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Publié le 10 Avril 2010

Table ronde sur le rôle de la critique d’opéra
Conférence du 06 avril 2010 au salon Florence Gould du Palais Garnier.

Marie Aude Roux (Le Monde)
Christian Merlin (Le Figaro)
Lionel Esparza (France Musique)
Débat modéré par François Lafon (Ancien du Monde de la Musique)

L’article qui suit reprend la plupart des propos échangés (parfois retravaillés lors de leur transcription à l’écrit, mais sans en changer l’esprit) au cours de la conférence organisée par l’AROP (Association pour le Rayonnement de l’Opéra de Paris).
Les trois journalistes invités ont confronté leur point de vue sur un métier passionné.

Quel est le rôle de la critique à l’Opéra?

M.A.R C’est être dans une position un peu délicate, être un intermédiaire entre les professionnels et les néophytes, avoir une expertise, et savoir faire passer les choses sans que la personne qui lise ait besoin de cette expertise.

C.M Pour préciser, il y a plusieurs fonctions selon que l’on s’adresse à nos contemporains ou bien à plus tard. La critique a la fonction de laisser des traces, afin que l’on puisse savoir ultérieurement comment les choses se sont passées.
Il y a une part de récit pour donner l’impression au lecteur actuel qu’il était dans la salle, et une part de formation du goût, quitte à paraître prétentieux.

L.E Je ne suis pas critique. Dans mon métier il faut cependant puiser dans l’actualité musicale, avec un minimum de lucidité. Mais la parole est laissée aux artistes.
La fonction de la critique est immédiate, vivante, et son rôle premier est de dire s’il faut aller, ou pas, voir tel ou tel spectacle, de faire évoluer notre idée sur un chef ou un chanteur.

Quel effet cela vous fait d’être nommés critiques?

M.A.R C’est un mot que l’on n’utilise plus vraiment. La notion de critique est forcément négative aujourd’hui, bien qu’elle ne le soit pas à la base. Alors on rajoute le terme « journaliste » .

C.M Le terme « journaliste » me dérange pour le coup, car je ne me considère pas ainsi, et d’ailleurs je n’ai pas de carte de presse. J’ai commencé par amour de la critique, pas du journalisme, et c’est pourquoi je me suis défendu de faire les avant-papiers, ces interviews censées donner un éclairage sans avoir vu le spectacle.
La critique est un genre noble, cela veut dire sous-peser, évaluer, avoir un regard qui va essayer d’analyser ce qu’il se passe pour l’expliquer, et seulement dans un second temps avoir un jugement.

Il nous arrive souvent d’avoir la même analyse, mais pas la même conclusion.
Après un concert Boulez dirigeant le Philharmonique de Radio France, nous avons constaté les mêmes choses avec Renaud Machart (Le Monde). Il avait dirigé l’Oiseau de feu et les Nocturnes de Debussy de manière très fine et subtile, pas vraiment sauvage.
Moi j’ai trouvé que c’était la quintessence de la direction à la française, lui il a trouvé que c’était plat, sans substance.

On constate que la place de la critique est battue en brèche dans les médias, et qu'elle va en diminuant au profit de la promotion et de l’information.

M.A.R Il y a un côté humain assez douloureux. Il faut l’assumer. Il est parfois difficile de croiser un regard lorsque l’on rencontre sur un plateau un artiste après avoir rédigé une critique du spectacle, dont il est l’interprète.

L.E La critique est un lieu de cruauté.

M.A.R On peut dire des choses parfois dures, mais tout en respectant le travail et l’artiste, car si ces gens n’étaient pas là, les critiques ne seraient pas là non plus. Le critique ne doit pas avoir une place prépondérante.

C.M L’impératif est d’avoir la mesure en toute chose, de toujours argumenter, de toujours évaluer et juger l’interprétation, et non pas l’artiste en tant que tel.
Et même en prenant toutes les précautions, la cruauté est là de toute façon, car l’artiste a mis tout ce qu’il avait de lui même. Il y aura blessure quand même.

Reportons nous 100 ans en arrière, lisez ce qu’écrivaient  les gens. Maintenant on aurait des procès en permanence.

M.A.R Les cercles étaient plus restreints, tout le monde connaissait les codes, et les gens savaient quelles étaient les relations entre les critiques. Il y avait tout un jeu social, mais aujourd’hui on ne peut pas avoir cette méchanceté, car le lecteur ne saurait pas d’où elle vient, et il ne la comprendrait pas forcément.

L.E Lorsque Debussy s’attaque à une œuvre de Saint Saens, non seulement il y a là l’effet d’un petit milieu dont parle Marie Aude, mais aussi le champ de l’esthétique qui est, à cette époque, un champ de combat idéologique extrêmement fort.
Ce ne sont pas les mêmes personnes qui écrivent aujourd’hui, ce ne sont pas les mêmes lecteurs, ni les mêmes objets.

Table ronde sur le rôle de la critique d’opéra (Opéra Garnier)

Cela pose la question de la légitimité.

M.A.R On n’a pas la légitimité d’un Debussy, mais on en a plus que tous les blogs qui fleurissent un peu partout, et qui sont hébergés par des journaux comme Le Monde.
C’est un combat d’actualité pour nous, car les rédacteurs de ces blogs sont parfois plus identifiés comme critiques que les propres critiques du journal.

C.M Il y a beaucoup à apprendre d’Internet, ne serait ce que par l’immédiateté. Cela rend possible d’obtenir l’article presque lorsque l’on sort du spectacle.
Il y a aussi la dérive possible que tout le monde puisse s’improviser critique musical.

L.E Cela dépend de quel point de vue l’on se place. Du point de vue de l’artiste, la légitimité de la critique est nulle, sauf lorsque ce sont de bonnes critiques, car tout simplement l’artiste peut dire « qui es-tu pour me parler de quelque chose que tu ne sais pas faire ? ».
En revanche, du point de vu de l’auditeur, le critique est parfaitement légitime, du moment qu’il est un super auditeur, un auditeur de spectacle qui, par histoire personnelle, par goût, par volonté, finit par avoir vu trois spectacles par semaine en dix ans, avec des lectures, un substrat, des connaissances qui se construisent, ce qui fait qu’au bout d’un moment, il a une véritable légitimité à savoir que l’œuvre est bien interprétée.

C.M Il faut avoir fait la preuve de sa capacité d’écoute avant toute autre connaissance, comme l‘histoire des interprétations, avec un minimum de bagage technique, sans forcément être un musicologue.
La mémoire auditive, sans qu’elle ne soit un frein, doit permettre d’identifier s’il y a eu des coupures, et d’entendre si le ténor n’a pas fait une cabalette, ou oublié certaines notes.

Que voit-on quand on est à l’Opéra?

M.A.R On est dans un état de réceptivité maximale, et l’on sort épuisé du concert.
Des informations sont perçues parfois de manière inconsciente, et c’est par le biais du travail d’écriture qu’elles vont sortir.
Parfois, on sort sans savoir quoi en penser. On se met devant son ordinateur, et puis un angle d’attaque apparaît. Il y  a comme une sorte de déroulé qui se produit.
Le spectacle a agi, et à la rigueur, ce qui émerge dans l’immédiateté, ne serait pas sorti trois jours plus tard.

C.M Une représentation est réussie lorsque l’on ne se souvient pas qui interprétait tel ou tel rôle. Lorsque l’on réussit à faire un papier qui rend compte d’une totalité, c’est déjà un bon signe de la réussite d’un spectacle. Si le décor, la direction d’orchestre, ou tel chanteur est trop mis en avant, cela signifie déjà qu’il y a un problème.

On en vient à la subjectivité

L.E Les enjeux ne sont pas les mêmes entre un petit concert donné devant 600 personnes, et l’Opéra, où il y a beaucoup de monde sur scène, beaucoup d’argent et de représentations en jeu. Et on sait qu’à partir du moment où il y a une suite de critiques virulentes contre tel ou tel artiste, il va y avoir des suites palpables.
Ce dernier sera mis un peu de côté dans une production, il aura des problèmes d’engagements.
L’Opéra, et pour un tas d’autres raisons, est un milieu passionnel que l’on n’approche pas du tout de la même manière.

C.M L’essentiel est de voir comment une interprétation est construite, défendue jusqu’au bout, avec cohérence, et d'être capable de dire qu'elle ne nous plait pas forcément, mais chapeau!

Interpréter, c’est aller jusqu’au bout.

Avant d’être des professionnels, nous étions des mélomanes. Il ne faut pas en déduire qu'en étant mélomane on peut devenir critique.

Ensuite il faut moduler cela avec des critères, et si l’on en vient à la voix, le timbre est un critère qui ne devrait pas intervenir dans la balance.
Car l’effet que procure le timbre d’une voix est très subjectif. C’est épidermique et sensuel.
Ensuite il y a des critères de lignes de chant, d’attention au texte, de justesse, qui sont nécessaires mais pas suffisants.
Un artiste peut réunir tous les critères de réussite, sans être finalement convaincant, de même que l’on peut admirer, au delà de toute raison, une chanteuse qui chante faux, mais qui apporte une telle énergie,  une telle incarnation, une telle intelligence, une telle chaleur, une telle passion , tout cela à la fois, qu’on lui pardonnera tout le reste.

Dans quelle mesure sommes nous victime du temps?

M.A.R Peut être, si l’on est lu dans cinquante ans, serons nous les témoins d’une époque.

C.M Lorsque Michael Haneke met en scène Don Giovanni, il nous montre quelque chose de daté, mais en même temps des ressorts parfaitement universels, des rapports sociaux, des rapports humains, qu’il éclaire à la lumière d’une époque, mais qui restent des rapports de domination, de fascination, ou tout simplement d’amour narcissique, qui sont autant des invariants que des singularités propres à chaque époque.

L.E La critique la plus intéressante, de nos jours, est la critique de quelqu’un parfaitement illégitime à faire part de son moi. Et c’est curieusement ce que l’on a envie de lire. Cela nous parle de nous également, sans savoir quel rapport cela entretien avec notre propre narcissisme.

Table ronde sur le rôle de la critique d’opéra (Opéra Garnier)

Et le repentir?

C.M Lors de la création du Cosi fan Tutte de Chéreau à Aix en Provence, rien n’allait.
Le public était mort, et pourtant lors de la reprise à Garnier, et après en DVD, il apparut finalement quelque chose dans ce spectacle.

M.A.R Il y avait également le fait que Chéreau revenait à l’opéra, et que l’on attend plus de lui que d’un autre metteur en scène.

C.M Dans La Traviata, par Peter Mussbach à Aix en Provence, Mireille Delunsch ressemblait à Marilyn, seule sur scène le long d’une autoroute après un accident, avec des essuie-glaces.
Je n’ai rien compris à ce spectacle. Je n’allais pas me déjuger, pour moi c’était raté.
Et là, un autre phénomène s’est produit, et les metteurs en scène en tiennent peut être trop compte quand il conçoivent leur mise en scène : c’est le DVD.
Le DVD permet le gros plan, de s’abstraire de la mauvaise acoustique de la fosse du théâtre de l’Archevêché, du plein air qui renvoie mal les voix, et que montre t-il ? : Mireille Delunsch. Et là vous êtes emporté dans un sillage, un tourbillon, que vous n’aviez pas perçu dans la salle, malgré les défauts de justesse.

Aimez vous aller voir des choses que vous ne connaissez absolument pas?

M.A.R Cela fait un peu peur, car il faut convaincre nos rédacteurs en chef pour aller écouter des concerts de musique contemporaine, et il est plus facile d’aller assister à un nouvel opéra, car il est simplement plus facile d’en parler.
Et lorsque l’on rend compte d’une création, le jugement interprétatif passe au second plan.
On essaye de dire  pourquoi cette œuvre est pertinente, de la resituer par rapport à d’autres œuvres, d’autres compositeurs, de la placer sur une sorte d’échiquier de la création.

L.E L’essentiel du risque de la critique est un risque social, le risque de devoir dire du mal de quelqu’un. Vous vous désolidarisez de l’artiste, mais aussi de toute une famille, des gens qui le soutiennent, des agents institutionnels, des services de presse qui sont là pour donner un discours orienté et inciter à aller voir le spectacle.
Le discours du critique est en totale rupture avec cela,  Le risque est dans le fait que le critique est un élément du domaine musical, par rapport auquel il est en situation d’inclusion, parce qu’il en fait parti, et d’exclusion, parce qu’il se met en position de poser un regard extérieur sur ce milieu.

M.A.R Il y a une partie du travail du critique qui, depuis ces dernières années, est tout simplement de convaincre de la légitimité des sujets que l’on propose à sa rédaction.
Lorsque l’on lit les statistiques, seules 6% des personnes vont au concert, ce que l’on n’arrive pas à croire puisque l’on voit bien que les gens sont là dans les salles.
Il y a une terminologie que l’on utilise depuis quelques temps qui est que l’on « vend » ses sujets. On parle ainsi comme si l’on était en train de faire du troc ou de l’échange.
On s’autocensure parfois sur certains sujets, car on sait que de toute façon ils ne passeront pas, ou qu’il faudra énormément d’énergie pour les défendre.
Il y a une foison d’informations qui se développe de plus en plus, et notre travail, toujours avec beaucoup de curiosité, consiste à savoir ce qu’il faut aller voir.
Lorsqu’un concert n’a lieu qu’une fois, notre direction est réticente à faire des « one shot », ce qui n’est pas le cas avec les opéras, car il y a plusieurs représentations.

C.M A travers tous ces rouages, il est important de garder son indépendance, de choisir ce que l’on veut aller voir, de garder son indépendance au regard des dossiers de presse, et vis à vis des demandes de nos rédactions en chef, qui, généralement, sont peu cultivées dans ce domaine là, et qui ont tendance à ne traiter que les choses connues.
On ne peut pas se contenter de parler toute l’année d’Alagna, Bartoli et Lang Lang, et aller uniquement vers ce qui brille.

M.A.R Et il y a aussi les fausses bonnes raisons. On m’a demandé de faire le portrait d’Emmanuelle Haïm, non pas parce c’est Emmanuelle Haïm, mais parce qu’elle ne s’est pas entendue avec l’orchestre de l’Opéra de Paris, et que ce sujet faisait donc un peu mousser.

C.M C’est là qu’il faut rester pragmatique et combatif , tout en restant idéaliste, et faire des papiers sur Netrebko et Villazon, tout en gardant de la place pour les concerts symphoniques, parce qu’ils ne sont joués qu’une fois, et pour la musique contemporaine.
Il est également possible de jouer un rôle dans certains débats esthétiques dans le domaine de la musique contemporaine, et défendre ce à quoi l‘on croit.

L.E Je n’y crois pas du tout, pour la simple raison qu’il n’existe pas de débats dans la création aujourd’hui.
La critique n’est plus tout dans le domaine de l’esthétique, mais sur la façon dont le message est communiqué.

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