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Publié le 15 Janvier 2023

Un mois à la campagne (Ivan Tourgueniev – 1850, création à Moscou en 1872)
Traduction Michel Vinaver – Texte publié aux éditions L’Arche Editeur (2018)
Représentation du 11 janvier 2023
Théâtre de l’Athénée Louis-Jouvet

Alexeï Nikolaïtch Beliaev Louis Berthélémy
Natalia Petrovna Clémence Boué
Athanase Ivanovitch Bolchintsov Jean-Noël Brouté
Mikhaïl Alexandritch Rakitine Stéphane Facco
Anna Semionovna Islaïeva Isabelle Gardien
Véra Alexandrovna Juliette Léger
Arkady Serguïeitch Islaïev Guillaume Ravoire
Lizaveta Bogdanovna Mireille Roussel
Ignace Ilitch Chpiguelski Daniel San Pedro
Kolia Lucas Ponton

Mise en scène Clément Hervieu-Léger, sociétaire de la Comédie Française
Production déléguée La Compagnie des Petits Champs

Création : novembre 2022 au Théâtre des Célestins – Lyon

Coproduction Théâtre des Célestins, Scène Nationale d’Albi, Théâtre de Caen, Théâtre de Chartres – Scène conventionnée d’intérêt national Art et Création, Maison de la Culture d’Amiens, La Coursive – Scène nationale de La Rochelle, et avec la participation artistique du Jeune théâtre national.

En mars 2018,  Alain Francon mis en scène au Théâtre Déjazet ‘Un mois à la campagne’ d’ Ivan Tourgueniev dans une nouvelle traduction de Michel Vinaver, romancier familier de la langue russe.

Cette pièce, qui n’a plus été montée à la Comédie Française depuis 1997, ne raconte pas une action en soi, mais laisse plutôt se développer des méandres amoureux et des analyses sans fin d’une famille aisée de la campagne russe qui se trouve bouleversée par l’arrivée, en début de mois, d’un jeune étudiant, Alexeï Nikolaïtch Beliaev, chargé de l’éducation de Kolia, le fils des propriétaires Natalia Petrovna et Arkady Serguïeitch Islaïev.

Bien avant Anton Tchekhov, Ivan Tourgueniev aborde ainsi le thème des sentiments intérieurs qui se jouent des classes sociales, au point d’arriver à faire imploser des relations humaines socialement bien établies, et à obliger tout le monde à se séparer.

Louis Berthélémy (Beliaev) et Clémence Boué (Natalia Petrovna)

Louis Berthélémy (Beliaev) et Clémence Boué (Natalia Petrovna)

Clément Hervieu-Léger, comédien et sociétaire de la Comédie Française (2018), présente au Théâtre de l’Athénée sa propre mise en scène d’‘Un mois à la campagne’ avec les acteurs de La Compagnie des Petits Champs qu’il a créé en 2010 avec Daniel San Pedro. Il met de côté le caractère pittoresque original de la pièce en lui donnant une modernité banale, sans forcer le trait, qui s’insère naturellement dans la réalité humaine d’aujourd’hui.

Il peut ainsi compter sur Clémence Boué qui fait de Natalia Petrovna la parfaite bourgeoise actuelle sûre de son contrôle sur son entourage, mais aussi capable de manifester une véritable attention à l’autre. Et ce qui est intéressant dans sa manière de faire évoluer son personnage est, certes, qu’elle fait apparaître comment elle est perturbée par ses sentiments pour le jeune homme, mais sans chercher à tout tourner au tragique, tout en laissant un esprit de dérision mélancolique s’installer alors qu’elle veut rester une femme forte.

Louis Berthélémy (Beliaev)

Louis Berthélémy (Beliaev)

Louis Berthélémy n’est d’ailleurs pas tout à fait un Beliaev évanescent et innocent dans cette relation complexe. Le jeune acteur affiche un certain détachement séducteur, mais lorsque les aveux deviennent clairs entre l’étudiant et la maîtresse de maison, la nervosité de son personnage traduit des conflits intérieurs, comme si tout n’était pas aussi pur en lui.

On ne peut inévitablement s’empêcher de sourire à la tentative de rationalisation à outrance qu’offrent Guillaume Ravoire et Stéphane Facco, lorsqu’Arkady, le mari de Natalia, pense que c’est Rakitine dont elle est amoureux. Se joue une explication qui se veut posée, tout à fait à l’image d’un milieu qui prétend pouvoir dominer les passions humaines.

C’est ce jeu très fin entre humour contrôlé et posture pas trop monolithique qui évite de rendre les échanges ennuyeux, et qui fait la saveur de cette représentation.

Juliette Léger (Véra) et Clémence Boué (Natalia Petrovna)

Juliette Léger (Véra) et Clémence Boué (Natalia Petrovna)

Plus étonnant est le traitement de Kolia, incarné par Lucas Ponton, qui est volontairement enserré dans des habits étroits, un peu étouffants, qui semblent indiquer que ce jeune garçon est contraint par une éducation qui ne sait pas enseigner la liberté d’être soi. Le dernier tableau où on le voit jouer avec le cerf volant que l’étudiant lui a appris à fabriquer annonce peut-être le début d’une prise de conscience.

Car on ne peut s’empêcher d’être un peu gêné par ce milieu, très bien rendu, où le voisin Athanase (Jean-Noël Brouté), le docteur Ignace (Daniel San Pedro), par exemples, incarnent des rôles plus que des êtres.

La puissance scénique de Mireille Roussel, la gouvernante, fait un excellent contrepoids car tout paraît grave et entier chez elle, simplement par le regard et les attitudes.

Isabelle Gardien (Anna Islaïeva), Mireille Roussel (Lizaveta) et Stéphane Facco (Rakitine)

Isabelle Gardien (Anna Islaïeva), Mireille Roussel (Lizaveta) et Stéphane Facco (Rakitine)

Règne ainsi une très belle unité entre tous ces caractères assez différents, Juliette Léger tirant Véra  sur son naturel frénétique, et Isabelle Gardien, qui a quitté la troupe de la Comédie Française en 2010, faisant vivre chez Anna Islaïeva une sévère autorité qui n’échappera pas, elle aussi, aux émotions profondes.

La pièce dure un peu plus de deux heures, les éléments scéniques, tréteaux, meubles et éclairages chaleureux restent assez simples, et le plaisir, tout comme la concentration, sont favorisés par l’intimité de la salle de l’Athénée qui est un lieu idéal pour s’imprégner de toutes ces réflexions obsédantes et très humaines. Et quelle surprise, en tout début de représentation, que d'entendre un air enregistré de l'opéra de Vincenzo Bellini 'I Capuleti e i Montecchi', version belcantiste de 'Roméo et Juliette', qui traduit peut-être l'aspiration amoureuse profonde de Natalia Petrovna.

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