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Publié le 5 Juin 2016

La Traviata (Giuseppe Verdi)
Représentations du 04 et 11 juin 2016
Opéra Bastille

Violetta Valery Sonya Yoncheva (04) & Maria Agresta (11)
Flora Bervoix Antoinette Dennefeld
Annina Cornelia Oncioiu
Alfredo Germont Bryan Hymel
Giorgio Germont Simone Piazzola (04) & Zeljko Lucik (11)
Gastone Julien Dran
Le Baron Douphol Fabio Previati
Le Marquis d’Orbigny Boris Grappe
Le docteur Grenvil Luc Bertin-Hugault

Mise en scène Benoît Jacquot (2014)            Bryan Hymel (Alfredo) et Sonya Yoncheva (Violetta)
Direction musicale Michele Mariotti

Créée il y a deux ans avec Diana Damrau dans le rôle-titre, la mise en scène de Benoît Jacquot pour ‘La Traviata’ est la seconde production montée à l’opéra Bastille après celle de Jonathan Miller. Elle s’y substitue avec bien meilleur goût.

Néanmoins, sa scénographie construite sur quelques grands éléments de décor symboliques, un lit à baldaquin supportant le tableau à scandale d’Edouard Manet, ‘Olympia’, un arbre près de la villa de Violetta, un escalier somptueux chez Flora, domine la présence individuelle des artistes.

Et son fond uniformément noir est un artéfact qui permet de mettre en valeur les caractères quand ils sont filmés pour un enregistrement vidéographique, ce qui est la véritable finalité de cette conception où le théâtre ne dépasse pas le cadre des conventions.

Sonya Yoncheva (Violetta)

Sonya Yoncheva (Violetta)

La reprise de ce spectacle a donc pour effet de conforter ‘La Traviata’ comme le second opéra de Giuseppe Verdi le plus joué à l’Opéra de Paris depuis un demi-siècle, après ‘Rigoletto’, et de porter sur scène deux grandes interprètes du rôle, Sonya Yoncheva et Maria Agresta.

Toutes deux ont la chance d’être dirigées par l’intense et galvanisant Michele Mariotti, car, après sa lecture finement harmonisée à la délicatesse du bel canto desPuritains’, en 2013, le chef d’orchestre démontre ici à quel point il est capable de s’adapter à la dramaturgie de l’ouvrage qu’il fait revivre.

Bryan Hymel (Alfredo)

Bryan Hymel (Alfredo)

Rarement a-t-on entendu l’orchestre de l’Opéra National de Paris s’emporter dans une telle lecture traversée d’ondes nerveuses à la sensibilité brutale.

Eclats éruptifs des percussions, impulsivités des cuivres qui drainent cordes et vents vers des élans violents, émergence de motifs sombres et glacés, Michele Mariotti lui transmet un tel feu que l’auditeur est naturellement pris par la fureur émotionnelle de la musique.

Soutenue par cette fougue, Sonya Yoncheva est alors une Traviata impressionnante qui s’approprie l’immensité de la salle Bastille pour y faire rayonner, avec un impact saisissant, le souffle d’une voix magnifiquement accrocheuse et richement colorée.

Sonya Yoncheva (Violetta)

Sonya Yoncheva (Violetta)

De bout en bout, elle exprime toutes sortes d’inflexions qui traduisent, à la fois, les à-coups de l’âme et la furtivité complexe de ses propres sentiments.

Aucune esbroufe pour autant, et se détachent trois profils de caractère bien démarqués au fil des trois actes.

Au premier, sur la scène d'un hôtel particulier parisien où se donne une fête, elle déploie sa puissance vocale avec exubérance vers le public, dans un grand mouvement circulaire et généreux, comme s'il s’agissait de le conquérir entièrement, et en un instant.

C’est fabuleux à vivre, d’autant plus qu’elle conserve cette force vitale dans la seconde scène où elle se retrouve seule. Rien ne semble pouvoir l’arrêter.

Simone Piazzola (Germont)

Simone Piazzola (Germont)

Dans le second acte, elle évite le mélodrame, Michele Mariotti également, et dépeint une Violetta blessée, mais qui veut laisser transparaître peu de ses troubles. Sa psychologie est celle d’une femme forte qui pense encore pouvoir surmonter la violence des coups qui lui sont portés.

Sa confrontation avec le Germont de Simone Piazzola est un monument de cruauté, car le jeune baryton italien a des accents noirs dont les contrastes des lignes semblent accordés que pour mieux imprimer de son emprise à ses protagonistes. Aucune fausse sensiblerie, il sait ce qu’il veut, et il fait peser une inquiétude constante.

Sonya Yoncheva (Violetta) - Rideau final

Sonya Yoncheva (Violetta) - Rideau final

Enfin, au dernier acte, Sonya Yoncheva interprète un tableau grandiose où le maladif, la folie monstrueuse et la grandeur se mélangent si bien, que les fantômes de Lucia di Lammermoor, de Lady Macbeth et d’Elisabeth de Valois se rejoignent en une seule incarnation effroyable de vérité.

Sa morbidezza surgit, mais le spectaculaire l’emporte laissant à tous la sensation qu’un grand moment d’opéra s’est joué ce soir.

A ses côtés, Bryan Hymel ploie sous une telle présence, car la texture fumée de sa voix est uniforme, et l’italianité peu sensible. Seules sa large longueur de souffle et certaines intonations bien ancrées, notamment dans sa scène de colère chez Flora, lui permettent de sortir Alfredo de la transparence. Il a aussi pour lui une sympathie innée qui se ressent dans sa manière d’être.

Maria Agresta (Violetta) et Bryan Hymel (Alfredo)

Maria Agresta (Violetta) et Bryan Hymel (Alfredo)

Après l’incarnation exceptionnelle de Sonya Yoncheva, animée par une volonté d’impressionner et de détacher son personnage du monde dans lequel elle évolue, la Violetta que présente Maria Agresta pour les soirées qui suivent diffère considérablement.

La soprano italienne n’a certes pas la même puissance surhumaine de sa consœur bulgare, mais une ligne de chant subtile qui lui permet de composer le portrait d’une femme plus naturelle et ancrée dans son environnement social. On la voit manier habilement les codes conventionnels, au premier acte, et évoluer tout en restant fidèle à un axe sentimental qu’elle vit sans sur-jouer.

Maria Agresta (Violetta)

Maria Agresta (Violetta)

Les changements de couleurs et de tessitures sont menés tout en soignant la finesse du galbe vocal, des graves clairement timbrés aux aigus effilés et un peu irréels, un classicisme belcantiste qui exige de l’auditeur d’aller vers l’artiste, et de saisir les sentiments qu’elle exprime sans outrance.

Le dernier acte est ainsi chanté dans sa souffrance la plus intime.

Maria Agresta (Violetta)

Maria Agresta (Violetta)

Zeljko Lucik s’inscrit lui aussi dans incarnation classique de Germont. Le charme de son timbre grisonnant tend à adoucir le sens de son discours chanté et à flouter les intentions de son personnage, alors que Simone Piazzola ne laissait planer aucune ambiguïté sur la nature odieuse du père d’Alfredo.

Et à nouveau, Michele Mariotti installe un climat orchestral expressif et réfléchi, en faisant ressortir des frémissements, des plaintes sonores où bien des accents qui soulignent les enjeux émotionnels de chaque scène du drame.

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