La politique tarifaire de l'Opéra de Paris de 1998 à 2012

Publié le 20 Mars 2011

La saison 2011/2012 de l'Opéra National de Paris s’annonce difficile pour ceux qui ne peuvent accéder qu’aux places bon marché, c’est-à-dire les budgets entre 5 et 30 euros par place, car la direction a décidé de réduire sensiblement leur nombre.

C’est donc le moment de s’intéresser de près à l’évolution des catégories de places durant les dernières années, et de poser quelques questions.

 

Evolution du prix des places à l’Opéra Bastille

Les recettes de la billetterie de l’Opéra de Paris proviennent principalement de quatre type de spectacles : les opéras à Bastille, les opéras à Garnier, les ballets à Bastille, les ballets à Garnier.

Le poids des opéras à Bastille est très largement prépondérant (60%), son évolution tarifaire est donc représentative de l’ensemble des spectacles des deux salles principales.

 

Tableau 1 : Contribution des spectacles aux recettes de l‘Opéra de Paris.

Le tableau 2 présente la part de chaque catégorie (par tranche de 30 euros) sur les quelques 2700 places à Bastille depuis les saisons 1998/1999 à 2011/2012, soit les six dernières années Gall, les cinq années Mortier et les trois premières années Joel.

 

Tableau 2 : Part de chaque catégorie pour une représentation à Bastille (plus de 2700 places). Exemple : en 2008/2009 il y a 330 places à plus de 150 euros (en bleu), en 2009/2010 il y en a 600 (en bleu).

On l’oublie parfois, mais Hugues Gall avait enclenché une augmentation tarifaire lors de ses deux dernières saisons, notamment pour compenser les augmentations salariales qui furent durement négociées. Les grèves annulèrent presque toutes les représentations de Guerre et Paix, et le déficit cumulé de l’Opéra de Paris atteignit 20 Millions d’euros (1).

En 2002/2003, la moitié des places sont à plus de 90 euros (vert clair).

 

En 2004/2005, la politique de Gerard Mortier fut d’augmenter le prix des catégories supérieures, pour atteindre 150 euros, tout en préservant la part des places à moins de 90 euros. 30% des places sont tout de même à plus de 120 euros (vert foncé).

Des places à moins de 30 euros furent augmentées, mais il atténua cette mesure en créant des places à 5 euros. La part des places à moins de 30 euros (en rouge) resta donc significative (plus de 10%).

Il dut cependant se résoudre à une seconde augmentation pour sa dernière saison. Tristan et Isolde atteignit 196 euros en première catégorie, bien que la septième catégorie resta à 20 euros.

Nicolas Joel poursuit aujourd’hui le mouvement en étendant la quantité de places à 151-180 euros, mais pour le Ring, il ne dépasse pas les 180 euros en première catégorie, alors que la septième catégorie passe à 30 euros.

Pour la saison 2011/2012, la direction de Nicolas Joel décide d’élargir son offre sur les catégories 60 à 150 euros. Ce sont les places de moins de 30 euros qui servent à cette conversion, par un jeu de sur-classement catégorie par catégorie. Il n'en reste plus que 6%, places debout comprises.

Par comparaison le NewYork Metropolitan Opera comprend 21% de places à moins de 30 euros, Le Teatro Real de Madrid et La Monnaie de Bruxelles 18%, et le Covent Garden de Londres 11%, théâtres qui sont cependant moins subventionnés que l'Opéra de Paris.

 

Evolution des recettes potentielles à l’Opéra Bastille

Le tableau 3 présente l'évolution de la recette moyenne d'une représentation à Bastille, et la part de chaque catégorie.
 

 Tableau 3 : Evolution  de la recette moyenne par représentation (échelle de 0 à 300.000 euros). Exemple : en 2004/2005, les places de plus de 120 euros représentent la moitié de la recette totale (240.000 euros).

En 1998/1999, une représentation pouvait rapporter 185.000 euros (à taux de remplissage de 100%), alors que depuis 2009/2010, le potentiel moyen est de 295.000 euros.

Les principales augmentations concernent les deux dernières saisons Gall (16%), la première saison Mortier (13%), la dernière saison Mortier (11%), et la première saison Joel (7%).

On remarque ainsi que la suppression de la moitié des places à moins de 30 euros, en 2011/2012, se répercute sur une substantielle augmentation du bénéfice des places de catégorie 91-150 euros.

Cela fait tout de même une petite augmentation de près de 3% sur la billetterie de chaque spectacle.
Pourtant, la saison 2011/2012 ne comprend que 4 nouvelles productions et 4 productions importées et réadaptées aux dimensions des salles (La Cenerentola, Arabella, Hippolyte et Aricie, Cavalleria Rusticana).

Comment faisait alors Mortier pour créer 6 à 8 nouvelles productions par an, en y ajoutant 2 à 3 productions importées?

 

Etude des chiffres publiés par l'ONP

On peut confronter cette évolution aux chiffres publiés sur le site de l’Opéra de Paris.

Le tableau 4 présente l’évolution des dépenses artistiques et de la masse salariale de l’Opéra National de Paris, ainsi que leur couverture par la billetterie, le mécénat et la subvention publique.
 

Tableau 4 : Couverture des dépenses artistiques et de la masse salariale entre 2003 et 2009 (échelle de 0 à 105 Millions d’euros)

Alors que les salaires des personnels de l’ONP sont couverts par la subvention publique avec une légère marge, les dépenses artistiques (36 Meuros composés aux 2/3 par les cachets des artistes, et le reste par les droits d’auteurs, les nouveaux décors et costumes…) sont nettement couvertes par les recettes de billetterie (49 Meuros) et le mécénat (7Meuros), avec une marge de 20 Meuros.

On constate que les dépenses artistiques sont stables, alors que dépenses de personnel, recettes de billetterie et salaires augmentent régulièrement.

Si depuis 2003 les augmentations de tarifs et le mécénat ne servent pas à couvrir des dépenses artistiques, à quoi servent ces recettes supplémentaires?

On peut trouver des éléments de réponse dans la presse.

 

Mortier a utilisé les surplus pour réduire le déficit de l'Opéra de Paris, et quadrupler son fond de roulement, passé de 11 Millions d’euros à 44 Millions d’euros (2).  Concrètement, il s’agit d’une réserve qui permet de couvrir un fonctionnement sans recettes (14 Millions par mois), et d’engager des dépenses d’investissements.

D’ailleurs, l’Opéra de Paris est engagé depuis 2007 dans une politique d’investissements de 14 Millions d’euros par an, l’état contribuant à hauteur de 5 Millions d‘euros (3) (4).

L’Opéra de Paris doit donc couvrir ces investissements patrimoniaux sur fond propre et avec l’aide du Mécénat.

Enfin, Nicolas Joel a reçu un objectif financier afin d'obtenir un bénéfice de 2 Millions d’euros en 2015 (5).

Cet objectif pourrait expliquer le non remboursement des billets en cas de grève nationale à partir de la saison 2011/2012 (voir les conditions générales de vente dans le programme). Les mardis et les jeudis sont donc des jours particulièrement risqués...

 

Références

(1) Rapport de la cour des comptes décembre 2007 

(2) Article du journal Le Point du 02 juillet 2009

(3) Rapport du sénat du 12/07/2007

(4) Site de l'Opéra National de Paris

(5) Article du journal Challenge du 02 juillet 2009

Rédigé par David

Publié dans #Histoire de l'Opéra, #ONP, #Actualité, #Saison 2011-2012

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G
<br /> Merci Coillot pour la leçon d'orthographe, j'ai justement des problèmes avec l'accent circonflexe sur mon ordinateur !!!!!!! f^^ut!!!!!!<br /> <br /> <br />
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C
<br /> Il n'y a pas d'accent circonflexe sur "fut" au passé simple de l'indicatif, contrairement à l'imparfait du subjonctif.<br /> <br /> <br />
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G
<br /> Oui David tu as fait le tour de la question ! plus de parterre pour les gueux ! et bientot plus d'opéra du tout ! ce qui s'est passé ce matin pour la réservation de Tannhauser est lamentable ! j'ai<br /> fait le tour de la question en allant à Bastille et ensuite à Garnier et là j'ai été éblouie par le ridicule de la situation !<br /> <br /> <br />
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D
<br /> Disons que l'objectif n'est pas que financier.<br /> Le remplacement des places debout à 5 euros et du dernier rang assis à 15 euros du parterre, par des places assises à 35/40 euros est destiné à s'assurer qu'il n'y ait plus personne à petit budget<br /> à l'orchestre. J'ai eu confirmation que l'AROP était un des demandeurs de cette mesure.<br /> Il y a également arnaque, car les places qui se substituent aux places debout (rang 34 et au delà)sont dans un endroit où le son est atténué et sans surtitre. Elles valent 15 euros tout au plus.<br /> Ces places sont vendues par internet aux gogos qui ne connaissent pas l'ONP.<br /> Je trouve que tout cela contribue à un climat de détestation générale, qui est d'après moi la chose la plus grave.<br /> <br /> <br />
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L
<br /> Je ne suis pas sur que l'objectif de la direction de l'Opéra de Paris soit financier, car ce n'est pas avec ces "mesures bricolage 2011/2012" que les comptes vont s'améliorer, d'autant plus que le<br /> prix des places des catégories les plus chères n'a globalement pas été modifié. Le véritable objectif ne serait-il pas UNE POLITIQUE d'EXCLUSION, de ségrégation? Une politique tarifaire pour<br /> EXCLURE, avec l'approbation du ministre de tutelle et de l'AROP?<br /> <br /> <br />
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A
<br /> Bien d'accord avec Louis ! j'apprends également que les places pour les jeunes, les chomeurs et les seniors, le soir de la représentation passent de 20 à 25 voire 30 euros selon les opéras !<br /> l'opération "petits bras" continue !<br /> <br /> <br />
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L
<br /> On ne peut en effet que regretter puisque c'est la seule action possible, cette desastreuse politique de l'actuelle Direction dont l'objectif semble plus de faire de l'Opera de Paris un lieu<br /> réservé aux privilégiés et d'en exclure ceux qui ne veulent ou ne peuvent pas mettre plus de 30 Euros dans une représentation. On peut se demander ce qu'il en sera pour la prochaine saison. L'Opera<br /> restera-t-il ouvert au public ou sera-t-il réservé à "une certaine classe". Les horaires d'ouverture des guichets se reduisent d'année en année, de 14h30 à 18h30 pour 2012 (c'était en 2010 de 10h30<br /> à 19h30), cela ne préfigure-t-il pas une fermeture totale pour 2013? Et pourtant ce sont les impots de tous qui financent en partie les spectacles dont sont maintenant exclus les moins privilégiés<br /> parmi lesquels on trouve nombre de mélomanes. Un Opéra pour privilégiés telle semble être la politique de la nouvelle direction. Quand on aime l'Opéra on mène une politique d'ouverture et non<br /> d'exclusion. L'actuelle direction n'aime donc pas l'Opera. Triste et scandaleux!<br /> <br /> <br />
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G
<br /> La revue Diapason du mois de mai rend hommage à l'article ci-dessus et utilise largement son contenu pour expliquer sereinement -comme David- le problème du prix des places. Si vous avez raté la<br /> sortie, vous pouvez le consulter dans les bibliothèques municipales.<br /> <br /> <br />
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G
<br /> Formidable travail de synthèse ! c'est sûr l'actualité douloureuse relègue au second plan ce "problème mineur" mais ceux qui sont concernés ne le ressentent pas ainsi !<br /> <br /> <br />
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