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Publié le 19 Août 2018

The Bassarids (Hans Werner Henze)
Représentation du 16 août 2018
Felsenreitschule  - Salzburger Festspiele 2018

Dionysus  Sean Panikkar
Pentheus  Russell Braun
Cadmus  Willard White
Tiresias / Calliope  Nikolai Schukoff
Captain / Adonis  Károly Szemerédy
Agave / Venus  Tanja Ariane Baumgartner
Autonoe / Proserpine  Vera-Lotte Böcker
Beroe  Anna Maria Dur
Danseuses Rosalba Guerrero Torres

Directeur musical Kent Nagano
Orchestre Wiener Philharmoniker

Mise en scène Krzysztof Warlikowski (2018)
Décors et costumes Małgorzata Szczęśniak
Lumières Felice Ross
Vidéo Denis Guéguin
Chorégraphie Claude Bardouil
Dramaturgie Christian Longchamp

Rosalba Guerrero Torres (Danseuse), Sean Panikkar (Dionysos) et Russel Braun (Penthée) - Photo Bernd Uhlig                 

The Bassarids est un opéra du compositeur allemand Hans Werner Henze (1926-2012) qui fut créé au Festival de Salzbourg le 06 août 1966 dans une traduction allemande. C’est seulement deux ans plus tard qu’il fut chanté pour la première fois en anglais, la langue originale du livret, lors de sa première aux Etats-Unis.

Œuvre majeure du XXe siècle inspirée des Bacchantes d’Euripide, elle est régulièrement reprise dans le monde entier, Milan 1968, Londres 1968 et 1974, Berlin 1986 et 2006, Cleveland & New-York 1990, Paris-Châtelet & Amsterdam 2005, Munich 2008, Rome 2015, Madrid 1999 et 2018, mais sous des altérations diverses (traduction allemande, orchestration réduite, version révisée de 1992 sans l’intermezzo).

Tanja Ariane Baumgartner (Agavé) et Vera-Lotte Böcker (Autonoé) - Photo Bernd Uhlig

Tanja Ariane Baumgartner (Agavé) et Vera-Lotte Böcker (Autonoé) - Photo Bernd Uhlig

Revenir à la version originale en anglais avec l’intermezzo et avec une orchestration opulente, comme la représente cette année le Festival de Salzbourg, permet donc d’explorer un espace sonore étendu, et de révéler sa puissance théâtrale. Pour Kent Nagano, ce n’est cependant pas une première, car il vient de diriger The Bassarids à Madrid en juin dernier avec l’Orchestre et le Chœur nationaux d’Espagne.

Le sujet, le retour à Thèbes de Dionysos, dieu vengeur obsédé par la mort atroce de sa mère, Sémélé, se confrontant à la société autoritaire et ordonnée sur laquelle règne Penthée, petit-fils du fondateur de la ville, Cadmos, et fils d’Agavé, la sœur de Sémélé qui n’avait pas cru à l’union de cette dernière avec Zeus, pourrait dans un premier temps faire écho au Roi Roger de Karol Szymanowski, mais il en diffère considérablement. La musique est bien plus complexe et brutale, et les forces destructrices en jeu bien plus extrêmes.

Russel Braun (Penthée) et Sean Panikkar (Dionysos) - Photo Bernd Uhlig

Russel Braun (Penthée) et Sean Panikkar (Dionysos) - Photo Bernd Uhlig

Krzysztof Warlikowski et Małgorzata Szczęśniak montrent cela en disposant un décor longitudinal et peu élevé en dessous des arcades du Felsenreitschule, qu’ils divisent en trois parties.

A gauche, la tombe de Sémélé et les lieux de culte où se retrouve le peuple thébain. Au centre une pièce du Palais Royal. A droite, une pièce plus intime où les désirs s’expriment et l’humain s’y déshabille.

Dionysos arrive par une des arcades latérales, dominant la scène, accompagné d’une ménade fortement érotisée.

Dans ce cadre écrasé, l’oppression des thébains est montrée par l’arrivée du chœur face à la scène, comme des spectateurs, mais qui se font chasser par des policiers lorsqu’ils montrent leur attirance pour le nouveau culte de Dionysos.

Tanja Ariane Baumgartner (Agavé) - Photo Bernd Uhlig

Tanja Ariane Baumgartner (Agavé) - Photo Bernd Uhlig

Le vieux roi Cadmos ne peut trouver en Willard White qu’un interprète émouvant, humain, un timbre sombre et dilué, des attaques fauves, ce chanteur / acteur touchant en est au moins à sa septième collaboration avec Krzysztof Warlikowski. Il est d’ailleurs le seul personnage représenté simplement sur scène, le moins fou de tous probablement, mais physiquement diminué et impuissant.

Russell Braun, qui interprétait également le rôle de Penthée à Rome en 2015, préserve une forme d’innocence aussi bien par sa façon si naturelle de jouer que par la clarté vaillante du timbre qui supporte solidement les tensions de la partition. On croirait entendre un adolescent encore jeune pour le pouvoir, enfant gâté qui se connait mal et se croit capable de résister indéfiniment à la jouissance sexuelle qui est à la base de l’humanité.

Quant à son costume beige aux motifs naïfs, il suggère une envie pacifique de découvrir une autre communauté, de trouver son identité.  Il est le personnage le plus tourné en dérision avec celui de Tiresias que Nikolai Schukoff, chargé d’exclamations à cœur ouvert, rend entièrement sympathique. Et Károly Szemerédy est un très étrange capitaine, plein d’aplomb mais également animé par une légèreté insidieuse.

Tiresias (Nikolai Schukoff), Tanja Ariane Baumgartner (Agavé), Willard White (Cadmos) - Photo Bernd Uhlig

Tiresias (Nikolai Schukoff), Tanja Ariane Baumgartner (Agavé), Willard White (Cadmos) - Photo Bernd Uhlig

Sean Panikkar, qui participait aux représentations des Bassarids à Madrid avec Nikolai Schukoff, est véritablement celui qui est dans la plénitude de son épanouissement vocal. Son rayonnement puissant s’accompagne d’une netteté de phrasé parfaite, et son personnage cultive l’ambiguïté en montrant une face mystérieuse qui peut soudainement s’affirmer et devenir subtilement menaçante, ou bien découvrir une apparence bienveillante.

Dramatique et hystérique Tanja Ariane Baumgartner en Agavé, tempérament plus aiguisé pour l’Autonoé de Vera-Lotte Böcker, impulsivité d’Anna Maria Dur, les rôles féminins se distinguent par la manière dont ils s’emparent de l’excessivité du jeu voulue par le metteur en scène.

Russel Braun (Penthée) et Sean Panikkar (Dionysos)

Russel Braun (Penthée) et Sean Panikkar (Dionysos)

Mais si d’aucun faisait remarquer que, dans les grandes maisons de répertoires, Krzysztof Warlikowski donne parfois l’impression d’éviter les expressions scéniques excessives, en revanche, The Bassarids entrent en concordance parfaite avec l’univers du metteur en scène, son déchaînement viscéral, sa culture littéraire antique, si bien que l’on ne sait plus si c’est la musique qui transcende son approche théâtrale, ou bien si c’est son geste expressif qui donne un sens fort au drame orchestral.

Cette osmose atteint son climax dans la scène de transe extatique des Bassarides, où le désir sexuel féminin frénétique est à la source de la fureur meurtrière qui va s’en suivre. Les éclairages ondoyants (Felice Ross) sur les corps excités font ressentir la fascination à l’approche de l’enfer, mais auparavant, et tout au long du drame, la danseuse Rosalba Guerrero Torres incarne par le dévoilement de son corps et sa souplesse esthétique la tentation qui enserre l’appel de Dionysos.

Małgorzata Szczęśniak, Krzysztof Warlikowski et Sean Panikkar

Małgorzata Szczęśniak, Krzysztof Warlikowski et Sean Panikkar

Précédemment aux ardeurs de la scène du Mont Cithéron, l’intermezzo annonce à travers le jugement de Calliope comment ce désir féminin peut devenir destructeur. La scène est jouée dans la chambre située à droite, et sa projection vidéo est déroulée à gauche où l’on voit Dionysos apprendre à Penthée la puissance de cette aspiration. C’est intelligemment mis en scène, ce qui permet à chacun de suivre le déroulement du jeu. Mais l’ajout de figurants mimant des chiens asservis fait surtout sourire et distrait de l’enjeu réel de ce tableau un peu long.

La scène finale, qui évoque tant Salomé avec cette tête coupée dans les mains d’Agavé suivie par les restes du corps de Panthée, n’est pas présentée comme une apothéose, mais comme un résultat navrant que Dionysos finit par incendier à coup de bidons d’essence.

Ainsi, deux désirs monstrueux se résolvent, celui d'Agavé pour la tête de son fils, et celui de Dionysos pour sa mère fantasmée, deux forces sous-jacentes qui se révèlent à la toute fin.

Anna Maria Dur, Nikolai Schukoff, Kent Nagano, Tanja Ariane Baumgartner

Anna Maria Dur, Nikolai Schukoff, Kent Nagano, Tanja Ariane Baumgartner

Et l'on pense beaucoup à Richard Strauss au cours de cette représentation, car Kent Nagano joue admirablement des tensions violemment théâtrales de la musique, tout en lui vouant un lustre sonore caressant éblouissant. Les percussions sont situées en hauteur à droite de la scène, l’immersion orchestrale est somptueuse, et l’on peut suivre en permanence le chef diriger les solistes, les phalanges de musiciens, les envolées lyriques des chœurs qu’il mime d’un geste panaché fulgurant, un immense travail qui valorise les strates harmoniques, les murmures inquiétants et les effets foudroyants.

Chœur qui magnifie une écriture vocale respirant en phase avec les ondes orchestrales, Wiener Philharmoniker luxueux, cette expérience musicale et théâtrale aboutie qui nous plonge au cœur des névroses humaines, renvoie en même temps une énergie sensuelle qu’il faut prendre telle quelle au-delà de ce que le texte exprime.

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Publié le 14 Août 2018

Tosca (Giacomo Puccini)
Représentation du 11 août 2018
Soirées lyriques du Théâtre gallo-romain de Sanxay

Floria Tosca Anna Pirozzi
Mario Cavaradossi Azer Zada
Le baron Scarpia Carlos Almaguer
Angelotti Emanuele Cordaro
Le Sacristain Armen Karapetyan
Spoletta Alfred Bironien
Sciarrone Vincent Pavesi
Le geôlier Jesus de Burgos

Direction musicale Eric Hull
Mise en scène Stefano Vizioli

                                                                                                      Anna Pirozzi (Floria Tosca)

La nouvelle édition du Festival de Sanxay porte sur la scène de son site gallo-romain Tosca, 14 ans après qu’une première production fut jouée en ce lieu avec Olga Romanko, Luca Lombardo et Carlos Almaguer dans les trois rôles principaux.

Le décalage entre les paysages de champs vallonnés, les petites routes ombragées, la nature domestiquée qui y vit, et le spectacle incroyable d’une œuvre lyrique chantée en plein air, sans la moindre sonorisation, devant 2000 spectateurs chaque soir, est quelque chose de tellement hors du commun, qu’il devient inenvisageable de se passer de ce rendez-vous annuel qui se déroule au cœur de la région du Seuil du Poitou où se rejoignent deux bassins sédimentaires majeurs, le Parisien et l’Aquitain.

Et à nouveau, la distribution réunie brille par son homogénéité vocale agréablement satinée par l’air de la nuit.

Anna Pirozzi (Floria Tosca) et Azer Zada (Mario Cavaradossi)

Anna Pirozzi (Floria Tosca) et Azer Zada (Mario Cavaradossi)

Azer Zada, jeune ténor azéri familier du rôle de Cavaradossi, se coule avec aisance dans la peau d’un personnage au regard charmeur, jouant constamment de la douceur d’un timbre massif dont il préserve le moelleux en atténuant toute tension, même dans les aigus. Il offre ainsi un parfait exemple de chant intègre à la fois dynamique et unifié, sans la moindre césure.

Anna Pirozzi, adulée des amateurs de pure vocalité du monde entier, interprète une Floria Tosca terrienne, fortement présente et sans aucun effet de geste ou de posture sophistiqué. Car le tempérament guerrier de la soprano napolitaine, si prégnant chez certaines héroïnes verdiennes qu’elle fait revivre régulièrement, se retrouve aussi dans cette héroïne puccinienne dépeinte sous un angle nettement rageur.

Et d’un souffle solide et élancé, toutes les difficultés de son personnage passent inaperçues, d’autant plus que l’expressivité et les couleurs ensoleillées de sa tessiture aiguë lui donnent un aplomb marquant, mais qui laissent moins de place à la sensibilité amoureuse de la cantatrice du Palais Farnèse.

Carlos Almaguer (Scarpia)

Carlos Almaguer (Scarpia)

Seul chanteur présent en 2004 dans le même rôle, Carlos Almaguer rend à Scarpia une stature autoritaire et noble à la fois, sans la moindre vulgarité, qui l’apparente à un aigle royal cherchant à cerner sa proie. Souplesse de la voix, maturité du timbre, cohérence forte entre la manière d’être et l’impression sonore, cette solidité affichée permet également, pour quelqu’un qui ne connait pas la pièce, de maintenir un certain temps l’ambiguïté sur la nature humaine du chef de la police.

Parmi les seconds rôles, Armen Karapetyan se distingue en brossant un portrait fort et subtil du Sacristain, sans sur-jeu comique comme on le voit trop souvent, qui lui restitue une dignité souvent négligée.

Anna Pirozzi (Floria Tosca) et Azer Zada (Mario Cavaradossi)

Anna Pirozzi (Floria Tosca) et Azer Zada (Mario Cavaradossi)

Néanmoins, l’ensemble de la représentation souffre des soulignements à gros traits du metteur en scène, et d’une direction d’acteur simpliste qui ne permet pas d’installer une crédibilité et une continuité dans le déroulement des affects en jeu. Le décor principalement constitué d’une façade noire et de plusieurs portes, au sol ou en hauteur, dont l’une en forme de croix, permet certes des changements de situations efficaces, soutient les voix, mais reste fermé même au début du troisième acte, quand la musique aurorale et le chant du berger posent le dernier moment de sérénité du drame.

Carlos Almaguer (Scarpia)

Carlos Almaguer (Scarpia)

A l’inverse, Eric Hull tire de son ensemble orchestral de belles couleurs sombres tissées avec finesse, esthétisme, mais met surtout en valeur la qualité du son, l’éclat chaleureux des cuivres, plutôt que l’impulsion, la prise de risque théâtrale qui pourrait bien plus saisir l’auditeur par la violence des situations. On remarque également qu’une partie des musiciens est située sous la scène avancée pour l’occasion au-dessus de l’orchestre comme une proue de navire, ce qui pourrait expliquer l’atténuation sensible du son lors de l’ouverture pastorale du dernier acte. L'effet des cloches disséminées tout autour de l'enceinte du théâtre, tintant au lever du soleil sur Rome, est charmant, d'autant plus qu'il invite à lever les yeux au ciel.

Et quelle résonance magnifique entre l’air ‘E lucevan le stelle’ chanté par Azer Zada dans la scène de la prison, et le ciel étoilé qui, ce soir-là, est zébré d’étoiles filantes, les perséides, filant au-dessous de la constellation de Cassiopée avec des pics de fréquence à 3 météorites par minute, dont l’une se désintègre même à l’aplomb du site de Sanxay !

Coucher de soleil sur le champ aménagé en parking spécialement pour le festival.

Coucher de soleil sur le champ aménagé en parking spécialement pour le festival.

L’année prochaine, pour les 20 ans du festival, Sanxay présentera Aida, 10 ans après le succès de la production captivante dirigée par Antoine Selva dans ce même théâtre. Ce spectacle est donc très attendu, et il faut souhaiter qu’il sera aussi le point de départ de l’élargissement du répertoire du festival, pour l’instant circonscrit aux 5 Verdi et 4 Puccini les plus célèbres, à Norma, Carmen et La Flûte Enchantée.

Les contraintes acoustiques pourraient sans doute poser problème au Barbier de Séville ou à Don Pasquale, mais le Vaisseau Fantôme, Salomé, Lucia di Lammermoor, Manon Lescaut, Manon, Le Bal Masqué, Macbeth, Les Contes d’Hoffmann, Don Giovanni, devraient avoir leur chance en ce lieu magique.

A proximité du théâtre, veaux et vaches peuvent, eux-aussi, profiter des bienfaits de l'art lyrique.

A proximité du théâtre, veaux et vaches peuvent, eux-aussi, profiter des bienfaits de l'art lyrique.

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Publié le 4 Août 2018

Carmen (Georges Bizet)
Représentation du 03 août 2018
Erfurt Festspiele

Carmen Katja Bildt
Don José Won Whi Choi (invité)
Escamillo Mandla Mndebele (invité)
Micaela Margrethe Fredheim
Frasquita Julia Neumann
Mercedes Annie Kruger
Morales Ks. Máté Sólyom-Nagy

Direction musicale Myron Michailidis
Mise en scène Guy Montavon (2018)

 

Won Whi Choi (Don José) et Katja Bildt (Carmen)

Depuis 1994, le festival de théâtre musical d'Erfurt se déroule pendant tout le mois d'août, en prenant pour cadre la cathédrale Sainte-Marie et l'église Sainte-Sévère, deux édifices moyenâgeux splendides, surmontés de flèches élancées, emblèmes de la capitale de la Thuringe, le cœur vert de l'Allemagne.

Carmen est au programme de la 25e édition du festival avec trois distributions différentes, et le décor, un immense amas pyramidal de voitures multicolores et de caravanes, évoque une favela où vivent des gens du voyage.

Katja Bildt (Carmen)

Katja Bildt (Carmen)

On pense d'emblée à la mise en scène célèbre de Calixto Bieito, mais Guy Montavon, l'intendant de la manifestation, n'en reprend pas la violence excessive, et fait même apparaître, à plusieurs reprises, aussi bien au parterre que depuis les hauteurs de la cathédrale, des figurants qui représentent la bonne société bourgeoise allemande bousculée par les manières sans ambages des gitans.

La habanera

La habanera

Ce monde est très bien animé, il y a de l'action en permanence, des voitures foncent vers l’estrade de la scène, Carmen s’échappe à toute allure à bord d’un 4x4, et la sonorisation des artistes permet de pousser très loin le réalisme du jeu, puisque le dispositif n'oblige pas les chanteurs à être en permanence face au public.

Et l'actualisation de la réalité sociale n'occulte pas totalement les couleurs hispaniques, car la habanera est chantée pendant qu'une toute jeune fille s'initie au flamenco. Mais il est cependant dommage que l'ouverture du dernier tableau aux arènes de Séville ne serve qu'à changer de décor et ne soit pas utilisée pour une scène de pantomime.

Won Whi Choi (Don José) et Margrethe Fredheim (Micaela)

Won Whi Choi (Don José) et Margrethe Fredheim (Micaela)

La distribution est composée d'artistes solides issus de la troupe du théâtre d'Erfurt, auxquels se joignent quelques chanteurs invités.

Katja Bildt, jeune interprète du théâtre d’Erfurt, s’approprie le rôle-titre avec une apparente facilité, soignant la précision de diction liée à un beau timbre mezzo-clair, et dépeint un portrait qui respire la joie de vivre, sans zone obscure trop marquée, qui ne s’assombrit que pendant l’air des cartes.

Son partenaire du soir, Won Whi Choi, détaille plus en profondeur le portrait psychologique de Don José, et lui dédie non seulement un jeu d’une grande sensibilité, mais en plus chante avec une parfaite intelligibilité, un superbe style, la voix ayant une couleur crème homogène même dans les aigus. On comprend pourquoi le New-York Metropolitan Opera l’a déjà engagé, car il est au niveau des meilleurs artistes français d'aujourd'hui capables de chanter ce rôle avec le même engagement et la même musicalité.

Mandla Mndebele (Escamillo)

Mandla Mndebele (Escamillo)

Velouté et chair pulpeuse sont le point fort de Margrethe Fredheim, Micaela parfaitement classique dans sa composition, un galbe vocal au souffle généreux qui, toutefois, privilégie la sensualité aux détails des mots.

Et quelle prestance pour l’Escamillo de Mandla Mndebele, certes fortement nerveux et physique dans sa façon incisive de chanter, mais qui permet de compléter un quatuor qui offre un ensemble de qualités couvrant l'intégralité du spectre artistique que l’on attend à l’opéra!

Les seconds rôles sont tous bien tenus et enjoués, et parmi les différents chœurs, ce sont les enfants qui se distinguent par la netteté de leur chant.

Le choeur d'enfants

Le choeur d'enfants

L’orchestre et son directeur musical, Myron Michailidis, sont certes installés dans un studio situé à gauche de la scène, néanmoins, l’excellent équilibre de la sonorisation permet de préserver aussi bien le naturel du son des voix que celui des instrumentistes, et de profiter de toutes les nuances d’un ensemble manifestement au point, sans désynchronisation sensible avec les solistes.

Les lignes musicales ont un délié et un lustre magnifiques, la tension dramatique surgit sans effet de surtension exagérée, mais les différences perceptibles entre la version retenue et celles que nous connaissons au disque (souvent un mélange de Choudens et Oeser), ne permettent pas clairement de dire quelle est la référence choisie.

La cathédrale Sainte-Marie et l'église Sainte-Sévère d'Erfurt abritant le décor de Carmen

La cathédrale Sainte-Marie et l'église Sainte-Sévère d'Erfurt abritant le décor de Carmen

Carmen, c’est tous les soirs jusqu’au 26 août dans un décor historique monumental, et l’occasion de découvrir la vitalité du théâtre musical en Allemagne.

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Publié le 2 Août 2018

Parsifal (Richard Wagner)
Représentation du 01 août 2018
Bayreuth Festspiele

Amfortas Thomas Johannes Mayer
Titurel Tobias Kehrer
Gurnemanz Günther Groissböck
Parsifal Andreas Schager
Klingsor Derek Welton
Kundry Elena Pankratova

Direction musicale Semyon Bychkov
Mise en scène Uwe Eric Laufenberg (2016)

 

Thomas Johannes Mayer (Amfortas) - photo E. Nawrath

La troisième série de Parsifal dans l'interprétation de Uwe Eric Laufenberg marque les débuts à Bayreuth de Semyon Bychkov, ancien directeur musical de l'Orchestre de Paris dans les années 90 et nouveau directeur du Philharmonique Tchèque à partir d'octobre 2018.

Invité à deux reprises à l'opéra Bastille sous la direction de Gerard Mortier pour conduire Un Ballo in Maschera et Tristan und Isolde, il avait séduit pas sa manière d'instiller à la musique une verve passionnée et romantique évoquant les grands tableaux orchestraux slaves.

Dans la fosse obscure du Festspielhaus, il recouvre dès l'ouverture ce sens de l'épaisseur coulante qui se nourrit de la texture des cordes, pour soulever de grands mouvements majestueux et fluides qui obscurcissent d'emblée le climat musical. L'éclat des cuivres n'en émerge que ponctuellement, dans les passages les plus spectaculaires, et l'équilibre entre imprégnation sonore, contraste des lignes des vents et attention aux chanteurs est constamment entretenu par un flux vif et brun.

Elena Pankratova (Kundry) et Andreas Schager (Parsifal)  - photo E. Nawrath

Elena Pankratova (Kundry) et Andreas Schager (Parsifal) - photo E. Nawrath

Les chœurs y mêlent superbement la pureté de leur voile mélancolique dans les grandes évocations spirituelles, mais peuvent être également, dans la stupéfiante scène de la mort de Titurel, d'une force quasi-infernale absolument terrifiante.

Elle chante Kundry ici même depuis 2016, pourtant, jamais Elena Pankratova n'aura fait autant sensation que cette année. Dès le premier acte, où sa présence vocale est pourtant restreinte, elle fait entendre une noirceur animale qui glace le moindre silence de la salle, comme si elle recherchait le pouvoir de l'expression en un minimum de mots.

Au château de Klingsor, elle apparaît à nouveau dans son animalité la plus sombre, pour dépeindre à sa rencontre avec Parsifal une femme sensuelle au timbre légèrement vibrant noir-et-or, un débordement gorgé d'harmoniques, quasi-boudeur, qu'elle embaume de sa présence charnelle tout en réussissant les effets de surprise que ses aigus lancés avec une richesse de couleurs somptueuse rendent saisissants.

Elena Pankratova (Kundry) et Andreas Schager (Parsifal) - photo E. Nawrath

Elena Pankratova (Kundry) et Andreas Schager (Parsifal) - photo E. Nawrath

Face à elle, Andreas Schager peut paraître comme quelqu'un de plus primaire tant il domine par la puissance glorieuse et éclatante de son timbre incisif et quelque peu railleur, mais son Parsifal puissant et démonstratif, comme un enfant sûr de sa force, a aussi quelque chose de touchant, car une joie de vivre en émane à chaque instant.

Il est le premier grand soliste que l'on découvre au premier acte, Günther Groissböck, qui chantait deux mois auparavant Gurnemanz à l'opéra Bastille, se révèle fortement accrocheur par la manière, qu'on ne lui connaissait pas, d'incarner le doyen des chevaliers avec une subtile tonalité menaçante fort impactante. Son long discours l'impose comme un homme qui a conscience que la vie de sa communauté arrive à un moment clé, et, loin de se complaire dans la déploration, il fait ressentir au contraire la volonté de mettre en garde face à un péril certain.

Et Thomas Johannes Mayer, qui fait entendre quelques sons engorgés uniquement dans les premières mesures, libère très rapidement un jeu phénoménal, tressaillant et à l'article de la mort. Ce chanteur est un immense acteur doué aussi d'intonations humaines magnifiquement expressives, et son Amfortas prend des attitudes de bête blessée qui évoquent un lion sauvage, cerné et implorant avec une ampleur impressionnante la fin de son supplice.

Thomas Johannes Mayer (Amfortas) - photo E. Nawrath

Thomas Johannes Mayer (Amfortas) - photo E. Nawrath

Titurel grandement sonore par la voix autoritaire de Tobias Kehrer, Klingsor bien caractérisé de Derek Welton, avec on ne sait quoi de sympathique dans le geste malgré la violence du personnage, cette reprise de Parsifal vaut véritablement pour sa grande cohérence musicale et sa force expressive.

Bien entendu, la mise en scène de Uwe Eric Laufenberg ne peut faire oublier la réussite absolue du travail de Stefan Herheim dix ans plus tôt, mais les deux premières actes, dont les éclairages sont magnifiquement travaillés, clairs-obscurs de la scène du Graal, lumières chaleureuses de la scène de séduction de Kundry, transposent le livret avec une direction d'acteur fouillée, dans le contexte moyen-oriental d'aujourd'hui.

Et l'ouverture de la scène finale, qui invite à oublier les religions pour ne voir que la salle du Festpielhaus éclairée, conserve sa force naïve et plaisante.

Lire également le compte-rendu des représentations de 2016 : Parsifal (Vogt-Pankratova-Zeppenfeld-McKinny-Haenchen-Laufenberg) Bayreuth 2016

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Publié le 31 Juillet 2018

Der Fliegende Höllander (Richard Wagner)
Représentation du 30 juillet 2018
Bayreuth Festspiele

Daland Peter Rose
Senta Ricarda Merbeth
Erik Tomislav Mužek
Marie Christa Mayer
Der Steuermann Rainer Trost
Der Holländer Greer Grimsley

Direction musicale Axel Kober
Mise en scène Jan Philipp Gloger (2012)       
Ricarda Merbeth (Senta) - photo Enrico Nawrath

La dernière reprise de la production du Vaisseau Fantôme créée par Jan Philipp Gloger en 2012, et jouée chaque année jusqu'en 2016, amène avec elle un nouvel interprète du Hollandais en la personne de Greer Grimsley qui, s'il a dorénavant une longue carrière derrière lui depuis 1980, fait ses débuts à Bayreuth à l'âge de 62 ans.

Ricarda Merbeth (Senta) et Greer Grimsley (Le Hollandais) - photo Enrico Nawrath

Ricarda Merbeth (Senta) et Greer Grimsley (Le Hollandais) - photo Enrico Nawrath

Si on ne le connait pas, rien ne laisse transparaître son âge que son allure et sa vivacité rajeunissent étonnamment, et sa voix, devenue caverneuse avec le temps, fait entendre le Hollandais le plus noir et inquiétant de la série. Ce timbre de roc qui s'est développé ces dernières années laisse cependant passer un fond humain qui le préserve d'une incarnation caricaturale. Il est certes assez monolithique et dénué de tout velours, mais la personnalité blessée est sensible et il peut toucher facilement les cœurs.

Titulaire du rôle depuis 2013, Ricarda Merbeth est à nouveau une Senta hors-pair, une femme décidée douée d'une capacité à lancer des aigus profilés avec une vaillance phénoménale qui peut passer pour de la vanité, et elle forme avec Greer Grimsley un couple véritablement maudit. Car loin de nous entraîner dans un duo sensuel et pathéthique, leur volontarisme à tous deux donne surtout l'impression que leur couple est dirigé par un désir de se dégager de la fatalité avec une telle force qu'ils en payeront le prix fort au final.

Les jeunes filles - photo Enrico Nawrath

Les jeunes filles - photo Enrico Nawrath

Tomislav Mužek est donc le personnage le plus émouvant, une voix chargée et éclatante qui traduit spontanément le désarroi d'Erik, mais qui ne fait pas oublier une direction d'acteur qui ne le valorise pas.

Quant à Rainer Trost (Der Steuermann) et Peter Rose (Daland), si le premier dégage plus de présence que de poésie, le second accentue la nature comique du marchand mais peine parfois à se faire entendre, ce qui n'est pas le problème de Christa Mayer (Marie) qui se montre excessivement sonore.

La danse des marins - photo Enrico Nawrath

La danse des marins - photo Enrico Nawrath

Dans la fosse, Axel Kober joue la montre et entraîne l'orchestre dans un allant d'une très grande vélocité parfaitement maîtrisée, un flux excitant qui ne permet toutefois pas de gonfler la houle suffisamment pour submerger l'auditeur d'un flot qui lui fasse vivre la grande expérience des voyages marins.

Chœurs parfaitement réglés, et une mise en scène qui, quoi qu'on en dise, entre toujours en résonance avec notre monde hautement technique qui broie les relations affectives.

Lire également le compte-rendu de l'édition 2014 du Vaisseau Fantôme : Der fliegende Holländer (Merbeth-Youn-Thielemann) Bayreuth 14

 

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Publié le 31 Juillet 2018

Lohengrin (Richard Wagner)
Représentation du 29 juillet 2018
Bayreuth Festspiele

Lohengrin Piotr Beczala
Elsa Anja Harteros
Ortrud Waltraud Meier
Telramund Tomasz Konieczny
Le Roi Henri Georg Zeppenfeld
Le Héraut du Roi Egils Silins

Direction musicale Christian Thielemann
Mise en scène Yuval Sharon
Décors et costumes Neo Rauch et Rosa Loy

Nouvelle production

                            Georg Zeppenfeld (Le Roi Henri)

La nouvelle production de Lohengrin qui se substitue à celle de Hans Neuenfels, vision qui aura marqué Bayreuth pour sa distribution phénoménale et le monde de rats enlaidi décrit avec force et intelligence, est confiée cette année à Yuval Sharon, metteur en scène américain dont le travail s'ancrera profondément la saison prochaine dans plusieurs villes allemandes avec Lost Highway à Frankfurt, La petite Renarde rusée à Karlsruhe et La Flûte enchantée à l'opéra de Berlin.

Toutefois, les circonstances lui imposant à l'avance le travail des peintres-décorateurs Neo Rauch et Rosa Loy, mariés depuis 30 ans et issus de la nouvelle école de Leipzig, le concept de ce Lohengrin part de l'univers onirique de Neo Rauch, dont l'un de ses tableaux les plus célèbres semble totalement contraindre l'aspect visuel de ce spectacle : Der Former.

Waltraud Meier (Ortrud)

Waltraud Meier (Ortrud)

La direction du Festival fait ainsi le pari que la mise en mouvement de l'imagination des peintres peut trouver sa cohérence avec l’œuvre la plus romantique de Richard Wagner, et permettre à l'auditeur de s'imprégner et se laisser déborder par l'aspect visuel des différents tableaux.

On retrouve donc les couleurs bleu-électrique de la toile Der Former, en concordance avec la lumière bleu-argent qui annonce l'arrivée du Cygne de Lohengrin, symbolisé ici par une aile futuriste.

Palais en forme de transformateur électrique grandiose, chambre d'Elsa située en haut d'un phare isolé au milieu d'un marais au bord de l'Escaut, le tout baignant dans l'imaginaire subliminal d'une nature naïve, Lohengrin arrive dans ce monde irréel pour lui apporter l'étincelle qui en fera sa puissance.

Der Former (Neo Rauch)

Der Former (Neo Rauch)

La frontière entre le travail de Yuval Sharon et celui des décorateurs n'est clairement pas évidente à percevoir, ni la marge de manœuvre laissée au directeur scénique, mais l'on assiste à une mise en scène qui très clairement décrit la course d'un peuple trop sûr de sa puissance, et que Lohengrin finit par punir en supprimant l'énergie vitale née de son progrès.  Le Brabant revient alors à l'âge de la pierre taillée, et des silex luminescents brillent de tous feux.

Ce personnage est lui même assombri par son désir de brider la liberté de sa femme au cours d'une lutte dans une petite chambre aux teintes oranges et provocatrices qui s'achève par la neutralisation d'Elsa à l'aide d'une corde.

Yuval Sharon délivre finalement un message politico-écologique assez évident en faisant réapparaître le frère d'Elsa sous les traits d'un homme vert tendant un symbole de paix vert, et donc de paix avec la Terre, invitant ainsi chacun à passer à ce mode de vie pacifié.

Piotr Beczala (Lohengrin) et, de dos, Anja Harteros (Elsa) et Waltraud Meier (Ortrud)

Piotr Beczala (Lohengrin) et, de dos, Anja Harteros (Elsa) et Waltraud Meier (Ortrud)

Mais ce travail de mise en scène, qui désexualise les personnages et affaiblit leurs rapports physiques, n'aboutit finalement qu'à mettre en valeur le travail artistique troublant et fascinant de Neo Rauch et Rosa Loy.

Privés d'une véritable direction d'acteurs percutantes, les chanteurs doivent donc faire de leur mieux pour concilier leur conception acquise des caractères wagnériens afin d'entrer en osmose avec l'univers des peintres.

L'arrivée de Lohengrin est sans doute une des plus émouvantes plaintes entendues à ce jour, car Piotr Beczala la chante comme un Pierrot qui pleure. On le distingue à peine à ce moment là, et lorsqu'il se joint à la cour du Brabant, c'est un personnage humble, tenant une ligne musicale impeccablement densifiée par la puissance de son timbre dans le médium, qui se fait accepter sans pour autant donner l'impression de dominer.

Belle continuité du chant, brillant des vibrations aiguës qui s'atténue sans altérer l’homogénéité du velours vocal, rien ne rend son personnage antipathique avant la scène de confrontation avec Elsa. Et pourtant In fernem Land le rend à nouveau touchant.

Waltraud Meier (Ortrud)

Waltraud Meier (Ortrud)

Anja Harteros, dé-féminisée par la mise en scène pendant les deux premiers actes, laisse percevoir des accents tourmentés sauvages dans les graves, tiraillés dans les aigus, qui l'éloignent de la jeune fille éthérée qu'elle est au début, et trahissent des conflits intérieurs irrésolus exprimés avec force.

Mélisande hors du temps, elle révèle subitement, au dernier acte, un sens du drame poignant absolument saisissant et impressionnant par son intensité. Cette violence qui la rapproche d'Ortrud rend cependant moins palpable son affinité avec le caractère d'Elsa et affirme des émotions bien plus violentes.

Waltraud Meier paraît de fait la plus humaine avec son incarnation d'Ortrud totalement guidée par l'intelligence musicale, l'expressivité du geste et du regard, sa présence naturelle. Son goût pour le spectaculaire est nécessairement contrôlé, car elle doit dorénavant préserver sa voix, et c'est donc la précision des phrasés et les couleurs inimitables de son chant qui la rendent toujours unique.  Il y a évidemment énormément d'émotion à l'entendre dans ce rôle auquel elle devrait faire ses adieux à l'issue du festival.

Waltraud Meier (Ortrud), Piotr Beczala (Lohengrin) et Anja Harteros (Elsa)

Waltraud Meier (Ortrud), Piotr Beczala (Lohengrin) et Anja Harteros (Elsa)

En revanche, Tomasz Konieczny doit se sentir un peu perdu dans son personnage tellement esthétisé qu'il ne lui donne plus une véritable stature de méchant. Privé d'un caractère complexe à défendre, les limitations qu'il ressent peuvent influer sur son incarnation de Telramund plus monolithique qu'à l'accoutumée, lui dont on connait bien la capacité à déployer l'animalité du Comte.

Enfin, le Roi Henri de Georg Zeppenfeld n'a rien perdu de sa stature royale, qu'il doit autant à la longueur de son souffle qu'à la finesse de son corps, bien que l'on sente poindre les couleurs du temps sur ses fiers aigus. Quant au Héraut d'Egils Silins, sa présence sonore immédiate ne se départit pourtant pas d'une certaine épaisseur que l'on n'attend pas forcément dans ce rôle de privilégié.

Christian Thielemann, choeurs et orchestre

Christian Thielemann, choeurs et orchestre

Face à la difficulté de faire converger le travail des décorateurs et du metteur en scène, la direction de Christian Thielemann est l'élément clé pour faire fonctionner l'ensemble.

L'ouverture suggère une limpidité qui prépare à l'atmosphère lumineuse des grandes peintures bleues des décors, les solistes sont superbement mis en valeur, mais c'est au troisième acte qu'un grand élan emporte le drame, dès les premières notes de l'ouverture, dans un relief sonore électrisant qui galvanise tous les chanteurs et saisit l'auditeur sans relâche.

On se laisse donc séduire par la beauté des peintures et des lumières au premier acte, puis on s’agace de les voir prendre trop d'importance au second alors que l'action scénique reste paresseuse, on retrouve enfin une unité artistique totale au troisième avant que la conclusion précipitée par la mort de Telramund se révèle incongrue.

Les chœurs, eux, sont les maîtres chez-eux dans un temple bati à la hauteur de leur harmonie fusionnelle irrésistible.

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Publié le 29 Juillet 2018

Die Meistersinger von Nürnberg (Richard Wagner)
Représentation du 28 juillet 2018
Bayreuth Festspiele

Hans Sachs Michael Volle
Veit Pogner Günther Groissböck
Kunz Vogelgesang Tansel Akzeybek
Konrad Nachtigal Armin Kolarczyk
Sixtus Beckmesser Johannes Martin Kränzle
Fritz Kothner Daniel Schmutzhard
Balthasar Zorn Paul Kaufmann
Ulrich Eisslinger Christopher Kaplan
Augustin Moser Stefan Heibach
Hermann Ortel Raimund Nolte
Hans Schwarz Andreas Hörl
Hans Foltz Timo Riihonen
Walther von Stolzing Klaus Florian Vogt
David Daniel Behle
Eva Emily Magee
Magdalene Wiebke Lehmkuhl
Un veilleur de nuit Tobias Kehrer

Direction musicale Philippe Jordan                                 Barrie Kosky
Mise en scène Barrie Kosky (2017)

On retrouve avec plaisir la nouvelle production des Maîtres chanteurs de Nuremberg créée par Barrie Kosky l'année dernière au Festival de Bayreuth, car la manière avec laquelle il montre au premier acte, avec minutie et sens de la dérision, le petit monde pittoresque et charmant de l'univers des Wagner, pour mieux l'écarter et le réduire au second à un tas d'objets dignes des plus belles brocantes, et laisser finalement place à une reconstitution de la salle du Palais de Justice de Nuremberg dans la dernière partie, ménage la mémoire idéalisée et affective de l'auditeur tout en abordant sans ambages la question de l'antisémitisme sous-jacente à l’œuvre du compositeur et à son époque.

On peut ainsi relire le compte-rendu détaillé de ce travail en revenant à l'article Die Meistersinger von Nürnberg - Bayreuth 2017.

Klaus Florian Vogt (Walther)

Klaus Florian Vogt (Walther)

Et il y a beaucoup de Barrie Kosky dans cette mise en scène. Il suffit en effet de le voir déambuler nonchalamment en habits de tous les jours sous le balcon du Festspielhaus, et de retrouver peu après Johannes Martin Kränzle jouer formidablement Beckmesser dans la scène de séduction sous le balcon d'Eva, pour comprendre immédiatement comment il s'identifie à ce personnage.

Le propos n'est d'ailleurs plus inutilement perturbé par la présence d'une prairie, qui a disparu cette année du décor, et l'on apprécie toujours autant les impertinences de la direction d'acteurs des chœurs et des relations interpersonnelles d'Hans Sachs, Walter et Beckmesser, magnifiquement étreints par la direction lumineuse, si finement céleste, de Philippe Jordan, qui sublime tous ces grands duos à un point que l'on se surprend à ne plus distinguer les êtres de la musique qui les fait vivre.

Johannes Martin Kränzle (Beckmesser) et Michael Volle (Hans Sachs)

Johannes Martin Kränzle (Beckmesser) et Michael Volle (Hans Sachs)

Et on peut dire que le directeur musical de l'Opéra de Paris a bien de la chance, car il aura dirigé à Bayreuth deux productions majeures des ces dix dernières années avec le Parsifal de Stefan Herheim.

Prudent dans le premier acte, soignant la poétique aristocratique musicale tout en modérant spontanéité et pétillance des élans de vie, le chef d'orchestre s'impose impérialement par la suite en déployant un irrésistible envoutement sonore d'une clarté sidérale, sans virer pour autant au détachement du drame. Cuivres et courants instrumentaux sombres se renforcent brillamment avec un tranchant ferme qui respecte la lisibilité de l'influx orchestral.

Klaus Florian Vogt (Walther) et le portrait de Cosima Wagner

Klaus Florian Vogt (Walther) et le portrait de Cosima Wagner

On reconnait de fait intégralement la distribution de la création, hormis Emilie Magee qui ne reproduit pas le surprenant tempérament d'Anne Schwanewilms dans le rôle d'Eva, et à nouveau Michael Volle impose une personnalité implacable, un timbre sarcastique, des accents qui claquent avec un mordant ample, un sens de l'expression parfois brutale qui pourrait donner un impressionnant Iago, car on sent le monstre en lui, le tout dominé par une gestuelle nerveuse fortement autoritaire.

Les choeurs en costumes médiévaux.

Les choeurs en costumes médiévaux.

Johannes Martin Kränzle est encore et toujours un grand Beckmesser, à la fois élégant, fin acteur, versatile de caractère, et sa voix s’adoucit avec charme autant qu'elle révèle d'intonations comiques et directes.

Splendide Klaus Florian Vogt, mais comment se lasser de cette puissance clarté qui exprime si bien la sincérité de cœur, la croyance en un idéal, tout en ancrant une densité de plus en plus marquée au fil des années qui assoit la présence de son incarnation?

Ces trois grands personnages trouvent enfin en Günther Groissböck un Pogner sympathique et bien chantant, en Daniel Behle un David plus volontaire que séducteur, et une Magdalene démonstrative par la noirceur sauvage de Wiebke Lehmkuhl.

Philippe Jordan

Philippe Jordan

Chœurs superbes, grandioses et d'un souffle profond, capable aussi bien de maîtriser la cacophonie étourdissante de la fin du second acte qui fait surgir la caricature du péril juif, que d'achever le dernier dans une longue évocation élégiaque en hommage  à la musique de Wagner, l'expérience musicale leur vaut pour cette première une ovation dithyrambique égale à celle de ces grands solistes, du directeur musical et du metteur en scène forts touchés par cet accueil.

Klaus Florian Vogt (Walther) et Günther Groissböck (Pogner)

Klaus Florian Vogt (Walther) et Günther Groissböck (Pogner)

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Publié le 8 Juillet 2018

Nefés (Pina Bausch)
Représentation du 07 juillet 2018
Théâtre des Champs-Elysées

Danseurs du Tanztheater Wuppertal Pina Bausch
Mise en scène et chorégraphie Pina Bausch (21 mars 2003)
Décor et vidéos Peter Pabst
Costumes Marion Cito

Musique enregistrée :
Mercan Dede, Birol Topaloglu, Burhan Öçal, Istanbul Oriental Ensemble, Replicas, Bülent Ersoy, Candan Erçetin, Suren Asaduryan avec Yansimalar, Amon Tobin, Arild Andersen, Bugge Wesseltoft, Chris McGregor’s Brotherhood of Breath, Dr Rockit, Elektrotwist, Inner Zone Orchestra, Koop, Mardi Gras BB, Astor Piazzolla, Tom Waits, Uhuhboo Project

Coproduction International Istanbul Théâtre Festival, Istanbul Foundation for Culture and Arts

Au début des années 2000, Istanbul est en plein essor, et en août 2002, au moment où Pina Bausch et sa troupe se déplacent à Istanbul, la Turquie vient adopter un ensemble de réformes (abolition de la peine de mort, octroi de droits culturels pour les Kurdes, élargissement de la liberté de la presse...) préparatoires à son entrée dans l’Union européenne.

Tanztheater Wuppertal Pina Bausch

Tanztheater Wuppertal Pina Bausch

De cette rencontre, avec une capitale mythique qui accueille toutes sortes de communautés religieuses ou identitaires, est né un spectacle de 2h30 qui est, en premier lieu, une véritable découverte de la culture musicale du pays et de ses hybridations étranges : Mercan Dede et son alliage de musique traditionnelle et de sons électroniques, Burhan Öçal parcouru d’influences gitanes et turques, mais également l’univers jazzy d’Arild Andersen.

Tout dans les choix musicaux évoque cette confluence des cultures asiatiques, orientales et occidentales et ce croisement des traditions et de la modernité qui baignent en permanence la métropole turque.

Rainer Berhs

Rainer Berhs

Étrange ambiance des hammams, défilé de femmes sophistiquées dont les robes volent au vent sous les impulsions d’hommes serviteurs, scènes humoristiques autour d’une flaque d’eau qui s’étend petit à petit au milieu de la scène, mouvements des corps élancés par des gestes ornementaux d’une grâce absolue, déliés de chevelures aux lignes légères et sensuelles, les jeux de séduction se déroulent sans se prendre au sérieux, dans une joie mélodieuse et embaumante pour l’âme.

Nefés "Souffle" (Compagnie Tanztheater Wuppertal Pina Bausch) Champs-Elysées

Les hommes, souvent à terre et animés par une chorégraphie d’une très grande célérité, les femmes en perpétuel mouvement semblant raconter une intériorité parfois sereine, contrôlée, voir inquiète, cet enchaînement fluide d’une succession de tableaux qui incorporent des scènes de vie souvent très drôles et nimbées d’une nostalgie poétique fleurant bon l’insouciance (soirée au bord du Bosphore, pique-nique chic, scène de folie urbaine devant un flot de voitures fonçant vers un couple tendant d’échapper à l’enfer de la ville) attise les esprits les plus voyageurs.

Et c’est ce désir d’imprégnation de cultures brasées par l’Orient qu’éveille avant tout la fraicheur de ce voyage musical (Nefés, littéralement « souffle », est un hymne spirituel turc) où perfection et simplicité du cœur se côtoient en apparence tout naturellement.

 

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Publié le 1 Juillet 2018

Il Trovatore (Giuseppe Verdi)
Version de concert du 30 juin 2018

Opéra Bastille

Il Conte di Luna Željko Lučić
Leonora Sondra Radvanovsky
Azucena Anita Rachvelishvili
Manrico Marcelo Alvarez
Ferrando Mika Kares
Ines Élodie Hache
Ruiz Yu Shao

Direction musicale Maurizio Benini                              Marcelo Alvarez (Manrico)

Suite à un mouvement social ayant touché plusieurs représentations de la dernière semaine du mois de juin à l’opéra Bastille, celle d’Il Trovatore jouée le samedi 30 juin était donnée en version de concert avec la même distribution que celle du mercredi précédent, qui était également celle de la première.

Sondra Radvanovsky (Leonora) et Marcelo Alvarez (Manrico)

Sondra Radvanovsky (Leonora) et Marcelo Alvarez (Manrico)

Ce format détourne certainement nombre de spectateurs, mais ceux qui sont venus malgré tout n’ont pas été déçus, car ils ont assisté à une soirée lyrique exceptionnelle.
En effet, s’il n’y avait plus de décors, et uniquement la présence d’un simple éclairage sans variation lumineuse, les chanteurs, eux, jouaient dans l’esprit de la mise en scène en costumes scéniques.

Sondra Radvanovsky (Leonora)

Sondra Radvanovsky (Leonora)

Par ailleurs, un simple rideau noir dressé quelques mètres en arrière-scène réfléchissait les voix et le son de l’orchestre de façon optimale vers la salle.

Dès son entrée, le chœur flanqué autour du Ferrando de Mika Kares fait ainsi une démonstration de puissance et d’unité fantastique, et la basse finlandaise délivre une teinte fumée aux accents verdiens surnaturels qui conviendra parfaitement à son prochain Fiesco la saison prochaine, en y incorporant encore plus de mordant.

Anita Rachvelishvili (Azucena)

Anita Rachvelishvili (Azucena)

L’arrivée de Sondra Radvanovsky, nourrie d’applaudissements, marque l’instant où l’auditeur s’immerge dans un univers sonore fabuleux du début à la fin.

Souffle inimaginablement fuselé dans une lenteur majestueuse, où la richesse harmonique d’un timbre d’une ampleur phénoménale brille souverainement dans les aigus, mélancolie suppliante suivie d’exaltation fantastique, effets véristes uniquement au moment où elle avale un poison, il n'y a pas de mots suffisamment évocateurs pour décrire l’interprétation inouïe de Leonora par Sondra Radvanovsky, cherchant autant à émouvoir qu'à impressionner en faisant une démonstration technique et artistique hors du commun.

Sondra Radvanovsky (Leonora)

Sondra Radvanovsky (Leonora)

Et Marcelo Alvarez, encore et toujours le véritable Manrico dans l’âme, se montre par sa manière de vivre le rôle du Trouvère extrêmement touchant, car tout son métier est mis au service d’un personnage flamboyant dont il délivre les noirceurs, rayonne dans une fièvre solaire éperdue l’ardeur d’une voix brillante et chaleureuse, et réussit son ‘Di quella pira !’ sans rien lâcher à la fougue musicale, mais sans pousser non plus trop loin la longueur des suraigus.  Très attendue, sa dernière scène du supplice à la prison avec Leonora et Azucena est un monument de vérité dramatique poignant.

Marcelo Alvarez (Manrico)

Marcelo Alvarez (Manrico)

Anita Rachvelishvili, elle, c’est la flamme surgissant de la rondeur pulpeuse d’une voix d’ébène sensuel au charme envoutant, mais aussi un tempérament charnel et mystérieux. Azucena est ainsi une bohémienne dont le caractère noble et direct emprunte au tempérament caucasien tel qu’on peut le fantasmer à l’écoute de ces intonations sombres et vibrantes.

Anita Rachvelishvili (Azucena)

Anita Rachvelishvili (Azucena)

Enfin, Željko Lučić, en se posant nonchalamment en bord de scène, donne une leçon de chant verdien superbement liée par une souplesse merveilleuse qui assoit cette captivante autorité paternelle qu’il donne au Comte.  On aurait même envie de dire que la sensibilité impériale qu’il affiche sert trop favorablement le personnage qu’il défend.

Et sans oublier à nouveau le luxe sonore d’Élodie Hache et la vaillance juvénile de Yu Shao, cette soirée est aussi exceptionnelle par la direction de Maurizio Benini traversée d’ombres sinueuses, et dont le panache orchestral déchainé peut totalement se libérer sans que les artistes n’en soient pour autant submergés.

Željko Lučić (Il Conte di Luna)

Željko Lučić (Il Conte di Luna)

Il est souvent fait un distinguo entre opéra et art lyrique, car la version de concert est le moyen par excellence pour faire de l'art lyrique, alors que l'opéra fait intervenir une forte dimension théâtrale, là où l'art lyrique, au sens noble du terme, n’en est qu’une composante.

Et il va de soi que malgré l’absence de décor, un véritable jeu d'acteur imprègne la représentation de ce soir, car les chanteurs connaissent la production, ce qui n’en fait donc pas une version de concert au sens strict du terme.

Željko Lučić, Sondra Radvanovsky, Marcelo Alvarez et Anita Rachvelishvili

Željko Lučić, Sondra Radvanovsky, Marcelo Alvarez et Anita Rachvelishvili

Mais une soirée aussi exceptionnelle que celle-là laisse penser qu’avec une excellente distribution on peut imaginer insérer dans le programme de saison, au cours d'une série de représentations, une ou deux versions de concert additionnelles pour certains opéras, afin d'offrir la possibilité au public le plus mélomane d'entendre les mêmes voix dans des conditions idéales.

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Publié le 30 Juin 2018

Il Trovatore (Giuseppe Verdi)
Représentation du 28 juin 2018

Opéra Bastille

Il Conte di Luna Vitaliy Bilyy
Leonora Jennifer Rowley
Azucena Ekaterina Semenchuk
Manrico Roberto Alagna
Ferrando Mika Kares
Ines Élodie Hache
Ruiz Yu Shao

Direction musicale Maurizio Benini
Mise en scène Àlex Ollé (2015)

Coproduction Nederlandse Opera, Amsterdam et Teatro dell’ Opera, Roma.

                                                                                                     Roberto Alagna (Manrico)

Au lendemain d’une représentation du Trouvère qui avait réuni une partie de la distribution d’octobre 2003, le chef d’orchestre Maurizio Benini, les solistes Željko Lučić et Sondra Radvanovsky, renouvelée par la présence d’Anita Rachvelishvili et de Marcelo Alvarez, et vouée à une interprétation d’ensemble intense et formidablement engagée, une seconde distribution se mesurait au grand chef-d’œuvre romantique de Verdi.

Il est toujours passionnant de vivre en deux soirs la même œuvre chantée par des interprètes différents, car elle peut modifier la perception des personnages et permettre de découvrir des artistes que l’on connait moins.

Roberto Alagna (Manrico) et Ekaterina Semenchuk (Azucena)

Roberto Alagna (Manrico) et Ekaterina Semenchuk (Azucena)

Première surprise, Maurizio Benini engage l’orchestre dans des fulgurances encore plus vives et un relief encore plus contrasté que la soirée précédente, ce qui permet de passer outre l’immobilité du dispositif scénique paralysé par un mouvement social. La salle, malgré tout bien remplie, est d’emblée prise par l’enjeu scénique, et cela se sent.

L’entrée de Jennifer Rowley, artiste habituée à affronter la grande salle du New-York Metropolitan Opera, et qui fait ses début à l’Opéra de Paris dans le rôle de Leonora, découvre une soprano au chant sensible et réservé dans les échanges confidentiels avec l’Inès impérative d’Élodie Hache, chant rayonnant et intensément projeté quand son cœur s’extravertit librement, et une clarté à peine ombrée qui caractérise une personnalité jeune, passionnée, encore peu tourmentée.  

Jennifer Rowley (Leonora)

Jennifer Rowley (Leonora)

La différence de maturité avec l’impressionnant timbre de bronze de Roberto Alagna, pétri d’affliction, est marquée, d’autant plus que l’ampleur sonore de ce dernier se substitue dorénavant au moelleux du timbre de sa jeunesse. Il joue comme il a toujours joué, entre poses romanesques et gestes démonstratifs à l’écart de ses partenaires.

Puis vient la rencontre avec Azucena, incarnée par le tempérament fauve d’Ekaterina Semenchuk, une bête de scène sensationnelle qu’il est bien difficile d’égaler aujourd’hui.

On se doute, dès la scène d’hallucination, qu’elle sera le personnage central du drame tant il est difficile d’échapper à ce charisme sauvage.

Ekaterina Semenchuk (Azucena)

Ekaterina Semenchuk (Azucena)

Quant à Vitaliy Bilyy, comte de Luna noir d’une belle prestance et encore jeune, et donc dénué du paternalisme verdien de Željko Lučić, il suit une ligne très claire qui l’amène à jouer le rôle d’un arriviste qui se croit tout permis. Et bien que l’on perçoive quelques accents slaves, ceux-ci ne sont pas mis à profit pour exprimer suffisamment une intériorité plus complexe.

L’expérience d’Ekaterina Semenchuk et de Roberto Alagna – qui est invité pour chanter le rôle de Manrico uniquement au cours de cette soirée -, devrait donc déplacer le centre de gravité théâtral sur leur couple mère-fils maudit.

Roberto Alagna (Manrico) et Ekaterina Semenchuk (Azucena)

Roberto Alagna (Manrico) et Ekaterina Semenchuk (Azucena)

Mais alors que le timbre du ténor commence à montrer des faiblesses dans les aigus dès la fin du second acte, les failles s’aggravent à la chapelle de Castellor dans ‘Ah si, ben mio’, si bien qu’il ne peut plus chanter correctement ‘Di quella Pira’ au moment d’aller secourir sa mère.

Et là, une fois l’air achevé, dans un réflexe chevaleresque et d’honneur à la Cyrano de Bergerac, la personne d’Alagna prend la main et indique au chef d’orchestre de se préparer à rejouer l’air, une fois qu’il aura pu boire une gorgée d’eau. Public en liesse, un véritable délire, même si le puriste, calé dans son fauteuil, sait bien que l’artiste n’est pas en mesure de donner tout l’éclat à cet aria redoutable, rien n’empêche pourtant le ténor de bisser ‘Di quella Pira’ plus calmement et avec un meilleur effet, se permettant même, au moment de quitter la scène, de reprendre l’aigu final ce qui excite encore plus l’audience. 

Il Trovatore (Rowley-Semenchuk-Alagna-Bilyy-dm Benini-ms Ollé) Bastille

La soirée bascule à ce moment-là totalement autour de la personnalité du ténor français, puisque cette volonté de ne pas flouer son public va rendre plus délicate la scène de supplice du dernier acte à la prison, et induire une tension chez le spectateur qui se demande s'il va tenir.

Jennifer Rowley réussit brillamment à dramatiser avec une belle technique élancée 'D’amor sull’ali rosee’, Roberto Alagna lui répond vaillamment en arrière scène au cours du 'Miserere', mais il ne peut soutenir les expressions de souffrances de la scène finale sans y mêler par épuisement ses propres limites.

Jennifer Rowley (Leonora)

Jennifer Rowley (Leonora)

Le théâtre et le réel se fondent ainsi dans un ultime souffle, mais le soutien et la bienveillance accordés de la part du public de l’opéra Bastille au chanteur en difficulté, et la reconnaissance de ce dernier à son égard pour lequel il s’est révélé prêt à se brûler, restent comme un des plus beaux témoignages de relation artiste / public auquel il est possible d’assister à l’opéra.

Accueil chaleureux au rideau final, enthousiasme d’Elena Semenchuck envers Roberto Alagna, Jennifer Rowley radieuse, ce soir-là le chœur se sera également épanoui dans une forme exceptionnelle.

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