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Publié le 1 Décembre 2024

Les Offrandes oubliées (Olivier Messiaen – 19 février 1931, Théâtre des Champs-Élysées)
Symphonie n°7 (Anton Bruckner – 30 décembre 1884, Leipzig)
Concert du 21 novembre 2024
Auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique

Direction musicale Philippe Jordan
Orchestre national de France
Violon solo Sarah Nemtanu

 

‘Les Champs-Élysées sont aussi pour moi un grand souvenir, car on y a donné ma première œuvre d’orchestre – j’étais à ce moment là un petit jeune homme fort timide de 22 ans -, et c’est Walter Straham qui a dirigé mes ‘Offrandes oubliées’ – c’était, je crois, en 1931 -. J’avais le cœur si tremblant que je n’entendais absolument rien de ce qui se passait sur la scène, mais je crois que l’exécution a été excellente, et l’accueil a été très favorable, ce qui est assez surprenant.’

Ainsi se rappelait Olivier Messiaen de la création de son œuvre lors d’une interview rediffusée sur France Musique, une méditation symphonique décomposée en trois volets, ‘La Croix’, ‘Le Péché’ et ‘L’Eucharistie’, que Cristian Măcelaru avait déjà choisi d’interpréter il y a 3 ans avec l’Orchestre national de France, en ouverture de saison à l’Auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique.

Philippe Jordan

Philippe Jordan

Dans sa structure, l’œuvre commence par de lents entrelacs de cordes dont le métal est utilisé pour créer des effets d’irisations, puis, après une brève transition assombrie par les bassons, un déferlement d’attaques décrit une course vers l’abîme, un peu comme dans ‘La Damnation de Faust’, les cisaillements des cordes se faisant âpres, battus par les timbales, jusqu’à une montée prodigieuse mêlant cuivres et percussions. Après une fracture nette, les bassons reprennent leur motif de calme noir pour mener au mouvement lent final, où les violons s’étirent dans les aigus dans une ambiance quasi-mystique.

Philippe Jordan, dont a été annoncé dès le matin avec joie et sourires sa nomination à partir de septembre 2027 à la direction de l’Orchestre national de France, obtient des musiciens une clarté diaphane qu’il affectionne beaucoup dans le répertoire français du XXème siècle, une flamboyance quasi-straussienne dans le mouvement central avec un net effet d’entraînement qui bouscule cette surprenante envolée, avant de retrouver un espace de recueillement intime qu’il va étirer avec finesse jusqu’au long silence conclusif.

L'Orchestre national de France - 7e symphonie de Bruckner

L'Orchestre national de France - 7e symphonie de Bruckner

La pièce principale de la soirée est cependant la 7e Symphonie d’Anton Bruckner rendue célèbre au cinéma par le film de Luchino Visconti ‘Senso’ (1954), à travers laquelle on retrouve sous la gestuelle souple et enveloppante de Philippe Jordan les ombres veloutées et sous-jacentes qu’il sait si bien mettre en valeur dans les ouvrages wagnériens pour lesquels le compositeur autrichien vouait aussi une immense admiration.

Ce soir, la volonté de maintenir un rapport au corps serré avec l’orchestre est saillant ce qui transparaît dans la grande densité de l’interprétation. Les mouvements des contrebasses s’apprécient pour leur moelleux, les cuivres clairs se montrent pimpants et les cors chaleureux, le trait poétique de la flûte est lumineusement coloré, et après un superbe adagio prenant et recueilli, sans virer aux états d’âmes trop crépusculaires, scherzo et final sont menés avec une véhémence flamboyante aux courbes et volumes d’une malléabilité magnifique.

On sent le soin accordé à l’enchantement suscité par des motifs très fins et des piqués légers, et il est très beau de voir comment sous un apparent calme cérémoniel Philippe Jordan peut faire ressortir une effervescence d’un grand raffinement tenue par une ligne aristocratique très élancée.

Philippe Jordan - 7e symphonie de Bruckner

Philippe Jordan - 7e symphonie de Bruckner

Beaucoup d’enthousiasme en fin de concert entre musiciens, public et chef d’orchestre, tant cette soirée est placée sous le sceau de l’évidence, et augure d’un avenir prometteur.

L'Auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique

L'Auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique

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Publié le 29 Juin 2023

Saint-François d’Assise (Olivier Messiaen -
28 novembre 1983 - Paris, Palais Garnier)
Représentation du 25 juin 2023
Stuttgart Staatsoper

Saint François Michael Mayes
L’Ange Beate Ritter
Le lépreux Moritz Kallenberg
Frère Léon Danylo Matviienko
Frère Massée Elmar Gilbertsson
Frère Élie Gerhard Siegel
Frère Bernard Marko Špehar
Frère Sylvestre Elliott Carlton Hines
Frère Rufin Anas Séguin

Direction musicale Titus Engel
Mise en scène Anna-Sophie Mahler et Katrin Connan (2023)

A l’approche du quarantième anniversaire de la création de ‘Saint-François d’Assise’ au Palais Garnier, Viktor Schöner monte pour la première fois à l’Opéra de Stuttgart le chef-d’œuvre d’Olivier Messiaen, évènement qui pourrait laisser croire qu’il chercherait à prolonger l’engagement qu’avait Gerard Mortier pour cet ouvrage. 

Michael Mayes (Saint François d'Assise)

Michael Mayes (Saint François d'Assise)

En effet, collaborateur de ce dernier à la Ruhrtriennale, il fut, en même temps qu’Alexander Neef, l’un des directeurs adjoints du directeur flamand à la tête de l’Opéra de Paris, au moment où celui-ci montait à Bastille en 2004 une nouvelle production de ‘Saint-François d’Assise’ sous la direction scénique de Stanilas Nordey.

Par la suite, lorsqu’il prit la direction artistique de l’opéra de Munich, Viktor Schöner confia en 2011 une production à Hermann Nitsch, alors qu’au même moment Gerard Mortier programmait au Teatro Real de Madrid la production d’Ilya et Emila Kabakov originellement conçue pour Bochum en 2003.

Production de Saint-François d'Assise par Ilya et Emila Kabakov (Madrid, 2011)

Production de Saint-François d'Assise par Ilya et Emila Kabakov (Madrid, 2011)

Le spectacle qui est cette fois proposé par Anna-Sophie Mahler et Katrin Connan à Stuttgart dépouille partiellement l’œuvre de son mysticisme, tout en cherchant à connecter l’auditeur à la nature. Pour se faire, si le premier acte et le troisième acte se déroulent bien à l’opéra d’État, le second va être joué au parc Wartberg situé à 3 km au nord du centre ville, puis sur la scène construite au sommet du Killesberg.

Débutant à 14h en ce dimanche après-midi, il faudra en effet attendre 22h10 pour que la représentation s’achève par une standing ovation qui saluera autant les artistes de cette production marathonienne que le public lui-même pour son courage et sa concentration.

Danylo Matviienko (Frère Léon) et Michael Mayes (Saint François d'Assise)

Danylo Matviienko (Frère Léon) et Michael Mayes (Saint François d'Assise)

Dans la première partie, l’orchestre est disposé en arrière scène alors qu’une simple mise en espace est jouée à l’avant scène. Trois claviers de types xylophone, xylorimba ou marimba sont disposés tout autour du Titus Engel, et l’ensemble des musiciens semblent former un amphithéâtre tout autour de lui.

Saint-François d’Assise et frère Léon sont d’abord habillés de façon conventionnelle, en noir, comme s’ils assistaient aux funérailles d’un lièvre étendu au sol, symbole associé au christ et à sa résurrection. Puis, Saint-François revêt un humble vêtement aux teintes vertes qui amorce une dialectique visuelle totalement vouée au panthéisme de la nature.

Une fois Frère Léon endormi, le lièvre est recouvert de terre et de jeunes pousses, l’ombre d’un grand arbre se projette sur le rideau transparent qui sépare l’orchestre de la scène, et le lépreux survient sous forme d’un agglomérat de champignons parasites.

L'orchestre de l'Opéra de Stuttgart

L'orchestre de l'Opéra de Stuttgart

Puis, à la grande surprise du spectateur, l’Ange apparaît en fond de scène sous la forme d’une mante religieuse (‘Gottesanbeterin’ en allemand) dont deux pans de tissu qui pendent en bout de bras représentent les pattes semblant prier. Son costume scintillant multicolore en fait un être magique et moins inquiétant que l’insecte originel.

Des projections de vidéos d’oiseaux sautillants de toutes parts sont également utilisées pour illustrer la rythmique de la musique, et le baiser de Saint-François au lépreux aura juste pour effet de débarrasser ce dernier de son laid costume et de le rendre en homme normal habillé de noir.

Danylo Matviienko (Frère Léon) et Michael Mayes (Saint François d'Assise)

Danylo Matviienko (Frère Léon) et Michael Mayes (Saint François d'Assise)

Au cours de cette première partie, c’est avec grand plaisir que l’on retrouve le jeune baryton ukrainien Danylo Matviienko, ancien résident de l’Académie de Musique de l’Opéra de Paris, devenu membre de la troupe de l’Opéra de Francfort. D’une très belle unité de timbre sombre et charmeuse, il rend aussi le texte de Frère Léon bien intelligible tout en lui adjoignant une solide prestance.

Moritz Kallenberg, en lépreux, est naturellement plus clair, mais a aussi cette même souplesse de timbre qui rend son personnage émouvant, et la première apparition de Beate Ritter révèle une très sensible luminosité subtilement vibrante qui accroît la nature hypnotique du chant de l’Ange.

Beate Ritter (L’Ange)

Beate Ritter (L’Ange)

Et en Saint François, Michael Mayes fait entendre une voix très noire et ténébreuse qui donne beaucoup d’ampleur et d’autorité à son personnage, sans toutefois atteindre la netteté d’élocution avec laquelle José van Dam, créateur du rôle, a si bien caractérisé le Saint pendant 20 ans.

Les interventions du chœur au parterre, mais aussi sur les bords des balcons au milieu des spectateurs, sont impressionnantes par leur élégie et leur pureté, et forment la manifestation la plus divine de ce spectacle qui ne fait que commencer.

Soleil traversant les arbres du Killesberg

Soleil traversant les arbres du Killesberg

Car après cette première partie en trois tableaux qui a d’emblée démontré comment Titus Engel faisait corps avec son orchestre pour donner de l’emprise à cette musique si riche en polyphonie et vivacité de traits, le public est désormais convié à se séparer en petits groupes qui vont être emmenés les uns après les autres aux jardins de Wartberg situés à quatre stations de métro de l’opéra.

Le transfert dure 45 minutes et, arrivé au bord du bassin artificiel Egelsee, chacun se voit remettre un petit lecteur mp3 qui lui permettra d’écouter le 4e tableau ‘L’Ange voyageur’ tout en se promenant dans le parc afin de rejoindre, avant 18h, le théâtre situé en haut du Killesberg où vont se dérouler les deux tableaux suivants.

Figurante jouant L'Ange au parc de Wartberg.

Figurante jouant L'Ange au parc de Wartberg.

On perd donc un rapport direct à l’interprétation de ce quatrième tableau, mais la qualité du lecteur permet quand même d’apprécier la rutilance des cuivres aussi théâtraux que dans la rencontre entre Siegfried et Fafner au cours de la seconde journée de la Tétralogie de Wagner, ainsi que la finesse mélodique autant instrumentale que vocale, où se démarque l’éclat charismatique du Frère Élie de Gerhard Siegel, grand interprète que l’on ne pourra donc pas entendre en vrai. 

La fraîcheur de timbre de Beate Ritter est elle aussi toujours aussi agréable. 

Et au cours de la montée sur la colline, plusieurs sosies de l’ange-mante religieuse se dissimulent dans la nature près des chemins des randonneurs.

Michael Mayes (Saint François d'Assise)

Michael Mayes (Saint François d'Assise)

C’est donc sur les gradins de la scène évènementielle du Killesberg entourée d’arbres et de pelouses que les spectateurs retrouvent l’ensemble de l’orchestre en plein air. Le soleil de fin de journée éblouit certains auditeurs, et les oiseaux environnants mêlent leur chant à la musique, ce qui a particulièrement de l’effet lors du Prêche aux oiseaux.

La mise en espace est assez simple, et des figurants amènent progressivement des pancartes dessinant des oiseaux de toutes les couleurs qui seront incrustées dans l’estrade centrale.

Le chœur sur la scène du Killesberg

Le chœur sur la scène du Killesberg

La voix très sonore de Michael Mayes s’adapte très bien à l’ouverture de ce lieu livré aux bruits de la nature et des cieux, et le chanteur s’arroge une très grande sympathie lorsqu’il se met à incarner un Saint-François qui prêche en déambulant parmi les sièges du public. Nous ne sommes pas loin d’assister à une forme de cérémonie hippie, et chacun peut s’amuser à reconnaître les espèces d’oiseaux qui sont représentées.

Titus Engel doit aussi bien garder l’œil sur les musiciens que sur le chanteur qui bouge partout dans l’enceinte, et il conduit avec une apparente décontraction un orchestre qui vibre à l’unisson. Le plein air a cependant tendance à atténuer le relief orchestral, ce que le spectateur compense toutefois par une plus grande proximité. Le chœur, lui, est toujours aussi splendide et bénéficie d’une estrade spécifique érigée en arrière du public pour donner de la voix dans les meilleurs conditions.

Saint-François d’Assise (Mayes Mahler Connan Engel) Stuttgart

Et après cette culmination en milieu extérieur, tout le monde se retrouve à l’opéra pour profiter d’un en-cas dans le soleil couchant, face au lac qui borde le bâtiment qui eut la chance d’avoir survécu à la Seconde Guerre mondiale.

Retour aux conventions pour les deux derniers tableaux, ‘Les stigmates’ et ‘La mort et la Nouvelle Vie’, puisque l’orchestre se trouve cette fois intégralement dans la fosse, et relativement serré.

La mort et résurrection de Saint-François est mise en scène sous la forme d’un immense soleil dont les rayons jaunes dorés sont pris dans une toile qui descend pour recouvrir le vieil homme lentement.

Titus Engel (Direction musicale)

Titus Engel (Direction musicale)

Le chœur, apparaissant d’abord en rampant comme des insectes, est vêtu de bermudas et de bandanas, et accompagne cette transformation avec une puissance évocatrice absolument grandiose.

Un large miroir domine la scène, et la vidéographie d’une mante religieuse naissant de son ancien corps est projetée pour imaginer cette forme de résurrection naturelle.

Malgré l'heure avancée, tout le monde, de l'orchestre au chœur, est à son plus haut niveau artistique, et Michael Mayes se fait même plaisir de façon très démonstrative à déployer un souffle phénoménal et retentissant, la plus forte manifestation qui soit d'une vie qui se regénère. 

Marko Špehar (Frère Bernard), Danylo Matviienko (Frère Léon) et Michael Mayes (Saint François d'Assise)

Marko Špehar (Frère Bernard), Danylo Matviienko (Frère Léon) et Michael Mayes (Saint François d'Assise)

Anna-Sophie Mahler et Katrin Connan synthétisent ainsi dans ce dernier acte leur rêve d’une société distanciée de son environnement urbain afin de reconstituer une communauté en communion avec la nature, ce que Saint-François d’Assise symbolise à leur yeux.

Il n’est pas étonnant d’être confronté à des points de vue sensiblement écologiques dans les théâtres allemands, mais la principale qualité de cette production est de rendre une œuvre monumentale et intimidante accessible à tous, de la démystifier en quelque sorte, et de lui donner une dimension modeste et ludique. Et l’engagement de l’ensemble de la distribution a été essentiel pour arriver à cette fin.

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Publié le 16 Juillet 2011

Saint François d’Assise (Olivier Messiaen)
Teatro Real de Madrid
Représentation du 13 juillet 2011 au Madrid Arena
 

L’Ange Camilla Tilling
Saint François Alejandro Marco-Buhrmester
Le Lépreux Michael König
Frère Léon Wiard Witholt
Frère Massé Tom Randle
Frère Elie Gerhard Siegel
Frère Bernard Victor von Halem
Frère Sylvestre Vladimir Kapshuk
Frère Rufin David Rubiera

L’ombre du Lépreux Jésus Caramés

Mise en scène Emilia et Ilya Kabakov

(Ruhrtriennale 2003)

Direction musicale Sylvain Cambreling

Orchestre Symphonique de la Radio de Baden-Baden - Freiburg

Chœurs du Théâtre Royal de Madrid et de la Generalitat Valenciana

Gerard Mortier est l’homme le plus engagé dans la représentation scénique de Saint François d’Assise depuis sa création fin 1983 à l‘Opéra Garnier. Cet ouvrage symbolise à lui seul autant la passion pour l’écriture musicale foisonnante du vingtième siècle, que la croyance en l’existence d’un absolu qui transcende la vie et la mort.

Sa trajectoire suit fidèlement le parcours du directeur flamand, et de surcroit européen, depuis que le festival de Salzbourg fut ébloui par la vision de Peter Sellars, et le public parisien un peu plus tard.

Par la suite, les subtiles variations de couleurs de la coupole imaginée par le couple Kabakov enthousiasma Bochum, avant que l’austère mise en scène de Stanilas Nordey ne mit durement à l’épreuve les spectateurs de l’Opéra Bastille.

Détails de la coupole conçue par Emilia et Ilya Kabakov

Détails de la coupole conçue par Emilia et Ilya Kabakov

C’est donc naturellement que Mortier porte à l’affiche le chef d’oeuvre de Messiaen, pour sa première saison en Espagne, ce qu’il fait en remontant l’installation d’Emilia et Ilya Kabakov au milieu des gradins du Madrid Arena.

Illuminé par une myriade de chandelles, l’orchestre est placé sous le dôme, les cordes au centre, puis les vents et les cuivres autour, et sur le cercle extérieur, toutes les percussions et les trois ondes Martenots.

En arrière plan, les deux chœurs se mélangent, et leurs voix enveloppent toute la scène théâtrale. Le fondu avec les musiciens est un magnifique flou pastel.

Sylvain Cambreling, amoureux défenseur de la musique contemporaine, soigne méticuleusement l’atmosphère méditative de la partition, et fait entendre une tonalité d’ensemble claire et jamais agressive. Il adopte également, quand les passages le nécessitent, des rythmiques franches et mécaniques, la marque du sens théâtral qu‘on lui connaît.
Les ondes noires des tubas émergent superbement, les finals de percussions s’achèvent dans un scintillement argenté exempt de toute saturation, et le grand concert des oiseaux est un enchantement sonore presque trop bref.

Alejandro Marco-Buhrmester (Saint François d'Assise)

Alejandro Marco-Buhrmester (Saint François d'Assise)

L’acoustique, non sonorisée, ne révèle pas d’effets de réverbérations excessifs, et permet même à certains sons de se disperser dans l’espace latéral. Néanmoins elle influe probablement sur la restitution précise du texte.

On connaît bien Mortier, il est fidèle à ses chanteurs, il n’est donc pas surprenant de retrouver des noms bien connus.

Alejandro Marco-Buhrmester, le poignant Amfortas de Parsifal (Bastille), nous fait percevoir toute l’humilité et l’humaine tristesse de Saint François. Son timbre attachant évoque moins la sombre profondeur de la foi que l’espérance illuminée, et il arrive aussi qu’il se dilue dans l’immensité de la salle. Bien que la fatigue soit perceptible à la toute fin, l'engagement et la modestie de ce chanteur sont émouvants jusqu'à l'hommage des saluts.

Tom Randle (Frère Massé) et Victor von Halem (Frère Bernard)

Tom Randle (Frère Massé) et Victor von Halem (Frère Bernard)

Parmi les frères, Victor von Halem, le sinistre Titurel de Parsifal (Bastille), est une force bienveillante et un Frère Bernard clairvoyant, la sagesse de l’âge, alors qu’à l’opposé, le très percutant Gerhard Siegel accentue le caractère cinglant de Frère Elie.
Wiard Witholt et Tom Randle inspirent par ailleurs la jeunesse sensible des deux frères qu’ils incarnent.

Dans le rôle du Lépreux, doublé par une ombre angoissante (Jésus Caramés) qui lui est attachée, Michael König n’exagère point son exaspération à l’égard de la vie. L’élocution est nette, et la douleur repoussante de son état palpable.

Il reste à évoquer l’Ange céleste inouï de Camilla Tilling. Lorsqu’elle est apparue au milieu des marches des gradins nord de la salle, tout en blanc avec ses grandes ailes stylisées, la lumière et l’envahissement total de cette voix pure et aérienne a fait croire un moment à un effet de sonorisation.
Il ne s'agissait pourtant que d’un effet d’acoustique, la source du son étant bien focalisée.
Vint alors l'instant des mots « Lépreux, Lépreux… », dits avec une telle compassion, que tout son chant qui suivit provoqua une émotion personnelle irrépressible, car on atteint là à une beauté inhumaine.

Camilla Tilling (L'Ange)

Camilla Tilling (L'Ange)

La nature est alors venue se mêler à sa nouvelle apparition au second acte.

A ce moment là, le soleil couchant réussit à s’infiltrer au travers des interstices du toit, illuminant non seulement l’arrière scène, mais également les structures métalliques que l’on aurait cru d’or. Puis, les ombres des feuillages se projetèrent, vivantes, avant que les derniers rayons ne disparaissent.

Il y avait bien une immense cage aux tourterelles sur scène, pourtant ce sont les oiseaux nichant dans les arbres, à l’extérieur, que l’on pouvait entendre jusqu’à la tombée de la nuit.

La mise en scène d’Emilia et Ilya Kabakov repose principalement sur la grande coupole dont les couleurs évoqueraient celles que voyait Messiaen en écoutant la musique.

Ces changements se font imperceptiblement, on est surpris de se retrouver soudainement face à un bleu très intense, mais la corrélation entre l’effet plastique et la texture musicale n’est pas à portée de toutes les sensibilités, même si ce gigantesque vitrail tout en nuances est visuellement magnifique.

L'Ange musicien au second acte.

L'Ange musicien au second acte.

Il y a le spectacle dans la salle, mais il y a aussi la vie dans les espaces qui l’entourent aux entractes. Gerard Mortier a monté une exposition colorée qui présence l’œuvre et la vie d’Olivier Messiaen, en abordant des thèmes comme la Rencontre de l’Orient et de l’Occident, ou bien les réflexions musicales et scéniques de ce grand musicien, qui feraient passer bien des compositeurs d’aujourd’hui pour des paresseux.

Sur de petits écrans, en hauteur, on peut ainsi voir et lire avec amusement comment le directeur présente Saint François d’Assise, avec la même facilité et la même passion qu’on lui connaît.

Après le deuxième acte, dont la durée que s’accorde Messiaen est redoutable pour le spectateur le moins captif, les estrades sont restées bien occupées, et la diversité du public au sortir de l’Arena, décontracté, souriant, et de tout âge, est le signe le plus fiable de la réussite de ce projet.

Comme quoi, pour qui a du talent, du courage et de la conviction, l’excuse des temps de crise n’a pas prise, et tout est possible.

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