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Publié le 21 Septembre 2021

I was sitting on my patio this guy appeared I thought I was hallucinating (1977)
Représentation du 20 septembre 2021
Théâtre de la Ville – Espace Cardin

Avec Christopher Nell et Julie Shanahan

Musique Jean-Sébastien Bach, Franz Schubert, Jean-Baptiste Lully, Michael Galasso 

Texte, conception, mise en scène Robert Wilson
Co-mise en scène Lucinda Childs

Coréalisation Festival d’Automne à Paris

I was sitting on my patio this guy appeared I thought I was hallucinating a été créé à l’Eastern Michigan University le 5 avril 1977, interprété par Robert Wilson et Lucinda Childs, musique Alan Lloyd

Après la création  d’Einstein on the Beach au Festival d’Avignon le 25 juillet 1976, l’opéra de Philip Glass mis en scène par Robert Wilson et chorégraphié par Lucinda Childs fut repris à New-York pour deux soirs en novembre 1976.

 Julie Shanahan

Julie Shanahan

Puis, quelques jours plus tard, le metteur en scène texan annonça qu’il travaillait à une nouvelle pièce qui représenterait un nouveau point de départ de son monde théâtral.

I was sitting on my patio this guy appeared I thought I was hallucinating, spectacle de moins de 90 minutes, fit sa première à l’ouest de Détroit au printemps 1977. Il voyagea au Cherry Lane Theater de New-York avant d’être accueilli au Théâtre de la Renaissance, du 16 au 29 janvier 1978, dans le cadre du Festival d’Automne de Paris.

Robert Wilson et Lucinda Childs incarnaient les deux personnages principaux.

Christopher Nell

Christopher Nell

Près de 44 ans plus tard, cette œuvre emblématique ressuscite à Paris sous les yeux de ses créateurs qui ont préalablement transmis leur savoir être à deux autres comédiens, Christopher Nell, acteur allemand qui fit partie de la troupe du Berliner Ensemble, et Julie Shanahan, danseuse australienne qui a rejoint le Tanztheater Wuppertal de Pina Bausch dont elle est dorénavant formatrice et directrice de répétitions.

En préambule à la pièce, et alors que les spectateurs s’installent dans la salle de l’Espace Cardin après avoir profité de son très agréable jardin apaisant, une sonnerie d’un désuet téléphone fixe noir, posé à l’avant scène, vibre indéfiniment. Quelque chose dans cette ambiance sourde évoque l’attente de la Voix humaine de Francis Poulenc.

 Julie Shanahan

Julie Shanahan

Mais lorsque les lumières s’intensifient pour éblouir d’un bleu-gris intense et luminescent l’audience, c’est plutôt le Faune de Vaslav Nijinski qu’inspire la pose dilettante de Christopher Nell, cheveux noirs gominés, long veston sombre ouvert en « V ».

Il exprime la joie, la facétie, débute son texte par la fameuse phrase qui a donné son titre à la pièce, et parle comme s’il s’adressait à plusieurs interlocuteurs. Tout sonne comme une superposition d’échanges qui donnent de la contenance, mais ne veulent au fond rien dire.

Christopher Nell

Christopher Nell

Ce sont les paroles dans la tête, leurs changements de sens intempestifs, la folie d’une réflexion intérieure épuisée qui sont ainsi théâtralisés et extériorisés avec une magnifique esthétique poétique. 

Un fond musical chatoyant participe à des instants ludiques.

La déclamation de Christopher Nell, très claire et lissée, est fort plaisante et prodique un véritable ravissement de nuances, le principe de sonorisation commun au deux acteurs permettant de vivre ce moment de délire avec un fort sentiment de proximité.

 Julie Shanahan

Julie Shanahan

Un fond de bibliothèque apparaît soudainement, ce qui enferme un peu plus le lieu de la scène, et un petit écran situé en haut à gauche projette un film sur la vie des manchots en Antarctique dont l’allure communie parfaitement avec celle de l’artiste.

La tendresse du personnage, la gestuelle féminine à peine altérée par des saisissements d’angoisse, renvoient à un caractère optimiste qui surmonte les vagues à l’âme de la vie. 

Christopher Nell

Christopher Nell

Même texte, mais pas les mêmes intonations, dans la seconde partie, où Julie Shanahan semble nous faire revivre l’éloquence élégante d’une grande célébrité revivant son passé comme si elle se trouvait dans un appartement avec vue grandiose sur des horizons de fin du jour, tout en profitant d’une flûte de champagne pour tenir son rang malgré ses traits d’esprit intérieurs.

La souffrance de la solitude est plus lisible, les états d’âmes changent avec un contraste plus soudain, et les traits du visage sont plus fortement marqués. Le geste, lui, est ample et majestueux.

 Julie Shanahan

Julie Shanahan

Car il y a plaisir à se rêver plus légère que l'air, à se nimber d'un voile céleste, mais aussi à partager ses confidences face à une audience imaginaire.

Les changements d’intensité lumineuse se font aussi sur le visage de l’actrice où des zones d’ombres se déplacent tout en modifiant son regard.

Robert Wilson, Lucinda Childs, Christopher Nell et Julie Shanahan

Robert Wilson, Lucinda Childs, Christopher Nell et Julie Shanahan

Mais quels que soient les troubles que l’auditeur peut imaginer à travers ce monologue, il en ressort toujours une victoire de la dignité sur le mal-être intérieur qui est un des miracles de la vie.

Et c’est cette beauté là qui nous est offerte ce soir par ces deux acteurs talentueux, défaits de tout langage académique pour donner une formidable respiration, un peu glacée, aux travers de l'âme.

Robert Wilson et Christopher Nell

Robert Wilson et Christopher Nell

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Publié le 25 Septembre 2016

Faust I & II (Goethe / Robert Wilson / Herbert Grönemeyer)

Représentation du 23 septembre 2016
Théâtre de la Ville - Théâtre du Châtelet

Faust I Winfried Goos, Anatol Käbisch, Sven Scheele, Felix Strobel, Fabian Stromberger
Faust II Fabian Stromberger
Mephistophélès Christopher Nell
Marguerite Christina Drechsler, Claudia Graue, Gaia Vogel
La Sorcière / L'Archevêque Luca Schaub
L'Empereur Raphael Dwinger
Parîs Sven Scheele
Hélène Anna von Haebler

Mise en scène Robert Wilson
Adaptation et dramaturgie Jutta Ferbers
Musique et chansons Herbert Grönemeyer                  Christopher Nell (Méphistophélès)

Production Berliner Ensemble (2015)
Avec le soutien du Goethe Institut

Cette saison, pour le premier spectacle de Robert Wilson au Théâtre de la Ville - suivront d'ici l'hiver 'L'Opéra de quat'sous' et 'Letter to  man' -, la grande scène du Théâtre du Châtelet accueille le metteur en scène texan qui est régulièrement invité en ce lieu, depuis vingt cinq ans, pour y représenter essentiellement des ouvrages lyriques de compositeurs aussi différents que Johann Sebastian Bach, Christoph Willibald Glück, Richard Wagner ou bien Philip Glass.

Fabian Stromberger (Faust)

Fabian Stromberger (Faust)

Nombre de jeunes élèves parisiens se sont ainsi déplacés pour assister à une version onirique de 'Faust I' et 'Faust II' dominée par l'impressivité des costumes, des éclairages et des maquillages d'un bleu arctique de toute beauté, qui dépasse le pouvoir des mots extraits de l'oeuvre originale.

Et dès l'ouverture de la salle, nous avons la surprise d'être éveillés par une musique électrique forte et agressive, jouée sans ambages par l'orchestre du Berliner Ensemble

Sven Scheele, Winfried Goos, Felix Strobel, Anatol Käbisch, Christopher Nell

Sven Scheele, Winfried Goos, Felix Strobel, Anatol Käbisch, Christopher Nell

D'apparence classique, avec ses violons, alto et violoncelle, la formation est également composée d'un synthétiseur, de percussions et d'un piano électronique, comme s'il s'agissait d'atteindre la sensibilité de la part la plus juvénile du public par des couleurs issues de l'univers musical affectif du metteur en scène. 

Herbert Grönemeyer, rock star allemande, en est le compositeur.

La première réflexion qui émerge de ce spectacle de 3h30 est oh! combien le propos reste joyeux, ironique et irrévérencieux face à la damnation inéluctable du héros.

Christopher Nell (Méphistophélès)

Christopher Nell (Méphistophélès)

La mélancolie se lit dans les regards peints, s'instille dans la musique intemporelle sur laquelle apparaît Faust, tout au début, et laisse place à une vitalité, à des silences ou bien à de grands passages chantés en choeur et dansés frénétiquement, alors que le Méphistophélès de Christopher Nell rythme la scène en jouant dans son espace entier jusqu'aux hauteurs des parois qui l'enserrent. 

Il est un adolescent qui peut être aussi amical qu'infernal.

Dans 'Faust I', les scènes s'enchaînent, sans temps mort, les mots défilent, parfois trop vite, et la performance, et la poésie des pauses, l'emportent sur le sens dramaturgique de l'oeuvre - Marie n'a, ici, qu'un rôle anecdotique.

Raphael Dwinger (L'Empereur)

Raphael Dwinger (L'Empereur)

La seconde partie, 'Faust II', réduit fortement l'oeuvre de Goethe, et se moque beaucoup plus clairement des rôles et artifices d'une société dépassée. 

Que ce soit l'Empereur, frêle et grimaçant sous ses précieuses parures, ou bien l'archevêque qui se retrouve bardé d'une érection grotesque au cours d'une scène orgiaque, Robert Wilson raille une société entière, vainement orgueilleuse et fière de ses titres.

La musique est nettement moins provocante qu'en première partie, mais Méphistophélès est toujours cette présence inévitable qui lie ce petit monde clownesque.

Matthias Moscbach (Le Général) et Krista Birkner (Une Dame de la cour)

Matthias Moscbach (Le Général) et Krista Birkner (Une Dame de la cour)

Belle image de Parîs et Hélène, un rêve de perfection antique, dont on reconnaît une scène de rencontre, lente et figée dans l'ombre, qui est la reprise exacte d'un tableau de 'Die Frau ohne schatten', opéra de Richard Strauss que Wilson mit en scène sur la scène Bastille en 2003.

L'ambiguïté masculine et féminine se découvre comme toujours dans les figures androgynes imaginées par le régisseur.

La nature fait aussi irruption à travers deux vidéographies, l'une représentant les magnifiques déployés musculaires, filmés au ralenti, d'un guépard pris en pleine course, et d'un troupeau de gnou pris en pleine fuite à travers la savane africaine.

Sven Scheele (Parîs) et Anna von Haebler (Hélène)

Sven Scheele (Parîs) et Anna von Haebler (Hélène)

La beauté de ces images naturelles suffit à rappeler la magnificence du monde tant soit peu que l'on s'y intéresse.

Faust, lui, réapparaît un temps sous forme d'un automate régi par une mécanique d'engrenages astucieusement animée et guidée sur le plateau scénique sombre et marqué de-ci de-là par quelques touches de lumières.

Fabian Stromberger (Faust)

Fabian Stromberger (Faust)

Robert Wilson est passé maître dans l'art d'utiliser les mythes et les textes pour servir son magnifique théâtre personnel jaloux des forces inconscientes qui le traversent, et son regard sur les facticités du monde est une invitation à ne pas le prendre au sérieux plus que nécessaire.

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