Orlando ou l’Impatience (Olivier Py) Théâtre de la ville
Publié le 13 Avril 2015
Orlando ou l’Impatience (Olivier Py)
Représentation du 10 avril 2015
Théâtre de la ville
Le fou Jean-Damien Barbin
Ambre Laure Calamy
Le Ministre Eddie Chignara
Orlando Matthieu Dessertine
Le Père Philippe Girard
La Grande actrice Mireille Herbstmeyer
Le Pianiste Stéphane Leach
Gaspard François Michonneau
Mise en scène Olivier Py
Production Festival d’Avignon 2014
Quelle importance le théâtre a-t-il dans la vie de chacun en tant que spectateur, acteur ou créateur ?
Pourquoi est-il nécessaire, même aujourd’hui, de rappeler aux hommes et femmes publiques le devoir de préserver l’expression artistique vivante dans un environnement qui tend à limiter les engagements financiers publics et à aggraver les inégalités sociales ?
Pour Olivier Py, le théâtre est une recherche de soi, une aide à l’aboutissement humaniste de toute une société.
Le personnage romanesque et androgyne d’Orlando décrit par Virginia Wolf devient le souffle inspirant de sa nouvelle pièce.
Sur scène, nous nous retrouvons ainsi face à de larges toiles peintes d’ocre et de noir, qui dessinent l’architecture d’une grande ville moderne, avec ses buildings impersonnels, des ponts et un dense trafic automobile.
Au centre, une plateforme rotative, telle une cage cubique que les acteurs peuvent actionner eux-mêmes pour la faire pivoter, accueille les protagonistes de ce théâtre rudimentaire.
Déconnectés des grands espaces de la nature, ils doivent retrouver sens et espoir, malgré le malaise de leur propre vie, dans ce paysage urbain surréaliste.
La sensation d’enfermement est d’autant plus accentuée, qu’en arrière-plan, des néons rectangulaires concentriques créent une illusion de perspective qui tend vers un objectif infini noir et vide.
Apparaissent alors les acteurs fidèles au metteur en scène, en premier lieu la géniale et adorable Mireille Herbstmeyer.
Son langage outré bien connu est naturellement excessif quand elle dramatise ses incarnations, mais ce soir, dans un rôle où la comédie reste drôle et sensible, elle est la Reine, qu’elle soit femme de cabaret ou tragédienne shakespearienne.
Et sa présence est captivante tant elle rayonne généreusement d’une énergie vitale gaillarde qui ne se prend pas au sérieux.
On aime la manière avec laquelle elle joue de son physique et de son travestissement, et de ses déclamations franches.
Elle est surtout une actrice charismatique qui a le don d’imposer sans ambages son être tout entier à la face du monde.
Philippe Girard lui répond avec la même emphase. Il est la voix bienveillante des élans poétiques et désireux de liberté par laquelle Olivier Py s’exprime.
Il ose le désir d’évasion, la sagesse qui veut croire en un absolu d’éternité.
A ces deux comparses qui représentent deux forces parentales jubilatoires, s’ajoute le fou – de multiples professions – joué par Jean-Damien Barbin.
Il est un bouffon ré-enchanteur de la vie, qu’il nourrit de sa voix amusamment enveloppée d’impertinences.
Le Ministre de la culture, joué brillamment et sans artifices par Eddie Chignara, devient alors une façon de représenter celui qui n’arrive pas à être l’allié des artistes, et encore moins leur protecteur, trop éloigné de lui-même et trop identifié à son propre statut pour pouvoir le faire.
En se révélant à lui-même comme femme, on peut y voir le même leitmotiv identitaire qui a marqué constamment la vie d’Olivier Py depuis son adolescence, mais également une désignation satirique des ministres qui ne l’ont pas suffisamment soutenu.
Mais le dramaturge flamboyant a aussi le talent de trouver d’excellents acteurs au physique d’éphèbe. Matthieu Dessertine – Orlando – et François Michonneau – Gaspard –forment un couple de garçons que la grâce du corps transforme en langage sensuel, une des lignes de forces permanente de son travail théâtral.
Ce charme omniprésent permet plus facilement de suppléer à la forte dispersion du texte et de ses excès, qui sont l’aveu de la difficulté à faire ressentir cette quête de joie profonde qui dépasse le simple bonheur éphémère.
Dans sa définition de l’amour, par le négatif, il invite à ne pas le confondre avec la haine ou l’insatisfaction de soi.
Il y a d’ailleurs, quand les deux jeunes hommes se retrouvent avec Ambre – Laure Calamy cède un optimisme infaillible à ce rôle positif –, l’espérance d’une orgie finale, image osée pour traduire l’idéal d’une fraternité humaine enfin réalisée, en opposition totale avec les représentations picturales anciennes d’une apocalypse sordide.
Orlando apparaît en archange – figure habituelle du metteur en scène -, puis s’identifie à son père saltimbanque triste et multicolore. La chair et les corps entrent en lutte car ils sont une des clés de ce parcours perpétuel.
Olivier Py ne veut pas choisir entre corps et esprit, la provocation du désir est partie intégrante de la réponse, et le théâtre reste, à sa manière, un secoueur de la société pour qu’elle ne perde pas son rapport au divin, et à ce qu’il a de miraculeux.