Histoire de l'Opéra, vie culturelle parisienne et ailleurs, et évènements astronomiques. Comptes rendus de spectacles de l'Opéra National de Paris, de théâtres parisiens (Châtelet, Champs Élysées, Odéon ...), des opéras en province (Rouen, Strasbourg, Lyon ...) et à l'étranger (Belgique, Hollande, Allemagne, Espagne, Angleterre...).
Philharmonique de Radio France (dm Mikko Franck)
Concert du 25 septembre 2015
Philharmonie – Grande salle
Erich Wolfgang Korngold Concerto pour violon et orchestre en ré majeur (1945) Violon Vilde Frang
Gustav Mahler Das Lied von der Erde (Le Chant de la terre) (1908) Mezzo-soprano Alisa Kolosova
Ténor Christian Elsner
Direction musicale Mikko Franck Orchestre Philharmonique de Radio France
Alisa Kolosova
Une semaine après son concert de rentrée à l’Auditorium de la Maison de la Radio, l’Orchestre Philharmonique de Radio France se retrouve dans la grande salle de la Philharmonie pour jouer deux œuvres en mémoire de Gustav Mahler et d’un jeune compositeur qui lui fut présenté alors qu’il n’avait que 9 ans, Erich Wolfgang Korngold.
Mikko Franck
Le concert de ce soir ne suit pas l’ordre chronologique, puisqu’il débute par le concerto pour violon en ré majeur, dédié à Alma Mahler-Werfel, la veuve du compositeur autrichien.
Au cours de sa période américaine, Korngold était devenu un fantastique compositeur de musiques de films d’aventures historiques, avec pour héros Errol Flynn, dont l’Aigle des Mers reste le chef-d’œuvre épique.
Ce concerto pour violon marque cependant la fin de cette vie américaine, et la préparation au retour vers le Vieux Continent, sorti enfin de la guerre.
La salle à la fin du concert
En avant des emphases d’un orchestre opulent, la violoniste norvégienne Vilde Frang laisse transparaître une personnalité ardente et irradiante, et un sens de l’accompagnement lyrique stupéfiant au fil des ondes de l’ensemble. Les irisations sont travaillées avec une précision d’orfèvre, et sa virtuosité joyeuse est d’autant plus captivante que le Philharmonique lisse les nappes orchestrales sans exagérer la composante hollywoodienne et nostalgique de la musique.
Dans la seconde partie, la composition crépusculaire de Gustav Mahler atteint des sommets d’immatérialité qui imprègnent et subjuguent notre conscience au point de nous faire perdre tout sens du réel.
Christian Elsner
Les voiles des cordes s’évaporent de toutes parts, le corps dense des bois du Philharmonique ramène à une sérénité terrestre poétique, et Mikko Franck mène cet élan orchestral vers des hauteurs majestueuses qu’il contrôle magnifiquement, pour les faire s’éteindre ensuite avec un art de l’achèvement d’une perfection impressionnante.
Et Christian Elsner laisse entendre la clarté sans tension de son chant qui, inévitablement, se dilue dans une acoustique peu favorable aux voix, bien que, et ce sera la plus belle des surprises, celle d’ Alisa Kolosova arrive à toucher même ceux qui l’entendent de dos.
Alisa Kolosova
La mezzo-soprano russe est en effet toujours fascinante dans les rôles charmeurs et posés – Olga, dans Eugène Onéguine, est un personnage qu’elle incarne avec beaucoup de sensualité -, mais, ce soir, elle porte une profonde langueur, un grand chant d’espoir qui s’évade vers un horizon sans limite, amplifiée par les gestes enrobés de Mikko Franck.
Comment avoir envie de parler après avoir entendu une telle beauté d’interprétation?
Disponible en réécoute sur France Musique jusqu'au 25 octobre.
Orchestre de l’Opéra National de Paris (Ph.Jordan – G.Kühmeier)
Concert du 16 septembre 2015
Philharmonie – Grande salle
Variations pour orchestre, op.31 (Arnold Schönberg)
Symphonie n°4 (Gustav Mahler)
Soprano Genia Kühmeier
Direction musicale Philippe Jordan Orchestre de l’Opéra National de Paris
Philippe Jordan
Après le Ring et les neuf symphonies de Beethoven, Philippe Jordan débute un nouveau cycle dédié cette fois au grand compositeur viennois, Arnold Schönberg.
Au cours de la saison, deux autres concerts lui seront voués, l’un au Palais Garnier le 25 octobre, l’autre à la Philharmonie le 19 avril, dans le prolongement de la trainée laissée par le passage de son œuvre majeure à l’Opéra Bastille, Moïse et Aaron.
Croissant de Lune dans le couchant depuis la Philharmonie
On se souvient avec quelle envie Philippe Jordan s'était évertué à faire partager sa passion pour la musique de Schönberg, lors des journées Tous à l’Opéra, en la dédramatisant.
Et à l’écoute du concert de ce soir, on ne peut qu'admirer sa manière à mettre en avant la finesse et la poésie d’une œuvre construite sur le sérialisme et les dissonances, et son attention à l'unir selon une forme d’onde coulante où se dissimule un désir de séduction. Mais a t-il raison d'éluder aussi franchement la rugosité grinçante des accords et l’ambiance tendue qui, par moment, devrait pincer au cœur ? Ne laisse-t-il pas un peu de côté le regard perçant d’un compositeur qui inspira Bernard Herrmann, le créateur des musiques d’Alfred Hitchock ?
Philippe Jordan
La symphonie n°4 de Gustav Mahler apparaît alors comme une œuvre merveilleuse qui laisse au chef d'orchestre un large champ d’expression pour sa pleine subtilité, pour son attachement profond au charme des couleurs viennoises, et pour un enivrant art de l’éclat qui fait briller tous les petits reflets chantants des instruments. Il est fascinant d’entendre comment cette musique, moins marquée par le pathétisme inhérent au compositeur, peut être aussi subjugante et innervée par des volutes d’un sensualisme exacerbé par l’hédonisme caressant du directeur musical.
Salle de la Philharmonie à la fin du concert
Ce voyage dans une limpidité qui surpasse sa part d’ombre prend, de plus, une dimension noblement humaine grâce à la belle voix apaisante et chargée de compassion de Genia Kühmeier.
Philippe Jordan, par l’esprit qu’il insuffle à ses musiciens et solistes, est véritablement une incarnation de la Joie qui rayonne en toutes circonstances.
Prometeo - Tragedia dell'ascolto (Luigi Nono)
Représentation du 11 septembre 2015
Landschaftspark Duisburg-Nord Kraftzentrale - Ruhrtriennale 2015
Sopran - Susanna Andersson, Christina Daletska
Alt - Els Janssens-Vanmunster, Noa Frenkel
Tenor - Markus Francke
Sprecher - Caroline Chaniolleau, Mathias Jung
Ensemble Modern Orchestra, SCHOLA Heidelberg, Experimentalstudio des SWR
Direction musicale IngoMetzmacher, Matilda Hofman
Coproduction Holland Festival, Zürich Tonhalle et Festival d’Automne à Paris.
Entrée de la Kraftzentrale
En programmant Prometeo dans la grande Kraftzentrale de Duisburg, un des symboles sidérurgiques de cette région qui connut progrès puis déclin économique, le site de la Ruhrtriennale fait peser tout son passé industriel sur la musique de Luigi Nono.
Car c'est à une expérience sensorielle forte et unique et à une remémoration simultanée de son histoire, que l'auditeur est invité sous l'immense chapiteau d'une usine devenue maintenant ouvrage d'Art moderne.
Entrée dans la Kraftzentrale
Quand les spectateurs se présentent à l'entrée du bâtiment, ils ont en premier lieu la surprise de voir que les ouvreuses ne laissent passer les gens que par poignées d'individus, qui s'éloignent ensuite à travers une brume humide. Des silhouettes se détachent sur le fond d'une nébuleuse bleutée, on se croirait partie d'un tableau vivant inspiré de la montée des âmes vers l'Empyrée de Jérôme Bosch.
Arrivés devant un sas, d'autres ouvreuses filtrent les entrées/sorties afin de rendre hermétique la séparation avec l'autre partie de la Kraftzentrale où va avoir lieu le concert.
Orchestre et Choeur
Dans cette salle, nous découvrons alors un ensemble de bancs orientés dans tous les sens et recouverts de petits coussins. De là, chacun a nécessairement une vue sur plusieurs des huit ensembles de musiciens installés en hauteur, à flanc de muraille, sur les trois façades de l'usine. Et au pied du quatrième pan de séparation noir et translucide, un choeur et un orchestre situés cette fois à terre achève d'encercler les invités.
Pendant deux heures et trente minutes, nous sommes ainsi immergés dans un univers de voix venues du ciel qui se répondent de part et d'autre de la salle, soit de manière directe, soit par un système d'amplification à base de haut-parleurs, qui permet ainsi de moduler dans le temps la présence de telle ou telle voix, de tels ou tels instruments, et de donner l'impression d'un lien invisible entre les différentes sources sonores.
Pour profiter au mieux de la pleine spatialité sonore de cet ouvrage, chacun doit être dans un état de réceptivité débarrassé de toute pensée parasite ou contrariante, car les instruments jouent rarement une musique énergétique propre à bousculer les âmes. L'acier des cordes est par exemple simplement utilisé pour créer des effets de scintillements mystérieux ou des grincements austères, et l'atmosphère musicale s'apparente au fond sombre et lumineux sur lequel les voix s'évadent, à l'instar des mouvements d'étoiles isolées dans la masse invisible de notre univers.
Ces voix, elles, sont d'une pureté irréelle à en saisir le temps, quand leurs vibrations s'évanouissent dans l'instant.
La Kraftzentrale et les sections d'orchestre au salut final
Et comme la musique de Luigi Nono rejoint celle de Georgy Ligeti, il devient donc naturel, à certains moments, de se sentir emporté dans le film de Stanley Kubrick, 2001 l'Odyssée de l'Espace.
On en vient cependant à regretter que les spectateurs n'aient été allongés dans des chaises longues, pour les mettre dans un état de pleine réceptivité, le corps entier dirigé vers le ciel et soulagé de son poids.
En surplomb de l'orchestre situé au sol, Ingo Metzmacher et Matilda Hofman dirigent ces ensembles en ondulant les gestes de leurs mains en vagues, tels deux prophètes apaisant l'humanité.
Landschaftspark Duisburg-Nord, la nuit
Il y eut à Avignon, cet été, un spectacle de Christine Dormoy intitulé Transfabbrica où se côtoient l'univers de Paolini, Nono et Ligety. Il sera un évènement à suivre en France au cours de la saison 2015/2016, pour ses résonances avec le monumental ouvrage de Nono monté à Duisburg en ce moment même.
Boston Symphony Orchestra
Concert du 03 septembre 2015
Philharmonie – Grande Salle
Don Quichotte (Richard Strauss)
Symphonie n°10 (Dmitri Chostakovitch)
Yo-Yo Ma, violoncelle Steven Ansell, alto
Direction musicale Andris Nelsons Boston Symphony Orchestra
En ouverture de sa première saison intégrale, la grande salle de la Philharmonie accueille le Boston Symphony Orchestra, un des grands orchestres internationaux dont Andris Nelsons a pris la direction depuis la saison précédente. Huit ans plus tôt, ce superbe ensemble luxuriant faisait alors l'ouverture de la saison 2007/2008 de la salle Pleyel avec La Damnation de Faust, un quatre septembre, sous la direction de James Levine.
Le flux de la vie culturelle et musicale parisienne reprend ainsi son rythme comme s’il s’agissait moins d’un évènement que d’un courant naturel qui retrouve son chemin vers ses lieux de vie sociale.
Andris Nelsons
Cette soirée réunit dans un même programme deux œuvres totalement distinctes d’esprit, mais qui vont être liées par l’élan et la patine fluide et adoucie de cet orchestre qui vibre d’une énergie enthousiasmante.
La première partie est dédiée à un large poème symphonique de Richard Strauss, peut être le plus attachant, Don Quichotte.
Ce poème est une allégorie du rêve du fameux chevalier qui pourrait être aussi celui de l’auditeur qui ré-imagine son univers et sa vie tout au long de la musique.
Et comme lors d’une traversée à la fois paisible et mouvementée du temps, l’orchestre fait vivre des ondes de tissus instrumentaux de cordes et de vents qui se fondent dans des mouvements continus se gorgeant d’un sang félin, pour rejoindre ensuite un univers ludique et poétique plus intime et toujours réconfortant.
Grande salle de la Philharmonie
L’emportement élancé de l’orchestre dans la saisissante « Chevauchée dans les airs » est exaltant par son sens ample et lent de la respiration, la masse s’élève dans les tourbillons des vents, et Andris Nelsons apparaît comme un peintre expressif des illusions.
Yo-Yo Ma, débonnaire et happé par la force vitale des musiciens, joue du violoncelle avec une sensibilité aigüe au jeu de ses partenaires, et de son corps penché par le cœur, son lien à l’orchestre en devient encore plus visible.
Mais dans la seconde partie, l’ombre que fait planer Staline sur la dixième symphonie de Chostakovitch se découvre dès le début. Cuivres sombres et menaçants, d’une finition rutilante, la férocité des accents contient un feu vital brillant qui résiste à la tentation d’une interprétation empesée et tragique.
Traits de flûtes fulgurants, nimbes claires et mystérieuses qui donnent le frisson, on se surprend à ressentir de l’espoir malgré les débordements violents de la musique, car il y a dans cette esthétique une chair tendre et harmonieuse, et toujours la vision de ce chef d’orchestre dont aucune gravité n’émane, sinon de la profondeur.
Et la chaleur réciproque avec laquelle chef et musiciens se répondent au salut final témoigne de cette immense estime qui les unit tous.
Hommage an Gerard Mortier Concert du 16 août 2015 Gebläsehalle, Landschaftspark Duisburg-Nord
Ruhrtriennale
Giacinto ScelsiPranam I Ferruccio Busoni Gesang vom Reigen der Geister, op.47 Berçeuse élégiaque, op. 42 Alban Berg Altenberg Lieder, op.4 Giacinto ScelsiPranam II Anton WebernSymphonie, op.21 Olivier Messian Couleurs de la Cité Céleste
SopranoNatalia Pschenitschnikova Sarah Wegener
Direction musicale Emilio Pomarico, Sylvain CambrelingSarah Wegener Orchestre Klangforum Wien
Sans doute est-ce un des derniers hommages au directeur flamand décédé le 08 mars 2014, Johan Simons lui dédie ainsi cette matinée d’Ascension afin de marquer le souvenir de celui qui fut l’initiateur et l’intendant de la Ruhrtriennale juste avant de prendre en main la direction de l’Opéra National de Paris.
Gerard Mortier
A Emilio Pomarico de diriger les deux Pranam de Giacinto Scelsi, les Altenberg Lieder d’Alban Berg et la Symphonie, op 21 d’Anton Webern, et à Sylvain Cambreling de diriger Busoni et Messian.
L’atmosphère de ce concert s’imprègne d’un caractère austère et fatal, empreint d’une grande spiritualité.
Fond de scène de la Gebläsehalle
La berceuse élégiaque, en mémoire d’une mère dont l’on se sent proche, dessine une mosaïque de reliefs qui stimule mentalement des compositions picturales dynamiques et vivantes, alors que la tonalité glacée des Pranams engendre un profond sentiment d’étrangeté.
Et Les couleurs de la Cité Céleste que Sylvain Cambreling prend soin à ponctuer d’une puissante solennité, ont une spatialité qui aurait gagné en mystère dans une salle plus ample.
Natalia Pschenitschnikova et Sylvain Cambreling
Parmi les spectateurs de ce concert intime joué dans une salle comparable à celle de l’amphithéâtre Bastille, mais plus allongée, des amis proches de Mortier, sa sœur, Rita, Alain Platel, le chorégraphe, ou bien Krzysztof Warlikowski et Małgorzata Szczęśniak, qui s’apprêtent à créer Die Franzosen le week-end prochain, sont venus s’y recueillir et témoigner de leur sincère fidélité.
Guitarra flamenca Pepe Habichuela etMiguel Ángel Cortés
Coros y palmasLos Mellis (Manuel y Antonio Montes Saavedra)
PercusiónAgustín Diassera
Chanteur Arcángel
DanseuseLeonor Leal
Proyecto Lorca
Saxofones Juan M. Jiménez
PercusionesAntonio Moreno
Piano Daniel B. Marente
Leonor Leal
Entre deux représentations d’El Publico, l’opéra composé à partir de la nouvelle de Federico Garcia Lorca sur la musique de Mauricio Sotelo, le Teatro Real de Madrid a souhaité dédier une soirée aux chants populaires anciens enregistrés en 1931 par La Argentinita, une danseuse et chorégraphe célèbre de l’entre deux-guerres, et Lorca, à la fois pianiste et auteur des paroles.
Douze airs pour s’immerger dans le soliloque plaintif du Flamenco incarné par la voix finement vibrante de Rocio Marquez.
Rocio Marquez et Pepe Habichuela (Guitare)
Cette jeune chanteuse native de Huelva, formée à l’université de Séville, se retrouve seule sur scène accompagnée soit d’un unique guitariste, Pepe Habichuela ou bien Miguel Ángel Cortés, soit d’un chœur en duo, Manuel et Antonio Montes Saavedra, ou bien d’un ensemble plus large incluant percussions, saxophone et piano.
Ces airs, fortement identitaires et d’une rigueur sévère, trouvent alors écho parmi les auditeurs qui leur répondent par des interjections complices et spontanées comme dans les spectacles de théâtre traditionnel japonais.
Et la réaction est d’autant plus exaltée que la voix de l’artiste s’étire jusqu’au dernier souffle dans un ultime effort arraché.
Daniel B. Marente (Piano), Rocio Marquez, Juan M. Jiménez (Saxophone)
Mais la danse est aussi présente quand Leonor Leal surgit magistralement pour claquer du talon, se déhancher fièrement, et jouer de cambrures provocantes afin de brosser un portrait fort et androgyne de la femme séductrice.
Et quand un air de Fandango annonce un retour à une légèreté plus festive, les appels hispano-mauresques d’Arcangel font naître une envie d’aventure et d’horizons inconnus.
Ensemble intercontemporain Représentation du 13 février 2015 Philharmonie 2 – Salle des concerts
Matthias Pintscher
A twilight’song, pour soprano et sept instruments
Anton Webern
Six pièces, op.6, pour orchestre de chambre
Arturo Fuentes
Snowstorm, pour ensemble
Aribert Reimann
Nacht-Räume, pour piano à quatre mains et soprano
Hans Werner Henze
Being Beauteous, pour soprano colorature, harpe et quatre violoncelles
Yeree Suh, soprano Dimitri Vassilakis, Sébastien Vichard, pianos
Ensemble intercontemporain
Direction musicale Matthias Pintscher Matthias Pintscher et Yeree Suh
C’est à une soirée intégralement dédiée à l’art musical d’après-guerre que l’ensemble Intercontemporain vient de convier un public curieux d’atmosphères abstraites et de sonorités étranges.
Christine Shaefer devait être, dans un premier temps, l’interprète féminine irradiante de sa voix adolescente si profonde et fragile. Elle a néanmoins choisi de privilégier sa vie personnelle en se faisant remplacer par la jeune soprano colorature Yeree Suh.
Celle-ci, très différente, est par son naturel et son chant souriant et perceptiblement vibrant – harmonieusement lié aux élans mystérieux de la musique- , l’ange aérien de Saint-François d’Assise.
Yeree Suh
Dans la première pièce, A twilight’song, on retrouve l’écriture austère qui caractérise nombre d’œuvres contemporaines, égrainant des comas furtives qui ne s’inscrivent jamais dans une phrase temporelle longue et continue. On ne peut s’empêcher de penser aux propos de Renaud Machart, critique et homme de radio, qui avait caricaturé avec grand sens du spectacle ces ‘tics’ mécaniques lors de la création d’Akhmatova (Bruno Mantovani) à l’opéra Bastille.
Cependant, ces ‘marques’ de ce répertoire sont transcendées dans la pièce de Matthias Pintscher par une expérience acoustique qui insère des sons cristallins tenus sur une même tonalité jusqu’à leur évanouissement total dans l’espace de la salle des concerts.
Les six pièces, op.6, d’Anton Webern, dans leur version réduite pour orchestre de chambre, ne font que conforter un climat sinistre, et faire mieux ressortir l’énergie tournoyante et jouissive, presque hilarante, de la création d’Arturo Fuentes jouée pour la première fois à l’auditorium de l’opéra de Bordeaux deux jours avant. En émergent des tubulures caustiques et un foisonnement inventif qui pourraient faire croire à l’effervescence d’une scène de vie animale à la campagne, un jour de printemps.
Yeree Suh et Matthias Pintscher (Being Beauteous)
Pourtant, le compositeur ne fait que recréer le souffle imprévisible d’une tempête de neige. Et lorsque l’on demande à chacun quelles images lui furent évoquées, on se rend compte que snowstorm est une œuvre que l’auditeur peut s’approprier pour y projeter son imaginaire personnel. Ce rapport au vivant fantastique pourrait ainsi parfaitement s’intégrer à un opéra naturaliste, afin d’en décrire une scène forte.
Dans la seconde partie, Nacht-Räume, écrit par Aribert Reimann pour une soprano accompagnée au piano, se vit comme une préparation abstraite et intérieure à la pièce qui va suivre, Being Beauteous, de Hans Werner Henze.
Car les soupirs longs et pathétiques des violoncelles nous ramènent aux vérités silencieuses et essentielles de la vie et de ses peines.
Violeta Urmana
Direction musicale Jonathan Nott Bamberger Symphoniker Violeta Urmana
Au début de l’année dernière, à la salle Pleyel, Violeta Urmana fit découvrir au public parisien une Mort d’Isolde si irréelle, qu’elle laissa dans les cœurs une immense attente. Elle interprèterait le rôle intégral à Madrid et à Paris un an plus tard, et cette attente fut comblée particulièrement lors des représentations parisiennes.
La retrouver ainsi, seule, avec le Bamberger Symphoniker, a donc la saveur des regrets d’un intime et ultime ‘au revoir’.
Le Bamberger Symphoniker
Mais avant son éblouissante entrée dans la salle, Jonathan Nott entraîne les musiciens dans un romantisme insouciant où Don Juan semble survoler de grands paysages, poursuivre les illusions d’une romance merveilleuse, pour disparaître d’autant plus tristement que les parfums élancés de cet orchestre raffiné et lumineux nous ont entièrement conquis.
Quelle émotion, ensuite, à l’arrivée de Violeta Urmana, souriante et impressionnante dans sa robe de Princesse d’un autre univers. Sa voix se révèle être dans sa plus belle plénitude, et l’acoustique de la salle la favorise en satinant légèrement ses aigus.
Les sept lieder de Strauss extraits de quatre opus différents sont interprétés avec le même ressenti, une intense détermination sous laquelle couve une souffrance très wagnérienne.
Jonathan Nott et Violeta Urmana
Et l’on retrouve cet immense orgueil qui se libère totalement dans Frühlingsfeier, le lied qui la caractérise le mieux, vraisemblablement. Alors que, dans Ruhe, meine Seele et Morgen, les fléchissements de son timbre dans les profondeurs de sa tessiture sont d’un charme subtil et pathétique.
Il n’y eut qu’un bis, le rayonnant Zueignung, mais la soirée ne lui était que partiellement dédiée.
Rufus Wainwright - Tour 2013 Concert du 22 juillet 2013 Teatro Real de Madrid
Prima Donna Ouverture, « Dans mon pays de Picardie », « Vocalises », « Quand j’étais jeune étudiante », « Prenez-le donc », « Final interlude », « Les Feux d’artifices ».
Want One & Want Two « Vibrate », « Little sister », « This Love Affair »
Hector Berlioz - Les Nuits d‘été « Le Spectre de la Rose », « Absence », « L’Ile inconnue »
Rodgers & Hummerstein - Carousel « If I love you »
Wolfgang Amadé Mozart - Cosi fan Tutte « Soave sia il vento »
Songs for Lulu - Want One « What would i ever do with a rose », « Oh, what a world »Rufus Wainwright
Direction musicale Johannes Debus Orchestre Titulaire du Teatro Real Sopranos Kathryn Guthrie, Janis Kelly
Découvert à Paris il y a dix ans lors d’un premier concert qu’il tint dans l’atmosphère confinée et intime du Batofar, une péniche amarrée sur les bords de la Grande Bibliothèque, Rufus Wainwright est depuis devenu le compositeur de chansons Folk-pop le plus extraordinaire de notre époque. Pianiste, mais aussi guitariste, il compose aussi bien des mélodies très sensibles sur ses émotions amoureuses, que de grandes œuvres orchestrales baroques et saturées en couleurs, ou même, de la pop dansante et entrainante. Et tout cela est chanté avec une voix claire, d’une nostalgie sensuelle et précieuse magnifique.
Fanatique d ‘opéras, il s’est lancé dans la composition de « Prima Donna » , un ouvrage lyrique qui raconte l’histoire d’une cantatrice souhaitant revenir sur scène, à Paris, au début des années 70, après six ans d’absence…
Ce concert particulier au Teatro Real de Madrid est aussi bien l’occasion de découvrir des passages de cette composition unique de la part d’un tel artiste, que d’assister à une mise en scène de son quarantième anniversaire, une surprise inattendue.
Après une ouverture légère et fortement appuyée sur les aigus des cordes, la structure musicale prend une tonalité obsessionnelle plus lente et envoutante quand Janis Kelly interprète le rôle de la cantatrice, se retrouvant seule à rêver à son possible retour entourée par les accords sombres des basses et des violoncelles, la musique révélant ainsi une âme qui finit par simplement toucher les amateurs lyriques les plus passionnés.
Janis Kelly
« Les feux d’artifices », air que Rufus Wainwright a lui-même interprété au disque dans « Songs for Lulu », prend une dimension surnaturelle ici, et tous les petits motifs vocaux et musicaux se dispersent ainsi dans l’atmosphère du théâtre en laissant le temps se désagréger comme dans une plénitude céleste.
Après ces quarante minutes lyriques plus éthérées que profondément émouvantes, Rufus Wainwright s’installe au piano pour reprendre trois airs de ses deux albums - Want One et Want Two - composés après sa phase dépressive qui suivit les attentats du 11 septembre à New York. « Vibrate » est une balade poignante sur l’attente de l’appel d’un être aimé, une des plus emblématiques de cette expressivité mélancolie innocente qu’il a un peu perdu ces dernières années.
Rufus Wainwright, Janis Kelly et Kathryn Guthrie (« Soave sia il vento » Cosi fan tutte)
Mais il a, par la suite, la mauvaise idée d’interpréter les Nuits d’Eté de Berlioz, chantant sans pudeur ces airs si subtils et beaucoup trop complexes pour sa voix qu’il se contente de savonner. On comprend son attachement sincère à une telle musique, mais ce n’est pas ainsi que l’on peut défendre un tel compositeur.
De même pour le « Saove sia il vento » sauvé par ces deux amies, Kathryn Guthrie et Janis Kelly, complètement irréaliste pour les amoureux d’art lyrique avertis, mais qui a peut-être séduit de nouveaux amateurs…
Rufus Wainwright
Le reste du programme fait un détour par « If I loved you » de Carousel, pour revenir aux balades où l’on retrouve la suavité de sa belle candeur adolescente. On peut ainsi entendre pour la première fois avec un orchestre classique, « Oh, what a world !», une composition construite sur le Boléro de Ravel, et qui chante le désespoir face à un monde de plus en plus insensé.
Parmi les quatre bis, on réécoute avec nostalgie "Hallelujah" (John Cage) et « Going to a Town », balade dédiée à une Amérique qui n’en finit pas avec ses traumatismes post-2001.
Mais, quelque part, les spectateurs sont devenus malgré eux voyeurs d’une soirée d’anniversaire privée, en famille, où sont apparus la sœur de Rufus, Martha Wainwright, et, resté dans la salle au parterre, Jorn Weisbrodt, son compagnon avec qui il est marié depuis un an.
Martha Wainwright
Cette possibilité de mettre sa propre vie en scène est sans doute un privilège, mais on espère retrouver, plus tard, un Rufus Wainwright pour lequel le public qui l’a soutenu à l’origine puisse se rapprocher de nouveau de la simplicité et de la proximité qui plut tant.
Elias (Felix Mendelssohn) Concert du 12 juin 2012 Basilique Sainte-Clotilde
Avec Stéphane Degout, Sarah-Jane Brandon, Clémentine Margaine, Stanislas De Barbeyrac, Lucy Hall
Direction Raphaël Pichon Orchestre 430 Chœur de chambre Otrente
Basilique Sainte-Clotilde
Entre deux représentations d'Hippolyte et Aricie, Stéphane Degout a eu la générosité de venir incarner le rôle d'Elias, prophète auquel Felix Mendelssohn dédia un oratorio, au cœur de la Basilique Sainte-Clotilde.
En regard des solistes qui l‘accompagnent, deux sopranos (Sarah-Jane Brandon, Lucy Hall), une mezzo (Clémentine Margaine) et le ténor Stanislas De Barbeyrac (Atelier lyrique de l'Opéra national de Paris), le baryton rend une figure à la fois simple et profonde de cet homme, avec une fascinante impression de solidité intérieure et de maturité, bien en avance sur son jeune âge.
Stéphane Degout (Elias)
Inévitablement, les voix aériennes du chœur et la texture musicale se dissipent fortement dans les hauteurs de la nef, si bien que l'on se trouve plongé dans un état d'esprit un peu vague et réflexif face au magnifique orgue en bois orné de flèches d’argent gothiques.
Mais quand Elie se résigne à quitter la vie, Stéphane Degout interprète un Es ist genug! qui en éprouve irrésistiblement la gravité et la tristesse, nous ramenant à quelque chose de très humain. Cet instant de vérité, arrivé sans s'y attendre, ne s’oubliera pas.