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Publié le 26 Janvier 2019

Il Primo Omicidio (Alessandro Scarlatti)
Répétition du 21 janvier et représentation du 24 janvier 2019
Palais Garnier

Caino Kristina Hammarström
Hippolyte Chapuis (21) / Charles Le Vacon (24)
Abele Olivia Vermeulen
Rémi Courtel (21) / Arthur Viard (24)
Eva Birgitte Christensen
Alma Perrin (21) / Lucie Larras (24)
Adamo Thomas Walker
Armand Dumonteil (21) / Anton Bony (24)
Voce di Dio Benno Schachtner

Riccardo Carducci (21) / Mayeul Letellier (24)
Voce di Lucifero Robert Gleadow

Léo Chatel (21) / Andréas Parastatidis (24)

Direction musicale René Jacobs
Mise en scène Roméo Castellucci (2019)
B’Rock Orchestra

Avec la participation de la Maîtrise des Hauts-de-Seine / Chœur d'enfants de l'Opéra national de Paris
Nouvelle production et coproduction avec le Staatsoper Unter Den Linden, Berlin et le Teatro Massimo, Palerme

Après Francesco Cavalli, Alessandro Scarlatti est le second compositeur baroque à faire son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris sous la direction de Stéphane Lissner.

Et pour rendre compte de cet événement, il suffit de se rappeler que le dernier compositeur, issu de cette longue période qui suivit la Renaissance jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, à avoir intégré le répertoire de l’Académie de Musique est Henry Purcell, avec Didon et Enée, joué à la salle Favart en mars 1984.

Birgitte Christensen (Eve)

Birgitte Christensen (Eve)

Auteur de 125 opéras, 700 cantates et oratorios, de messes et de madrigaux, Alessandro Scarlatti est ainsi le représentant le plus connu de l’école napolitaine, et son style fort et parfois violent, sans recherche de virtuosité facile, qui introduit pour la première fois des cors dans l’orchestration, l’identifie comme le précurseur de l’opéra moderne qui inspira Gluck et Mozart

C’est pourtant avec un oratorio composé lors de son passage à Venise, en 1707, que le Palais Garnier l’accueille aujourd’hui à travers un sujet biblique pour lequel le plasticien Roméo Castellucci, à l’instar de son travail pour Moise et Aaron, à Bastille, ou de Salomé, à Salzbourg, est un metteur en scène inspirant.

Birgitte Christensen (Eve) et Thomas Walker (Adam)

Birgitte Christensen (Eve) et Thomas Walker (Adam)

Les puristes critiqueront le fait que l’orchestre soit considérablement enrichi afin d’emplir de son la grande salle de Charles Garnier, mais il s’agit d’une condition pour créer un spectacle qui puisse toucher le plus grand nombre.

Roméo Castellucci se montre par ailleurs lisible, et propose une vision moins déroutante que ce qu’il sait faire, la première partie se déroulant devant un écran opaque situé à l’avant-scène, derrière lequel un système luminescent varie les ambiances visuelles.

Une copie de L’annonciation de Simone Martini et Lippo Memmi (1333) descend du ciel en position inversée afin de figurer une main de Dieu, pointue, à laquelle Abel accroche une poche de sang, symbole de son sacrifice, les lumières prenant par la suite des teintes rougeâtres, avant de s’achever sur une figure géométrique aux traits dorés qui peuvent suggérer un visage divin.

Kristina Hammarström (Caino)

Kristina Hammarström (Caino)

L’image de la famille formée par Adam et Eve et leurs deux enfants montre par la suite une première fissure par l’attitude de Caïn qui s’en sépare. On peut voir dans ce premier tableau abstrait une image esthétisante de la préférence de Dieu, présence informe, pour les dons de sang, et donc la destruction de la vie.

Dans la seconde partie, le décor devient pastoral, un sol verdoyant, jonché en son centre de plantes que Caïn cultive, fait face à un ciel noir étoilé. L’image est poétique et glaciale à la fois, car elle exprime également un immense sentiment de solitude.  

Cependant, ce sentiment est plus sensible vu depuis le parterre, que depuis les hauteurs des loges qui permettent à peine de saisir ce ciel fixe.

Kristina Hammarström (Caino), Hippolyte Chapuis (Caino) et Riccardo Carducci (Voce di Dio)

Kristina Hammarström (Caino), Hippolyte Chapuis (Caino) et Riccardo Carducci (Voce di Dio)

Et au moment du meurtre d’Abel, des enfants de la Maîtrise des Hauts-de-Seine se substituent aux chanteurs pour continuer à mimer le reste de l’action, l’isolement de Caïn, couronné Roi mais banni, et la transformation du martyr d’Abel en martyr christique, toujours pour souligner la soif de sang de Dieu, devenant poignants par le processus d’identification que représente cette relation entre frères.

Ces enfants, par leur expérience du chant, réussissent avec virtuosité à bouger leur corps et prendre des poses tout en imitant les chanteurs principaux disposés dorénavant dans la fosse, légèrement en hauteur, mais il y a toujours le risque que cette innocence ne soit pas prise au sérieux, alors qu’elle le devrait, car Castellucci illustre finalement comment l’enfance peut être pervertie par la vision du monde des adultes.

Hippolyte Chapuis (Caino)

Hippolyte Chapuis (Caino)

Cet oratorio transformé en drame musical n’est pourtant pas le seul élément atypique de cette nouvelle production, car l’enrichissement de l’orchestre, augmenté aux dimensions de l'espace de Garnier, l’est tout autant.

Alors que son enregistrement d’Il primo Omicidio (1997) repose sur une vingtaine d’instruments, plus de 35 entourent René Jacobs ce soir, les musiciens à cordes du B'Rock Orchestra restant debout tout le long de la soirée.

Le son gagne en chaleur et densité, les jeux de réponses entre la légèreté aérienne des violons et les couleurs de basse continue lancinante sont renforcés, mais certains détails se perdent, comme ceux du théorbe, ce qui ne dispense donc pas chacun de découvrir, un jour, la version originelle, mais dans un cadre plus restreint, afin d’apprécier la simplicité plus frustre de cette musique tant évocatrice.

Benno Schachtner, Birgitte Christensen, Olivia Vermeulen, Kristina Hammarström, Thomas Walker et Robert Gleadow

Benno Schachtner, Birgitte Christensen, Olivia Vermeulen, Kristina Hammarström, Thomas Walker et Robert Gleadow

L’ensemble de la distribution possède par ailleurs une homogénéité de timbre ocre, hormis Robert Gleadow, Lucifer inquiétant fort bien caractérisé, d’où se distingue le charme langoureux et plaintif de Birgitte Christensen, une Eve absolument humble et émouvante à écouter et admirer. Tous chantent très bien, mais sans sensualité dominante, ce qui donne une patine austère à la composition vocale.

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