Publié le 28 Septembre 2015

Eclipse Totale de Lune du 28 septembre 2015

Très attendue, cette éclipse totale de Lune a pu être observée depuis l'ensemble du continent américain, l'Europe et l'Afrique. Seuls les habitants de l'Asie et de l'Australie n'ont pu la voir.

Eclipse Totale de Lune du 28 septembre 2015 vue depuis Paris

Elle avait la particularité de se produire au passage de la Lune à son périgée, c'est à dire à sa distance la plus proche de la Terre, soit 354.000 km, rendant ainsi son éclat plus impressionnant.

Entrée dans l'ombre (3h07)

Entrée dans l'ombre (3h07)

A Paris, dans un ciel totalement dégagé, la Lune est entrée dans la pénombre de la Terre à 2h11mn - la pénombre est la région de l'Espace où le Soleil paraît partiellement éclipsé par la Terre.

Photomontage de l'avancée de l'ombre à 3h21, 3h39 et 3h45

Photomontage de l'avancée de l'ombre à 3h21, 3h39 et 3h45

C'est ensuite à partir de 3h07mn que la Lune a commencé à entrer dans l'ombre de la Terre, zone depuis laquelle le Soleil paraît totalement éclipsé par notre planète.

Les dernières minutes avant la totalité à 4h et 4h07 (Temps de poses de 1/2s et 1s, Iso 200)

Les dernières minutes avant la totalité à 4h et 4h07 (Temps de poses de 1/2s et 1s, Iso 200)

Puis, à 4h11mn, la Lune s’est trouvée intégralement dans l’ombre, ce qui signifie que depuis son sol, on pouvait y observer une Eclipse Totale de Soleil qui allait durer 1h12mn.

Enfin, à partir de 5h23mn, la Lune a progressivement quitté la zone d’ombre jusqu’à 6h30.

La totalité à 4h30 (Temps de pose de 4s, Iso 200). Les étoiles faibles du Poisson sont visibles.

La totalité à 4h30 (Temps de pose de 4s, Iso 200). Les étoiles faibles du Poisson sont visibles.

Cet évènement était absolument fabuleux à suivre que ce soit à l’œil nu ou aux jumelles.

A l’œil nu, dès l’approche de la totalité, la Lune donnait l’impression de devenir un anneau d’un rouge éclatant, car les mers, c'est-à-dire les plaines situées sur sa face dirigée vers nous, devenaient plus sombres que le bord lunaire. La surbrillance de ce contour était d’une beauté naturellement magique.

Au maximum de l'ombre à 4h46 (Temps de pose de 1,3s)

Au maximum de l'ombre à 4h46 (Temps de pose de 1,3s)

En revanche, aux jumelles, cette impression lumineuse s’estompait, car l’augmentation de lumière induite avait tendance à uniformiser les coloris d’ensemble en une nimbe rouge-orangée, faisant alors apparaître les petites étoiles de faible magnitude (entre 7 et 8) de la constellation du Poisson environnant l’astre sélène.

5h04, à 20 minutes de la fin de la totalité (Temps de pose de 1,3 s)

5h04, à 20 minutes de la fin de la totalité (Temps de pose de 1,3 s)

Ce spectacle s’est déroulé au-dessus de la ville encore endormie, par une température clémente, et dans un calme hors du temps.

Photomontage jusqu'à la fin de la totalité, à 5h11, 5h22, 5h24 et 5h25 (Temps de poses de 1s et 1/2s)

Photomontage jusqu'à la fin de la totalité, à 5h11, 5h22, 5h24 et 5h25 (Temps de poses de 1s et 1/2s)

Les deux prochaines éclipses de Lune visibles à Paris auront lieu le 27 juillet 2018 – la Lune se lèvera à 21h30 totalement éclipsée et le restera jusqu’à 23h15, à près de 405.000 km de la Terre -, puis le 21 janvier 2019, entre 5h40 et 6h43, à 355.000 km de la Terre, mais dans des conditions inévitablement hivernales.

Photomontage de la sortie de l'ombre à 5h27 et 5h37 (Temps de poses de 1/8s et 1/15s)

Photomontage de la sortie de l'ombre à 5h27 et 5h37 (Temps de poses de 1/8s et 1/15s)

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Rédigé par David

Publié dans #Astres, #Eclipse

Publié le 26 Septembre 2015

Philharmonique de Radio France (dm Mikko Franck)
Concert du 25 septembre 2015
Philharmonie – Grande salle

Erich Wolfgang Korngold
Concerto pour violon et orchestre en ré majeur (1945)
Violon Vilde Frang

Gustav Mahler
Das Lied von der Erde (Le Chant de la terre) (1908)
Mezzo-soprano Alisa Kolosova
Ténor Christian Elsner

Direction musicale Mikko Franck
Orchestre Philharmonique de Radio France

 

                                           Alisa Kolosova

Une semaine après son concert de rentrée à l’Auditorium de la Maison de la Radio, l’Orchestre Philharmonique de Radio France se retrouve dans la grande salle de la Philharmonie pour jouer deux œuvres en mémoire de Gustav Mahler et d’un jeune compositeur qui lui fut présenté alors qu’il n’avait que 9 ans, Erich Wolfgang Korngold.

Mikko Franck

Mikko Franck

Le concert de ce soir ne suit pas l’ordre chronologique, puisqu’il débute par le concerto pour violon en ré majeur, dédié à Alma Mahler-Werfel, la veuve du compositeur autrichien.

Au cours de sa période américaine, Korngold était devenu un fantastique compositeur de musiques de films d’aventures historiques, avec pour héros Errol Flynn, dont l’Aigle des Mers reste le chef-d’œuvre épique.

Ce concerto pour violon marque cependant la fin de cette vie américaine, et la préparation au retour vers le Vieux Continent, sorti enfin de la guerre.

La salle à la fin du concert

La salle à la fin du concert

En avant des emphases d’un orchestre opulent, la violoniste norvégienne Vilde Frang laisse transparaître une personnalité ardente et irradiante, et un sens de l’accompagnement lyrique stupéfiant au fil des ondes de l’ensemble. Les irisations sont travaillées avec une précision d’orfèvre, et sa virtuosité joyeuse est d’autant plus captivante que le Philharmonique lisse les nappes orchestrales sans exagérer la composante hollywoodienne et nostalgique de la musique.

Dans la seconde partie, la composition crépusculaire de Gustav Mahler atteint des sommets d’immatérialité qui imprègnent et subjuguent notre conscience au point de nous faire perdre tout sens du réel.

Christian Elsner

Christian Elsner

Les voiles des cordes s’évaporent de toutes parts, le corps dense des bois du Philharmonique ramène à une sérénité terrestre poétique, et Mikko Franck mène cet élan orchestral vers des hauteurs majestueuses qu’il contrôle magnifiquement, pour les faire s’éteindre ensuite avec un art de l’achèvement d’une perfection impressionnante.

Et Christian Elsner laisse entendre la clarté sans tension de son chant qui, inévitablement, se dilue dans une acoustique peu favorable aux voix, bien que, et ce sera la plus belle des surprises, celle d’ Alisa Kolosova arrive à toucher même ceux qui l’entendent de dos.

Alisa Kolosova

Alisa Kolosova

La mezzo-soprano russe est en effet toujours fascinante dans les rôles charmeurs et posés – Olga, dans Eugène Onéguine, est un personnage qu’elle incarne avec beaucoup de sensualité -, mais, ce soir, elle porte une profonde langueur, un grand chant d’espoir qui s’évade vers un horizon sans limite, amplifiée par les gestes enrobés de Mikko Franck.

Comment avoir envie de parler après avoir entendu une telle beauté d’interprétation?

 

Disponible en réécoute sur France Musique jusqu'au 25 octobre.

 

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Publié le 22 Septembre 2015

La Maison des Réfugiés accueille Les Cassandres
Spectacle du 21 septembre 2015
Maison des Refugiés – Paris XIXème

Soprano Marie Soubestre
Violoncelliste Clotilde Lacroix
Accordéoniste Sven Riondet
Mise en espace Dorothée Daffy

Improvisation pour violoncelle et accordéon
Villa Lobos Bachianas Brasilieras n°5
B.Britten On this island, Now the leaves are falling fast
B.Britten On this island, Nocturne
J.S Bach Suite pour violoncelle seul numéro 1
Henry Purcell Dido’s Lament
Henry Purcell Music for a while
Hans Eisler Mein Sohn, was immer auch aus dir werde

                                                                                       Dorothée Daffy (mise en espace)

En choisissant de se représenter sous les soubassements de la Maison des Réfugiés, au 12 rue Jean-Quarré du 19ème arrondissement, les Cassandres se sont rendus sur un lieu controversé depuis ces derniers mois, car cet ancien lycée abandonné abrite, dans des conditions précaires, plusieurs centaines de réfugiés Soudanais, Afghans et Nord-Africains.

Les Cassandres à la Maison des Réfugiés de la rue Jean-Quarré

Ceux-ci attendent qu’une solution soit trouvée pour les reloger dans des conditions plus décentes, sans défavoriser les sans-abris.
On pourrait trouver incongru de voir s’installer, au fond de la cour, un accordéoniste, Sven Riondet, et une violoncelliste, Clotilde Lacroix, espérant capter l’attention accaparée par les jeux de ballon.

Sven Riondet (Accordéon) et Clotilde Lacroix (Violoncelle)

Sven Riondet (Accordéon) et Clotilde Lacroix (Violoncelle)

Pourtant, dès les premiers accords sombres et improvisés, plusieurs dizaines d’habitants, de tout âge, mais assez jeunes, se sont regroupés autour d’eux, tout en respectant une certaine distance.
Sans le savoir, ce public s’est pris à entendre des airs très rares, dont deux extraits d’On this Island de Benjamin Britten, qui s’inscrivent dans le même désir mélancolique d’une paix qui n’arrive jamais, et donc d’une attente où se rejoignent un idéal politique et le sentiment de solitude.

Les Cassandres à la Maison des Réfugiés de la rue Jean-Quarré

La sonorité âpre mais brillante du violoncelle s’adresse aux cordes sentimentales, alors que l’accordéon joue plus discrètement le rôle d’une humeur de fond, contrairement à l’image enjouée et populaire que l’on peut en avoir habituellement.
Marie Soubestre est alors la voix humaine, intense et inflexible, qui ne souffre d’aucune peur de la proximité avec ceux envers qui elle renvoie son chant intérieur détaché ou bien ironique.

Marie Soubestre (Soprano), Sven Riondet (Accordéon) et Clotilde Lacroix (Violoncelle)

Marie Soubestre (Soprano), Sven Riondet (Accordéon) et Clotilde Lacroix (Violoncelle)

Beaucoup sont captivés, certains très émus, d’autres filment et enregistrent cet instant éphémère, qui leur aura fait entendre les lamentations de Purcell, et éprouver le pathétique des sentiments humains dans une pure expression musicale intemporelle.
Et que de sourires aussi, malgré l’incertitude et les tensions du moment!

Marie Soubestre (Soprano)

Marie Soubestre (Soprano)

Pour se souvenir d'eux, les sites numériques de Clotilde Lacroix, de Sven Riondet, et des Cassandres.

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Publié le 20 Septembre 2015

Tannhäuser (Richard Wagner)
Représentation du 19 septembre 2015
Vlaamse Opera Gent

Hermann Ante Jerkunica
Tannhäuser Burkhard Fritz
Elisabeth Annette Dasch  
Venus Ausrine Stundyte
Wolfram von Eschenbach Daniel Schmutzhard
Walther von der Vogelweide Adam Smith
Biterolf Leonard Bernad
Heinrich der Schreiber Stephan Adriaens
Reinmar von Zweter Patrick Cromheeke

Mise en scène Calixto Bieito
Direction Dmitri Jurowski

Orchestre symphonique et Choeur de l'Opéra des Flandres        Daniel Schmutzhard (Wolfram)

Coproduction avec le Teatro La Fenice di Venezia, Teatro Carlo Felice Genova, Konzert Theater Bern

Avec la Lady Macbeth de Mzensk composée par Dmitri Chostakovitch, Calixto Bieito a signé à l’Opéra des Flandres une de ses plus grandes mises en scène née de la rencontre de deux regards féroces sur la vie.
Mais l’idéalisme artistique du jeune Richard Wagner peut-il résister à un esprit aussi impitoyable à l’égard de toutes les illusions ?

Ausrine Stundyte (Vénus) et Burkhard Fritz (Tannhäuser)

Ausrine Stundyte (Vénus) et Burkhard Fritz (Tannhäuser)

Le directeur catalan laisse en effet totalement de côté la question du sens de la création artistique face à la société, pour transformer Tannhäuser en une réflexion sur la déconnexion d’une société bourgeoise avec l’environnement naturel d’où elle est née.
Le monde de Vénus est celui de la forêt originelle avec laquelle la déesse entretient une relation sensuelle très fortement sexuelle, et l’on peut ainsi voir la superbe Ausrine Stundyte y prendre un plaisir énergisant, et tenter d’y soumettre un vagabond, Tannhäuser, largement dépassé par la situation. Le pouvoir érotique de la soprano autrichienne est non seulement physique, mais également vocal, car son timbre noir très riche et corsé possède une séduction animale un peu brute qui lui donne une présente forte, et la sensation d’un instinct dangereux pour celle ou celui qui s’y oppose.

Ausrine Stundyte (Vénus)

Ausrine Stundyte (Vénus)

Après un premier acte passé dans les clairs obscurs de branchages tournoyants qui rappellent la forêt que Romeo Castellucci avait imaginé pour Parsifal à la Monnaie de Bruxelles, Calixto Bieito transpose les deux actes suivants dans un intérieur stylisé par des colonnes d’un blanc éclatant et artificiel, qui se recouvriront, au final, de feuillages et de terre.
Tannhäuser et Elisabeth créent le scandale à la salle des chanteurs de Wartburg par leur ferveur qui choquent les frères d’armes, poussant ces derniers à le faire payer à la nièce du landgrave par un enserrement violent.

 

Annette Dasch (Elisabeth)

Annette Dasch (Elisabeth)

Le troisième acte est une description particulièrement haineuse des sentiments de Wolfram à l’égard de celle qu’il aime, avant que ne revienne Vénus, victorieuse, acclamée de tous, qui aura prouvé son ascendant irrésistible sur les valeurs sociétales hypocrites.
On ne peut qu’admirer l’engagement total qu’obtient le metteur en scène des chanteurs dans ce jeu naturaliste qui les enlaidit tous, mais les valeurs de retour à la nature qu’il prône, tout aussi sympathiques et spirituelles qu’elles soient, ne semblent pas les mieux adaptées à un ouvrage qui traite, en premier lieu, d’un conflit intérieur.

Burkhard Fritz (Tannhäuser)

Burkhard Fritz (Tannhäuser)

Sur scène, on retrouve au côté d’Ausrine Stundyte deux artistes qui se sont récemment produits à Bayreuth, Burkhard Fritz (Parsifal - 2012) et Annette Dasch (Elsa dans Lohengrin en 2015).
Le ténor allemand, qui avait été fortement éprouvé par la tessiture tendue du Chant de la Terre peu de temps auparavant au Palais Garnier, a retrouvé une plénitude vocale avec un moelleux expressif qui rend son Tannhäuser attendrissant et d’une entière présence. Et il convoque corps et âme pour apparaître comme le plus crédible des artistes.

Daniel Schmutzhard (Wolfram) et Burkhard Fritz (Tannhäuser)

Daniel Schmutzhard (Wolfram) et Burkhard Fritz (Tannhäuser)

Quant à Annette Dasch, après une première apparition lascive, elle investit l’espace en reprenant le tempérament naïf et infantile d’Elsa plaqué sur Elisabeth, sans éviter d’exagérer un peu trop ses outrances. Son timbre, et particulièrement son médium si charmeur, est à en fendre le cœur, et elle gagne en profondeur au fil de la soirée, exubérante dans les aigus, tout en libérant une force fragile que Calixto Bieito abîme en la faisant descendre de son piédestal, au point de la voir se nourrir de terre au dernier acte, image inutilement provocatrice.

Annette Dasch (Elisabeth)

Annette Dasch (Elisabeth)

Ante Jerkunica est évidemment un Hermann d’une stature vocale imposante, et Daniel Schmutzhard, un baryton clair pour le rôle de Wolfram, en dénue la noblesse avec l’aide du metteur en scène, pour incarner un personnage d’une névrose totalement maladive. La sensibilité habituelle de cet homme poète s’efface alors pour laisser place à une personnalité agressive que l’on n’imagine pas naturellement.

Jeune chanteur récemment impliqué dans une bonne partie de la programmation de l’Opéra des Flandres, Adam Smith apporte une touche de charme autant physique que vocale au rôle de Walther.

Burkhard Fritz, Calixto Bieito, Annette Dasch, Rebecca Ringst (Décors), Dmitri Jurowski, Ingo Krügler (Costumes) et Ausrine Stundyte

Burkhard Fritz, Calixto Bieito, Annette Dasch, Rebecca Ringst (Décors), Dmitri Jurowski, Ingo Krügler (Costumes) et Ausrine Stundyte

Dans la fosse d’orchestre, Dmitri Jurowski fait d’emblée entendre au cours de l'ouverture son peu d’empathie pour les trivialités de Wagner, et il en modifie les couleurs pour privilégier la théâtralité des percussions. Mais ensuite, dans le second et, surtout, le troisième acte, il fait ressortir les moindres frémissements et les teintes intimes de la musique, qui lui permettent de montrer comment les cordes et les vents de son orchestre ne sonnent jamais aussi bien que lorsqu’ils se parent du mystère des sonorités slaves. Son empreinte théâtrale est forte, liée solidement à l’action scénique, et l’osmose avec un chœur exceptionnel dans l’élégie, en fond de scène, et dans les grandes déclamations, en avant-scène, libère un immense souffle revitalisant.

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Publié le 17 Septembre 2015

Orchestre de l’Opéra National de Paris (Ph.Jordan – G.Kühmeier)
Concert du 16 septembre 2015
Philharmonie – Grande salle

Variations pour orchestre, op.31 (Arnold Schönberg)
Symphonie n°4 (Gustav Mahler)

Soprano Genia Kühmeier
Direction musicale Philippe Jordan
Orchestre de l’Opéra National de Paris

 

 

                                     Philippe Jordan

 

Après le Ring et les neuf symphonies de Beethoven, Philippe Jordan débute un nouveau cycle dédié cette fois au grand compositeur viennois, Arnold Schönberg.
Au cours de la saison, deux autres concerts lui seront voués, l’un au Palais Garnier le 25 octobre, l’autre à la Philharmonie le 19 avril, dans le prolongement de la trainée laissée par le passage de son œuvre majeure à l’Opéra Bastille, Moïse et Aaron.

Croissant de Lune dans le couchant depuis la Philharmonie

Croissant de Lune dans le couchant depuis la Philharmonie

On se souvient avec quelle envie Philippe Jordan s'était évertué à faire partager sa passion pour la musique de Schönberg, lors des journées Tous à l’Opéra, en la dédramatisant.
Et à l’écoute du concert de ce soir, on ne peut qu'admirer sa manière à mettre en avant la finesse et la poésie d’une œuvre construite sur le sérialisme et les dissonances, et son attention à l'unir selon une forme d’onde coulante où se dissimule un désir de séduction. Mais a t-il raison d'éluder aussi franchement la rugosité grinçante des accords et l’ambiance tendue qui, par moment, devrait pincer au cœur ? Ne laisse-t-il pas un peu de côté le regard perçant d’un compositeur qui inspira Bernard Herrmann, le créateur des musiques d’Alfred Hitchock ?

Philippe Jordan

Philippe Jordan

La symphonie n°4 de Gustav Mahler apparaît alors comme une œuvre merveilleuse qui laisse au chef d'orchestre un large champ d’expression pour sa pleine subtilité, pour son attachement profond au charme des couleurs viennoises, et pour un enivrant art de l’éclat qui fait briller tous les petits reflets chantants des instruments. Il est fascinant d’entendre comment cette musique, moins marquée par le pathétisme inhérent au compositeur, peut être aussi subjugante et innervée par des volutes d’un sensualisme exacerbé par l’hédonisme caressant du directeur musical.

Salle de la Philharmonie à la fin du concert

Salle de la Philharmonie à la fin du concert

Ce voyage dans une limpidité qui surpasse sa part d’ombre prend, de plus, une dimension noblement humaine grâce à la belle voix apaisante et chargée de compassion de Genia Kühmeier.

Philippe Jordan, par l’esprit qu’il insuffle à ses musiciens et solistes, est véritablement une incarnation de la Joie qui rayonne en toutes circonstances.

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Publié le 14 Septembre 2015

Das Rheingold (Richard Wagner)
Représentation du 12 septembre 2015
Jahrhunderthalle - Bochum
Ruhrtriennale 2015

Wotan Mika Kares
Donner Andrew Lee Foster-Williams
Froh Rolf Romei
Loge Peter Bronder
Alberich Leigh Melrose
Mime Elmar Gilbertsson
Fasolt Frank van Hove
Fafner Peter Lobert
Fricka Maria Riccarda Wesseling
Freia Agneta Eichenholz
Erda Jane Henschel
Woglinde Anna Patalong
Wellgunde Dorottya Láng
Floßhilde Jurgita Adamonytė
Sintolt, der Hegeling, Diener Stefan Hunstein

Musique électronique Mika Vainio
Mise en scène Johan Simons                                           Teodor Currentzis

Direction Musicale Teodor Currentzis
Music Aeterna Ensemble

Quand l’on contemple les murs de briques rouges, noircies par le temps, les immenses cuves rouillées, les enchevêtrements de canalisations tubulaires, les complexes industriels de la Ruhr se révèlent être un lieu qui s’impose pour mettre en scène l’histoire de la lutte des classes ouvrières.

Ainsi, si Johan Simons a choisi de monter l’Or du Rhin, ce n’est pas pour initier une nouvelle Tétralogie, mais pour mettre en avant la pièce du cycle wagnérien la mieux adaptée pour représenter l’exploitation d’une majorité par une minorité. Le Rhin, par ailleurs, irrigue la région de la Ruhr au bord de Duisburg et à quelques kilomètres de Bochum.

Maria Riccarda Wesseling (Fricka)

Maria Riccarda Wesseling (Fricka)

Il n’y aura donc probablement pas de suite à ce spectacle, mais il aura laissé à l’ensemble des auditeurs une impression musicale qui les embrase, et un regard fort sur des personnages tous très bien incarnés.
La première surprise qui attend le spectateur, à son entrée dans la halle, est le lieu de la production.
La halle n°3 de la Jahrhunderthalle de Bochum est en effet l’endroit où fut créée la fantastique version de la Flûte Enchantée de La Fura Dels Baus, diffusée sur Arte, et malheureusement mal adaptée à sa reprise sur la scène étriquée – par comparaison avec l’immensité des bâtiments des villes minières de la Ruhr – de l’Opéra Bastille.

Das Rheingold (Currentzis-Simons-Wesseling-Kares) Ruhrtriennale 2015

Sa conception évoque un hangar à avions ou un hall de gare, et son toit si haut, composé de plaques translucides qui laissent passer la lumière du jour, donne réellement l’impression d’une cathédrale industrielle des temps modernes.
D’autant plus que le dispositif scénique conçu par Johan Simons est plutôt inhabituel.
Au premier plan, gisent parmi les décombres d’un toit aux moulures aristocratiques les corps de trois fausses filles du Rhin, étendus au milieu de quelques flaques d’eau.
En surplomb, l’orchestre occupe toute la partie centrale, les harpes dominent harmonieusement son aile gauche, et un gong doré et éclatant se dissimule sous son aile droite.

Das Rheingold (Currentzis-Simons-Wesseling-Kares) Ruhrtriennale 2015

Les chanteurs n’auront alors de cesse de traverser cet orchestre de part en part, pendant que les musiciens jouent, afin de passer de l’avant-scène à l’arrière scène qui, elle, représente un échafaudage enserrant une demeure bourgeoise en construction.
Le décor est parfaitement lisible, et Johan Simons fait revivre avec humour le monde d’une grande famille industrielle, richement habillée, servie par des domestiques à la tenue impeccable, et disposant de Freia, transformée en call-girl, pour dispenser ses fruits de jeunesse éternelle sous forme de services sexuels.
A l’opposé, Alberich vit dans la fange et la frustration sexuelle, se laisse abuser par les filles du Rhin, mais leur prend l’Or, symbolisé dans cette production par le charbon, la véritable richesse de la région.

Mika Kares (Wotan)

Mika Kares (Wotan)

La fin désastreuse est donc annoncée dès le début, et la véritable force de la mise en scène repose sur la violence des rapports humains dans la mine d’Alberich, dont nombre d’effets rappellent ceux que Johan Simons avaient utilisé pour Simon Boccanegra à l’Opéra National de Paris – on pense à la cache d’où sortait Adorno, reprise ici pour Wotan et Loge déguisés en mineurs, et au clivage entre la classe aristocratique et la plèbe. Et règne toujours ce goût pour l’esthétique du dénuement et de l’humain dans ce qu’il a de plus banal.

Agneta Eichenholz (Freia) et Maria Riccarda Wesseling (Fricka)

Agneta Eichenholz (Freia) et Maria Riccarda Wesseling (Fricka)

Cette obsession enthousiaste pour la Révolution prend toutefois une forme un peu lourde, mais qui a de quoi enchanter, quand, au moment de la descente dans la mine, des musiciens et Currentzis lui-même quittent la scène pour aller cogner du marteau, pendant qu’un acteur, Stefan Hunstein, appelle au soulèvement des esclaves contre la poignée de privilégiés.
L’effet est délirant et assommant, impossible à réaliser sur une scène d’opéra.
Et dans cette version, Fafner émerge comme le grand vainqueur, lui aussi un ouvrier, qui n’aura laissé aux Dieux qu’une maison en toc dans laquelle ils ne peuvent entrer.
Il s’agit ainsi d'un rêve de revanche du travailleur sur le capital.

Il y a cependant une victoire qui est totalement incontestable, celle des musiciens, du chef et de l’ensemble des chanteurs.

Musica aeterna et Teodor Currentzis

Musica aeterna et Teodor Currentzis

A notre grande surprise, l’acoustique de la Jahrhunderthalle est formidablement favorable aux chanteurs et à l’orchestre. Elle agit comme un véritable liant sonore entre les différents plans musicaux, sans réverbération excessive, et ennoblit chaque voix en en faisant entendre toute la délicatesse des nuances, de loin comme de près.
Ainsi, les trois filles du Rhin, Anna Patalong, Dorottya Láng et Jurgita Adamonytė, sont toutes trois jeunes, charnelles et enjôleuses car elles ont une profondeur vocale sensuelle et présente.
Jane Henschel, Erda aveugle et prophétique, grimée en vieille dame qui pourrait être la mère du Dieu des dieux, devrait être leur exact contraire. Mais quand elle intervient au milieu des décombres, le galbe de son chant est d’une grâce solennelle stupéfiante qui invite à un accueil total et captivant.

Elmar Gilbertsson (Mime)

Elmar Gilbertsson (Mime)

D’une très belle carrure, Mika Kares n’en a pas moins une malléabilité qui lui permet de peindre un Wotan nonchalant, calme et sûr de lui en toutes circonstances, une voix très souple et solide qui cache aussi un caractère violent dont Mime fera les frais.
Et d’une taille bien plus modeste, Peter Bronder déroule son personnage de Loge en s’attachant à le jouer comme dans une comédie de boulevard, s’agitant beaucoup, mais avec également une assurance et un mordant vocal saisissants.

Das Rheingold (Currentzis-Simons-Wesseling-Kares) Ruhrtriennale 2015

Pour celles et ceux qui ont eu la chance de la découvrir à ce moment-là, Maria Riccarda Wesseling s’est fait connaître à l’Opéra National de Paris en 2006, lorsqu’elle dut remplacer Susan Graham à la première dIphigénie en Tauride mise en scène par Krzysztof Warlikowski. Elle avait été prévenue deux heures seulement avant le spectacle…
Elle a notamment continué à explorer le répertoire Baroque ou Classique (Monteverdi au Teatro Real de Madrid, Gluck à l’Opéra Garnier), mais qui aurait imaginé qu’elle se risquerait dans un rôle wagnérien tel que celui de Fricka ?

Maria Riccarda Wesseling (Fricka)

Maria Riccarda Wesseling (Fricka)

Dans l’Or du Rhin, ce rôle est plus clair que dans la Walkyrie, ce qui lui convient très bien vocalement, et comme elle est une artiste qui a le sens du théâtre, elle s’amuse magnifiquement de son personnage en le rendant très humain et attachant, décrivant des sentiments de joie ou d’inquiétude naturellement expressifs.
Cette richesse émotionnelle se retrouve aussi lorsqu’on la rencontre en personne, une énergie qu’elle rayonne avec bonheur.

 

Leigh Melrose (Alberich)

Leigh Melrose (Alberich)

Mais deux autres chanteurs occupent une place importante dans cet opéra, Leigh Melrose (Alberich) et Elmar Gilbertsson (Mime).
Le premier fait vivre tous les aspects les plus noirs du nain au point de le transformer en bête terriblement frustrée et névrosée, déformant même l’impétuosité de sa jeunesse vocale pour la plier aux laideurs du Nibelungen.
Le second est tout aussi humain, sans faux-semblants, formidablement présent.
Tous deux ont de plus des rôles très ingrats qui les poussent à se salir dans les eaux boueuses de la mine, mais Johan Simons veut montrer à travers eux comment cette humanité résiste malgré l’humiliation.

 

Peter Lobert (Fafner)

Peter Lobert (Fafner)

Les autres seconds rôles sont tous impliqués intégralement dans ce jeu de façade, même s’il y aura un grand vainqueur qui finira par transformer le charbon en or, Peter Lobert dans le rôle de Fafner. Jeune et Costaud, ce chanteur bonhomme surprend à plusieurs reprises les spectateurs quand il provient de leurs gradins pour devenir ainsi le pendant de Wotan, le symbole du peuple qui va réussir à prendre sa revanche.

Mais tous ces chanteurs n’auraient sans doute pas donné autant d’eux-mêmes s’ils n’avaient été liés par l’énergie galvanisante de Teodor Currentzis.

Anna Patalong, Dorottya Láng, Jurgita Adamonytė (Les filles du Rhin) et Jane Henschel (Erda)

Anna Patalong, Dorottya Láng, Jurgita Adamonytė (Les filles du Rhin) et Jane Henschel (Erda)

L’ensemble Musica Aeterna est connu pour ses couleurs baroques chatoyantes, mais qui aurait pensé qu’il puisse prendre, dans cette halle certes magnifique pour déployer les qualités sonores sans en altérer la moindre teinte, une ampleur wagnérienne aussi éclatante ?
Les cuivres dorent les ensembles - en délivrant même une ampleur de lame de fond d’une rondeur parfaite -, les cordes, et particulièrement les basses, soulèvent des ondes monstrueuses, les coups de théâtre sont toujours tendus et bien timbrés, claquant avec ce plaisir jouissif de la part du chef d’orchestre à surprendre par sa soudaineté.

Teodor Currentzis ose même fait jouer l'orchestre debout, telle une armée levée vers le combat au passage dans le monde des Nibelungen, avant que l'on n'entende plus que le martèlement des enclumes.

Teodor Currentzis

Teodor Currentzis

Mais il a également un goût aristocratique pour l’ornementation que l’on peut apprécier, par exemple, dans la scène de l'évocation amoureuse de Fasolt pour son idéal féminin, où la langueur du sentiment se transforme en un tournoiement allègre du motif du hautbois, qui émerge de l'orchestre subitement pour y disparaître comme aspiré par son propre courant.

Ce sont tous les détails en apparence fantaisistes et les recherches d’effets déments (à l’instar de ces coups de gong d’argent fantastiques) emportés dans l’avancée de la musique qui nous auront immergés dans une exaltante expérience musicale que l’on n’est pas prêt d’oublier.
L’avenir est à ces musiciens fougueux, les joyaux essentiels de notre époque.

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Publié le 12 Septembre 2015

Prometeo - Tragedia dell'ascolto (Luigi Nono)
Représentation du 11 septembre 2015
Landschaftspark Duisburg-Nord

Kraftzentrale - Ruhrtriennale 2015

Sopran - Susanna Andersson, Christina Daletska
Alt - Els Janssens-Vanmunster, Noa Frenkel
Tenor - Markus Francke
Sprecher - Caroline Chaniolleau, Mathias Jung

Ensemble Modern Orchestra, SCHOLA Heidelberg, Experimentalstudio des SWR

Direction musicale Ingo Metzmacher, Matilda Hofman

Coproduction Holland Festival, Zürich Tonhalle et Festival d’Automne à Paris.

                                                                                  Entrée de la Kraftzentrale

En programmant Prometeo dans la grande Kraftzentrale de Duisburg, un des symboles sidérurgiques de cette région qui connut progrès puis déclin économique, le site de la Ruhrtriennale fait peser tout son passé industriel sur la musique de Luigi Nono.
Car c'est à une expérience sensorielle forte et unique et à une remémoration simultanée de son histoire, que l'auditeur est invité sous l'immense chapiteau d'une usine devenue maintenant ouvrage d'Art moderne.

 

Entrée dans la Kraftzentrale

Entrée dans la Kraftzentrale

Quand les spectateurs se présentent à l'entrée du bâtiment, ils ont en premier lieu la surprise de voir que les ouvreuses ne laissent passer les gens que par poignées d'individus, qui s'éloignent ensuite à travers une brume humide. Des silhouettes se détachent sur le fond d'une nébuleuse bleutée, on se croirait partie d'un tableau vivant inspiré de la montée des âmes vers l'Empyrée de Jérôme Bosch.

Arrivés devant un sas, d'autres ouvreuses filtrent les entrées/sorties afin de rendre hermétique la séparation avec l'autre partie de la Kraftzentrale où va avoir lieu le concert.

Orchestre et Choeur

Orchestre et Choeur

Dans cette salle, nous découvrons alors un ensemble de bancs orientés dans tous les sens et recouverts de petits coussins. De là, chacun a nécessairement une vue sur plusieurs des huit ensembles de musiciens installés en hauteur, à flanc de muraille, sur les trois façades de l'usine. Et au pied du quatrième pan de séparation noir et translucide, un choeur et un orchestre situés cette fois à terre achève d'encercler les invités.

Prometeo (Nono- dm Metzmacher & Hofman) Ruhrtriennale 2015

Pendant deux heures et trente minutes, nous sommes ainsi immergés dans un univers de voix venues du ciel qui se répondent de part et d'autre de la salle, soit de manière directe, soit par un système d'amplification à base de haut-parleurs, qui permet ainsi de moduler dans le temps la présence de telle ou telle voix, de tels ou tels instruments, et de donner l'impression d'un lien invisible entre les différentes sources sonores.

Prometeo (Nono- dm Metzmacher & Hofman) Ruhrtriennale 2015

Pour profiter au mieux de la pleine spatialité sonore de cet ouvrage, chacun doit être dans un état de réceptivité débarrassé de toute pensée parasite ou contrariante, car les instruments jouent rarement une musique énergétique propre à bousculer les âmes. L'acier des cordes est par exemple simplement utilisé pour créer des effets de scintillements mystérieux ou des grincements austères, et l'atmosphère musicale s'apparente au fond sombre et lumineux sur lequel les voix s'évadent, à l'instar des mouvements d'étoiles isolées dans la masse invisible de notre univers.

Ces voix, elles, sont d'une pureté irréelle à en saisir le temps, quand leurs vibrations s'évanouissent dans l'instant.

La Kraftzentrale et les sections d'orchestre au salut final

La Kraftzentrale et les sections d'orchestre au salut final

Et comme la musique de Luigi Nono rejoint celle de Georgy Ligeti, il devient donc naturel, à certains moments, de se sentir emporté dans le film de Stanley Kubrick, 2001 l'Odyssée de l'Espace.

On en vient cependant à regretter que les spectateurs n'aient été allongés dans des chaises longues, pour les mettre dans un état de pleine réceptivité, le corps entier dirigé vers le ciel et soulagé de son poids.

En surplomb de l'orchestre situé au sol, Ingo Metzmacher et Matilda Hofman dirigent ces ensembles en ondulant les gestes de leurs mains en vagues, tels deux prophètes apaisant l'humanité.

Landschaftspark Duisburg-Nord, la nuit

Landschaftspark Duisburg-Nord, la nuit

Il y eut à Avignon, cet été, un spectacle de Christine Dormoy intitulé Transfabbrica où se côtoient l'univers de Paolini, Nono et Ligety. Il sera un évènement à suivre en France au cours de la saison 2015/2016, pour ses résonances avec le monumental ouvrage de Nono monté à Duisburg en ce moment même.

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Publié le 11 Septembre 2015

Don Giovanni (Wolfgang Amadé Mozart)
Répétition générale du 10 septembre 2015
             Opéra Bastille

Don Giovanni Artur Ruciñski
Il Commandatore Alexander Tsymbalyuk
Donna Anna Maria Bengtsson
Don Ottavio Matthew Polenzani
Donna Elvira Karine Deshayes
Leporello Alessio Arduini
Masetto Fernando Radó
Zerlina Nadine Sierra

Mise en scène Michael Haneke (2006)
Direction musicale Patrick Lange

                                                                                  Alexander Tsymbalyuk (Le Commandeur)

Pour la dernière reprise de la production de Michael Haneke à l’opéra Bastille – une nouvelle trilogie Da Ponte est en effet prévue à l’Opéra Garnier au cours des prochaines saisons -, la distribution artistique réunie ce soir démontre à quel point la vérité des relations humaines de pouvoir décrite par cette mise en scène ne peut avoir un impact fort qu’à la condition d’un engagement entier de ses interprètes.
Le décor bleuté et glacial de Christophe Kanter, dont la seule poésie se trouve dans la mosaïque de fenêtres éclairées sur les façades de building happés par la nuit, crée évidemment une ambiance de guet-apens. Porte dérobée, salle où l’action n’est point visible, couloir s’évanouissant dans l’obscurité, ascenseur par où chacun peut disparaitre, et le tout se trouvant rétroéclairé de façon surréaliste dans les scènes les plus dramatiques, la vie n’a plus qu’à entrer en scène pour montrer son vrai visage.

Maria Bengtsson (Donna Anna)

Maria Bengtsson (Donna Anna)

Le premier personnage à apparaître est Leporello. Alessio Arduini lui donne d’emblée un caractère unique et très autonome vis-à-vis de son maître, Don Giovanni. Il joue non seulement avec une grande souplesse, mais aussi avec l’intention de faire de son personnage un acteur majeur de la comédie. Il a la finesse de la jeunesse, le grave sombre du comploteur, et une aisance maligne qui réenchante ses airs.
L’arrivée de Maria Bengtsson nous fait alors découvrir une des plus émouvantes Donna Anna entendues sur cette scène. Elle chante comme si elle était traversée par un flux d’air sidéral perdu pour l’humanité, et ce chant aérien frémit de fragilité et de sensibilité, tout en restant incarné et mozartien par l’au-delà de l’humain qu’il exprime.

 

Artur Rucinski (Don Giovanni)

Artur Rucinski (Don Giovanni)

En revanche, Matthew Polenzani affirme très franchement l’autorité de Don Ottavio, et loin d’être un soupirant un peu éthéré, il prend la stature paternelle d’un Idoménée ou d’un Titus à tendance fortement dépressive.
Cette dépression, toutefois, nous la trouvons d’abord dans le personnage d’Elvira. Mireille Delunsch aura marqué comme aucune autre artiste ce rôle réinterprété scéniquement par Michael Haneke, qui en fait une femme dont l’âme est en perdition, détruite par l’alcool et par son ancien mari, au point d’en devenir sa meurtrière.

 

Fernando Rado (Masetto)

Fernando Rado (Masetto)

Karine Deshayes y engage toute sa violente flamme avec un tempérament qui rappelle beaucoup les héroïnes tragiques slaves. Ses déferlements passionnels impressionnent naturellement, certaines couleurs et intonations sombres résonnent d’une sincère fibre humaine, mais sa ligne de chant est bien plus trouble que l’épure de Maria Bengtsson.
Elle est surtout une femme qui souffre, mais pas une âme aussi noire et névrosée qu’elle devrait pourtant être.

 

Karine Deshayes (Elvira)

Karine Deshayes (Elvira)

Et bien qu’il n’ait pas la sensualité si ambiguë de Peter Mattei, le premier titulaire de ce rôle en 2006, Artur Rucinski dégage une animalité tout aussi violente qui rend le personnage de Don Giovanni antipathique comme jamais. Il a du charme quand il chante, de la virilité – mais aussi de la pudeur-, et donne le sentiment de suivre instinctivement une trajectoire pré-écrite pour son malheur.
Son combat avec l’impressionnant commandeur d’Alexander Tsymbalyuk est par ailleurs très poignant - et l'on ressent lourdement l'impact de ce choc sur lui -, d’autant plus que les silences s'étirent pour laisser le temps à l’angoisse du spectateur d’imaginer l’action qui va suivre.

 

Artur Rucinski (Don Giovanni) et Alessio Arduini (Leporello)

Artur Rucinski (Don Giovanni) et Alessio Arduini (Leporello)

Enfin, le charmant couple que forment Fernando Rado et Nadine Sierra a toute l’impulsivité irréfléchie de la jeunesse, la mezzo-soprano ayant de plus une présence vocale séduisante d’intelligence.
Mais quel raffinement dans la fosse d’orchestre ! Patrick Lange joue avec les musiciens pour leur faire maintenir une très belle ligne ondoyante, lumineuse et iréelle où s’enlacent toutes sortes de motifs de flûtes, de violons et de vents, onde vitale qui reste inaltérée par les coups du destin contenus pourtant dans la musique dès l’ouverture.
Ce courant de vie capteur de nos propres sens prend même une dimension profondément liturgique au tableau final, preuve que Mozart ne perd pas forcément son âme quand il est joué ainsi sur une scène aussi grande que Bastille.

Lire également le compte-rendu des représentations d'avril 2012.

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Publié le 4 Septembre 2015

Boston Symphony Orchestra
Concert du 03 septembre 2015
Philharmonie – Grande Salle

Don Quichotte (Richard Strauss)
Symphonie n°10 (Dmitri Chostakovitch)

Yo-Yo Ma, violoncelle
Steven Ansell, alto

Direction musicale Andris Nelsons
Boston Symphony Orchestra

 

En ouverture de sa première saison intégrale, la grande salle de la Philharmonie accueille le Boston Symphony Orchestra, un des grands orchestres internationaux dont Andris Nelsons a pris la direction depuis la saison précédente. Huit ans plus tôt, ce superbe ensemble luxuriant faisait alors l'ouverture de la saison 2007/2008 de la salle Pleyel avec La Damnation de Faust, un quatre septembre, sous la direction de James Levine.

Le flux de la vie culturelle et musicale parisienne reprend ainsi son rythme comme s’il s’agissait moins d’un évènement que d’un courant naturel qui retrouve son chemin vers ses lieux de vie sociale.

Andris Nelsons

Andris Nelsons

Cette soirée réunit dans un même programme deux œuvres totalement distinctes d’esprit, mais qui vont être liées par l’élan et la patine fluide et adoucie de cet orchestre qui vibre d’une énergie enthousiasmante.

La première partie est dédiée à un  large poème symphonique de Richard Strauss, peut être le plus attachant, Don Quichotte.

Ce poème est une allégorie du rêve du fameux chevalier qui pourrait être aussi celui de l’auditeur qui ré-imagine son univers et sa vie tout au long de la musique.

Et comme lors d’une traversée à la fois paisible et mouvementée du temps, l’orchestre fait vivre des ondes de tissus instrumentaux de cordes et de vents qui se fondent dans des mouvements continus se gorgeant d’un sang félin, pour rejoindre ensuite un univers ludique et poétique plus intime et toujours réconfortant.

 

Grande salle de la Philharmonie

Grande salle de la Philharmonie

L’emportement élancé de l’orchestre dans la saisissante « Chevauchée dans les airs » est exaltant par son sens ample et lent de la respiration, la masse s’élève dans les tourbillons des vents, et Andris Nelsons apparaît comme un peintre expressif des illusions.

Yo-Yo Ma, débonnaire et happé par la force vitale des musiciens, joue du violoncelle avec une sensibilité aigüe au jeu de ses partenaires, et de son corps penché par le cœur, son lien à l’orchestre en devient encore plus visible.

Mais dans la seconde partie, l’ombre que fait planer Staline sur la dixième symphonie de Chostakovitch se découvre dès le début. Cuivres sombres et menaçants, d’une finition rutilante, la férocité des accents contient un feu vital brillant qui résiste à la tentation d’une interprétation empesée et tragique.

Traits de flûtes fulgurants, nimbes claires et mystérieuses qui donnent le frisson, on se surprend à ressentir de l’espoir malgré les débordements violents de la musique, car il y a dans cette esthétique une chair tendre et harmonieuse, et toujours la vision de ce chef d’orchestre dont aucune gravité n’émane, sinon de la profondeur.

Et la chaleur réciproque avec laquelle chef et musiciens se répondent au salut final témoigne de cette immense estime qui les unit tous.

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