Macbeth (msc Krzysztof Warlikowski) Théâtre de la Monnaie
Publié le 14 Juin 2010
Macbeth (Verdi)
Représentation du 13 juin 2010
Théâtre de la Monnaie (Bruxelles)
Macbeth Scott Hendricks
Lady Macbeth Iano Tamar
Banco Carlo Colombara
Macduff Andrew Richards
Malcolm Benjamin Bernheim
Dama di Lady Macbeth Janny Zomer
Servo / Medico / Araldo Justin Hopkins
Direction Musicale Paul Daniel
Mise en scène Krzysztof Warlikowski
Décors et costumes Malgorzata Szczesniak
Dans les mains de Krzysztof Warlikowski, Macbeth fait l’effet d’un sévère coup de poing.
Le théâtre se charge d’une tension qui rend incongrus les applaudissements, car le choc atténue toute distance.
Il y est question de violence, de sang et de la guerre. Le metteur en scène n’a jamais accepté l’idée selon laquelle être un guerrier constitue l’essence d’un homme.
Parfaitement conscient du besoin social d’exutoire dans la représentation de la violence, il ne va en aucun cas offrir ce qu’attend le public en actes sanglants.
Ainsi, au lieu de faire de l’œuvre de Shakespeare, simplifiée par Verdi, un enchaînement de faits causés par l’ambition et la peur de la chute, il trouve dans l’origine du drame le fait que Macbeth revient de la guerre au début de l’histoire.
Et ce sont toutes ces images de mort qui vont créer troubles mentaux et comportements délirants.
L’opéra est alors un déroulé d’hallucinations jusqu’à la folie la plus profonde, dans lequel Scott Hendricks laissera une trace mémorable. Baraqué, en Marcel, et rasé comme un Marines (Jarhead), le baryton Texan passe de la puissance affirmée aux effondrements dépressifs, le regard fauve tendu vers le public, puis totalement hagard, sans que cela n’affecte son chant.
Cela le stimule même, les intonations rugissent, se sensibilisent, et lorsque, porté dans son élan, le souffle atteint dans de rares occasions ses limites, il achève par des expressions véristes un dernier coup de dent décisif.
C’est à se demander s’il ne dépasse pas les volontés du directeur scénique par un tel travail sur le corps.
Mais une des raisons pour laquelle cet opéra de Verdi est affectionné réside dans le personnage de Lady Macbeth. Masculine et dominatrice, Maria Callas, Shirley Verrett, Leyla Gencer … en ont donné des interprétations de référence.
Or, dans l’approche de Krzysztof Warlikowski, elle est créature féminine qui aime son homme et agit par amour pour lui, ce qu’expriment les nuances sombres et sensuelles d’Iano Tamar. Si elle n’est pas enceinte, seul Macbeth en est responsable.
L’image monstrueuse de la Lady est cependant trop forte pour ne pas regretter, à l’encontre du concept scénique, plus d’expirations amples et longues.
Masqués - les sorcières -, handicapés - les apparitions -, les enfants constituent l’univers hallucinatoire de Macbeth.
Leur mystère imprègne les scènes les plus inattendues dont trois particulièrement : la portée solennelle du cercueil de Duncan, la séance désordonnée de divination du futur de Macbeth autour d‘une table, et surtout l’empoisonnement de ses propres enfants par Lady MacDuff pour leur éviter les souffrances d’un sort plus violent.
Les références cinématographiques vont de la scène d’ouverture d’Apocalypse Now dans la chambre d’hôtel, à des images d'un film américain noir et blanc de Nicholas Ray (They live by night) ouvrant sur des scènes d'un couple en fuite, des visions nocturnes, des visages d’enfants en rapport avec la situation qui se joue sur scène.
Certains trouveront étrange le couple d’hommes qui danse tendrement lorsque Macbeth pleure sur le corps de sa femme le non sens de sa vie (Pieta, rispetto, amore!), mais c’est une habitude de Krzysztof Warlikowski. Et l’on peut y voir l’image d’une romance ratée, comme simplement une représentation du beau par rapport à l‘horreur des meurtres, qui, pourtant, ne suscite jamais autant de gêne.
Volontairement, aucun meurtre n’est franchement montré. De retour de sa fuite, MacDuff, la hache à la main, est devenu un nouveau Macbeth. Le coup final sera donné derrière le rideau.
L’art de filmer les visages des invités lors du banquet autour d’un repas de famille, de faire intervenir des personnages issus de l’imaginaire et de créer une multitude d’éclairages micro-scène par micro-scène, sont à nouveau les empreintes constantes d’un savoir faire.
D’une certaine manière, la déstructuration lente de Macbeth semble suivre un processus identique à celui du Roi Roger, tel que Warlikowski l’a mis en scène à Paris en 2009.
Il ne reste plus qu’un homme nu et perdu, à nouveau une référence à Théorème (Pasolini).
L’intégralité de cet univers ne peut être restitué, mais l’on se sent vite débordé par tant d’énergie en jeu, et la musique de Verdi n’en est pas un élément secondaire.
Musicalement bien meilleure que la version de 1847, on ne joue plus que la version révisée parisienne de 1865.
Krzysztof Warlikowski en utilise même la musique de ballet, partiellement au IIIième acte (ce qui n’est pas courant, car à Paris il n‘a pas été repris dans les récentes mises en scène de Phyllida Loyd et de Dmitri Tcherniakov), et totalement avec le chœur des Sylphes.
Quel dommage qu’il ait alors supprimé le chœur des sorcières, juste avant la lecture de la lettre, car celui ci est en revanche toujours restitué. Il nous prive, de manière injustifiée, d’un passage plein d‘élan.
Pour se rattraper, il rétablit le dernier air de Macbeth « Mal per me che m’affidai » de la version de 1847.
Nous sommes dans un univers mental, alors pour rendre plus saisissant les voix qui résonnent dans la tête du criminel, les chœurs sont disposés tout en haut des galeries latérales du théâtre. L'effet de claustration fait prise.
Ce spectacle ne serait pas complet sans les partenaires d’Iano Tamar et de Scott Hendricks.
Viril, mais sans le charme de l’accent italien, Andrew Richards est le seul qui réussisse à arracher des applaudissements pendant la représentation, car son air s‘y prête plus facilement.
Benjamin Bernheim joue un Malcom jeune et vaillant avec un beau timbre bien clair, et Carlo Colombara complète avec Janny Zomer une distribution très homogène.
Dirigeant avec sens du théâtre, Paul Daniel et l’orchestre de la Monnaie ne sont pas pour rien dans cette réussite d’ensemble. Il en ressort une vigueur et une cohérence qui à aucun instant ne nous fait revenir dans une sorte d’exécution de routine.
Pour la saison 2010/2011, les rendez vous avec Krzysztof Warlikowski se passent en décembre à Berlin (The Rake's progress), en février à Paris (La fin.Scénario) et en mai à Madrid (Le Roi Roger).