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Publié le 13 Août 2023

Don Giovanni (Wolfgang Amadé Mozart – 29 octobre 1787, Prague)
Représentation du 10 août 2023
Soirées lyriques de Sanxay

Don Giovanni Florian Sempey
Leporello Adrian Sampetrean
Donna Elvira Andreea Soare
Donna Anna Klara Kolonits
Don Ottavio Granit Musliu
Zerlina Charlotte Bonnet
Masetto et Le Commandeur Adrien Mathonat

Direction musicale Marc Leroy-Calatayud
Mise en scène Jean-Christophe Mast (2023)

                            Granit Musliu (Don Ottavio)

 

Après ‘La Flûte enchantée’ qui fut monté pour la première fois sur la scène du théâtre antique de Sanxay en août 2017, un second opéra de Mozart fait son entrée au répertoire des Soirées Lyriques de Sanxay, festival dominé jusqu’à présent par Verdi et Puccini qui ont occupé les 2/3 des représentations depuis l’an 2000.

‘Don Giovanni’ devient ainsi le 14e ouvrage lyrique à être proposé au public de la région Aquitaine, et le défi est grand ce soir à représenter en plein air cet ouvrage qui fut créé à Prague dans une salle d’un millier de places seulement, le Théâtre des États, et que les Chorégies d’Orange n’ont abordé pour la première fois qu’en 1996.

Florian Sempey (Don Giovanni) et Adrien Mathonat (Le Commandeur)

Florian Sempey (Don Giovanni) et Adrien Mathonat (Le Commandeur)

Pourtant, au déroulé de cette première représentation rien n’y paraît, bien au contraire, l’absorption des spectateurs par l’action scénique étant fortement palpable.

L’ouverture instrumentale permet de saisir d’emblée comment la musique de Mozart va sonner, et Marc Leroy-Calatayud induit un intimisme crépusculaire dont la fluidité du discours sera une constante tout au long du spectacle.
Des mouvements soyeux viennent alors charmer l’oreille.

Dans cette optique, la théâtralité est portée par la mise en scène et les artistes, et l’orchestre vient assouplir ce geste théâtral et lui donner une poétique qui bénéficie au magnétisme des chanteurs.
L’emploi d’un piano à la place du clavecin ajoute par ailleurs une rondeur cristalline et chaleureuse aux récitatifs.

Klara Kolonits (Donna Anna) et Florian Sempey (Don Giovanni)

Klara Kolonits (Donna Anna) et Florian Sempey (Don Giovanni)

Le dispositif scénique évoque entièrement les ténèbres, flanqué de deux pylônes noirs et d’un autel central qui servira de chambre ou d’alcôve mortuaire lors de la scène du cimetière.

Deux portes simples, surmontées toutes deux d’une ornementation en forme de cornes, permettent les entrées des protagonistes côté cour et côté jardin, et les éclairages allègent la noirceur des décors en leur donnant une teinte gris anthracite.

Jean-Christophe Mast habille de rouge le héros principal qui évoque ainsi le désir, le sang et donc la violence et la vie, ce qui le démarque de tous ses opposants, y compris son valet, habillés de noir pour les plus nobles jusqu’au gris clair pour le peuple paysan, tous les costumes étant somptueusement dessinés.

Florian Sempey (Don Giovanni)

Florian Sempey (Don Giovanni)

Un jeu d’acteur vif, dynamique et très sensible avec les personnages féminins donne beaucoup d’entrain aux situations sans verser dans la farce excessive, le spectateur ayant bien conscience d’assister à un drame que l’humour vient seulement alléger sans prendre le dessus pour autant. Une petite touche de fantaisie viendra même illuminer la scène champêtre au cours de laquelle des ballons de fête selon lâchés dans le ciel nocturne.

Et par bonheur, l’ensemble de la distribution sert excellemment l’ouvrage en offrant au public une musicalité très homogène et un chant affiné et coloré.

Adrian Sampetrean (Leporello)

Adrian Sampetrean (Leporello)

Après avoir assuré à Sanxay plusieurs rôles secondaires il y a une dizaine d’années, Florian Sempey se voit confier pour la troisième année consécutive un rôle de premier plan.

Il y eut Escamillo dans ‘Carmen’ en 2021, Figaro dans ‘Le Barbier de Séville’ en 2022, dorénavant c’est à une nouvelle prise de rôle qu’il se confronte, et son Don Giovanni lui va comme un gant. 

Vivacité vocale, noirceur de timbre naturellement fumé qu’il manie avec un impact d’une grande justesse, aucun effet trop appuyé, toutes ces qualités servent une aisance dont il imprègne ce personnage insaisissable, mais pourtant familier. Dans une mise en scène qui vise à faire circuler des flux d’acteurs/chanteurs dans un empressement vivifiant, sa prestance est maîtresse des lieux.

La scène et les gradins du Théâtre antique de Sanxay (10 août 2023)

La scène et les gradins du Théâtre antique de Sanxay (10 août 2023)

A ses côtés, Adrian Sampetrean fait montre de la même ardeur et dépeint un portrait élégant et très expressif, toujours un peu imprévisible, de Leporello. Son air du catalogue chanté devant un immense drapé représentant les différents pays européens brille par son agilité et son assurance.

Et les trois dames se distinguent par des profils vocaux et psychologiques bien distincts. 
La Donna Anna de Klara Kolonits a le timbre qui exprime le plus la maturité, voir un certain maternalisme, avec des effets corsés alliés à un filage des aigus très aisé.

Andreea Soare (Donna Elvira)

Andreea Soare (Donna Elvira)

Arrivant dans une charmante chaise à porteur, moyen de déplacement couramment utilisé par l’aristocratie en Espagne et même dans toute l’Europe au XVIIe siècle, Andreea Soare donne beaucoup de pénétrance à Donna Elvira, une subtilité que l’on retrouve autant dans la finesse des lignes vocales que les coloris des graves. 

Par ailleurs, son riche costume et son chapeau décoré d’une plume lui donnent une allure qui la place au même niveau que son séducteur de mari, ce qui traduit également une grande bienveillance générale de la part du metteur en scène vis-à-vis de tous les personnages du drame.

Andreea Soare (Donna Elvira)

Andreea Soare (Donna Elvira)

Et Charlotte Bonnet, qui fit ses débuts très appréciés à Sanxay en Frasquita (Carmen) en 2021, puis à l’opéra Bastille en Noémie (Cendrillon) en 2022, apporte une vitalité très naturelle à Zerlina avec une harmonieuse unité de la voix et aussi une plénitude de rayonnement fort enjôleuse. 

Elle semble dans un réel rapport de séduction avec le public, et son léger empressement dans la reprise de ‘Batti, Batti, o bel Masetto’ permettra d’apprécier la dextérité de Marc Leroy-Calatayud à réaligner l’orchestre tout en assurant la continuité musicale.

Charlotte Bonnet (Zerlina) et Adrien Mathonat (Masetto)

Charlotte Bonnet (Zerlina) et Adrien Mathonat (Masetto)

Elle est de plus associée au Masetto d’Adrien Mathonat, nouvel entrant à l’Académie de l’Opéra de Paris en septembre dernier qui fera fort impression deux mois plus tard lors du spectacle ‘Nocturne vidéo-en-chantée’ de Denis Guéguin (le vidéaste de Krzysztof Warlikowski) donné à l’amphithéâtre Bastille, doué d’une magnifique souplesse de timbre mais aussi d’une profonde noirceur qui le rapproche beaucoup plus de la stature du commandeur qu’il incarne également ce soir. 
Ce chanteur est à suivre absolument dans les années à venir.

Enfin, Granit Musliu donne du style et suffisamment d’épaisseur à Don Ottavio pour lui éviter l’effacement qui lui est souvent attribué.

Florian Sempey (Don Giovanni)

Florian Sempey (Don Giovanni)

Et rappelons le, tous ces artistes sont liés par une cohésion musicale et de manière d’être qui fait la valeur de cette représentation qui s’achève sur une impressionnante image d’une statue de commandeur évoquant la mort, suivie par la morale finale qui permet à chaque artiste de saluer le public alors que Don Giovanni réapparaît fugacement pour ordonner à Leporello de le suivre, signe que son emprise reste intacte.

Pari hautement remporté pour les Soirées Lyriques de Sanxay, auxquelles l’on souhaite que les représentants politiques qui financent ce festival absolument unique de par le lieu champêtre où il se déroule mesurent bien sa portée artistique et sociale.

Florian Sempey et Marc Leroy-Calatayud

Florian Sempey et Marc Leroy-Calatayud

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Publié le 14 Août 2021

Carmen (Georges Bizet - 1875)
Représentation du 12 août 2021
Soirées Lyriques de Sanxay

Carmen Ketevan Kemoklidze
Micaëla Adriana Gonzalez
Don José Azer Zada
Escamillo Florian Sempey
Frasquita Charlotte Bonnet
Mercédès Ahlima Mhamdi
Zuniga Nika Guliashvili
Moralès Yoann Dubruque
Le Dancaïre Olivier Grand
Le Remendado Alfred Bironien

Direction Musicale Roberto Rizzi-Brignoli
Mise en scène Jean-Christophe Mast
Chorégraphie Carlos Ruiz                                           
Ketevan Kemoklidze (Carmen)

La 3eme production de Carmen aux Soirées Lyriques de Sanxay, après celles de 2001 et 2011, est probablement la plus aboutie, et confirme que le Festival a dorénavant atteint un seuil de maturité que la crise pandémique de 2020 n'a aucunement ébranlé, bien au contraire.

Ketevan Kemoklidze (Carmen)

Ketevan Kemoklidze (Carmen)

Au creux du sanctuaire gallo-romain découvert en 1881, abrité dans un méandre de la Vonne au milieu d'une nature bucolique, 2000 spectateurs ont le plaisir d'assister chaque soir, et pour 3 représentations, les 10, 12 et 14 août 2021, à un spectacle d'une indéniable cohérence musicale jusque dans la réalisation de sa mise en scène.

En effet, pour sa seconde apparition à Sanxay après Aida en 2019, Jean-Christophe Mast a conçu un décor unique centré, en arrière plan, sur une arche de style hispano-mauresque qui surplombe une estrade dotée d'un double escalier latéral.

A l'avant scène, un large cylindre tronqué est incrusté sur les planches afin de diriger par un mouvement pivotant sa surface vers le public, ou de créer un point de vue surélevé, ce qui permet de réaliser des changements de configurations scéniques fluides.

Vue panoramique du sanctuaire gallo-romain de Sanxay

Vue panoramique du sanctuaire gallo-romain de Sanxay

Cette recherche de fluidité se retrouve également à travers les entrées et sorties des nombreux figurants (13), choristes (65) et chœur d'enfants (20) pour lesquels un soin est accordé à leur disposition très picturale sur le plateau afin de créer une composition d'un bel équilibre visuel à chacune de leurs interventions. Et leurs costumes sont tous conçus dans une tonalité claire, longs drapés fins, colorés et légers pour les femmes, costumes militaires ou de ville aux teintes blanches et jaunes pour les hommes, hormis Escamillo qui apparaitra dans son riche ensemble rouge et noir de toréador au dernier acte.

Le jeu de scène de l'ensemble des artistes reste classique mais vivant, et on remarque qu'il est cadré de manière à ne pas rendre vulgaire les attitudes des cigarières, y compris Carmen, ni outrer la montée de la violence en Don José.

Bien qu'il s'agisse d'une histoire qui vire au drame, ce qui, de façon prémonitoire, est annoncé à travers les thèmes de l'ouverture et retranscrit sur scène par une danse fatale entre un danseur et une danseuse vêtus de noir, le spectacle préserve un caractère enjoué et bon enfant, sauf pour Don José et Micaela qui sont les deux seuls personnages qui souffrent de ne pas trouver leur place dans ce jeu social.

Ketevan Kemoklidze (Carmen) et les danseuses de Flamenco

Ketevan Kemoklidze (Carmen) et les danseuses de Flamenco

Et invité une première fois en 2011, le chorégraphe Carlos Ruiz est de retour pour insérer des pas de Baile Flamenco avec 6 de ses danseurs, 3 femmes et 3 hommes, sur "Les tringles des sistres tintaient" et l'ouverture du quatrième acte. Les jeux sonores des pieds sont très bien réglés sur le rythme de la musique, et les formes des arabesques sont fidèles à l'imaginaire oriental que l'on peut avoir de l'Espagne passée.

Florian Sempey (Escamillo)

Florian Sempey (Escamillo)

La distribution réunie ce soir ne comprend pas moins de trois chanteurs originaires du Caucase méridional. 
Ketevan Kemoklidze, qui reprendra le rôle à Palerme à la rentrée dans la mise en scène de Calixto Bieito, interprète Carmen avec une excellente attention au texte, précise dans les inflexions, et avec une grande variété de couleurs, que ce soit dans les accents haut-parlés, sagaces et très clairs, que dans les intonations sombres, avec des transitions qui préservent l'unité de la texture vocale.  

Elle adore jouer ce personnage, cela se voit, et créer ainsi une proximité immédiate avec l'auditeur. Et elle est aussi en relation très étroite avec l'ensemble des artistes, comme si elle se nourrissait surtout des échanges avec tout le monde plutôt que d'une mise en avant très détachée. 

Azer Zada (Don José) et Yoann Dubruque (Moralès)

Azer Zada (Don José) et Yoann Dubruque (Moralès)

Azer Zada, qui chantait dans Tosca ici même en 2018, incarne un Don José d'une sensible homogénéité de timbre et d'une très grande tendresse. Son personnage est poétique et introverti, ce qui insuffle une fine délicatesse à son air central "La Fleur que tu m'avais jetée", et reste intègre jusqu'à la scène finale, sans dislocation noire et vériste, au moment où le sang le mène à tuer Carmen.

Et sous les traits du lieutenant Zuniga, Nika Guliashvili fait inévitablement penser, avec sa noirceur brillante et chantante, à un Méphisto qui pourrait mal inspirer un Don José trop rêveur. Il est d'ailleurs bien mis en avant par sa présence naturelle.

Florian Sempey, à gauche en Moralès (2011), et à droite en Escamillo (2021)

Florian Sempey, à gauche en Moralès (2011), et à droite en Escamillo (2021)

Auprès d'eux, Florian Sempey, dès qu'il apparait sur scène, est comme l'enfant prodige de la région qui vient retrouver son public - il a débuté sa formation de chant à Libourne, puis intégré le Conservatoire national de Bordeaux en 2007 -.

Il incarnait Moralès ici même en 2011 - rôle qui est repris cette année avec belle tenue par Yoann Dubruque - au moment où il faisait partie de l'Atelier lyrique de l'Opéra national de Paris, et se glisse dorénavant avec facilité dans la peau d'Escamillo, auquel il apporte une fougue et une jeunesse qui rendent le Toréador attachant. Souffle généreux, grain vocal chaleureux, il représente la vie au bonheur accompli à laquelle rien ne résiste. 

Adriana Gonzalez (Micaela)

Adriana Gonzalez (Micaela)

Adriana Gonzalez est aussi une artiste qui est passée par l'Atelier Lyrique, un peu plus récemment que Florian Sempey, entre 2014 et 2017. Elle succède à Asmik Grigorian, qui avait fait ses débuts en France en 2011 à cette occasion, pour interpréter une Micaela d'une musicalité naturelle qui exprime de vrais sentiments intimes.

Les subtiles vibrations lui donnent une touche mélancolique, ce qui ne manque pas de déclencher une intense ovation à la fin de "Je dis que rien ne m'épouvante".

Ahlima Mhamdi (Mercédès) et Charlotte Bonnet (Frasquita)

Ahlima Mhamdi (Mercédès) et Charlotte Bonnet (Frasquita)

Et les autres rôles s'insèrent avec la même fraicheur dans la scénographie, à l'image du duo entre Mercédès et Frasquita qui précède "Carreau, pique ... la mort!" où s'allient de manière complice la pétillance d'Ahlima Mhamdi et la spontanéité irrésistiblement démonstrative de Charlotte Bonnet. Et quelle intrépidité de la part de celle-ci!

Autour des solistes, les différents ensembles de chœurs hommes, femmes et enfants sont source d'harmonie et de grande clarté, et Roberto Rizzi-Brignoli, qui fait ses débuts à Sanxay, obtient une épatante limpidité de l'orchestre composé de plus de 60 musiciens. Il fait ressortir avec beaucoup de netteté les ornements des instruments, basson, cuivres, harpe, les fait chanter avec les solistes, donne de la brillances aux cordes, et entretien un influx musical souple auquel il ne déroge pas, même dans les attaques les plus théâtrales.

Ketevan Kemoklidze,  Roberto Rizzi-Brignoli et Adriana Gonzalez

Ketevan Kemoklidze, Roberto Rizzi-Brignoli et Adriana Gonzalez

Et en témoignage de la rencontre de la Terre qui croise au même moment le nuage de poussière laissé dans l'espace par la comète Swift-Tuttle en 1992, une magnifique perséide s'embrase dans le ciel, à droite de la scène, à l'instant où Don José et Carmen se retrouvent seuls après le grand défilé de la place de Séville.

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Publié le 12 Août 2019

Aida (Giuseppe Verdi)
Représentation du 10 août 2019
Soirées lyriques de Sanxay

Aida  Elena Guseva    
Amnéris Olesya Petrova    
La Grande Prêtresse Sophie Marin-Degor    
Radamès Irakli Kakhidze    
Amonasro Vitaliy Bilyy    
Ramfis In-Sung Sim    
Le Roi Nika Guliashvili    
Le Messager Luca Lombardo    

Direction musicale Valerio Galli    
Mise en scène Jean-Christophe Mast    
Création lumières Pascal Noël    
Scénographie Jérôme Bourdin    
Chorégraphie Laurence Fanon    

                                                     Elena Guseva (
Aida) 

Si les trois représentations d’Aida qui avaient été jouées il y a exactement dix ans avaient remporté un beau succès, ce qui confirmait solidement la raison d’être des Soirées lyriques de Sanxay, l’édition 2019 représente un véritable sommet artistique pour le Festival qui, à l’occasion de l’anniversaire de ses 20 ans d’existence, a réuni une équipe artistique d’un excellent niveau international afin de faire de cette nouvelle production d’Aida un des spectacles les plus aboutis vus sur cette scène originale.

Elena Guseva  (Aida)

Elena Guseva  (Aida)

Visuellement, la conception des éléments de décors et des costumes soigne d’une luxuriance de couleurs scintillantes – les teintes bleues et or prédominent - une reconstitution imaginaire des palais et des temples égyptiens de l’antiquité, en appuyant la scénographie sur cinq imposantes colonnes palmiformes dont l’une, centrale, comporte à sa base plusieurs marches qui permettent de rehausser la dimension sacrale des interventions politiques ou religieuses. Cette même colonne pivote par ailleurs sur elle-même de façon à révéler une immense sculpture de Ptah, dont les traits mortifères sont accentués par les jeux d’ombres.

Irakli Kakhidze (Radamès)

Irakli Kakhidze (Radamès)

En arrière-plan, un simple mur parcellé de quelques entrées permet de fermer la scène et de projeter de très beaux faisceaux lumineux tout au long du spectacle, magnifiés par les irrégularités de surface des structures du décor, créant ainsi un constant plaisir pour les yeux. Car cette fantaisie de bon goût recherche également des effets magiques, comme lorsque Radamès trempe ses mains dans une jarre d’or liquide, où bien même lorsque le jeune couple affronte la mort à la toute fin.

Olesya Petrova (Amnéris),  Nika Guliashvili (Le Roi) et In-Sung Sim (Ramfis)

Olesya Petrova (Amnéris), Nika Guliashvili (Le Roi) et In-Sung Sim (Ramfis)

Si l’on ne peut s’attendre ici à une mise en scène qui s’éloigne des anciennes formes de représentations, ou qui recherche un jeu d’acteurs hyperréaliste, le metteur en scène Jean-Christophe Mast s’est toutefois allié à Laurence Fanon (la chorégraphe de La Veuve Joyeuse à l’Opéra de Paris) qui, comme pour Aida en 2009, a mis en valeur un groupe de danseurs noirs afin d’incarner la vitalité provocante et sauvage des esclaves nubiens. Leur sens de la liberté et la rigueur de leurs mouvements souples tout à la fois saccadés créent un contraste fort avec le statisme protocolaire de la cour d’Egypte, surtout que leur danse atteint son paroxysme au cours de la marche triomphale, alors que sur le mur frontal apparaît la croix de vie égyptienne.

Sophie Marin-Degor (La Grande Prêtresse)

Sophie Marin-Degor (La Grande Prêtresse)

Et si l’écrin visuel est réussi, la réalisation musicale l’est tout autant, à commencer par le travail orchestral des musiciens et de leur nouveau directeur, Valerio Galli, un habitué des grandes scènes italiennes. La densité théâtrale, l’alliage de l’énergie et du moelleux, la recherche du détail des nuances des cordes et du polissage des sons cuivrés, étincelés par les percussions, mettent en valeur l’écriture de Verdi et le mystère des ambiances d’Aida, et, surtout, le contrôle tendu du tissu instrumental respire naturellement avec les chanteurs qui sont ainsi parfaitement soutenus par leur chef. La direction du festival a tout intérêt à le garder pour les prochaines saisons.

Olesya Petrova (Amnéris), un danseur (esclave nubien) et, de dos, Valerio Galli

Olesya Petrova (Amnéris), un danseur (esclave nubien) et, de dos, Valerio Galli

Radamès peut ainsi s’imposer d’emblée comme une évidence, interprété par un jeune ténor géorgien, Irakli Kakhidze, peu connu en France, mais qui devrait l’être au cours des prochaines années car, pendant toute la soirée, il était impossible de ne pas penser à la générosité et au style poétique de Roberto Alagna. Son chant est d’une intégrité parfaite, les variations de tessitures respectent les courbures de ligne et l’homogénéité des couleurs vocales, et les aigus s’épanouissent dans une plénitude si jouissive que l’on a hâte d’entendre ce chanteur à nouveau sur une scène parisienne.

L’Aida d’Elena Guseva est également l'idéale partenaire d’Irakli Kakhidze, dont elle partage la même noblesse de chant, un art subtil des fluctuations de timbre et un sens du drame introverti qui préservent de bout en bout la dignité de la jeune esclave sans verser dans le mélodrame pour autant. 
Ses qualités vocales sont de plus exaltées par une expressivité de geste et des traits du visage qui renforcent la crédibilité de son personnage tiraillé par les dilemmes sentimentaux.

In-Sung Sim (Ramfis) et Vitaliy Bilyy (Amonasro)

In-Sung Sim (Ramfis) et Vitaliy Bilyy (Amonasro)

Olesya Petrova, en Amnéris, lui oppose des teintes et des vibrations profondément graves, plus classique, sûrement, dans sa façon de faire vivre la princesse égyptienne, et se montre orgueilleusement à l’aise dans les grands élans dramatiques, si bien que son opposition avec Aida prend des allures de règlement de compte qui font penser avec une soudaine évidence au duo de la princesse de Bouillon et d’Adrienne Lecouvreur dans l’opéra de Francesco Cilea
Sans doute est-ce dû à la façon très bourgeoise de faire se confronter ces deux femmes sur scène.

Autre artiste particulièrement bien mise en avant dans la mise en scène, la Grande Prêtresse de Sophie Marin-Degor est fascinante de par ses incantations vibrantes qui donnent une véritable densité à un personnage qui n'apparaît que pour peu de temps.

Elena Guseva  (Aida) et Irakli Kakhidze (Radamès)

Elena Guseva  (Aida) et Irakli Kakhidze (Radamès)

Et parmi les voix masculines graves, le Ramfis d'In-Sung Sim impressionne par ses intonations creuses, alors qu’au contraire le Roi de Nika Guliashvili rejoint en homogénéité, certes plus sombre, celle de son compatriote Irakli Kakhidze.

Quant à Vitaliy Bilyy, que nous connaissons bien à travers ses interprétations sur les scènes parisiennes, il cristallise les noirceurs et les sentiments négatifs d’Amonasro, en en brossant un portrait univoque dédié à la vengeance; mais peut-être qu’un soupson de mélodrame compassionnel ajouterait à la complexité de son personnage.

Enfin, le chœur, séparé en deux grands groupes, fait parfois entendre les individualités qui le composent, et, bien qu’uni musicalement, on sent qu’il pourrait se libérer avec encore plus de force porté par la confiance du directeur musical. 

Elena Guseva  (Aida)

Elena Guseva  (Aida)

Malgré la fraîcheur montée avec l’humidité ambiante lors de la première représentation qui s’est achevée à une heure du matin, l’enthousiasme soulevé dans le cœur du public démontre que ce vingtième anniversaire célèbre un travail de fond qui propulse le festival avec joie dans la troisième décennie du XXIe siècle.

Et, lors des entractes, observer la scène illuminée au milieu des ruines du théâtre surplombées par les spectateurs ravis, et serties par des guirlandes de lumières disposées en pleine nature, reste un spectacle tout autant émouvant.

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Publié le 14 Août 2018

Tosca (Giacomo Puccini)
Représentation du 11 août 2018
Soirées lyriques du Théâtre gallo-romain de Sanxay

Floria Tosca Anna Pirozzi
Mario Cavaradossi Azer Zada
Le baron Scarpia Carlos Almaguer
Angelotti Emanuele Cordaro
Le Sacristain Armen Karapetyan
Spoletta Alfred Bironien
Sciarrone Vincent Pavesi
Le geôlier Jesus de Burgos

Direction musicale Eric Hull
Mise en scène Stefano Vizioli

                                                                                                      Anna Pirozzi (Floria Tosca)

La nouvelle édition du Festival de Sanxay porte sur la scène de son site gallo-romain Tosca, 14 ans après qu’une première production fut jouée en ce lieu avec Olga Romanko, Luca Lombardo et Carlos Almaguer dans les trois rôles principaux.

Le décalage entre les paysages de champs vallonnés, les petites routes ombragées, la nature domestiquée qui y vit, et le spectacle incroyable d’une œuvre lyrique chantée en plein air, sans la moindre sonorisation, devant 2000 spectateurs chaque soir, est quelque chose de tellement hors du commun, qu’il devient inenvisageable de se passer de ce rendez-vous annuel qui se déroule au cœur de la région du Seuil du Poitou où se rejoignent deux bassins sédimentaires majeurs, le Parisien et l’Aquitain.

Et à nouveau, la distribution réunie brille par son homogénéité vocale agréablement satinée par l’air de la nuit.

Anna Pirozzi (Floria Tosca) et Azer Zada (Mario Cavaradossi)

Anna Pirozzi (Floria Tosca) et Azer Zada (Mario Cavaradossi)

Azer Zada, jeune ténor azéri familier du rôle de Cavaradossi, se coule avec aisance dans la peau d’un personnage au regard charmeur, jouant constamment de la douceur d’un timbre massif dont il préserve le moelleux en atténuant toute tension, même dans les aigus. Il offre ainsi un parfait exemple de chant intègre à la fois dynamique et unifié, sans la moindre césure.

Anna Pirozzi, adulée des amateurs de pure vocalité du monde entier, interprète une Floria Tosca terrienne, fortement présente et sans aucun effet de geste ou de posture sophistiqué. Car le tempérament guerrier de la soprano napolitaine, si prégnant chez certaines héroïnes verdiennes qu’elle fait revivre régulièrement, se retrouve aussi dans cette héroïne puccinienne dépeinte sous un angle nettement rageur.

Et d’un souffle solide et élancé, toutes les difficultés de son personnage passent inaperçues, d’autant plus que l’expressivité et les couleurs ensoleillées de sa tessiture aiguë lui donnent un aplomb marquant, mais qui laissent moins de place à la sensibilité amoureuse de la cantatrice du Palais Farnèse.

Carlos Almaguer (Scarpia)

Carlos Almaguer (Scarpia)

Seul chanteur présent en 2004 dans le même rôle, Carlos Almaguer rend à Scarpia une stature autoritaire et noble à la fois, sans la moindre vulgarité, qui l’apparente à un aigle royal cherchant à cerner sa proie. Souplesse de la voix, maturité du timbre, cohérence forte entre la manière d’être et l’impression sonore, cette solidité affichée permet également, pour quelqu’un qui ne connait pas la pièce, de maintenir un certain temps l’ambiguïté sur la nature humaine du chef de la police.

Parmi les seconds rôles, Armen Karapetyan se distingue en brossant un portrait fort et subtil du Sacristain, sans sur-jeu comique comme on le voit trop souvent, qui lui restitue une dignité souvent négligée.

Anna Pirozzi (Floria Tosca) et Azer Zada (Mario Cavaradossi)

Anna Pirozzi (Floria Tosca) et Azer Zada (Mario Cavaradossi)

Néanmoins, l’ensemble de la représentation souffre des soulignements à gros traits du metteur en scène, et d’une direction d’acteur simpliste qui ne permet pas d’installer une crédibilité et une continuité dans le déroulement des affects en jeu. Le décor principalement constitué d’une façade noire et de plusieurs portes, au sol ou en hauteur, dont l’une en forme de croix, permet certes des changements de situations efficaces, soutient les voix, mais reste fermé même au début du troisième acte, quand la musique aurorale et le chant du berger posent le dernier moment de sérénité du drame.

Carlos Almaguer (Scarpia)

Carlos Almaguer (Scarpia)

A l’inverse, Eric Hull tire de son ensemble orchestral de belles couleurs sombres tissées avec finesse, esthétisme, mais met surtout en valeur la qualité du son, l’éclat chaleureux des cuivres, plutôt que l’impulsion, la prise de risque théâtrale qui pourrait bien plus saisir l’auditeur par la violence des situations. On remarque également qu’une partie des musiciens est située sous la scène avancée pour l’occasion au-dessus de l’orchestre comme une proue de navire, ce qui pourrait expliquer l’atténuation sensible du son lors de l’ouverture pastorale du dernier acte. L'effet des cloches disséminées tout autour de l'enceinte du théâtre, tintant au lever du soleil sur Rome, est charmant, d'autant plus qu'il invite à lever les yeux au ciel.

Et quelle résonance magnifique entre l’air ‘E lucevan le stelle’ chanté par Azer Zada dans la scène de la prison, et le ciel étoilé qui, ce soir-là, est zébré d’étoiles filantes, les perséides, filant au-dessous de la constellation de Cassiopée avec des pics de fréquence à 3 météorites par minute, dont l’une se désintègre même à l’aplomb du site de Sanxay !

Coucher de soleil sur le champ aménagé en parking spécialement pour le festival.

Coucher de soleil sur le champ aménagé en parking spécialement pour le festival.

L’année prochaine, pour les 20 ans du festival, Sanxay présentera Aida, 10 ans après le succès de la production captivante dirigée par Antoine Selva dans ce même théâtre. Ce spectacle est donc très attendu, et il faut souhaiter qu’il sera aussi le point de départ de l’élargissement du répertoire du festival, pour l’instant circonscrit aux 5 Verdi et 4 Puccini les plus célèbres, à Norma, Carmen et La Flûte Enchantée.

Les contraintes acoustiques pourraient sans doute poser problème au Barbier de Séville ou à Don Pasquale, mais le Vaisseau Fantôme, Salomé, Lucia di Lammermoor, Manon Lescaut, Manon, Le Bal Masqué, Macbeth, Les Contes d’Hoffmann, Don Giovanni, devraient avoir leur chance en ce lieu magique.

A proximité du théâtre, veaux et vaches peuvent, eux-aussi, profiter des bienfaits de l'art lyrique.

A proximité du théâtre, veaux et vaches peuvent, eux-aussi, profiter des bienfaits de l'art lyrique.

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Publié le 11 Août 2015

Turandot (Giacomo Puccini)
Représentation du 10 août 2015
Théâtre antique de Sanxay  

Direction musicale Eric Hull
Orchestre et Chœur des Soirées Lyriques de Sanxay
Chœur d’enfants de l’Académie de chant des Soirées Lyriques

Mise en scène Agostino Taboga
Costumes Shizuko Omachi

Calaf Rudy Park
Timur Wojtek Smilek
Altoum Ronan Nédélec
Turandot Anna Shafajinskaia
Liu Tatiana Lisnic
Le Mandarin Nika Guliashvili
Ping Armen Karapetyan
Pang Xin Wang
Pong Carlos Natale                   
                                
Rudy Park (Calaf) et le chef d’orchestre Eric Hull

Mathieu Blugeon, le président des Soirées Lyriques de Sanxay, peut en être heureux, la première des trois représentations de Turandot jouée sur les vestiges du site gallo-romain de Sanxay est une réussite musicale qui n’était véritablement pas gagnée d’avance.

En effet, l’ultime et inachevé opéra de Puccini, donné dans sa version complétée par Franco Alfano, mobilise un impressionnant effectif orchestral et choral qui peut paraître un peu surdimensionné pour ce festival jeune et au modèle économique fragile, malgré le soutien de la région et des 230 personnes bénévoles.

Anna Shafajinskaia (Turandot)

Anna Shafajinskaia (Turandot)

Pourtant, Eric Hull, le nouveau directeur musical depuis l’année dernière, obtient de l’orchestre composé de près de 80 musiciens une atmosphère expansive sombre et surnaturelle due autant au pouvoir hypnotique des cordes et de leur légèreté, que des vents aux sonorités les plus menaçantes. Les percussions sont en surtension, sans brutalité, et les aspects les plus spectaculaires avec le chœur sont, eux, en revanche, plus humanisés et plus proches de la déploration que du cri de rage. Les cuivres pourraient être également plus fulgurants.

Armen Karapetyan (Ping), Carlos Natale (Pong) et Xin Wang (Pang)

Armen Karapetyan (Ping), Carlos Natale (Pong) et Xin Wang (Pang)

Sur scène, l’impérialité est habillée de haillons, car Rudy Park, qui avait chanté le rôle de Calaf à Nancy deux ans auparavant, incarne un Prince d’une redoutable assurance, avec une très grande homogénéité du timbre aussi sombre que celui du ténor russe Vladimir Galouzine, mais sans dureté et avec un sens de la noblesse austère et de l’affirmation personnelle splendide. Si l’équipe du festival envisage, un jour, de monter l’Otello de Verdi, elle sait sur qui compter dorénavant.

Rudy Park (Calaf)

Rudy Park (Calaf)

Anna Shafajinskaia, qui fut une Tosca incendiaire pour quelques soirs en ouverture de saison 2003/2004 à l’opéra Bastille – sous la direction de Marcello Viotti, a une voix qui ressemble beaucoup, en plus clair, à celle de sa compatriote ukrainienne de naissance, Maria Guleghina.

La noirceur lui fait certes défaut, mais elle tient ses aigus vaillamment, d’un trait, donne une couleur opaline à son chant, parsemé de microcoupures régulières, et se départit d’une interprétation rigide et cruelle. Folle de joie et entrainante au rideau final, la muraille qu’elle construit pour son personnage n’est en fait pas si solide, et son cœur se perçoit très tôt dans la seconde partie. Elle aussi rend, à sa manière, cette Turandot humaine.

Tatiana Lisnic (Liu) et Wojtek Smilek (Timur)

Tatiana Lisnic (Liu) et Wojtek Smilek (Timur)

Magnifique Tatiana Lisnic, au tempérament fort et au chant si sensible, qui sort Liu de son rôle trop souvent mélodramatique pour lui donner une dimension volontaire et écorchée saisissante de vérité.

Parmi les personnages secondaires, le trio Ping, Pang et Pong est musicalement uni, même si Carlos Natale a le rayonnement vocal le plus franc des trois ministres, et Wojtek Smilek joue un Timur profondément défaitiste.

Le Chœur d’enfants de l’Académie de chant des Soirées Lyriques

Le Chœur d’enfants de l’Académie de chant des Soirées Lyriques

Très bien mis en valeur en avant-scène, la perle de la soirée, le chœur d’enfants de l’Académie de chant est un ravissement dont ils peuvent tous être très fiers, autant que de leur accueil exultant de joie pour saluer tous les artistes.

Comme pour Nabucco l’année précédente, Agostino Taboga prend prétexte de l’œuvre légendaire pour imaginer un univers de personnages fantaisistes et multicolores dont on relève quelques images marquantes, des gardes au visage voilé de noir qui évoquent des combattants extrémistes du Moyen Orient, ou bien ce peuple vêtu de noir et acculé au travail forcé et répétitif dans les ateliers de la princesse chinoise.

Les costumes de Shizuko Omachi, fins, colorés et sans surcharge, font la valeur esthétique de cette scénographie.

Anna Shafajinskaia (Turandot) et Rudy Park (Calaf)

Anna Shafajinskaia (Turandot) et Rudy Park (Calaf)

Et c’est dans un ciel constellé d’étoiles et traversé de part en part par la Voie Lactée, que se sont élevées des lanternes chinoises aux lueurs orangées, dispersées par le vent dans la nuit pour célébrer la noce finale.

Prochaines représentations : le 12 et le 14 août 2015.

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Publié le 13 Août 2014

Nabucco (Giuseppe Verdi)
Représentation du 11 août 2014
Théâtre antique de Sanxay 

Direction musicale Eric Hull
Orchestre, Chœur et Ballet des Soirées Lyriques de Sanxay

Mise en scène Agostino Taboga
Costumes Shizuko Omachi

Nabucco Albert Gazale
Ismaële Luca Lombardo
Zaccaria Ievgen Orlov
Abigaille Anna Pirozzi
Fenena Elena Cassian
Le grand Prêtre de Baal Nika Guliashvili
Abdallo Xin Wang
Anna Sarah Vaysset

                                                                                                              Albert Gazale (Nabucco)

Pour sa quinzième année des Soirées Lyriques, le Théâtre antique de Sanxay accueille à nouveau le premier grand succès milanais de Verdi, son troisième opéra, qui fera de lui un compositeur très courtisé. Le festival avait déjà monté Nabucco en 2003, peu de temps après ses débuts, avec Michèle Lagrange dans le rôle d'Abigaille.

Cependant, contrairement à la légende qui est régulièrement propagée par les médias, cette partition n’a pas été composée avec des arrières-pensées patriotiques, mais pour son sujet biblique, et elle fut dédiée à la fille de l’archiduc Rainier vice-roi du royaume lombard-vénitien et « protecteur de la Scala », c'est-à-dire l’occupant autrichien.
Le livret se réfère à la prise de Jérusalem par le roi néo-babylonien – et non pas assyrien – Nabuchodonosor, et à la déportation des juifs vers sa capitale.

Nabucco (A.Pirozzi- A.Gazale- I.Orlov- dir E.Hull) Sanxay 2014

La mise en scène confiée à Agostino Taboga comporte tous les traits des productions traditionnelles des années 1980, gestes stéréotypés, mouvements de foule illustratifs, et lourdeurs inutiles dans les modifications du décor de la dernière partie – les colonnes du temple sont travaillées afin de suggérer l’usure du temps, et celui-ci comporte différents niveaux éclairés au fur et à mesure par un nombre croissant de torches élégantes.

Elle révèle néanmoins une originalité saisissante en alliant les babyloniens à des amazones menaçantes, tatouées et armées de lances, alimentant ainsi une imagerie fantasmatique issue de l’heroic fantasy, mais historiquement peu crédible.

Faire ressortir la profondeur d’expression des caractères, malgré le temps nécessairement court, ne semble pas avoir inspiré le directeur, ce qui est un peu dommage.

La distribution réunit un ensemble de chanteurs qui ont tous en commun un timbre harmonieux à l’écoute. Ievgen Orlov incarne ainsi un prêtre encore très jeune pour porter entièrement le poids terrifiant du dieu juif qu’il représente, noirceur et ampleur étant plus impressionnants par la voix de Nika Guliashvili, le grand Prêtre de Baal.

Anna Pirozzi (Abigaille)

Anna Pirozzi (Abigaille)

Albert Gazale, un peu pale avant que la foudre ne lui tombe dessus, fait progressivement ressortir les failles et l’humanité du roi babylonien bien loin de la caricature qu’Anna Pirozzi brosse d’Abigaille.
Cette soprano percutante possède les aigus tranchants et spectaculaires de ce personnage tyrannique, un médium riche et des graves plus mesurés, une dynamique vocale fascinante, mais elle persévère trop dans l’expression d’une méchanceté hystérique, ce que sa coiffure de Méduse ne fait qu’accentuer. Elle conforte ainsi la vision du metteur en scène qui ne voit en cette histoire qu’une opposition manichéenne entre un paganisme sauvage et cruel et une religion monothéiste.

Léger, mais sensible et énergique, Luca Lombardo défend très bien le rôle d’Ismaële, et Elena Cassian se contente de faire entendre son beau timbre chaleureux et sombre. Elle avait cependant semblé plus émouvante en 2003, à moins qu’il n’en reste que des souvenirs idéalisés.

Eric Hull, le chef d'orchestre, et Albert Gazale (Nabucco)

Eric Hull, le chef d'orchestre, et Albert Gazale (Nabucco)

Et s’il y a quelqu’un à qui l’on doit de bien mettre en valeur ces chanteurs, ce n’est pas le directeur scènique, mais le chef d’orchestre, Eric Hull.
Invité pour la première fois aux Soirées Lyriques, ce directeur musical fait des merveilles dès l’ouverture. Le son s’épanouit bien mieux que les années précédentes dans ce théâtre de plein air, la richesse des détails harmoniques surgit d’une belle enveloppe orchestrale qui ne peut que séduire les oreilles musicales les plus fines.

Ce travail tout en délicatesse, qui laisse un peu de côté les fulgurances de la jeunesse verdienne, mais ni son élan, ni sa générosité, est un plaisir qui fait entendre, par exemple, dans la scène intime de Zaccaria avec ses tables, une description torturée des sentiments du prêtre que les inflexions slaves d’Ievgen Orlov ne font que rendre encore plus proches de ceux qu’évoquent Tchaikovsky dans ses opéras.

Nabucco (A.Pirozzi- A.Gazale- I.Orlov- dir E.Hull) Sanxay 2014

C’est d’ailleurs très étonnant d’écouter les commentaires des spectateurs, très sensibles à la qualité des voix et au visuel, mais qui parlent peu de la finesse avec laquelle la musique a été jouée, l’âme véritable de la soirée.

Quant au chœur, très doux car formé d’interprètes français, il ne restitue pas suffisamment le souffle et l’orgueil de la langue italienne. Il manque encore d’unité, de ce quelque chose qui rend son incarnation totalement spirituelle, même si l’achèvement du ‘Va pensiero’ est fort beau.

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Publié le 10 Août 2013

Madame Butterfly (Giacomo Puccini)
Représentation du 08 août 2013
Festival de Sanxay

Cio-Cio San Lianna Haroutounian
Suzuki Elena Cassian
F.B Pinkerton Thiago Arancam
Sharpless Kosma Ranuer
Goro Xin Wang
L’oncle Bonze Balint Szabo
Le prince Yamadori Florian Sempey
Kate Pinkerton Sarah Vaysset
Le commissaire impérial Fabien Leriche
Le fils de Cio-cio San Robin Mèneteau

Direction musicale Didier Lucchesi
Mise en scène Mario Pontiggia
Costumes Shizuko Omachi
Lumières Eduardo Bravo
                                                 Lianna Haroutounian (Cio-Cio San) et Thiago Arancam (Pinkerton)


Sur les ruines du théâtre romain d‘Herbord, les intempéries tumultueuses de ce début de mois d’août se sont retirées quelques heures seulement avant que le drame lyrique de Madame Butterfly ne débute au milieu du paysage bucolique embrasé par le Festival de Sanxay chaque été, après les dernières lueurs du soleil couchant.

Elena Cassian (Suzuki) et Robin Mèneteau (L'enfant)

Elena Cassian (Suzuki) et Robin Mèneteau (L'enfant)

Cette nouvelle production est sans doute une des plus abouties de cette manifestation lyrique car, non seulement la distribution vocale est d’une belle musicalité homogène et délicate, mais la mise en scène de Mario Pontiggia forme un tout poétique, sensible et subtilement harmonisé à la musique de Puccini, un raffinement auquel on n’est pas accoutumé dans un tel lieu.

Le décor élégant, composé de seulement trois panneaux japonais finement décorés, et d’un cerisier oriental au second acte, définit les limites entre un espace intime et le monde extérieur symbolique pour lequel les lumières tamisées d’Eduardo Bravo, progressivement changeantes, modifient les couleurs et l’intensité du climat visuel, tout en mettant bien en valeur les différents protagonistes.

Lianna Haroutounian (Cio-Cio San), Robin Mèneteau (L'enfant) et Kosma Ranuer (Sharpless)

Lianna Haroutounian (Cio-Cio San), Robin Mèneteau (L'enfant) et Kosma Ranuer (Sharpless)

Ces derniers sont de plus magnifiés par la qualité et la variété des costumes de Shizuko Omachi, d’une blancheur immaculée pour le jeune couple, rose clair, puis noir pour Suzuki, mais, surtout, le metteur en scène prend soin de la disposition expressive de chaque artiste pour en souligner l’existence et la tension qu’il crée avec son entourage.

Il émane également une forme de musicalité de la gestuelle-même, comme si tous faisaient partie d’un tout harmonieux, excepté Pinkerton (mais est-ce volontaire?).

Lianna Haroutounian (Cio-Cio San)

Lianna Haroutounian (Cio-Cio San)

Les chanteurs se fondent donc naturellement dans cet ensemble, à commencer par Lianna Haroutounian, interprète qui fut la brillante remplaçante d’Anja Hartejos dans Don Carlo à Covent Garden en mai dernier, et qui, dans le rôle de Cio-Cio San, se départit de tout effet dramatique et mélodramatique pour dessiner un portrait infiniment fragile et idéaliste, avec une projection puissante et lumineuse, et une apparente sérénité qui dure jusque dans la mort. Elena Cassian est pour elle une Suzuki confidente et attentive d’une même douceur, son duo avec Butterfly se dénouant dans une intimité un peu trop sage, sans exubérance.
 

Pinkerton notamment gauche, Thiago Arancam apparaît donc comme une figure décalée face à ces deux dames.

Il ne bénéficie pas de la même projection, néglige sa musicalité dans le médium, mais, contre toute attente, sa voix s’épanouit aisément dans les aigus, ce qui lui donne une dimension qu’il cède dès qu’il revient dans un registre moins lyrique.


A son retour, pourtant, il se montre inhabituellement expressif, et il réussit même un coup d’éclat scénique en fuyant ses responsabilités pour laisser sa femme, sous les traits de Sarah Vaysset, se charger de régler la situation filiale.

 

 

  Florian Sempey (Le prince Yamadori)

 

Et tous les rôles secondaires sont très bien distingués pour faire entendre leur charme vocal, le Goro ricanant de Xin Wang, très bon acteur, le noble et précieux Sharpless de Kosma Ranuer, et le magnifique jeune prince Yamadori de Florian Sempey, sombre et royal, avec une fierté qu’il aime afficher, le menton légèrement levé en avant.

Dans la fosse, tout n’est pas parfait. Le naturalisme expressif de Puccini pose des problèmes d’harmonie, le paysage sonore du début du troisième acte en souffre perceptiblement, et c’est dans les passages plus fluides et lents, majestueusement développés, que Didier Lucchesi obtient un lyrisme introspectif qui s’aligne sur l’atmosphère raffinée de toute l’œuvre.

Elena Cassian (Suzuki) et Lianna Haroutounian (Cio-Cio San)

Elena Cassian (Suzuki) et Lianna Haroutounian (Cio-Cio San)

Enfin, la nature et la modernité sont venues s’insérer poétiquement dans le spectacle pour conclure le duo d’amour du premier acte. En effet, en levant les yeux, il était possible de suivre, à travers le ciel étoilé, le passage d’un astre artificiel invariablement lumineux, la Station spatiale internationale ISS, qui croisait la Voie lactée pour aller se perdre derrière les arbres vers l’est, juste au moment où les dernières notes s’achevaient.

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Publié le 18 Août 2011

Carmen (Georges Bizet)
Représentation du 15 août 2011
Soirées Lyriques de Sanxay

Carmen Géraldine Chauvet
Micaëla Asmik Grigorian
Don José Thiago Arancam
Escamillo Alexander Vinogradov
Frasquita Sarah Vaysset
Mercédès Aline Martin
Zuniga Jean-Marie Delpas
Moralès Florian Sempey
Le Dancäire Philippe Duminy
Le Remendado Paul Rosner

Direction Musicale Didier Lucchesi
Mise en scène Jack Gervais
Chorégraphie Carlos Ruiz

 

                                                                                                   Thiago Arancam (Don José)

Depuis douze ans, le festival de Sanxay mène toujours vaillamment son existence champêtre dans le creux protecteur des vieux gradins du théâtre gallo-romain, qu’une herbe bucolique adoucit.
Mais nulle couverture médiatique nationale ne semble pour l’instant s’intéresser régulièrement à la vie de ce lieu qui ne se prête, il est vrai, à aucune mondanité. On y accède par de petites routes, à travers la campagne légèrement vallonnée, ce qui rend l’évènement encore plus improbable.
Le public provient très majoritairement de la région, et l’ambiance s’en ressent, relâchée et parsemée d’humour.
 

En harmonie avec cet esprit, on ne s’attend pas ici à des mises en scène novatrices, mais plutôt à découvrir des images charmantes au fil des différents tableaux.

Pour décrire l’univers de Carmen, Jack Gervais n’a disposé que deux éléments de décor significatifs, trois arcades en briques rouges et pierres blanches distinctifs de l’architecture arabe, et les burladeros de l’arène finale où s’achève le drame.
Il était cependant superflu de faire apparaître les refuges à matador dès le prélude, car cela introduit une rupture dans la transition musicale avec la première scène, le temps de les retirer.

Par la suite, on découvre un sens de l’animation classique, des costumes agréablement colorés, des éclairages qui isolent les moments sombres, et un grand feux, en apparence dangereux, que Micaela devra traverser pour retrouver Don José.

                                                                                         Géraldine Chauvet (Carmen)

L’idée originale repose essentiellement sur les danseuses et danseurs de flamenco, leur attitude impeccablement acérée, meneurs d’une chorégraphie exaltante et intense, que le jeune Carlos Ruiz a réglée pour caractériser la personnalité de Carmen au début de chacun des trois derniers actes, âme surtout ‘dominante’ comme on le comprend bien.

C’est l’influence arabo-musulmane dans la culture andalouse et la musique de Bizet qui est ainsi soulignée.

Pourtant, Géraldine Chauvet n’enferme pas la cigarière sévillane dans un tempérament sanguin.

Son interprétation claire et soignée, presque trop bien tenue si l’on ne décelait quelques inflexions étranges dans les graves, est l’esquisse d’une femme consciente d’elle-même et de son pouvoir de séduction, mais quelque peu indifférente à Don José.

On pourrait le comprendre car Thiago Arancam est plutôt un acteur timide sur scène. Le ténor brésilien ne peut évidemment se départir de son accent naturel, mais il manie la langue française avec la meilleure des précautions possible.

Et, alors que la beauté du désespoir de ‘La fleur que tu m’avais jetée’ a soudainement donné de l’épaisseur à ses sentiments, c’est au tout dernier acte qu’il est apparu avec une noirceur dépressive théâtralement forte, le gouffre dans le regard, comme s’il exprimait une vérité qui le dépasse. Un effet dramatique qui a de quoi marquer.

 Asmik Grigorian (Micaëla)

Sacrifiant également à la précision des mots, Alexander Vinogradov offre cependant un portrait d’Escamillo jovial et heureux, sans le moindre machisme, avec de très beaux effets de déroulés et d’enlacements des lignes musicales, alors qu’Asmik Grigorian s’éloigne de l’image traditionnelle de vierge Marie dévolue à Micaëla, pour en faire une femme qui prend son destin en main, avec risque et passion si cela est nécessaire.

Elle nous éloigne pour autant de l’écriture subtile de Bizet, et use d’effets véristes pour arriver à ses fins.

Alexandre Vinogradov (Escamillo)

Alexandre Vinogradov (Escamillo)

Tous les seconds rôles animent naturellement leurs personnages, Sarah Vaysset, Aline Martin, Philippe Duminy, Paul Rosner, et Jean-Marie Delpas, impeccable de phrasé.

Alors que l’année dernière Marianne Crébassa avait interprété avec raffinement le rôle maternel de Clotilde dans  Norma, c’est au tour de Florian Sempey, lui aussi tout juste entré à l’Atelier Lyrique de l’Opéra de Paris, de s’exposer sur la scène de Sanxay.

Très à l’aise, le timbre de la voix chaleureusement homogène, le regard malicieux et prodigue en mimiques amusantes, il vit et interagit en permanence avec ses partenaires, même lorsqu'il ne chante pas. Les jeunes talents de Nicolas Joel ont comme le charme d’un printemps lyrique en eux.

 Florian Sempey (Morales)

Florian Sempey (Morales)

Chef attitré du festival, Didier Lucchesi n’a aucun mal à faire ressortir toute la poésie de l’écriture musicale et des sonorités de chaque instrument qui se mêlent au chant nocturne de la nature. Il obtient des violons une texture aérée et des motifs ondoyants raffinés, mais reste mesuré face aux impulsions théâtrales, au profit d’une sagesse toute orientale.
Il a semblé faire ressortir certaines lignes plus marquantes que d’habitude, notamment quand la personnalité forte de Carmen plonge Don José dans un trouble inquiétant.

Les choristes font bonne figure, les particularismes des timbres se distinguent nettement, les décalages sont perceptibles, ce qui fait naître un charme populaire, plutôt qu’un grand souffle lyrique.
Les nombreux enfants venus de toute la région, et qui affrontent les regards des spectateurs de face, au premier plan, font une très belle et touchante interprétation dont ils peuvent être heureux pour la vie.

Choeur des enfants à l'entrée des arènes (acte IV)

Choeur des enfants à l'entrée des arènes (acte IV)

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Publié le 22 Août 2010

Représentation du 15 août 2010
Festival de Sanxay

Norma Sorina Munteanu
Adalgisa Géraldine Chauvet
Clotilde Marianne Crébassa
Pollione Thiago Arancam
Orovesso Wojtek Smilek
Flavio Paul Rosner

Direction musicale Didier Lucchesi
Mise en scène Jack Gervais

 

 

 

Géraldine Chauvet (Adalgisa) et Thiago Arancam (Pollione)

 

Naturellement, il y a un certain rapprochement historique à faire revivre Norma sur la scène d’un ancien théâtre romain.

Cependant, l’extraordinaire apparaît sur une prise de conscience, lorsqu’il se produit quelque chose de poétique.

Il est vrai qu’il y a quelque péril à aborder d’entrée « Casta Diva », lorsque la voix n’a pas encore toute sa souplesse, et Sorina Munteanu ne peut sortir, dans un premier temps, d’une posture un peu trop glaciale, que la rudesse de certaines sonorités tend à figer.

Jusqu’à ce que ne survienne le duo, très intime, « Sola, furtiva at tiempo » où la jeune Adalgisa révèle son amour pour un homme qui s’avère être Pollione.

 Sorina Munteanu (Norma)

Sorina Munteanu (Norma)

Géraldine Chauvet, chanteuse qui possède non seulement les nuances, la finesse des lignes mélodiques, mais aussi la sensibilité dans la voix qui transmet si naturellement la réalité de ses sentiments, répond à la soprano roumaine à travers un échange mis en scène de façon touchante, chacune s’étant assise le long des marches opposées de part et d’autre du temple.

A cet instant, Sorina Munteanu prend une dimension humaine qui va s’accroitre comme si ce qu’elle vivait intérieurement faisait craquer de toutes parts sa position de grande prêtresse. Le jeu est conventionnel, et pourtant, il s’agit d’un conventionnel très habité, émotionnellement crédible qui exploite la force du regard.

Marianne Crébassa (Clotilde)

Marianne Crébassa (Clotilde)

La voix, elle aussi, devient plus colorée et sensuelle, avec de petites coloratures de ci de là.
Et c’est à ce moment précis que l’on songe à ce qu’il y a de fou à écouter un spectacle lyrique d’une telle qualité en pleine campagne.

Encore très jeune, Thiago Arancam joue un Pollione anti-héro, ce qui ne fait que mettre en relief la haute dignité de toutes les femmes du drame. Le timbre fumé a juste besoin d’un peu plus de puissance pour appuyer la virilité du personnage, mais cette manière si prévisible de bouger mériterait un stage de quelques jours dans les mains d’un Tcherniakov ou bien d’un Warlikowski pour acquérir un minimum de potentiel théâtral.

Sorina Munteanu (Norma)

Sorina Munteanu (Norma)

Le rôle est court mais suffisant pour apprécier l’élégance de Marianne Crébassa (Clotilde) tant physique que musicale, élégance qui rejoindra  l’atelier lyrique de l’Opéra National de Paris à la rentrée prochaine.

Wojtek Smilek (Orovesso) et Paul Rosner (Flavio) sont des partenaires irréprochables, le second ayant en plus un timbre fort qui valorise sa présence.

Le travail scénique se distingue par la simplicité du cadre, les colonnes du temples, les marches, relativement peu d’accessoires, un beau rendu des ambiances lumineuses, des jeux d’ombres et des faisceaux de projecteurs qui illuminent des nuages de vapeurs.

L’orchestre, riche d’une soixantaine de musiciens, soutient l’ensemble du spectacle en réalisant de très jolies choses comme, par exemple, ces pulsations des cordes qui flirtent avec la légèreté ondoyante que développera Wagner plus tard dans Tannhäuser.

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Publié le 12 Août 2009

Aida (Verdi)
Représentation du 10 août 2009
Théâtre antique de Sanxay

Direction musicale Didier Lucchesi
Orchestre, Chœur et Ballet des Soirées Lyriques de Sanxay

Mise en scène Antoine Selva
Chorégraphe Laurence Fanon

Aida Maria-José Siri
Amnéris Malgorzata Walewska
Radamès Thiago Arancam
Amonasro Michele Kalmandi
Ramphis Balint Szabo
Le Roi d’Egypte Dan Paul Dumitrescu
La Grande Prêtresse Sarah Vaysset
Le Messager Dominique Rossignol               Malgorzata Walewska (Amnéris)

Le festival lyrique de Sanxay est une manifestation qui célèbre l’opéra de manière simple et naturelle, lové au creux des vestiges de l’ancien théâtre d’un sanctuaire thermal gallo-romain.

En pleine campagne et au son des grillons, la disparition des dernières lueurs du soleil laisse place à la musique et aux voix, auxquels les corbeaux répondent parfois.

Et afin d’apporter une dernière touche subtile à l’ensemble, les soirées coïncident avec le maximum d’intensité des Perséides, étoiles filantes laissées par la comète Swift Tuttle.
Hasard incroyable,  lorsque Aida rejoignit Radamès ce soir dans son tombeau, « Vois! déjà l’ange de la mort a déployé son aile » fût suivi d’un débris très lumineux dans le ciel à droite de la scène.

Le théâtre antique de Sanxay. La reconstitution des deux mille gradins tels qu'ils étaient à l'époque est à l'étude.

Le théâtre antique de Sanxay. La reconstitution des deux mille gradins tels qu'ils étaient à l'époque est à l'étude.

Pour cette nouvelle édition d’un événement majeur de la vie culturelle de la région Poitou-Charentes, la distribution réunie est d’un style musical soigné, avec quelques défauts de justesse uniquement dans les personnages secondaires (la Grande Prêtresse et le Messager).

Maria-José Siri assure d’ailleurs le rôle d’Aida en toute confiance, tous les passages aigus sont réussis en couleurs, sans le moindre accroc, le souffle vital qui l’anime est fort touchant, et son interprétation scénique est la plus riche de tous.

Seulement il est difficile de croire au très jeune Radamès de Thiago Arancam (27 ans).

Vocalement son chant est un exemple de contrôle pour ne jamais sacrifier la moindre ligne aux exigences du rôle, le timbre a également quelque chose de mûr, mais la puissance et la stature du guerrier n’y sont pas vraiment.

On sent beaucoup plus le ténor sentimental et poétique sans mièvrerie.
N’ayant visiblement pas bénéficié d’un travail sérieux avec le metteur en scène pour acquérir une expression théâtrale crédible, il s’égare par conséquent dans des gestes artificiels, ce qui est un peu perturbant.

Fascinante par sa noirceur, Malgorzata Walewska gère au mieux une certaine inertie vocale qui la freine dans son agressivité, mordant qui ne manque pas à Michele Kalmandi, car son Amonasro est vivant et digne. Avec Maria-José Siri, ils forment un couple père-fille auquel on croit, d’autant plus que les deux chanteurs ont les voix les mieux projetées.   Thiago Arancam (Radamès) et Maria-José Siri (Aida)

Le soutien musical assuré par Didier Lucchesi et l’orchestre recherche la souplesse et l’homogénéité sonore, c’est à dire qu’aucun effet (même avec les trompettes) ne vient amplifier le rôle de tel ou tel instrument, le spectaculaire est donc volontairement très limité.

Si l’on se concentre sur la réalisation théâtrale, il est impossible de reprocher à Antoine Selva un grand écart avec les conventions.
On comprend bien que le mur d’avant scène sera aussi celui qui se refermera sur les amants, et un soin est apporté aux multiples tableaux rituels du livret.

Thiago Arancam (Radamès) et Maria-José Siri (Aida)

Thiago Arancam (Radamès) et Maria-José Siri (Aida)

Mais en y regardant de plus près, la déesse Hathor ressemble assez étrangement à la vierge Marie (avec un enfant dans les bras), et l’hymne religieux où Radamès reçoit les armes fait plutôt penser à un baptême.

 

S’opère alors une assimilation entre la civilisation égyptienne et la culture chrétienne, figée et ennuyeuse dans ses protocoles.

Les Ethiopiens deviennent une sorte de peuple sauvage, effrayant pour des Egyptiens qui se vivent comme un peuple raffiné.

Didier Lucchesi, Thiago Arancam, Maria-José Siri, Michele Kalmandi

Didier Lucchesi, Thiago Arancam, Maria-José Siri, Michele Kalmandi

Par chance, Antoine Selva nous réserve quand même une surprise en les faisant intervenir pendant le défilé triomphal en beaux danseurs noirs et agiles (chorégraphie de Laurence Fanon).

L’opposition entre cette vitalité éclatante - qui conçoit bien la mort pour ce qu'elle est, comme le montre un crâne de vache érigé en épouvantail - et la rigidité du peuple de Radamès qui rejette la peur de la mort - car conçue comme un simple passage vers un autre monde- , en donne une vision finissante de l’Égypte.

Cela n’empêche pas de regretter que beaucoup trop de metteurs en scène enferment encore aujourd’hui l’opéra dans du mauvais théâtre, ce qui est moins gênant ici - car le plaisir d’être dans un lieu ouvert en pleine nature est fort, et Antoine Selva a quelque chose à dire - que sur des scènes parisiennes, comme cela va de plus en plus se produire.

Résumé et contexte historique de Aida.

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