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Publié le 18 Octobre 2010

Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny (Kurt Weill)

Livret de Bertolt Brecht
Représentation du 16 octobre 2010

Teatro Real de Madrid

Leocadia Begbick Jane Henschel
Fatty « The Bookkeeper » Donald Kaasch
Trinity Moses Willard White
Jenny Smith Elzbieta Szmytka
Jim MacIntyre Christopher Ventris
Jack 0’ Brien / Toby Higgins John Easterlin
Bank-Account Bill Otto Katzameier
Alaska-Wolf Joe Steven Humes

Direction Musicale Pablo Heras-Casado
Mise en scène Alex Ollé, Carlus Padrissa (La Fura dels Baus)

Il n’y a pas temps plus juste pour recréer sur scène Grandeur et Décadence de la ville de Mahagonny, à un moment où la vie économique européenne connaît ses plus grands tourments depuis la Grande Dépression de 1929.

Après l'accueil houleux en 1929 de  Neues vom Tage, l'opéra satirique de Paul Hindemith, le directeur musical du Krol Oper de Berlin, Otto Klemperer, préféra ne pas renouveler l’expérience avec l’Opéra de Kurt Weill et de Bertolt Brecht.

Willard White (Trinity Moses)

Willard White (Trinity Moses)

Le 9 mars 1930, le public lyrique de Leipzig connut ainsi, avec graves agitations, la création de Mahagonny, première carrière éphémère qui s’acheva deux ans plus tard par la destruction des partitions sur ordre des nazis.

Aujourd’hui, l’ouvrage n’engendre plus de réactions excessives, mais le public madrilène est apparu partagé face à cette nouvelle production accueillie par un enthousiasme haut sur pied, mêlé à un scepticisme qui ne s’attendait pas à tant de dérèglements sur une scène lyrique, malgré l’épatant engagement musical et théâtral de tous les artistes.

La Fura Dels Baus n’a sûrement pas cherché à flatter le goût pour l’esthétique clinquante, et a imaginé Mahagonny comme un lieu émergent sur une gigantesque décharge publique qui envahit toute la scène, y compris ses extensions latérales.

Elzbieta Szmytka (Jenny Smith)

Elzbieta Szmytka (Jenny Smith)

Dans sa première phase ascendante, la belle lune verte d’Alabama, que chante Jim, se matérialise en un terrain de golf où des hommes d’affaires viennent dilapider leur argent.

Au milieu de cette Ile du plaisir, chacun cherche son bonheur, notamment Jack dont les lunettes d’intellectuel et la coupe de cheveux soignée en font un sosie amusant de Gerard Mortier.

En plus de ses talents d’acteur, John Easterlin interprète avec un style touchant et agréable une présentation humoristique du nouveau directeur artistique, d’abord séduit par deux jeunes dragueurs, avant de céder à un péché mignon qui va le conduire à sa perte lorsque tout devient permis au nom de l‘argent : la nourriture.

John Easterlin (Jack O'Brien)

John Easterlin (Jack O'Brien)

La créativité de l’équipe catalane est un flux d’idées qui s’enchainent sans temps mort.
Il y a la vision repoussante d’hommes et de femmes vivant dans les détritus au point de s’y fondre par mimétisme, l’exhibition des chairs, les prostituées aux perruques roses qui n’oublient aucune position et rythme mécanique, le sexe sans implication, la mise en mouvement d’un monde qui n’est que théâtre, le grand souffle d’ivresse sur le radeau de la liberté.

Willard White (Trinity Moses) - en arrière plan - et Christopher Ventris (Jim MacIntyre)

Willard White (Trinity Moses) - en arrière plan - et Christopher Ventris (Jim MacIntyre)

La poésie surgit enfin au cours du duo de Jenny et Jim, non pas bras l’un dans l’autre, mais tristement séparés sous l’éclairage d’une lumière rasante. La solitude se révèle après l'illusion d'un vivre ensemble superficiel.

L'impossibilité de cet amour, après l'arrestation de Jim, est ici figurée par une reprise de la mise en scène du Journal d'un disparu, monté par La Fura Dels Baus à Garnier en 2007, où de la même manière le héros restait le corps emprisonné sous terre, ne pouvant que subir la vision des déhanchés érotiques de la femme de ses rêves, sans pouvoir la rejoindre.

Mahagonny (dir.esc. La Fura dels Baus) Teatro Real Madrid

Tous les chanteurs jouent naturellement, la souple et féline Elzbieta Szmytka, soufflant les mots subtilement avec douceur plus qu’elle ne les mord,  Christopher Ventris, le mâle incisif et éclatant à l’accent fêlé, Jane Henschel, maîtresse de ses sentiments, le regard dominateur perçant sans état d’âme, la voix percutante, Donald Kaasch et le charismatique, mais plus relâché, Willard White en deux vieux compères manipulateurs, Otto Katzameier et Steven Humes tout simplement humains.

Pablo Heras-Casado

Pablo Heras-Casado

Cette énergie inspire autant les chœurs que l’orchestre du Teatro Real qui, sous la direction du jeune Pablo Heras-Casado, révèlent une capacité à assumer les à-coups d’une partition descriptive, claquante, parfois violente, parfois chaleureusement lyrique, un élan qui triomphe dans un défilé de banderoles dont une seule semble ajoutée par rapport au livret original : « Pour la grandeur de la Société ».

Le lendemain, vers midi, vous ne jetez plus le même regard sur la foule qui s’accapare chocolats, pâtes d’amandes de toutes les couleurs dans les grandes pâtisseries de Madrid.

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Publié le 27 Juillet 2010

Simon Boccanegra (Giuseppe Verdi)
Représentation du 25 juillet 2010
Teatro Real de Madrid

Simon Boccanegra Placido Domingo
Amelia Grimaldi Inva Mula
Jacopo Fiesco Ferruccio Furlanetto
Paolo Albani Angel Odena
Gabriele Adorno Marcello Giordani

Direction musicale Jesus Lopez Cobos
Mise en scène Giancarlo del Monaco

 

 

                         Ferruccio Furlanetto (Fiesco)

 

Il ne pouvait y avoir meilleur signe qu’une Espagne en fête, depuis son succès triomphal au Mundial,  avant que ne débute la première saison de Gerard Mortier au Teatro Real de Madrid.

Et si l’on en juge à l’accueil qu’ont reçu dimanche soir les artistes de Simon Boccanegra, dans la reprise de la production de 2002, le public Madrilène pourrait bien être le plus généreux et le plus enthousiaste d’Europe.

Une pluie de ‘Brava!’ adressée à Inva Mula suivit l’air contemplatif ‘Come in quest’ora bruna’, une longue ovation suivit la grâce du grand trio de la réconciliation à la fin du deuxième acte, et, comme au Châtelet dans Cyrano de Bergerac, Placido Domingo eut la joie d’amasser une standing ovation d’une bonne demi heure lorsque le rideau rouge se referma.

Le Teatro Real de Madrid, la veille de la projection en extérieur de Simon Boccanegra.

Le Teatro Real de Madrid, la veille de la projection en extérieur de Simon Boccanegra.

L’excitation se prolongea même à l’extérieur, puisque la représentation fut retransmise sur grand écran, avec une acoustique multi-dimensionnelle créée par les façades du Palais Royal qui s’opposent, vers l’ouest, à l’entrée du théâtre.

Et preuve de la motivation du cœur, des spectateurs s’étaient déjà installés sur les chaises, supportant la lourdeur d’un soleil écrasant, plus de deux heures avant le début du spectacle.

Le public Madrilène, le soir de la diffusion sur grand écran de Simon Boccanegra.

Le public Madrilène, le soir de la diffusion sur grand écran de Simon Boccanegra.

On connait bien le style des mises en scènes de Giancarlo del Monaco, prisé par les directeurs en quête de visions à l’apparence historique et un peu dépoussiérées.

Goût pour les symboles statuaires, ici celle du doge qui s'impose au milieu d’une salle du palais tout en marbre s'il fallait souligner l'enjeu de puissance, goût pour les costumes connectés aux rôles politiques de chacun, la longue toge rouge de Simon, les armures des combattants, clarté et simplicité des états d’âmes du chœur considéré comme personnage unique, bras vengeurs quand il s’agit de s’en prendre aux kidnappeurs d’Amélia, mais jeu stéréotypé là où il faudrait trouver les détails qui montrent la vérité subtile des sentiments entre personnages.

 Inva Mula (Amelia Grimaldi)

Inva Mula (Amelia Grimaldi)

C’est ce genre de production "péplum" qui révèle la force qu’il y avait dans la production de Johan Simons à l’Opéra Bastille, décriée pour son esthétique, où tout le travail reposait sur les relations intimes, l‘affection de Simon pour sa fille, l’affection de Fiesco prenant par l’épaule son successeur quand il constate qu’il va mourir, et également un sens de la continuité qui disparait totalement dans la production de Madrid lorsqu’il faut attendre plus de cinq minutes pour passer de la scène du jardin à celle du sénat.

La réalisation musicale repose avant tout sur un engagement émotionnel total de tous les chanteurs.

Le parcours ambitieux de Paolo, tragiquement conduit vers la déchéance, est très bien rendu par Angel Odena, avec une très grande force dans l’expression faciale et une caractérisation vocale terrible.

Placido Domingo (Simon Boccanegra)

Placido Domingo (Simon Boccanegra)

La noblesse du chant de Ferruccio Furlanetto est un émerveillement renouvelé, car celui qui est un des plus prodigieux chanteurs de notre époque est dans un constant approfondissement du sens musical, laissant petit à petit, année après année, tomber les facilités des expressions véristes.

A la veille de ses 70 ans, on ne peut reprocher les aspérités évidentes des lignes vocales de Placido Domingo.

Il n’est plus question de savoir si la voix est plus proche du ténor ou du baryton, le fait est que les yeux fermés il nous touche de manière unique car il porte la mémoire d’un chant et d’un timbre qui a forgé notre univers lyrique mental pour la vie.

Il y a cette présence, une projection décoiffante qui brave irrésistiblement le temps lorsque le texte exige une tenue infaillible dans l’instant.

A certains moments, les névroses d’Otello ressurgissent même sans la moindre altération.

Inva Mula (Amelia Grimaldi)

Inva Mula (Amelia Grimaldi)

Après son apparition idéalisée fascinante, sur fond d’une mer Méditerranée animée par la technique vidéo fréquente dans les théâtres lyriques d‘aujourd’hui, Inva Mula apporte son sens mélodramatique sincère au rôle d’Amélia, une puissance qui contraste avec son allure si douce et fragile.

 

Marcello Giordani, dont la poésie de la voix se durcit au fil des ans, trouve en revanche des ressources pour imposer un Adorno guerrier, presque mauvais, à la hauteur de tous ces politiciens endurcis, et au niveau desquels il souhaite se hisser.

Sa rage l’emporte beaucoup trop sur ses sentiments sensibles et amoureux.

Angel Odena (Paolo Albiani)

Angel Odena (Paolo Albiani)

Mais un des points forts de la représentation repose sur le lyrisme mystique des chœurs du Teatro Real, un souffle vif et léger qui unifie sensiblement les voix des chanteurs principaux.

Jesus Lopez Cobos dirige un orchestre énergique, d’où se détachent des cuivres très sûrs d’eux-mêmes, auquel manquent toutefois un peu ampleur et surtout de la grâce.

A la toute fin, Placido Domingo réussit son petit effet en se laissant tomber de façon tellement naturelle, comme si le dernier souffle s’envolait, que notre propre cœur pouvait se laisser prendre par l’émoi.

Synopsis de Simon Boccanegra

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