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Publié le 7 Janvier 2019

La Dame de pique (Piotr Ilitch Tchaïkovski)
Représentation du 06 janvier 2019
Staatsoper Stuttgart

Herman Erin Caves
Le Comte Tomski Gevorg Hakobyan
Le Prince Eletski Petr Sokolov
Tchekalinski Torsten Hofmann
Sourine Michael Nagl
Tchaplitski Christopher Sokolowski
Naroumov Jasper Leever
La Comtesse Hélène Schneiderman
Lisa Lise Davidsen
Pauline Stine Marie Fischer
Macha Carina Schmieger
La Gouvernante Anna Buslidze 

Direction musicale Oksana Lyniv
Dramaturgie Jossi Wieler
Mise en scène Sergio Morabito (2017)      
Lise Davidsen (Lisa) et Stine Marie Fischer (Pauline)
Costumes Anna Viebrock
Staatsopernchor Stuttgart, Choeur d'enfants de l'opéra de Stuttgart, Staatsorchester Stuttgart

C'est dans la production de La Dame de pique réalisée par Sergio Morabito et Jossi Wieler en 2017, à Stuttgart, que la jeune soprano norvégienne Lise Davidsen fait c'est début en Lisa à l'occasion de sa reprise, un personnage que ni Anna Netrebko, ni Sondra Radvanovsky n'ont abordé sur scène à ce jour.

Lise Davidsen (Lisa)

Lise Davidsen (Lisa)

Et elle l'aborde dans un spectacle fort éloigné des scénographies conventionnelles, qui réécrit une histoire au cœur d'un décor volontairement misérabiliste, où des restes de décoration baroque sur fond vert, typiques de l'architecture de Saint-Pétersbourg, dépareillent un ensemble défraîchi mélangeant restes de cinéma, passages souterrains et hôtel de passe construit sur une perspective à 360°. Cette histoire est celle d'un exclu dès son enfance, Hermann, qui tombe amoureux d'une jeune femme, Lisa, qui n'a pas d'autre choix pour survivre que de se prostituer auprès d'un riche prétendant, Eletski.

Erin Caves (Hermann) et Lise Davidsen (Lisa)

Erin Caves (Hermann) et Lise Davidsen (Lisa)

Lise Davidsen est absolument phénoménale ! Aigus amples et progressivement puissants, suggérant l'expression d'une détresse intérieure proche de la panique, graves bien marqués sans le moindre effet glamour, elle laisse par ailleurs transparaître une réelle noirceur sur fond de caractère ingénu fort troublant. 

Et si elle n'a rien d'un personnage de Lulu dans cet univers de bas-fonds, sa fin s'achevant par un cri étrange en coulisse, bien que d’effet peu morbide, laisse penser qu'elle meurt assassinée.

Erin Caves, travesti en jeune désaxé, n'incarne pas un Hermann suffisamment noir et théâtralement bouleversant, mais sa composition endurante est bien défendue dans une approche qui le fait ressembler à Wozzeck.

Lise Davidsen (Lisa) et Stine Marie Fischer (Pauline)

Lise Davidsen (Lisa) et Stine Marie Fischer (Pauline)

C'est l’interprétation de Pauline, l’amie de Lisa, par Stine Marie Fischer qui est ici formidablement mise en valeur - elle chante notamment dans le duo de Daphnis et Chloé -, car elle est amenée à jouer le rôle d'une prostituée bisexuelle parfaitement assumée. L'image de la jeune fille consciencieuse et bien sage est donc pulvérisée, au profit d'un portrait décomplexé et vivant follement captivant. Et ce d'autant plus que l'alto allemande couvre un spectre de couleurs aux contrastes bien piqués qui lui donnent une personnalité particulièrement forte. Il sera possible de la réentendre à La Monnaie dans Le conte du tsar Saltan, juste avant le début de l’été.

Stine Marie Fischer (Pauline) lors du bal masqué

Stine Marie Fischer (Pauline) lors du bal masqué

Autre chanteur superbe, Petr Sokolov nourrit le Prince Eletski d'une voix d'une agréable homogénéité ouateuse et d'une impressionnante longueur de souffle, si irrésistible que sa présence tourne à la démonstration d'un plaisir narcissique fait pour tenir le spectateur pendu jusqu'au dernier filet d'air séducteur. L'effet est totalement réussi.

Lise Davidsen (Lisa) et Petr Sokolov (Eletski)

Lise Davidsen (Lisa) et Petr Sokolov (Eletski)

Les autres rôles ont aussi leur force, la fierté ombrée de Gevorg Hakobyan en Comte Tomski, ou bien la parfaite précision d'élocution d'Hélène Schneidermann dans la chanson d'André Grétry, elle qui apparaît comme une comtesse classe, moderne, amoureuse de la vie et intelligente, exempte de traits fantomatiques.

Gevorg Hakobyan (Le Comte Tomski)

Gevorg Hakobyan (Le Comte Tomski)

Et l’une des grandes qualités de ce travail scénique est de brillamment illustrer les scènes de foule, depuis la ronde des enfants jusqu'à l'apothéose du bal masqué joyeux et vivant, teinté de pressentiments macabres, ainsi que la partie de cartes finale, qui contribue autant à renforcer la présence du chœur de l'opéra qu'à lier son unité par sa pleine participation théâtrale, sans que sa soyeuse musicalité n'en soit altérée. 

Surtout que l'élément essentiel, l'orchestre de l'opéra, est entraîné par Oksana Lyniv dans une lecture féline et svelte où les cuivres n'apportent que du muscle et de l'éclat sans la moindre lourdeur, avec des accélérations de cadence dans les scènes enlevées, et une élégance esthétique qui suggère un goût pour le néoclassicisme musical.

Erin Caves (Hermann) et Hélène Schneiderman (La Comtesse)

Erin Caves (Hermann) et Hélène Schneiderman (La Comtesse)

Et si certains effets romantiques sont atténués, comme le duo de Pauline et Lisa qui démarre à l'arrière du décor, ou bien les frémissements d'effroi dans la cour où vit la Comtesse, le chœur en coulisse du troisième acte est en revanche magnifié par l'utilisation de l'intégralité de l’espace sonore du théâtre, car l’on entend alors un poignant sentiment religieux traverser irréellement l'ensemble des portes de la salle entrebâillées afin qu’il enserre de toute part les auditeurs.

Oksana Lyniv entourée du chœur d'enfants de Stuttgart

Oksana Lyniv entourée du chœur d'enfants de Stuttgart

Après ses débuts ici-même dans La Dame de Pique, nous retrouverons cette année Lise Davidsen dans une autre première, celle de ses débuts au Festival de Bayreuth à l'occasion de la création d'une nouvelle production de Tannhäuser
L'art lyrique n'est donc pas prêt d'être à court de jeunes prétendants pour le défendre !

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Publié le 10 Juillet 2016

Tristan und Isolde (Richard Wagner)
Représentation du 09 juillet 2016
Opéra de Stuttgart

Isolde Rachel Nicholls
Brangäne Katarina Karnéus
Tristan Erin Caves
Kurwenal Shigeo Ishino
König Marke Liang Li
Melot Ashley David Prewett
Hirt Torsten Hofmann
Steuermann Eric Ander
A young sailor's voice Daniel Kluge

Direction musicale Sylvain Cambreling                           Sylvain Cambreling  
Mise en scène Jossi Wieler, Sergio Morabito (2014)

La reprise de la nouvelle production 2014 de 'Tristan und Isolde' mise en scène par Jossi Wieler et Sergio Morabito, les intendants de l'Opéra de Stuttgart, est l'occasion de retrouver Sylvain Cambreling à la direction d'orchestre, lui que nous avions surtout entendu dans Mozart, Verdi et les grands ouvrages de l'Opéra français du XXème siècle, lorsque Gerard Mortier dirigeait l'Opéra National de Paris, puis, le Teatro Real de Madrid.

Rachel Nicholls (Isolde) et Erin Caves (Tristan)

Rachel Nicholls (Isolde) et Erin Caves (Tristan)

On connait son goût pour le symphonique lyrique, et, de ce point de vue, cela le rapproche de Philippe Jordan, le directeur musical actuel à Paris, mais son sens du théâtre est également une force qu'il sait déployer sans sacrifier à un seul moment le sens musical.

C'est donc une impressionnante et puissante lecture du drame de Richard Wagner qu'il vient d'offrir au public de Stuttgart, lecture soutenue par un ensemble de cuivres ronflants aux traits dramatiques éclatants, comme s'ils suggéraient un monde bien à part qui s'entrechoque au lyrisme des cordes, vivantes et flamboyantes dans des remous aux teintes mates et troubles.

Rachel Nicholls (Isolde)

Rachel Nicholls (Isolde)

A plusieurs reprises, l'orchestre semble, depuis des hauts traversés par les violons et les altos, s'effondrer vers des profondeurs tragiques, avec une souplesse suffisante pour en amortir l’impétuosité. C'est prenant de bout en bout, d'autant plus que les sonorités des vents, flûtes et hautbois s'épanouissent de toute leur clarté, quand, ailleurs, les cordes se stabilisent dans un état finement oscillant et impalpable pour suspendre le temps, permettant ainsi qu'une poésie latente reprenne l'avantage en un instant.

L'Orchestre de l'Opéra de Stuttgart, emporté dans une envolée romantique très différente de celle, plus précieuse, de l'Orchestre National de France entendu au printemps dernier, dans la fosse du Théâtre des Champs Elysées, est donc une pièce majeure qui met à l'épreuve les chanteurs.

Katarina Karnéus (Brangäne)

Katarina Karnéus (Brangäne)

Pourtant, tous arrivent à ne pas se laisser submerger par le flot volubile.

On retrouve Rachel Nicholls, Isolde inhabituellement claire que dirigeait Daniele Gatti avenue Montaigne, qui, sans avoir l'ampleur des interprètes mythiques, met son endurance au service d'une incarnation à la fois terrestre et agressive.

Erin Caves, en Tristan, pousse loin son travail interprétatif, ce qui ne rend à aucun moment son personnage monotone.  Plus brillant et incisif que Torsten Kerl, l'interprète du rôle à Paris, il s'engage avec une intensité impressionnante au troisième acte, comme s'il sublimait son état d'homme blessé, ce qui va l'amener à rencontrer un unique passage de faiblesse, soudain et inattendu, à la fin de cette dernière représentation.

Le public ne lui en tiendra pas rigueur, tant il a su préserver la ligne dramaturgique jusqu'au bout.

Erin Caves (Tristan)

Erin Caves (Tristan)

A ses côtés, Shigeo Ishino fait bien plus que paraître un ami simplement fidèle à Tristan, comme le réduisent trop facilement à ce rôle les metteurs en scène de ce soir, et donne une véritable authenticité humaine à Kurwenal, tout en prouvant, jusqu'au bout, ô ! combien l'on peut compter sur lui.

La voix est fortement sonore, dispensatrice de belles lignes viriles, simples et naturelles.

Et, légèrement couverte par l'orchestre, au premier acte, Katarina Karnéus n'en brosse pas moins un portrait assez inhabituel de Brangäne, aussi agressif qu'Isolde, plus énergique que tendre, qu'elle va abandonner pour donner deux appels longs et splendides au second acte.

La mise en scène se charge pourtant de chercher à en casser la poésie, fidèle à sa logique d'éveil et d'évitement du confort bourgeois - Tristan et Isolde, exaspérés, lui jettent des cailloux pour l'empêcher de chanter.

Rachel Nicholls (Isolde)

Rachel Nicholls (Isolde)

Enfin, le roi Marke de Liang Li ne se contente de pas de faire résonner la salle de sa généreuse antre vocale, il y ajoute des inflexions apitoyées et dramatiques poignantes, tout en paraissant véritablement à l'écart du couple principal.

Et, bien que dissimulé à l'arrière scène, ou bien à l'intérieur de la coque du navire, Daniel Kluge laisse entendre un jeune marin au timbre suave et innocent.

Ces artistes ont ainsi le grand mérite de s'être approprié sans réserve la mise en scène de Jossi Wieler et Sergio Morabito, qui n'est pas sans rappeler l'esprit avec lequel Peter Konwitschny, incontournable régisseur allemand, a dirigé 'Tristan et Isolde' et 'Le Vaisseau Fantôme' à l'Opéra de Munich.

Liang Li ( le Roi Marke)

Liang Li ( le Roi Marke)

On imagine en effet assez mal, à Stuttgart, une volonté de représenter les oeuvres de façon conforme à un imaginaire conventionnel, et les premières apparences de ce décor aux vagues en trompe-l’œil, comme les avait représenté Ivan Fischer dans sa vision désormais légendaire d''Idoménée' à l'Opéra de Paris en 2002, sont vites tombées devant le comportement quelque peu loufoque d'Isolde, prise de mal de mer, au premier acte.

Cette façon de prendre à contre-pied les attentes instinctives de l'auditeur a pour mérite, ou bien pour vice, de sous-entendre que Richard Wagner cherche à le piéger, voir, le manipuler.

Rachel Nicholls (Isolde)

Rachel Nicholls (Isolde)

Mais afin de ne pas tout dénaturer, le second acte offre un mémorable duo d'amour empreint de la tendresse à la fois humaine et animale de King Kong et de sa belle américaine, joué dans un décor factice rouge et noir pailleté, avant qu'Isolde ne révèle, d'un grand geste circulaire, le phare depuis lequel le Roi Marke observait le couple amoureux.

Ce phare, comme le suggère la toile d'avant-scène dressée au début de chaque acte, évoque le panoptique 'Presidio Modelo', modèle de prison édifié à Cuba - où Fidel Castro fut lui-même incarcéré -, qui est une prison construite en forme de colisée, aujourd'hui désaffectée, au centre de laquelle une tour permet de surveiller les prisonniers sans qu'ils sachent s'ils sont observés ou pas.

Erin Caves (Tristan)

Erin Caves (Tristan)

C'est ici le thème de la surveillance sociale, obsessionnelle et identique en tout point à celui que Katarina Wagner convoqua au second acte de sa mise en scène de 'Tristan et Isolde', l’année dernière à Bayreuth, qui devient le point focal du drame.

Ce symbole témoigne d'un violent ressenti, chez une part des artistes d'aujourd'hui, de la nature de plus en plus oppressive de nos sociétés occidentales. Mais en choisissant ce seul point de vue, ce second acte pourrait tout aussi bien, et même mieux, convenir à une mise en scène de 'Pelléas et Mélisande', héros et héroïne victimes de la paranoïa de Golaud.

Le centre d'expositions d'Art contemporain, face à l'Opéra, surplombé par la Lune et Jupiter

Le centre d'expositions d'Art contemporain, face à l'Opéra, surplombé par la Lune et Jupiter

Le thème pilier qu'ont donc retenu les metteurs en scène réduit considérablement la portée du mythe médiéval, et le dernier acte, avec cette carcasse de bateau se décomposant au milieu de nulle part, signe surtout la mise à mort d'une illusion par le monde politique qui ne veut pas reconnaitre ce qui peut être exceptionnel dans la vie, pour le réduire au vide absolu.

Et c'est bien parce que l'ensemble des artistes, chanteurs, musiciens et chef, ont livré un engagement total, que ce spectacle s'achève sur un grand sentiment de satisfaction.

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