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Publié le 28 Mars 2018

Macbeth (Giuseppe Verdi)
Représentation du 25 mars 2018
Opéra National de Lyon

Macbeth Elchin Azizov
Lady Macbeth Susanna Branchini
Banco Roberto Scandiuzzi
Macduff Bror Magnus Tødenes
Médecin Patrick Bolleire
Malcolm Louis Zaitoun
La suivante Clémence Poussin

Direction musicale Daniele Rustioni
Mise en scène Ivo van Hove (2012)

Dramaturgie musicale Jan Vandenhouwe

      

                      Bror Magnus Tødenes (Macduff)

Au lendemain d’un Don Carlos âpre et tourmenté, Daniele Rustioni est de retour dans la fosse d’orchestre de l’opéra de Lyon pour diriger la reprise de Macbeth dans la mise en scène d’Ivo van Hove. Et il est absolument époustouflant de voir comment il est capable de passer des ombres et lumières d’une partition fleuve et ondoyante aux influx fougueux d’une musique composée dans la pleine jeunesse de Giuseppe Verdi.

Susanna Branchini (Lady Macbeth)

Susanna Branchini (Lady Macbeth)

Vive, parcourue dès l’ouverture de lignes fuyantes et électrisantes quand les cuivres les colorent de leur éclat des plus resplendissants, nous tenons ici une lecture idéale qui joue sur des effets de nuances surprenants, draine un influx nerveux élancé et fulgurant comme si nous étions pris dans une course en avant, et galvanise des ensembles choraux fins et puissants qui atteignent leur apothéose au cours d’un quatrième acte sensationnel.

C’est lorsque la musique est dirigée avec une telle verve qu’elle peut devenir régénératrice et exaltante pour l’auditeur, et Daniele Rustioni sait communiquer aux musiciens l’élégance d’un allant surchauffé par son sang italien.

Macbeth (Branchini-Azizov-Magnus Tødenes-Scandiuzzi-dm Rustioni-ms van Hove) Lyon

Et il faut bien cette énergie ailée pour animer le travail fortement intellectualisé d’Ivo van Hove qui fait un parallèle intelligent entre la folie du couple Macbeth et celle du monde dominant de la finance d’aujourd’hui, avec sa déconnexion de la réalité, ses guerres d’ambitions et son ambiance paranoïaque, mais qui fait passer au second plan l’expressivité théâtrale des situations qui lient les différents protagonistes.

Car tout est contenu dans une vidéographie projetée en arrière-plan d’une salle de marché rectangulaire, froide et recouverte d‘écrans d’ordinateurs.

 Bror Magnus Tødenes (Macduff) et Louis Zaitoun (Malcolm)

Bror Magnus Tødenes (Macduff) et Louis Zaitoun (Malcolm)

Des employées en tailleurs uniformes, bardées d’attitudes mécaniques, représentent les sorcières, des caméras infrarouges surveillent et filment les crimes qui se passent aussi bien dans des bureaux isolés que dans le noir du parking situé en sous-sol, des chiffres multicolores défilent et créent des illusions, une femme de ménage, symbole de l’humanité dans sa vérité la plus essentielle, observe ce manège qui n’a aucun sens, et cette vision esthétique et didactique aboutit à un dernier acte extraordinairement vivant lorsque le peuple envahit la salle.

Les visages de Macduff et Malcom, filmés en gros plan, exaltent une jeunesse colorée et décomplexée, prête à prendre son destin en main, le chœur respire l’idéalisme comme pour nous libérer de deux heures mortifères, et tout se finit sur la marche finale – écrite par Verdi pour la version parisienne de 1865, jouée ce soir sans le ballet des sorcières ni celui des sylphes – comme dans un grand rêve que nous savons peu durable.

Susanna Branchini (Lady Macbeth)

Susanna Branchini (Lady Macbeth)

Cette scénographie ne laisse finalement aux artistes que leur propre magnétisme pour incarner vocalement leurs personnages avec la plus grande force de conviction possible.

Susanna Branchini, qui fut une Lady Macbeth controversée au Théâtre des Champs-Élysées en 2015, a dorénavant acquis une meilleure homogénéité de tessiture, avec beaucoup moins d’alternances entre chant lyrique et technique déclamatoire à peine chuchotée, ses aigus moirés ont de la prestance, et l’on peut en dire autant de sa présence physique autoritaire et classieuse. Elle est un être entier, et c’est déjà beaucoup.

Et la touche finale suraiguë de la scène de somnambulisme est certes un peu étrange, mais elle réussit à unir legato belcantiste et tempérament de flamme sans pour autant forcer dans la caricature, et cette belle tenue lui vaut un accueil chaleureux mêlé de respect pour le sang-froid ainsi affiché.

Elchin Azizov (Macbeth)

Elchin Azizov (Macbeth)

Elchin Azizov, qui caractérise Macbeth par des couleurs plutôt claires teintées de noirceur verdienne, est plus conventionnel dans son engagement théâtral, ce qui peut être vu comme un trait de caractère faible du nouveau Roi d’Écosse, mais l’effroi qu’il devrait extirper de lui-même pour toucher le public est peu sensible car trop intériorisé.

Roberto Scandiuzzi incarne également un Banco fier qui sait communiquer ses craintes intimes, et le beau Bror Magnus Tødenes rend à Macduff autant de séduction que d’expressivité passionnée d’autant plus que les caméras mettent bien en valeur toutes les facettes de sa technicité vocale.

Roberto Scandiuzzi (Banco)

Roberto Scandiuzzi (Banco)

Enfin, au cours de la scène de révolte, Louis Zaitoun, en Malcom, démontre surtout une aisance scénique décontractée non dénuée d’intention séductrice, et cela lui va bien.

Attention toutefois, on ne l’entend qu’au moment où Lady Macbeth plonge dans la folie, mais cela est suffisant pour être captivé par la fraîcheur et la délicatesse charmante du chant de Clémence Poussin, un éclat de luminosité inattendu dans cet univers de noirceur.

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Publié le 5 Mai 2015

Macbeth (Giuseppe Verdi)
Représentation du 04 mai 2015
Théâtre des Champs-Élysées

Macbeth Roberto Frontali
Lady Macbeth Susanna Branchini
Banco Andrea Mastroni
Macduff Jean-François Borras
Malcolm Jérémy Duffau
Dama di Lady Macbeth Sophie Pondjiclis
Servo / Araldo Grégoire Guerin
Medico Patrick Ivorra
Duncan / Messager Georges Blanches
Fleance Alex Gallais

Mise en scène Mario Martone
Décors et costumes Ursula Patzak
Lumières Pasquale Mari

Direction Musicale Daniele Gatti
Orchestre National de France
Chœur de Radio France
                                                  Roberto Frontali (Macbeth)

Coproduction Radio France 

Quelques jours après la dernière représentation de ‘Macbeth’ à l’opéra d’Amsterdam qui, malheureusement, n’a pas bénéficié d’une mise en scène convaincante, le Théâtre des Champs Élysées en présente à son tour une nouvelle production.

La direction scénique est cette fois confiée au cinéaste Mario Martone, dont le dernier film, ‘Leopardi, Il giovane favoloso’, est sorti en salle il y a à peine un mois. Ainsi, après avoir révélé la vie du plus grand poète de l’Italie du XIXe siècle, il s’empare d’une des œuvres née d’un éclat de génie du grand compositeur italien de ce même XIXe siècle, Giuseppe Verdi.

Susanna Branchini (Lady Macbeth)

Susanna Branchini (Lady Macbeth)

Sa conception symbolique peut, au premier abord, apparaître comme un contrepied aux lectures modernes et souvent violentes de ces dernières années – Dmitri Tcherniakov à l’Opéra Bastille, Martin Kusej au Staatsoper de Munich et, surtout, l’inoubliable et fantastique mise en scène de Krzysztof Warlikowski à la Monnaie de Bruxelles. Elle va se révéler, pourtant, d’une fascinante sobriété propre à humaniser chacun des rôles, même les plus secondaires.

Chaque scène est donc dépeinte au centre d’un tableau ceint d’un abysse scénique obscur et subtilement éclairci.

Les sorcières en haillons, le (vrai) cheval du messager, noir, et celui du Roi Duncan, blanc, les trônes d’argent symboles du pouvoir, le grand miroir incliné narcissique et reflet de l’avenir, la longue table du banquet, les cadres de portes qui dessinent des issues vers l’inconnu, posent les éléments essentiels de la tragédie de Shakespeare.

Les somptueux costumes d'Ursula Patzak nous remémorent, inévitablement, les images d'une époque où Renato Bruson était le Macbeth de référence.

Les protagonistes entrent par les portes d'avant-scène, mais s'évanouissent dans les ombres de l'arrière-scène.

Roberto Frontali (Macbeth)

Roberto Frontali (Macbeth)

A ce décor qui canalise l’attention du spectateur dans un monde de plus en plus introspectif, Mario Martone incruste judicieusement plusieurs séquences vidéographiques – le fantôme enflammé de Banquo, la forêt de Birnam à laquelle se mêlent le chœur et la cérémonie d’enterrement des enfants de Macduff, le défilé des fils-rois de Banquo -, évitant habilement toute figuration incongrue.

Extraite d’un de ses courts métrages, ‘La meditazione di Hayez’ accompagne enfin, en prélude, la scène de somnambulisme. Lady Macbeth n’a plus qu’à prolonger la belle chorégraphie hors-du-temps de Raffaella Giordano, qui éveille la compassion du spectateur à l’égard de la meurtrière par procuration.

Andrea Mastroni (Banquo) et Alex Gallais (Fleance)

Andrea Mastroni (Banquo) et Alex Gallais (Fleance)

En introduction de cet univers clos, l’intensité très mesurée de l’Orchestre National de France, en apparence excessivement contrôlée par Daniele Gatti, s’écarte des lectures spectaculaires que l’on a pu notamment entendre de la part de chefs tels Teodor Currentzis, à Paris et Munich, ou de Claudio Abbado, au disque.

Mais l’on se rend très vite compte que cette tonalité chambriste concourt à un climat d’ensemble qui resserre encore plus le drame sur la tragédie intérieure des acteurs, et non sur les grands élans épiques. Cet orchestre est en effet celui qui a interprété ‘Parsifal’ dans cette même salle, et qui y interprétera ‘Tristan et Isolde’ la saison prochaine.

Roberto Frontali (Macbeth)

Roberto Frontali (Macbeth)

On découvre donc avec quelle flexibilité il peut modifier sa texture, pour faire ressortir les moindres vibrations naturelles, presque brutes, de chaque instrument, peindre avec finesse les moindres inflexions poétiques et pathétiques, et empreindre ce chef-d’œuvre d’un charme suranné qui met en valeur sa psychologie musicale.

Daniele Gatti allonge les tempi, mais ne lâche pas la bride non plus quand il s’agit de donner de l’impulsion au drame, laissant à peine un motif s’achever pour tisser une nouvelle trame encore plus dynamique.

On aurait alors envie d’entendre cette interprétation dans un théâtre italien, tel celui de Parme ou de Busseto, afin que la correspondance avec l’esprit du compositeur soit totale, bien que la version de ‘Macbeth’ choisie aujourd'hui, la plus communément représentée, soit celle que Verdi réécrivit en partie pour l’Opéra de Paris, en y ajoutant des effets impressionnants.

Roberto Frontali (Macbeth) et Susanna Branchini (Lady Macbeth)

Roberto Frontali (Macbeth) et Susanna Branchini (Lady Macbeth)

Cette version (1865) est par ailleurs rendue intégralement ce soir, hormis le ballet des sorcières prévu avant que Macbeth ne vienne les revoir, le chœur des Sylphes étant, lui, conservé.

Dans le même esprit, le chœur de Radio France enlaidit volontairement ses voix féminines pour incarner la méchanceté sauvage des sorcières, et ne retrouver une humanité intègre que dans les scènes populaires, depuis la soirée festive au château du seigneur d’Ecosse jusqu’à la déploration dans la forêt. Et la marche finale, sans la moindre pompe, laisse une dernière empreinte belle par sa justesse et sa dignité.

Et l’on mesure avec quel sens de l’unité les solistes ont été choisis pour incarner tous ces personnages.

Susanna Branchini (Lady Macbeth)

Susanna Branchini (Lady Macbeth)

La Lady Macbeth de Susanna Branchini a, à la fois, des accents complexes et torturés, de belles lignes longues et sombres dans les aigus, une diction incisive, et des couleurs nettement plus confidentielles dans les graves.

Et si elle se ménage dans les suraigus, aux deux premiers actes, elle compose une fascinante scène de somnambulisme tout en nuances et notes filées, comme si son âme s’évanouissait dans la nuit. Au cours de ce dernier passage, l’Orchestre National de France l’accompagne avec une lenteur déchirante qui fait ressortir ce que la musique de Verdi contient en prémisses du futur 3ème acte de ‘Traviata’ composé six ans après sa première version de ‘Macbeth’ (1847).

Son jeu reste parfois empreint de conventions, les notes pointées s’accompagnent d’à-coups physiques, mais un sang bouillonnant coule dans les veines de cette grande artiste italienne aux origines caribéennes, et on le ressent dans les intonations de sa voix.

Roberto Frontali (Macbeth) – scène des sorcières, Acte III

Roberto Frontali (Macbeth) – scène des sorcières, Acte III

Et le courant passe bien avec son partenaire, Roberto Frontali. Ce baryton clair, dont le timbre rappelle la présence de José Van Dam, exprime des états d’âmes attendrissants que l’on pourrait retrouver dans la figure damnée et paternelle de Rigoletto. Ses déchirements intérieurs le poussent également à prendre des risques en anticipant des attaques – comme celui succédant au ballet des Sylphes – qu’il réussit alors à tenir et amplifier pour laisser le temps à l’orchestre de le rejoindre dans une même communion musicale. Impulsivité, puissance, terreurs maîtrisées, accélérations subites pour ne rien relâcher en tension, ce chanteur est, en effet, un acteur de la musique.

Nettement plus en retrait, et bien qu’il ne fasse de Banco une antre de sonorités inquiétantes, Andrea Mastroni soigne, en revanche, la musicalité de ce rôle souvent confié à des basses volumineuses. Son doux air d’adieu à Fleance, avant de trouver la mort, prend inévitablement une pudeur résignée.

Chœur de Radio France (Ballet des Sylphes)

Chœur de Radio France (Ballet des Sylphes)

Quant à Jean-François Borras, au cœur de la forêt de cendres stylisée, il interprète une déploration magnifiquement chantée, dans la même tonalité, quasi-religieuse, du chœur.

Et chacun aura été impressionné par la dimension nobiliaire de Sophie Pondjiclis, qui hisse la Dama di Lady Macbeth au niveau des couleurs vocales de la princesse Eboli (‘Don Carlo’),

Jérémy Duffau (Malcolm) et Patrick Ivorra (Le Médecin) participent, eux-aussi, à l’équilibre de cette composition vocale réussie.

Un Verdi au surnaturel atténué, tourné vers l’intimité et l’enfermement de ses personnages, une pénombre omniprésente et une peinture musicale qui s’approfondit au cours de la soirée, voilà ce que l’on a entendu avec un recueillement presque trop serein face à la tragédie humaine racontée sur scène.

 

Retransmission de la dernière représentation du samedi 16 mai sur France Musique dès 19h.

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