mélodramatique, et montre surtout une vrai envie de faire ressentir qu’ils sont tous liés par une force symbolisée par l’orchestre central, le point de rencontre vers lequel ils reviennent toujours après qu’ils se soient retirés momentanément à travers les gradins.

Teona Todua (Rose Maurrant)

Teona Todua (Rose Maurrant)

Dans cette production, tous les artistes sont très jeunes, ce qui permet également d’entendre des voix d’une belle homogénéité même pour les personnages censés être bien plus âgés.

La soprano polonaise Margarita Polonskaya, en Anna Maurrant - une femme mariée qui entretient une relation avec le laitier, Mr Sankey, incarné par Teddy Chawa, un acteur qui est apparu récemment dans deux pièces de Tiphaine Raffier, ‘La réponse des hommes’ et ‘France fantôme’ -, possède déjà d’impressionnantes qualités lyriques avec une voix profonde, chargée d’intensité, qui évoquent couleurs et les vibrations de la soprano bulgare Krassimira Stoyanova.

Originaire de Donetsk, Teona Todua brosse le portrait de Rose, la fille d’Anna Maurrant, avec un jeu et un chant d’une fine émotivité, vêtue du rouge de la vie et de la passion au début, puis de noir en seconde partie lorsque s’annonce le drame passionnel qui aboutira au meurtre soudain de sa mère par son père jaloux.

Kevin Punnackal (Sam Kaplan)

Kevin Punnackal (Sam Kaplan)

Sa relation avec le jeune Sam Kaplan est le cœur palpitant de l’œuvre, car se pose en permanence la question de ce qu’elle éprouve confusément pour lui, et si elle le prend au sérieux. 

Le ténor indo-américain Kevin Punnackal dévoue au rôle de Sam Kaplan un charme vocal doux et boisé idéal pour exprimer une vraie maturité romantique, et la chaleur qu’il communique à l’audience se démarque de l’ambiance générale d’autant plus que Kurt Weill lui confie les pages les plus exaltées de l’ouvrage. 

Seray Pinar (Emma Jones)

Seray Pinar (Emma Jones)

Tous les caractères sont ainsi bien très bien dessinés et différenciés en terme de couleurs, que ce soit la noirceur bienveillante d’Adrien Mathonat en Carl Olsen, dont la femme est jouée avec naturel et familiarité par une ancienne de l’Atelier lyrique, Cornelia Oncioiu, ou bien la pétillance impertinente de Seray Pinar, très à l’aise dans le jeu social qu’elle entend animer, ou bien le sinistre Frank Maurrant dont Ihor Mostovoi exprime toutes les rancœurs hargneuses qui le mènent à la déchéance, puis au crime.

Et rodé à la comédie musicale – il intervenait récemment dans ‘Moulin Rouge’, le Musical, à Londres -, l’acteur Robson Broad joue de son jeune physique musclé pour interpréter un Dick McGann dragueur et joueur avec un brillant très nettement affiché.

Robson Broad (Dick McGann)

Robson Broad (Dick McGann)

Grand succès au final pour l’ensemble de l’équipe artistique qui réussit à rendre ce spectacle stimulant alors qu’il est joué sans décors, ce qui accentue la charge vitale de chacun des chanteurs et permet un échange d’énergie assez fort avec le public.

Street Scenes (d’après Kurt Weill - Académie de l’Opéra de Paris ) MC93

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