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Publié le 10 Juillet 2016

Tristan und Isolde (Richard Wagner)
Représentation du 09 juillet 2016
Opéra de Stuttgart

Isolde Rachel Nicholls
Brangäne Katarina Karnéus
Tristan Erin Caves
Kurwenal Shigeo Ishino
König Marke Liang Li
Melot Ashley David Prewett
Hirt Torsten Hofmann
Steuermann Eric Ander
A young sailor's voice Daniel Kluge

Direction musicale Sylvain Cambreling                           Sylvain Cambreling  
Mise en scène Jossi Wieler, Sergio Morabito (2014)

La reprise de la nouvelle production 2014 de 'Tristan und Isolde' mise en scène par Jossi Wieler et Sergio Morabito, les intendants de l'Opéra de Stuttgart, est l'occasion de retrouver Sylvain Cambreling à la direction d'orchestre, lui que nous avions surtout entendu dans Mozart, Verdi et les grands ouvrages de l'Opéra français du XXème siècle, lorsque Gerard Mortier dirigeait l'Opéra National de Paris, puis, le Teatro Real de Madrid.

Rachel Nicholls (Isolde) et Erin Caves (Tristan)

Rachel Nicholls (Isolde) et Erin Caves (Tristan)

On connait son goût pour le symphonique lyrique, et, de ce point de vue, cela le rapproche de Philippe Jordan, le directeur musical actuel à Paris, mais son sens du théâtre est également une force qu'il sait déployer sans sacrifier à un seul moment le sens musical.

C'est donc une impressionnante et puissante lecture du drame de Richard Wagner qu'il vient d'offrir au public de Stuttgart, lecture soutenue par un ensemble de cuivres ronflants aux traits dramatiques éclatants, comme s'ils suggéraient un monde bien à part qui s'entrechoque au lyrisme des cordes, vivantes et flamboyantes dans des remous aux teintes mates et troubles.

Rachel Nicholls (Isolde)

Rachel Nicholls (Isolde)

A plusieurs reprises, l'orchestre semble, depuis des hauts traversés par les violons et les altos, s'effondrer vers des profondeurs tragiques, avec une souplesse suffisante pour en amortir l’impétuosité. C'est prenant de bout en bout, d'autant plus que les sonorités des vents, flûtes et hautbois s'épanouissent de toute leur clarté, quand, ailleurs, les cordes se stabilisent dans un état finement oscillant et impalpable pour suspendre le temps, permettant ainsi qu'une poésie latente reprenne l'avantage en un instant.

L'Orchestre de l'Opéra de Stuttgart, emporté dans une envolée romantique très différente de celle, plus précieuse, de l'Orchestre National de France entendu au printemps dernier, dans la fosse du Théâtre des Champs Elysées, est donc une pièce majeure qui met à l'épreuve les chanteurs.

Katarina Karnéus (Brangäne)

Katarina Karnéus (Brangäne)

Pourtant, tous arrivent à ne pas se laisser submerger par le flot volubile.

On retrouve Rachel Nicholls, Isolde inhabituellement claire que dirigeait Daniele Gatti avenue Montaigne, qui, sans avoir l'ampleur des interprètes mythiques, met son endurance au service d'une incarnation à la fois terrestre et agressive.

Erin Caves, en Tristan, pousse loin son travail interprétatif, ce qui ne rend à aucun moment son personnage monotone.  Plus brillant et incisif que Torsten Kerl, l'interprète du rôle à Paris, il s'engage avec une intensité impressionnante au troisième acte, comme s'il sublimait son état d'homme blessé, ce qui va l'amener à rencontrer un unique passage de faiblesse, soudain et inattendu, à la fin de cette dernière représentation.

Le public ne lui en tiendra pas rigueur, tant il a su préserver la ligne dramaturgique jusqu'au bout.

Erin Caves (Tristan)

Erin Caves (Tristan)

A ses côtés, Shigeo Ishino fait bien plus que paraître un ami simplement fidèle à Tristan, comme le réduisent trop facilement à ce rôle les metteurs en scène de ce soir, et donne une véritable authenticité humaine à Kurwenal, tout en prouvant, jusqu'au bout, ô ! combien l'on peut compter sur lui.

La voix est fortement sonore, dispensatrice de belles lignes viriles, simples et naturelles.

Et, légèrement couverte par l'orchestre, au premier acte, Katarina Karnéus n'en brosse pas moins un portrait assez inhabituel de Brangäne, aussi agressif qu'Isolde, plus énergique que tendre, qu'elle va abandonner pour donner deux appels longs et splendides au second acte.

La mise en scène se charge pourtant de chercher à en casser la poésie, fidèle à sa logique d'éveil et d'évitement du confort bourgeois - Tristan et Isolde, exaspérés, lui jettent des cailloux pour l'empêcher de chanter.

Rachel Nicholls (Isolde)

Rachel Nicholls (Isolde)

Enfin, le roi Marke de Liang Li ne se contente de pas de faire résonner la salle de sa généreuse antre vocale, il y ajoute des inflexions apitoyées et dramatiques poignantes, tout en paraissant véritablement à l'écart du couple principal.

Et, bien que dissimulé à l'arrière scène, ou bien à l'intérieur de la coque du navire, Daniel Kluge laisse entendre un jeune marin au timbre suave et innocent.

Ces artistes ont ainsi le grand mérite de s'être approprié sans réserve la mise en scène de Jossi Wieler et Sergio Morabito, qui n'est pas sans rappeler l'esprit avec lequel Peter Konwitschny, incontournable régisseur allemand, a dirigé 'Tristan et Isolde' et 'Le Vaisseau Fantôme' à l'Opéra de Munich.

Liang Li ( le Roi Marke)

Liang Li ( le Roi Marke)

On imagine en effet assez mal, à Stuttgart, une volonté de représenter les oeuvres de façon conforme à un imaginaire conventionnel, et les premières apparences de ce décor aux vagues en trompe-l’œil, comme les avait représenté Ivan Fischer dans sa vision désormais légendaire d''Idoménée' à l'Opéra de Paris en 2002, sont vites tombées devant le comportement quelque peu loufoque d'Isolde, prise de mal de mer, au premier acte.

Cette façon de prendre à contre-pied les attentes instinctives de l'auditeur a pour mérite, ou bien pour vice, de sous-entendre que Richard Wagner cherche à le piéger, voir, le manipuler.

Rachel Nicholls (Isolde)

Rachel Nicholls (Isolde)

Mais afin de ne pas tout dénaturer, le second acte offre un mémorable duo d'amour empreint de la tendresse à la fois humaine et animale de King Kong et de sa belle américaine, joué dans un décor factice rouge et noir pailleté, avant qu'Isolde ne révèle, d'un grand geste circulaire, le phare depuis lequel le Roi Marke observait le couple amoureux.

Ce phare, comme le suggère la toile d'avant-scène dressée au début de chaque acte, évoque le panoptique 'Presidio Modelo', modèle de prison édifié à Cuba - où Fidel Castro fut lui-même incarcéré -, qui est une prison construite en forme de colisée, aujourd'hui désaffectée, au centre de laquelle une tour permet de surveiller les prisonniers sans qu'ils sachent s'ils sont observés ou pas.

Erin Caves (Tristan)

Erin Caves (Tristan)

C'est ici le thème de la surveillance sociale, obsessionnelle et identique en tout point à celui que Katarina Wagner convoqua au second acte de sa mise en scène de 'Tristan et Isolde', l’année dernière à Bayreuth, qui devient le point focal du drame.

Ce symbole témoigne d'un violent ressenti, chez une part des artistes d'aujourd'hui, de la nature de plus en plus oppressive de nos sociétés occidentales. Mais en choisissant ce seul point de vue, ce second acte pourrait tout aussi bien, et même mieux, convenir à une mise en scène de 'Pelléas et Mélisande', héros et héroïne victimes de la paranoïa de Golaud.

Le centre d'expositions d'Art contemporain, face à l'Opéra, surplombé par la Lune et Jupiter

Le centre d'expositions d'Art contemporain, face à l'Opéra, surplombé par la Lune et Jupiter

Le thème pilier qu'ont donc retenu les metteurs en scène réduit considérablement la portée du mythe médiéval, et le dernier acte, avec cette carcasse de bateau se décomposant au milieu de nulle part, signe surtout la mise à mort d'une illusion par le monde politique qui ne veut pas reconnaitre ce qui peut être exceptionnel dans la vie, pour le réduire au vide absolu.

Et c'est bien parce que l'ensemble des artistes, chanteurs, musiciens et chef, ont livré un engagement total, que ce spectacle s'achève sur un grand sentiment de satisfaction.

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Publié le 16 Mai 2016

Tristan et Isolde (Richard Wagner)
Représentations du 12 & 15 mai 2016
Théâtre des Champs-Elysées

Tristan Torsten Kerl
Isolde Rachel Nicholls
Brangäne Michelle Breedt
Le Roi Marke Steven Humes
Kurwenal Brett Polegato
Melot Andrew Rees
Un Marin Marc Larcher
Un timonier Francis Dudziak

Direction musicale Daniele Gatti
Mise en scène Pierre Audi
Orchestre National de France                                         Rachel Nicholls (Isolde)

Coproduction avec le Stichting Nationale Opera & Ballet-Amsterdam et la Fondazione Teatro dell’Opera di Roma

Depuis la production du 'Ring' de Daniel Mesguish en 1988, plus aucun opéra de Richard Wagner n’avait été monté au Théâtre des Champs Elysées en version scénique, seuls l’Opéra Bastille et le Théâtre du Châtelet ayant, depuis, accueilli nombre de mises en scène des œuvres du compositeur allemand.

C’est donc, pour les plus jeunes wagnériens, la première fois qui leur est donnée d’entendre l’atmosphère de sa musique affleurer la fosse d’orchestre devant une interprétation théâtrale sur cette scène.

Et cette expérience se double d’une interprétation musicale qui est la véritable innovation de ce spectacle.

Rachel Nicholls (Isolde) et Torsten Kerl (Tristan)

Rachel Nicholls (Isolde) et Torsten Kerl (Tristan)

Car Daniele Gatti n’a pas choisi de déployer l’Orchestre National de France de façon à envelopper les auditeurs dans ce flot prenant qui les transporte au-delà même de ce que vivent les personnalités de ce drame, comme l’avait fait Philippe Jordan avec beaucoup d’exubérance à lOpéra de Bavière l’été dernier, mais, au contraire, d’intégrer le discours musical au sens des mots et aux vibrations des corps.

En épousant ainsi la respiration des chanteurs et leurs variations de rythme, notre attention ne se porte donc plus sur nos propres sensations de résonnance au flux orchestral, mais sur le détail de ses sonorités, les magnifiques arabesques des bois, la chatoyance du métal des cordes, les textures plus rêches qui décrivent les instants de solitude, la finesse des tissures vibrantes.

Rachel Nicholls (Isolde) et Michelle Breedt (Brangäne)

Rachel Nicholls (Isolde) et Michelle Breedt (Brangäne)

Wagner n’a plus rien d’illusoire ou d’intimidant, ses silences font sens, et le drame devient terrestre et humain. L’intérêt musical et donc en permanence renouvelé, et le mystère est que l’on ne saisit pas entièrement ce qu’il y a d’inhabituel dans cette façon de ne pas submerger la scène.

Et quand la direction d’acteur de Pierre Audi veut bien accorder le geste sur le sens de la musique, cela donne de furtives images sensibles et touchantes.

Tristan et Isolde (T.Kerl-R.Nicholls-D.Gatti-P.Audi) Champs-Elysées

Dans ce spectacle, il choisit en effet de situer les trois actes dans trois décors qui suggèrent le désenchantement et la mort, de vieilles parois de bronze rouillées par le temps pour le premier, une forêt de troncs courbés évoquant un squelette à demi enterré pour le second, un vieil abris sur une île désolée pour le dernier, dans une ambiance lumineuse de contre-jour qui a le pouvoir pacifiant des lumières de théâtre de Robert Wilson, le célèbre plasticien texan.

Peu signifiant dans les choix de postures qu’il impose à Tristan et Isolde, il met en revanche très bien en valeur les rôles de Brangäne et Kurwenal et leur impuissance à saisir celle et celui qu’ils aiment.

Torsten Kerl (Tristan)

Torsten Kerl (Tristan)

Le Roi Marke, lui, est celui qui perd le plus en stature, car ni Daniele Gatti ne dramatise à outrance son intervention, ni Steven Humes n’idéalise sa douloureuse peine. Le timbre clair, frappant, a en effet des accents vrais et mordants comme si Marke avait perdu son âme, et n’avait conservé que sa hargne.

Andrew Rees (Melot) et Steven Humes (le Roi Marke)

Andrew Rees (Melot) et Steven Humes (le Roi Marke)

Michelle Breedt, en servante d’Isolde, fait aussi une forte impression par l’expressivité dramatique de son chant. Elle est ici bien plus à l’aise que dans la production de Peter Konwitchny à Munich où elle accompagnait Waltraud Meier pour ses adieux au rôle de la fille du Roi d’Irlande.

Son second appel n’est cependant que finement perceptible, mais peut-être est-ce un choix de mise en scène…

Michelle Breedt (Brangäne)

Michelle Breedt (Brangäne)

Brett Polegato, en Kurwenal, a lui aussi une présence accrocheuse, une couleur vocale plus sombre que celle du Roi Marke, mais une même tonalité presque animale qui donne une forte densité théâtrale à son personnage. Il peut être méchant, et pas seulement compatissant.

Les deux rôles principaux sont cependant étonnants par la nature atypique de leur timbre et leur saisissante endurance.

Torsten Kerl (Tristan)

Torsten Kerl (Tristan)

Rachel Nicholls est en effet une Isolde d’une jeunesse totalement inhabituelle. Elle a la vaillance d’une Walkyrie et l’humilité d’une Jeanne d’Arc. Sa voix présente des aspérités froides, mais ses aigus perçants sont sans faille. D’une totale absence de noirceur, elle dépeint une Isolde très ambigüe, absolument pas impériale, qui peut avoir la naïveté d’une Juliette, mais aussi une fermeté de stature.

Rachel Nicholls (Isolde)

Rachel Nicholls (Isolde)

A ses côtés, mais dans un autre monde, Torsten Kerl se départit de sa tenue rigide et conventionnelle du premier acte pour révéler le chanteur que l’on aime en lui, une tendresse placide qui surgit de cette émission homogène et plaintive, et qui se nourrit d’une tessiture sombre et introspective d’où d’insolents aigus adolescents viennent prouver sa force.

Ce qui est très touchant chez ces deux chanteurs, est qu’ils n’ont rien d’impressionnant en apparence, et qu’ils viennent pourtant à bout d’une tension redoutable.

Torsten Kerl, Daniele Gatti et Rachel Nicholls

Torsten Kerl, Daniele Gatti et Rachel Nicholls

Ce spectacle intelligemment construit, très bien inter-pénétré musicalement entre chanteurs et musiciens, et qui valorise le raffinement et l’intimité de l’écriture de Wagner, mérite amplement l’écoute silencieuse et captivée que lui a manifesté un public dont la jeunesse était visible.

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