Jenůfa (Dasch-Herlitzius-Cernoch-Netopil-Mitchell) De Nationale Opera - Amsterdam

Publié le 13 Octobre 2018

Jenůfa (Leoš Janáček)
Représentation 06 octobre 2018
De Nationale Opera, Amsterdam

Stařenka Buryjovka Hanna Schwarz
Laca Klemeň Pavel Cernoch
Števa Buryja Norman Reinhardt
Kostelnička Buryjovka Evelyn Herlitzius
Jenůfa Annette Dasch
Stárek Henry Waddington
Rychtár Jeremy White
Rychtárka Francis van Broekhuizen
Karolka Karin Strobos
Pastuchyňa Polly Leech
Barena Gloria Giurgola

Direction musicale Tomáš Netopil
Mise en scène Katie Mitchell (2018)   

Nederlands Philharmonisch Orkest & Koor van De Nationale Opera  

                                                                                       Annette Dasch (Jenůfa) et Pavel Cernoch (Laca)

La production parisienne de Jenůfa mise en scène par Stéphane Braunschweig en 1996 et 2003 au Théâtre du Châtelet - Jenůfa n'est aujourd'hui toujours pas entré au répertoire de l'Opéra de Paris en langue originale - avait marqué par sa rudesse, la douleur froide du visage de Jenůfa balafrée portant sur elle une souffrance humaine incommensurable recouverte d’ombres, et le portrait d’une mère si effrayée par elle-même qu’elle n’était plus qu’un fantôme ne sachant plus à quoi se rattacher.

Il fallait avoir le moral pour résister à un tel malheur rendu si crédible par un metteur en scène et également des artistes au talent aussi expressif tels Karita Mattila, Rosalind Plowright et Stefan Margita, lors de la dernière reprise sous la direction de Sylvain Cambreling.

Annette Dasch (Jenůfa) et Evelyn Herlitzius (Kostelnička)

Annette Dasch (Jenůfa) et Evelyn Herlitzius (Kostelnička)

A Amsterdam, en ce soir de première, la production de Katie Mitchell refuse quasiment tout néo-naturalisme et replace l’histoire de Jenůfa dans un contexte social contemporain réaliste. La jeune villageoise se réincarne en une secrétaire de direction d’une entreprise industrielle, le décor sur fond d’usine de production évolue ensuite au second acte en une caravane allongée, agréablement cosy, lieu de refuge à l’écart de la société, pour se transformer au final en un appartement d’une petite famille bourgeoise de province, croyante et attachée à ses rituels domestiques.

Evelyn Herlitzius (Kostelnička) et Pavel Cernoch (Laca)

Evelyn Herlitzius (Kostelnička) et Pavel Cernoch (Laca)

Et à travers un excellent travail de direction d’acteur, d’une méticulosité qui touche aussi bien les rôles principaux que les tout petits rôles, l’approche est claire, Katie Mitchell montre le désir d’évolution sociale à travers un univers féminin où elle met en balance plusieurs typologies d’hommes, dont le jeune envieux de réussite - Števa – et la jeune victime de ses propres pulsions encore violentes mais sincères, Laca. La femme apparaît comme un être qui sait et doit composer avec les débordements sexuels des hommes tels qu'ils sont.

Hanna Schwarz (Stařenka), Annette Dasch (Jenůfa), Evelyn Herlitzius (Kostelnička) et Norman Reinhardt (Števa)

Hanna Schwarz (Stařenka), Annette Dasch (Jenůfa), Evelyn Herlitzius (Kostelnička) et Norman Reinhardt (Števa)

Le drame personnel de Jenůfa passe un peu au second plan, et les comportements de l’entourage sont si bien caractérisés qu’ils permettent à chacun de retrouver des figures familières aussi bien chez les parents que parmi le petit personnel.

Il y a quelque chose de la Tatiana de Tchaïkovski dans ce portait d’une femme issue d’un milieu modeste et qui avance tout de même, grâce à sa mère, dans la société, et le final à corps désirant entre Jenůfa et Laca fait même tout oublier, comme si l’amour entre les êtres avait pris totalement le dessus.

Même le portrait de la mère de Jenůfa est révélé par Katie Mitchell avec un sens de la compassion fortement palpable, et cette intention humaniste compense l’apparence léchée de la production.

Annette Dasch (Jenůfa)

Annette Dasch (Jenůfa)

Evelyn Herlitzius, dans un rôle qui lui va à merveille, rend à Kostelnička sa folie névrotique sans pour autant la faire basculer dans l’hystérie outrancière. Sa féminité mystérieuse est intacte, l’incarnation émouvante aussi bien par les changements d’inflexions que des expressions du visage si bouleversants et marquants, et sa joie libérée face au public au rideau final est une joie partagée par tous.

Hanna Schwarz, avec les nombreux clivages d'une tessiture grave aux accents inquiétants et ses talents d’actrice naturels, imprime un portrait autoritaire et assez inflexible de Stařenka Buryjovka, et Annette Dasch, que l’on aurait envie de dire 'luxueuse' pour le rôle de Jenůfa, mélange charme et sensibilité, et en est presque trop lumineuse quand on attend aussi une certaine noirceur viscérale qui reflèterait la tristesse accumulée par les conditions de vie de l’héroïne.

Pavel Cernoch, Katie Mitchell, Evelyn Herlitziuz et Lizzie Clachan (Décors)

Pavel Cernoch, Katie Mitchell, Evelyn Herlitziuz et Lizzie Clachan (Décors)

Quant à Norman Reinhardt, il porte avec agilité et élégance vocale le personnage de Števa, et c’est en Pavel Cernoch, familier de Laca, que l’on retrouve la fureur scénique, la noirceur slave d’un chant poignant, une âme tourmentée qui va si bien à ce chanteur profondément attachant.

A l’image de ce spectacle parfaitement conçu et dirigé, et quelque part plutôt polissé, la direction musicale Tomáš Netopil est d’une finesse si envoûtante et merveilleuse qu’elle ne laisse plus soupçonner que la musique de Leoš Janáček peut être aussi un univers de noirceur âpre et saillant.

Le chœur, habilement animé, est d’une bien agréable homogénéité, et l’on aurait envie de dire d’une sensuelle suavité, et sa cohésion, un modèle de naturel.

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