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Publié le 5 Juin 2019

Der Junge Lord (Hans Werner Henze)
Livret d’Ingebord Bachmann d’après une parabole tirée du conte Der Scheik von Alessandria und seine Sklaven de Wilhelm Hauff.
Représentation du 30 mai 2019
Staatstheater am Gärtnerplatz (Munich)

Sir Edgar Dieter Fernengel
Sir Edgars Sekretär Christoph Filler
Lord Barrat Brett Sprague
Begonia Bonita Hyman
Der Bürgermeister Levente Páll
Oberjustizrat Hasentreffer Liviu Holender
Ökonomierat Scharf Holger Ohlmann
Professor von Mucker Juan Carlos Falcón
Wilhelm, Student Lucian Krasznec
Baronin Grünwiesel Ann-Katrin Naidu
Luise, ihr Mündel Mária Celeng
Frau Oberjustizrat Hasentreffer Jennifer O'Loughlin
Ida, ihre Tochter Ilia Staple
Frau von Hufnagel Anna-Katharina Tonauer
Amintore La Rocca Alexandros Tsilogiannis

Direction musicale Anthony Bramall
Mise en scène Brigitte Fassbaender (2019)

Théâtre musical à vocation populaire, le Staatstheater am Gärtnerplatz de Munich obtint de la part de Louis II de Bavière l’autorisation d’exister le 10 mai 1864, six jours après que le roi ait rencontré pour la première fois Richard Wagner au Palais de la Résidence. Il n’avait pas encore dix-neuf ans, alors que le compositeur de plus de trente ans son aîné n’était rentré de son long exil d’Allemagne que depuis seulement trois ans.  

Alexandros Tsilogiannis (Amintore La Rocca)

Alexandros Tsilogiannis (Amintore La Rocca)

Théâtre Royal sous Ludwig II, et temple de l’opérette pendant plus d’un demi-siècle, l’opéra et la comédie musicale y ont trouvé un lieu d’expression depuis les années 1950, et, en admirant la forme de sa salle, la sobriété néo-classique de ses apparats et les drapés rouges de son rideau de scène, l’on ne peut s’empêcher de penser à son grand frère, le Bayerische Staatsoper, dont on croirait une réplique aux dimensions plus réduites.

Et après cinq ans de travaux, cette maison au caractère intime et familial est ré-ouverte depuis le 15 octobre 2017, affichant une diversité de répertoire surprenante où La Flûte Enchantée côtoie Priscilla-folle du désert et The Chocolate Soldier.

Der Junge Lord (Filler-Hyman-Sprague-Naidu-Celeng-Bramall-Fassbaender) Staatstheater am Gärtnerplatz

A l’instar de Dantons Tod (Gottfried Von Einem) joué en ce lieu en début de saison, la nouvelle production de Der Junge Lord est un événement, puisque qu’elle porte sur la scène un opéra aussi peu représenté dans le monde que le Falstaff de Salieri, par exemple, et qui n’a connu que trois productions en 15 ans (Klagenfurt 2005, Dortmund 2009, Hanovre 2017).

Du livret inspiré de ‘Singe pour homme’, un conte de Wilhelm Hauff issu de son ouvrage ‘Le Cheik d’Alexandrie et ses esclaves’ (1826), Hans Werner Henze invente une musique qui entraîne l’auditeur dans une action théâtrale trépidante, une griserie instrumentale qui fond nombre d’ornements de bois aux traits impertinents à la chaleur intimiste des éclats cristallins de pianos et aux sonorités merveilleuses du célesta.

On pense beaucoup aux descriptions de la vie si fines chez Mozart, et au mystère des interludes de Benjamin Britten, et l’immédiateté de l’art descriptif et mélodique de Hans Werner Henze surprend au premier abord lorsque l’on sait qu’il représenta la génération qui suivit Paul Hindemith et Ernst Krenek.

Christoph Filler (Sir Edgars Sekretär)

Christoph Filler (Sir Edgars Sekretär)

Mais lorsque l’on prend conscience des agacements et des intrigues sociales qui se nouent autour de ce jeune lord totalement libre, Sir Edgar, qui se fiche pas mal de ce que pense cette société qui prend comme un affront son absence d’intérêt pour ses événements mondains, on peut penser que Brigitte Fassbaender n’a pas souhaiter viser directement le public d’aujourd’hui, et laisser à chacun le choix de s’identifier ou pas.

Et l’on admire tout au long du spectacle le naturel et l’excellent sens de la comédie de l’ensemble des artistes qui ont chacun l’occasion de mettre en avant leur présence et leur aisance vocale.

Bonita Hyman (Begonia)

Bonita Hyman (Begonia)

En osmose complète avec les musiciens du Staatstheater am Gärtnerplatz, l’énergie et l’incisivité ludique d’Anthony Bramall s’immergent à merveille dans le jeu scénique alertement mené par la direction scénique Brigitte Fassbaender, tout en conservant l’épaisseur nécessaire lorsqu’il s’agit de souligner les noirceurs du drame. 

Bien que ne prenant pas trop de risques en construisant une scénographie haut en couleur au charme fin XIXe siècle, la principale originalité de la mise en scène repose sur l’utilisation d’une immense maquette de la ville à travers les rues de laquelle une caméra nous fait déambuler pour suggérer, lors des transitions, un cloisonnement urbain qui est aussi celui des mentalités de ses habitants.

Ann-Katrin Naidu (Baronin Grünwiesel)

Ann-Katrin Naidu (Baronin Grünwiesel)

Avec son allure de Dandy gothique étincelant, Christoph Filler est un splendide secrétaire qui chante avec une fraîcheur de timbre mâtinée d’une suavité au charme fou, une manière d’incarner un fascinant détachement ironique qui rend sa présence magique. Autre bijou vocal, le beau galbe noir profond aux aigus glorieux d’Ann-Katrin Naidu porte au premier plan le personnage de la Barone Grünwiesel dont l’éminence aristocratique au regard dangereux évoque le tempérament d’une Turandot prête à tuer.

Autour de ces deux personnalités centrales, la jovialité et le panache d’Alexandros Tsilogiannis vibrent de joie de vivre, l’outrecuidance d’Ilia Staple recherche l’effet perçant, la bonhommie de Bonita Hyman, qui incarnait aussi Begonia à Hanovre en 2017, évoque l’allure d’un chanteuse de gospel, et la sincérité s’incarne en Maria Celeng, Louise transformée au final en Sophie du Chevalier à La Rose recevant la fleur d’argent des mains de Brett Sprague, le singe déguisé pour l’occasion en Octavian.

Christoph Filler (Sir Edgars Sekretär)

Christoph Filler (Sir Edgars Sekretär)

Brigitte Fassbaender voulait-elle faire un clin d’œil aux amateurs d’opéras dont la passion peut sublimer leur regard sur la réalité ? Quoi qu’il en soit, cette histoire d’un petit monde qui se laisse abuser par un singe, ce qui pointe cruellement la faculté de ces individualités à mimer des personnalités artificielles au lieu d’être pleinement elles-mêmes dans l’expression de leur amour pour la vie, est véritablement universelle, et peut ainsi réunir autour d’elle tous les publics, toutes les familles, par le simple plaisir visuel, sensoriel et satirique qu’il a à offrir.

Et le chœur d’enfants du théâtre fortement associé aux scènes de vie de la cité est admirable de cohésion et de spontanéité.

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Publié le 18 Décembre 2017

Elektra (Richard Strauss)
Version de concert du 15 décembre 2017
Philharmonie de Paris - Grande salle Pierre Boulez

Elektra Nina Stemme
Klytämnestra Waltraud Meier
Chrysothémis Gun-Brit Barkmin
Orest Matthias Goerne
Ägisth Norbert Ernst
Die Erste Magd Bonita Hyman
Die zweite Magd Yaël Raanan Vandoor 
Die dritte Magd Valentine Lemercier
Die vierte Magd Lauren Michelle
Die fünfte Magd Kirsi Tiihonen
Die Aufseherin Amélie Robine

Direction musicale Mikko Franck                                  Mikko Franck
Orchestre philharmonique de Radio France
Chœur de Radio France

Alors qu'elle vient de mettre un terme à tous ses grands rôles wagnériens, hormis celui maléfique d'Ortrud qu'elle reprendra à Bayreuth l'été prochain, Waltraud Meier est de retour ce soir pour incarner la mère adultère et criminelle d'Elektra sur la scène de la Philharmonie.

Mikko Franck et Nina Stemme (Elektra)

Mikko Franck et Nina Stemme (Elektra)

Une entrée fantastique, le regard légèrement incurvé vers Nina Stemme, les épaules décidées et la démarche assurée, le magnétisme de cette artiste est d'une telle puissance, et son art déclamatoire d'une telle précision, que la force de la beauté affirmée de son personnage peut encore et toujours engendrer les larmes d'une émotion subjuguée par tant de vérité dans l'incarnation.

Et les fulgurances de sa voix ont un souffle et une tenue pénétrante totalement intimidants. Clytemnestre nerveuse, humaine et d'une noirceur morbide peu prononcée, prenant à partie le spectateur saisi par un regard défiant, même son retrait après sa grande confrontation avec Elektra est une leçon de vie et de théâtre que l'on ne peut oublier.

Waltraud Meier (Clytemnestre)

Waltraud Meier (Clytemnestre)

Nina Stemme, elle, portant une robe noire subtilement scintillante, enrobe sa violence d'un magnifique timbre sombrement ambré, puissant sans en forcer les appuis et sans altérer son unité. Elektra est bien une jeune femme tourmentée, mais qui n'a rien cédé à sa stature de femme aristocratique.

Et quelle énergie positive émane de Gun-Brit Barkmin, mariant finesse straussienne et expressivité bergienne, tant elle évoque l'élan pour la vie d'une amoureuse et l'élan intrépide et excitant d'une Lulu dangereuse!

Le Philharmonique de Radio France

Le Philharmonique de Radio France

Ces trois grandes chanteuses formidablement appariées sont ainsi le cœur vibrant de cette unique soirée qui s'est ouverte sur un accueil haut en couleur par les servantes et leur surveillante, une palette d'expressions riches en sentiments névrotiques et hystériques dominée par le trait de lumière irradiant de la personnalité glamour de Lauren Michelle.

On le connaissait poète lunaire au timbre caressant et moelleux, Matthias Goerne se fait terriblement noir, ce soir, les boyaux en torsion et l'âme répugnée, un Oreste que l'on croirait animé par la haine au moindre mot exprimé.

Lauren Michelle (La quatrième servante)

Lauren Michelle (La quatrième servante)

Quant à l'Egisthe de Norbert Ernst, ne lui manque qu'un masque horrifié plus saisissant quand il bascule de sa légèreté habituelle vers la crise de panique engendrée par l'arrivée d'Oreste.

D'ailleurs, les deux climax qui marquent l'aboutissement des deux crimes vengeurs ne sont pas les points les plus intenses de cette interprétation qui valorise, avant tout, la cohésion d'ensemble et le lyrisme fusionnel.

Gun-Brit Barkmin (Chrysothémis), Waltraud Meier (Clytemnestre) et Matthias Goerne (Oreste)

Gun-Brit Barkmin (Chrysothémis), Waltraud Meier (Clytemnestre) et Matthias Goerne (Oreste)

Depuis le parterre, en effet, le son grave des cuivres et des basses forme une matière chaude et malléable que les cordes et les vents innervent de leurs lignes et sinuosités dynamisées en permanence par Mikko Franck. Habituellement assis, on le voit alors prendre pied au cœur de l'orchestre pour soulever en lui une houle épique qui enveloppe ainsi les artistes d'une tension si chaleureuse qu'elle se garde de toute expression trop agressive.

Une merveille sonore, un règlement de comptes hypnotisant au point d'être parcouru soi-même de frissons irisants, une telle beauté laisse rêveur surtout lorsqu'elle ne surgit que pour un soir.

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